samedi, 19 avril 2014
Charte du Mandé, Discours de Seattle, pièce de la mort d'Athahualpa : des "faux"
Comment prouver la supériorité morale des victimes
La charte du Mandé
En 1970, des chercheurs africains "découvrent" La Charte du Mandé", censée dater du XIII° siècle et préfigurer la déclaration des droits de l'Homme. Cette charte aurait été transmise oralement, mais, selon wikipedia, son existence "n'est pas sérieusement mise en doute". Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'est pas non plus sérieusement prouvée. J'ai cherché des éléments pour donner foi à ce beau texte, qui parle si bien à nos cœurs, mais il semble que, quelle soit la splendeur et l'ancienneté de la civilisation malienne, rien ne nous permet d'affirmer que cette charte ait existé avant les années 1970.
« Une vie n’est pas plus ancienne ni plus respectable qu’une autre vie, de même qu’une autre vie n’est pas supérieure à une autre vie ...La guerre ne détruira plus jamais de village pour y prélever des esclaves; c’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable pour aller le vendre; personne ne sera non plus battu au Mandé, a fortiori mis à mort, parce qu’il est fils d’esclave... Chacun est libre de ses actes, dans le respect des interdits des lois de sa Patrie.»
Le texte de Seattle
À la même époque, un beau texte "amérindien" tire les larmes des cœurs bons : ...Cependant, nous allons considérer votre offre, car nous savons que si nous ne vendons pas, l'homme blanc va venir avec ses fusils et va prendre notre terre.
Mais peut-on acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? Étrange idée pour nous !
Si nous ne sommes pas propriétaires de la fraîcheur de l'air, ni du miroitement de l'eau, comment pouvez-vous nous l'acheter ? ...
Ce magnifique texte qui nous rappelle la beauté du monde indien et la méchanceté du nôtre, est un faux, établi par un universitaire Nord-américain.
La mort d'Atahuallpa
Enfin, dans la Vision des vaincus, qui relate comment la conquête espagnole fut vécue par les indigènes du Pérou et de Bolivie, l'universitaire Nathan Wachtel fonde toute son argumentation sur une pièce de théâtre écrite par un Inca. Hélas, ce texte anachronique, qui date des années 60, a été écrit par un militant communiste. César Itier l'a démontré dans son texte : Vision de los vencidos o fascificasion ? Datacion y autoria de la Tragedia de la muerte de Atahualpa. (Vision des vaincus ou falsification? ? Datation et autorité du drame La mort d'Atahualpa).
(Résumé de l'article de César Itier : À travers une analyse philologique et textuelle, cet article montre que la Tragédie de la mort d’Atahuallpa, oeuvre dramatique quechua publiée par l’écrivain bolivien Jesús Lara en 1957, n’a pas été composée par un indigène au XVIe siècle, comme l’affirmait Lara et comme l’ont cru quelques auteurs après lui, mais qu’elle a été entièrement écrite par Lara lui-même qui voulait prouver que les Incas avaient développé une grande littérature, dont l’héritage subsistaiten Bolivie. Sont identifiées ici les principales sources utilisées par l’auteur pour forger sa fausse tragédie incaïque).
Trois textes douteux, trois causes justes
Ces textes visent à prouver que les populations opprimées par des Européens qui les trouvaient primitives étaient en fait plus élevées et développées qu'eux.
Or, est-il besoin d'exhiber du néant de telles "preuves" dont l'évidence s'effrite dès lors qu'on tente de les appréhender ? La violence de ces Européens en Afrique noire, en Amérique du Nord et du Sud, suffit à démontrer qu'ils étaient des barbares, des destructeurs de civilisations.
C'est être encore imbibé de "valeurs occidentales" que de créer de toutes pièces des preuves visant à établir la supériorité des vaincus selon les critères des vainqueurs ! Et, comme chaque fois que l'on tente de se mettre au niveau de celui qui nous écrase, au lieu de prouver notre valeur (pourtant bien réelle), on se ridiculise.
L'interminable libération intellectuelle
L'Afrique du Songhaï n'a pas besoin de tenter de prouver que "la charte du Mandé" est antérieure à la "Magna Carta" anglaise, pour qu'éclate la beauté de sa civilisation, la cruauté de ceux (Marocains et Européens) qui l'ont fracassée.
Les Indiens de l'actuelle Bolivie n'ont pas besoin d'une pièce de théâtre soi-disant inca, en fait d'inspiration communiste du XX°siècle, pour qu'éclatent le savoir-faire inca (les ponts incas portent aujourd'hui des camions et tiennent mieux que ceux que construisent des ingénieurs du XX°siècle), la grandeur de cette civilisation, de sa langue, de ses rites.
Les amérindiens du Nord n'ont certainement pas besoin de beaux poèmes "néo-indiens" écrit par un WASP pour que retentissent les larmes de leurs ancêtres immenses et la honte des exterminateurs encore en place sur leurs terres.
Et s'il est une colonisation réussie,
Et s'il est une colonisation réussie, c'est bien la colonisation intellectuelle qui a instauré dans les cerveaux du monde entier que l'écrit est supérieur à l'oral, que la déclaration des droits de l'homme est ce que l'esprit humain peut produire de plus grand...
La décolonisation mentale devrait commencer par renoncer à ressembler à celui qui nous a violé.
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La torture des hérétiques
Toutes les fois que le Crimen majestatis reparaît dans l'Histoire,
la Torture reparaît avec lui.
J'ai mangé un sandwich, bu du jus de grenade, et reviens au livre d'Alec Mellor consacré à la Torture. Je recopie pour les visiteurs d'AlmaSoror l'introduction au chapitre sur l'Inquisition.
L'auteur, Alec Mellor, avocat d'origine britannique, semble avoir été un de ces personnages mystérieux et éclectiques qui éclairent ceux dont ils croisent les chemins, sans jamais être assez compréhensibles pour devenir des modèles ou des chefs de files. Trop subtils et originaux pour que le sociotaxonome leur mette une étiquette, ils passent en ce monde en accomplissant un labeur que personne ne leur demande et qui porte des fruits invisibles, mais sûrs et féconds.
Je ne sais pas grand chose de Mellor, et ce que j'en sais augmente encore mon indécision : il était catholique et royaliste, mais devint l'avocat et l'historiens des francs-maçons, qu'il appela "nos frères séparés" avant de rejoindre une Loge. Homme de droite, il défendit de nombreux communistes durant la guerre et il ne mettait pas son métier d'avocat au service de ses idées, mais oubliait ses idées pour servir ce métier. Il écrivit des ouvrages étonnants, j'en possède deux, que j'ai lus. La Torture - son histoire, son abolition, sa réapparition au XX°siècle, et Le problème des guérisseurs. Je suis en quête de ses autres ouvrages : une histoire de la franc-maçonnerie, une histoire de l'anticléricalisme français, enfin un livre sur la fabuleuse aventure du téléphone. Si ces ouvrages sont aussi intéressants que ceux que j'ai eu l'heur de lire, alors de riches heures m'attendent.
Alec Mellor n'est pas impartial, mais il est honnête ; il n'est pas exhaustif, mais il est érudit, clair et inspiré. Il guide sa pensée de façon responsable et la coule dans une phrase qui ne manque pas d'allure dans son efficace simplicité.
L'inquisition est l'institution la plus incomprise de l'Histoire. Vilipendé par Voltaire et par les Encyclopédistes, le seul nom d'Inquisition est devenu, depuis lors, le cheval de bataille de la Libre-Pensée contre l'Église ; toute une littérature spéciale est là pour l'attester.
À l'inverse, certains catholiques ont jugé nécessaire à leur foi de réhabiliter d'authentiques atrocités, comme si l'Église avait eu besoin de leurs mensonges.
Il serait hors de propos, dans le cadre restreint d'une étude sur la Torture, de traiter un sujet de pareille ampleur. D'immenses travaux lui ont été consacrés ; leur bibliographie serait aussi longue, à elle seule, que ce chapitre.
Notre but se limite à situer l'Inquisition historiquement, à marquer la place qui lui revient dans l'histoire de la Torture, et surtout à vérifier notre thèse fondamentale : toutes les fois que le Crimen majestatis reparaît dans l'Histoire, la Torture reparaît avec lui.
Au XIII°siècle, c'est le masque théologique, que le Crimen majestatis revêt, et la véritable explication de la torture des hérétiques est là.
Le nom complet de l'Inquisition est : Inquisition de la perversité hérétique (inquisition haereticae pravitatis).
Qu'est-ce donc qu'une hérésie ?
Dans sa savante introduction au Manuel de l'Inquisiteur de Bernard Gui (Bernard Gui, 1261-1331, fut l'un des plus célèbres inquisiteurs du Moyen Âge), M.G. MOLLAT en donne la définition traditionnelle : "l'hérésie est un crime de "lèse-majesté divine" qui consiste dans le rejet conscient d'un dogme ou dans la ferme adhésion à une secte dont les doctrines ont été condamnées par l'Église comme contraires à la foi".
Il est à peine besoin de souligner combien il est nécessaire, ici, de répudier nos idées modernes. Pour les hommes du XIII°siècle, héritiers d'une longue tradition, l'unité de foi et l'ordre social sont une seule et même chose, et ce grandiose idéal n'était mis en doute par personne. L'idée d'une paisible co-existence entre fidèles et hérétiques dans le cadre de la société laïque était impensable, et les hommes du Moyen Âge eussent été singulièrement étonnés s'ils avaient pu prévoir un monde où les chefs de l'Église et les ministres hérétiques admettent de paraître ensemble publiquement à l'occasion de cérémonies temporelles ou de manifestations charitables.
L'unité sociale ainsi comprise est d'ailleurs l'idéal des hérétiques eux-mêmes. Ce que veulent ces derniers n'est pas la liberté de pensée religieuse, mais bien une chrétienté fondée sur leurs propres bases, en un mot une société une et hétérodoxe, ce qui ne peut que supposer la subversion préalable de l'ordre ancien et la destruction de l'Église, au besoin par la force (La question a été lumineusement exposée par Bossuet, dans sa Politique tirée de l'écriture sainte).
Donner dès lors un statut aux hérétiques eût paru un non-sens et la seule existence des hérétiques posait une série de problèmes.
C'était d'abord pour l'Église une problème dogmatique dont la multiplicité incroyable de conciles suffit à donner une idée.
C'était pour le peuple fidèle un problème de conscience.
C'était, enfin, pour l'État un problème de législation.
À vrai dire, la question du traitement des hérétiques était loin, au XIII°siècle, d'être neuve ; elle remontait aux empereurs d'Occident.
Mais ce ne fut pas avant le XIII°siècle qu'on eut l'idée de créer une inquisition, puis de rechercher les hérétiques au moyen de la Torture.
Pourquoi ?
Tel est le problème, et ce n'est pas le résoudre que de constater qu'à cette époque, le progrès des hérésies, notamment du catharisme, fit juger nécessaire une répression plus grave, car il y eut des hérésies dès les origines de l'Église (St Jean nous fait déjà connaître dans l'Apocalypse l'existence des Nicolaïtes).
La situation des hérétiques avant l'institution de l'Inquisition mérite d'être retracée, même sommairement, afin de souligner que l'introduction, en cette matière, de la Torture, fut, au XIII°siècle, une véritable révolution.
Sous les empereurs d'Occident, la Torture n'est employée en aucun cas, dans la répression des hérésies. L'Église use, d'une part, de ses peines propres, les peines spirituelles, dont le type est l'excommunication. L'État prévoit parfois la peine capitale (C. Theod. XVI,7,5,1), plus souvent l'amende (C. Théod. XVI,5,51-52-54,4), la confiscation (C.Theod. XVI, 6,4) ou la déportation (ibid, 5,63).
Au Moyen Âge, les peines temporelles iront en s'aggravant et la peine habituelle, du moins, pour les relaps, sera celle du Feu, qui n'est autre chose que l'adoption par la justice d'un mode de mise à mort où la fameuse "psychologie des foules" a laissé sa marque. L'historien américain Lea (Histoire de l'Inquisition) écrit justement : "Ce n'est pas la loi positive qui a inauguré l'atroce pratique de brûler vifs les hérétiques. Le Législateur n'a fait qu'adopter une forme de vengeance ou se complaisait naturellement à cette époque la férocité populaire".
L'origine historique du Bûcher n'est autre, en effet, que le lynchage par le feu.
Pour le peuple, les hérétiques sont une espèce haïe et redoutée, un danger de nature à provoquer la punition divine contre quiconque les tolère. Parti d'en bas, le mouvement gagna les princes, qui légalisèrent la pratique du bûcher.
Il serait trop long et hors de propos de retracer tous les jalons de ces deux étapes. Quelques exemples suffiront.
Guibert de Nogent raconte qu'en 1114, à Soissons, l'évêque dut emprisonner des Manichéens pour les protéger de la fureur populaire. (Il s'agit, bien entendu, des néo-manichéens ou Cathares, répandus surtout dans le midi de la France). Il alla de là à Beauvais consulter ses collègues réunis en concile, accompagné de Guibert lui-même.
En son absence, la populace hurlante arracha les hérétiques de la prison, et "craignant la mollesse cléricale", dressa incontinent un bûcher où on les brûla tous. ("Fidelis interim populus, clericalem vernes mollitiem, concurrit ad ergastulam, rapit, et subjecto eis extra urbem igne pariter concremavit").
Une émeute pire encore éclata en 1135 à Liège, où, cette fois, le clergé réussit à sauver les prisonniers à temps.
Les chroniqueurs en citent bien d'autres. C'est en présence de ces troubles graves que le pouvoir séculier prit l'initiative de sévir et de parer à l'insuffisance des peines purement spirituelles par les supplices.
Déjà Robert Le Pieux condamna au feu treize hérétiques.
Guillaume, comte de Poitiers et d'Aquitaine se fit un véritable renom de rigueur. Henri III, empereur, sévit en 1052 contre les Manichéens. Le roi d'Angleterre Henri, rapporte le chroniqueur anglais Guillaume de Newbridge, fit arrêter, marquer d'un fer rouge au front, et exposer publiquement des hérétiques flamands venus demander refuge en Angleterre ; cependant Henri II avait fait voter les Statuts de Clarendon soumettant l'Église d'Angleterre à la juridiction royale d'où son fameux conflit avec Thomas Beckett, archevêque de Canterbury, et était entré en lutte ouverte contre le pape Alexandre III, qui alla jusqu'à l'excommunier.
Ce zèle des princes n'était d'ailleurs pas toujours dépourvu de considérations sordidement temporelles ; dans l'affaire des Templiers, non seulement l'Églises n'eut pas l'initiative des poursuites, mais encore Philippe le Bel jugea bon (ou ses légistes lui firent juger bon) d'obtenir de la Sorbonne une consultation sur le point de savoir si le pouvoir laïc pouvait engager de lui-même des poursuites en matière de foi ! (Nous possédons le texte intégral de cette insolite consultation, en date du 25 mars 1308. La faculté de théologie répond négativement à la question posée par le roi, mais en entourant sa réponse de réserves qui trahissent un embarras significatif, et en s'excusant du long retard mis à répondre.
Il convient d'ailleurs de noter que si les templiers subirent la torture, ce ne fut pas à proprement parler comme hérétiques, mais - selon l'accusation - comme sacrilèges et sodomites. L'Église n'avait pas porté plainte, d'où l'étrange question de Philippe le Bel).
Toute l'histoire des XI° et XII°siècles est pleine de récits de ce genre, mais la Torture en est absente, et Saint-Thomas d'Aquin qui écrit sous Saint Louis, c'est-à-dire à l'époque où elle commence à s'établir, est en retard sur les canonistes, car il admet et recommande, comme toute la théologie morale de son temps, l'extermination des hérétiques, nulle part il ne parle de la Torture, fut-ce à propos des cas licites de flagellation, comme l'eût comporté cependant le sujet. (St Thomas, Summa theol. De Fide. Quaestio XI art 3 "Utrum haeretici sont tolerandi" à propos des relaps. On sait que la liturgie du Sacre comportait, au nombre des quatre serments prêtés par le roi, celui d'"exterminer les hérétiques dénoncés par l'Église").
La Torture des hérétiques est contraire à la tradition canonique. "Verbis melius quam verberibus res agenda est", écrivait, dès son temps, Lactance.
Le plus grand canoniste du Moyen Âge, Gratien, prohibe la torture en ces termes incisifs : "Confessio ergo in talibus non extorqueri debet, sed potius sponte profiteri. Pessimum est enim de suspicione aut extorta, confessionne quemquam judicare".
Nous verrons plus loin l'admirable lettre du grand pape Nicolas Ier aux Bulgares ; c'est une condamnation nette de la Torture en elle-même, et qui tire son autorité de ce qu'elle émane du Siège apostolique dans un document particulièrement solennel.
Fournier observe avec raison que le juge d'Église qui eût admis la torture eût encouru ipso facto une irrégularité canonique (Ecclesia abhorret a sanguine) et cite à ce sujet des textes irrécusables (IN Fournier, Les officialités au Moyen Âge).
Frédéric Barberousse, dans ses fameuses constitutions de 1220 à 1239 ne parle pas de la Torture, et se borne à prescrire comme mode ordinaire d'enquête en matière d'hérésie la purgation canonique, en accord avec le décret du pape Lucius III.
On peut même observer que la Torture ne fut pas appliquée par l'Inquisition elle-même, à ses débuts.
La date fatidique où les choses devaient changer est celle de 1252, année où Innocent IV promulgua la bulle "ad extirpenda", et il n'est que strictement juste de noter que l'Église avait été précédée par la législation laïque, en l'occurrence par le même Frédéric Barberousse, qui, par une singulière inconséquence avec lui-même, ordonne la mise à la question dans son code véronais (1228) et dans ses Constitutions siciliennes (1231).
IN Alec MELLOR
La Torture - Son histoire. Son abolition. Sa réapparition au XX°ème siècle.
Préface de REMY.
Editions des Horizons Littéraires
Notes d'AlmaSoror :
Les chroniqueurs qui relatent de tels faits (tant les lynchages populaires que les "rigueurs" des dirigeants, sont, entre autres, Guibert de Nogent, Raoul Glaber, Haganon de Chartres, Adhémar de Chabannes, Guillaume de Newbridge. On peut consulter en outre le Corpus documentorum inquisitions haereticae pravitatis neerlandicae.
Notons la jolie expression par laquelle on voulait dire torture : mise à la question. En français moderne, nous pouvons traduire par interrogatoire.
AlmaSoror avait déjà mentionné et cité le chroniqueur passionnant, parfois si rigide, parfois si émouvant, Guibert de Nogent :
Une éducation en l'an mille quelque chose
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vendredi, 18 avril 2014
Le crime de lèse-majesté
C'est à partir de ce moment que le Crimen magestatis va changer peu à peu de caractère et devenir un des pires fléaux de l'Histoire humaine.
La petite ville de province lézarde au soleil, mais je me suis enfermée dans ce cagibi que n'atteint pas la lumière du jour. Pourquoi donc ? Il faut que je médite cet enfermement imposé, que je trouve la porte de sortie.
J'ai près de moi ce livre étonnant du mystérieux Alec Mellor. Dédicacé à mon arrière-grand-oncle d'une main leste, il s'intitule La torture, et la thèse de l'auteur est la suivante : dans l'histoire, la pratique de la torture et le crime de lèse-majesté sont concomitants. Bien sûr, le crime de "lèse-majesté" ne porte pas toujours son nom ; en outre, la majesté n'est pas forcément royale. Inventé par les Romains, le crimen majestatis signifie crime d'Etat ou crime politique. Alec Mellor démontre assez savamment et judicieusement cette corrélation qu'il retrouve à travers les siècles et même les millénaires.
Voici donc un extrait du livre La torture : Son histoire. Son abolition. Sa réapparition au XX°siècle, d'Alec Mellor, avocat à la Cour de Paris, publié en 1949 par Les Horizons Littéraires.
Chapitre II La torture dans le monde romain
2 La torture de l'homme libre
C Le "Crimen Majestatis". La préfiguration du Totalitarisme moderne.
La langue juridique moderne désigne sous l'expression de "Crimen majestatis imminutae", et par abréviation de "crime majestatis" le Crime d'Etat, ou, si l'on préfère, le crime politique.
Punir l'atteinte contre la sûreté de l'Etat comme un crime n'a rien, en soi, de spécifiquement romain, et ce souci est commun à tous les législateurs.
Cette préoccupation est normale et elle est morale.
Elle ne conduit en rien à pratiquer la Torture, du moins aussi longtemps que l'Etat ne sort pas de son vrai rôle, qui est la sauvegarde commune.
Mais les choses prennent un tout autre tour quand, débordant sa mission primitive, l'Etat entend organiser le bonheur universel par décrets, veut tout envahir, puis tout asservir.
On parle aujourd'hui d'Etats totalitaires.
L'expression est neuve, la chose, ancienne.
Dans son principe, l'Etat totalitaire n'est rien d'autre que celui décrit sous le terme de gouvernement despotique par les anciens philosophes politiques, d'Aristote à Montesquieu, en passant par Polybe et par Bossuet, dans la théorie traditionnelle des trois formes de Gouvernement.
Dans un semblable Etat, la conception du crime politique se modèle sur l'idéal politique même. Elle ne peut être qu'indéfiniment extensible, et la punition sans limites.
Incrimination et Répression deviennent totalitaires comme l'Etat et, dès lors, la Torture a, dans les institutions, une place prédésignée.
Un rapide aperçu historique de ce que fut, à Rome, le Crime politique, illustre bien cette loi.
Un texte fondamental concernant la matière est la très célèbre Lex Julia majestatis (DIG. XVIII,4), attribuée tantôt à César, tantôt à Auguste. Singulier destin que celui de cette loi dont la date demeure mystérieuse, alors qu'elle marque le point où vient d'aboutir toute l'évolution antérieure du droit et celui d'où s'élanceront de formidables développements futurs !…
Sous la République, le concept de Crime politique apparaît comme réparti, si l'on peut dire, sur deux notions bien distinctes : celle de Perduellio et celle de Crimen majestatis.
Perduellio vient du préfixe Per (à tort) et de duellum (guerre).
Le Perduellio est, étymologiquement, le mauvais guerrier, c'est-à-dire l'Ennemi (car le Peuple romain ne fait, par hypothèse, que des guerres justes), non toutefois l'ennemi étranger, l'hostis, mais celui de l'intérieur, le Traître.
La répression du Crime politique ainsi entendu n'est pas autre chose que le droit de tuer l'ennemi.
Denys d'Halicarnasse parle d'une loi légendaire de Romulus sur les traîtres (II, 10,-III, 30).
Les XII Tables punissent de mort quiconque aura excité l'ennemi ou lui aura livré un citoyen (DIG, XLVIII,4,3).
La physionomie du délit est toute militaire. (Dans les lois de la période républicaine, ce caractère est des plus nets ; toutes sont des textes de circonstances, faites contre des généraux vaincus ou prévaricateurs. Telles sont la loi Marmilia (110 av JC) ; votée après la guerre contre Jugurtha, la loi Varia (91 av JC) contre les espions, la loi Appuleia (103 av JC) ; dont il est question dans le fameux scandale de l'or de Toulouse (CIC. De Orat. passim et de nat.deor. III,30,74) et le procès de C. Norbanus en 95 (CIC. De Orat. XXI,89). Nous n'entrerons pas dans la question procédurale des Duoviri perduellionis, qui sont une véritable énigme historique, d'ailleurs sans intérêt pour l'histoire de la Torture).
"Le mot Majestas, écrit Mommsen, a également une étymologie transparente. Il désigne une situation élevée, cette prééminence dont l'inférieur doit tenir compte, non pas un pouvoir supérieur mais un prestige plus grand. - Cette seconde acceptation technique du mot apparaît de la manière la plus nette, à propos des pactes internationaux, conclus entre Rome et les Etats souverains en droit, mais subordonnés en fait, dans la formule : "Majestatem Populi romani comité colunto" : ils doivent "rendre avec courtoisie à la haute dignité du Peuple romain les honneurs qui lui sont dus".
Le terme est entré dans la langue pénale par suite, semble-t-il, du statut juridique des tribuns de la Plèbe. Cette dernière est, on le sait, à l'origine, en dehors du Populus romans. Ses chefs ne sont pas magistrats. Le plébiscite n'est pas lex publica (Il en sera ainsi jusqu'à la loi Hortensia - 286 av JC). Comment, d!s lors, les entourer d'une protection juridique ?
La notion de perduellio était propre à la Cité patricienne, donc inutilisable (L'expression de majestas n'est d'ailleurs pas restreinte à la majesté des tribuns ; c'est ainsi que les lois Varia et Appuleia sont qualifiées de majestatis, mais la majesté qu'elles protègent est celle du peuple romain).
La solution fut trouvée dans le droit religieux, le FAS, lequel était commun aux Ordres, et permit de reconnaître au Tribunat une légitimité de secours : la sacrosancta potestas. Un passage du Pro Tullio de Cicéron le montre : "Legem antiquam de legibus sacratis, quad jubeat impune iccidi eum qui tribunum Plebis pulsaverit".
On put, dès lors, poursuivre et punir le crime "amoindrissement de la majesté tribunitienne" (Crimen imminutae majestatis tribunicae).
Au Ier siècle av. J.C., l'antique Lutte des Ordres n'est plus qu'un souvenir et cette dualité de notion devenue un anachronisme. La perduellio et le crimen majestatis étaient destinés à confluer.
Une ébauche d'unification fut tentée par Sylla, dictateur "legibus scribundis", qui promulgua une lex Cornelia majestatis sans lendemain.
Il était réservé à la Loi Julia majestatis de fusionner en un délit unique les infractions du vieux droit militaire, et toutes les formes de majestas imminuta. Le Crimen majestatis devint le genre, la perduellio, l'espèce, et l'espèce la plus grave.
Une magistrature nouvelle, celle de l'empereur, n'avait pas encore absorbé l'Etat en sa personne, mais déjà Auguste réalise le nouvel ordre en cumulant sur sa tête toutes les magistratures, fondant ainsi la légitimité du Principat à la fois sur la conservation des vieilles magistratures d'origine patricienne et sur la sainteté du tribunat, dont les bases lui assurent la protection des sacratae leges.
C'est à partir de ce moment que le Crimen magestatis va changer peu à peu de caractère et devenir un des pires fléaux de l'Histoire humaine.
La législation criminelle des peuples est le plus fidèle reflet de l'évolution de leurs maximes politiques et constitutionnelles. C'est pourquoi le Crimen majestatis, tel qu'il devait faire trembler le monde, est inexplicable si on ne le replace pas dans son cadre historique.
Citons ici - non sans émotion à la pensée de notre admirable maître, enlevé prématurément à la Science - l'opuscule lucide d'Ernest Perrot : "La vraie cause de la ruine du monde antique : l'étatisme" (ces lignes étonnantes sont de… 1929) :
"Comment se fait-il qu'ait disparu, au V°siècle, le plus célèbre et le plus solide des empires, l'Empire romain, consommant la ruine du monde antique ? Pourquoi cet écroulement qui a laissé un si grand vide et de tels souvenirs ?
On se l'est demandé souvent. Il semble même qu'on se le demande depuis quelques années, avec plus d'anxiété que jamais. Comme ces malades avides de connaître des cas pathologiques analogues au leur propre, nous scrutons le passé, d'instinct, pour savoir si les maux dont nous souffrons n'ont pas été endurés déjà par d'autres que nous, et s'ils ne sont pas mortels.
L'étatisme, le socialisme d'Etat, vers lequel nous glissons et dont nous commençons à sentir l'étreinte asphyxiante, est-ce une nouveauté ? D'autres sociétés ne l'ont-elles pas connu ? N'est-ce point une maladie mortelle ? Et, au fait, ne serait-ce pas de cela qu'est mort le monde antique, résumé dans l'empire romain ?"
Tout serait à citer de ce petit chef d'oeuvre, qui montre comment au Bas-Empire, le monde était devenu un bagne. "L'Etat est une Providence ; le Prince est dieu sur terre" écrit E. Perrot, définissant l'étatisme lui-même d'une formule lapidaire. C'est dans cette atmosphère d'absorption de toutes les activités - le terme exact serait de vampirisme universel - par l'Etat que le Crimen majestatis devait se mettre à sa mesure.
L'étatisation de l'économie s'associait d'ailleurs à une lâtrie empruntée aux monarchies asiatiques : le culte du Numen imperatoris, et jamais l'expression d'Etat-providence, dont on désigne les sociétés étatisées, ne put être pris plus à la lettre.
À vrai dire, ce dernier mal couvait depuis la fin même de la République et la conquête de l'Orient ; le mérite d'un J. Carcopino est, de nos jours, d'avoir souligné l'attrait exercé sur l'esprit de César lui-même par ces royautés hellénistiques aux origines desquelles on découvre - bien au-delà des Diadoques - non l'hellénisme classique, mais le Grand Roi médoc-perse, nimbé du "Hvarêno". Le prototype de l'empereur du III°siècle n'est même pas le Lagide ni le Séleucide ayant communiqué à Rome ses vices ; c'est le Xercès dépeint par Hérodote et mis en scène dans Les Perses d'Eschyle.
Mais il est permis de penser, cependant, que jamais les successeurs d'Auguste et de Trajan n'en seraient venus là sans le passage sur le trône d'authentiques Orientaux, de ces empereurs syriens dont Ulpien - lui-même né à Tyr - formula le despotisme en adages connus : "Quicquid Principi placuit, legs habit vigorem" - "Quid libet, licet".
Dans une telle société, le développement du Crimen majestatis ne pouvait connaître de bornes ni de délimitations juridiques, surtout dans un droit ne connaissant pas l'interprétation restrictive des textes pénaux. (Modestin (DIG. XLVIII,4,7,3) définit le délit "quod bel ex scriptura legis descendit, bel as exemplum legis vindicandum est".) L'offense la plus indirecte, la plus éloignée y exposait son auteur. Alexandre Sévère en vint (Code Just. IX,8,1) à se voir contraint de repousser une demande tendant à faire condamner pour Crimen majestatis un magistrat qui avait prononcé une sentence contrairement à une constitution impériale !
L'accusation de lèse-majesté devint même "subsidiaire" et susceptible d'être jointe à toute autre qualification pénale (Tacite, Ann II, 38 : … addito (à l'action de repetundae) majestatis criminel quod gum omnium accusationum complementum erat).
On comprend dès lors, en cette matière, la possibilité d'appliquer la torture même à des citoyens romains, même à ces "Clarissimes" et à ces "Perfectissimes" qui étaient exemptés par ailleurs. L'immunité civique était un anachronisme dans une société où il n'y avait plus de citoyens et où la liberté différait peu de la servitude. De plus, le gigantesque appareil du Pouvoir postulait des organes répressifs toujours plus redoutables.
Enfin, la divinité de l'Etat imprimait au crime politique un caractère sacrilège incompatible avec les garanties d'une procédure normale.
En un mot, toutes les raisons pour lesquelles la Torture était autrefois bannie des prétoires avait disparu. Dès le Haut-Empire, on soumet à la torture les criminels de lèse-majesté, même de naissance libre. Au Bas-Empire, la Torture sera étendue, telle une tache sanglante, et on les y soumet quel que soit le délit. Les romanistes du Moyen Âge ne ressusciteront pas le pur "Crimen Majestatis" impérial, car les royautés médiévales sont loin du césarisme, mais ils exhumeront la question des lois romaines retrouvées, avec tout l'appareil inquisitoire.
IN Alec MELLOR
La Torture - Son histoire. Son abolition. Sa réapparition au XX°ème siècle.
Préface de REMY.
Editions des Horizons Littéraires
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samedi, 12 avril 2014
Redresse-toi et marche
J'ai toujours imaginé confusément qu'il est possible, au cours d'une journée sans histoire, de prendre une décision qui transforme notre vie en profondeur, une décision après laquelle la vie quotidienne et l'image de soi est métamorphosée, et j'ai toujours rêvé de le vivre.
Il y a un an, jour pour jour, je me suis éveillée, insouciante et obscure, et le soir, je me suis couchée, épuisée d'avoir trop bu et trop parlé, mais inconsciente que ma vie serait différente désormais, ou, en tout cas, qu'elle serait transformée par une rencontre faite au cours du dîner. Mais je n'avais pas pris de décision, ce jour ; ou du moins, je n'avais pas pris la décision consciente de me transformer et de transformer ma vie. C'est le hasard peut-être, ou peut-être autre chose que le hasard, qui a pris en charge mon destin.
Aujourd'hui, je voudrais prendre la décision consciente de modifier en profondeur, non le cours de mon existence, car j'ai un cap et je navigue à vue, mais de changer radicalement mon expérience du monde.
Je voudrais que se modifie la manière que j'ai de me lever le matin, d'appréhender le jour qui commence, de me regarder moi-même et de regarder les autres. Je voudrais éprouver des émotions, des sensations différentes de celles que j'éprouve au cours des jours actuellement et depuis un certain temps. Que les émotions agréables se multiplient, que les sensations désagréables deviennent de moins en moins nombreuses, et surtout, avoir la surprise de considérer le monde d'une nouvelle manière.
Un jour, au cours d'une messe presque clandestine dans la crypte de Saint-Sulpice à Paris, j'ai chuchoté en conversant avec mon voisin de banc. C'était un homme qui avait étudié l'astrophysique, et tenait une chaire d'encadrement des études dans un centre de recherches de la vallée des cerveaux de l'Île -de-France. Après une longue et chahuteuse vie de patachon en compagnie d'autres hommes, il se convertissait au catholicisme. A cet effet, il étudiait les langues des évangiles, le grec écrit et les langue araméenne et hébreu que ce grec traduisait. Il me rappela l'absence de la découpe du temps en "passé", "présent" et "futur" dans ces langues de Palestine, qui préfèrent distinguer l'accompli de l'inaccompli sans poser les faits à notre manière sur une ligne chronologique. Il est donc possible d'interpréter les textes de l'évangile sans faire cette distinction si nette entre le présent de la vie du Christ (et de notre vie à tous) et l'avenir au ciel, après cette vie terrestre. En outre, dans les textes évangéliques, le même mot est utilisé pour dire « se redresser » et « ressusciter ». Dans le texte source, le même mot est employé dans les phrases « lève toi et marche » et « ressusciter d'entre les morts ». Dès lors, une interprétation possible de la Bonne Nouvelle est que c'est aujourd'hui et ici que nous devons ressusciter ; sans attendre la mort physique. De même, c'est ici et aujourd'hui que nous mourons : il n'est pas nécessaire d'expirer pour rendre l'âme ! Et si, plutôt que de capitaliser des actions en vue d'un salut ultime, il était possible d'être sauvé hic et nunc ? Car sur sa croix, on nous lit qu'Il prononça : « Ce soir, tu seras avec moi en paradis ». Mais quelle heure était-il ? En latin, Saint-Jérôme avait traduit par hodie eris, aujourd'hui tu seras avec moi... Et si la traduction de l'inaccompli « tu seras » n'était pas un futur projeté, mais un présent imminent ?
Depuis cette conversation volée au cours d'un office quasi-clandestin d'un sous-sol parisien, j'attends le jour de ma résurrection. Car il ne suffit pas de dire lève-toi et marche, encore faut-il l'agir. Aujourd'hui, 12 avril 2014, je voudrais que le verbe de la résurrection se fasse enfin chair.
Il est 15h09 et je décide que ma vie est profondément et instantanément transformée.
Sourire à l'insaisissable à portée de main, en recevoir de doux éclats.
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lundi, 07 avril 2014
Le mal des ardents
J'ai connu plusieurs garçons qui ressemblaient à des archanges. Ce matin, deux d'entre eux peuplent mon esprit. L'un est mort à 29 ans dans un accident si stupide que c'est à se demander si cet ingénieur intelligent, calme, capable, conscient, n'a pas joué avec le feu électrique. L'autre a quitté à regret sa vie adorée d'une grande ville de province française peuplée de pubs festifs et entourée de montagnes pour s'installer sur les vignes bourguignonnes de son beau-père, sur l'ordre pète-sec de sa jeune épouse.
Ils avaient des points communs et je les lie en esprit, bien qu'ils ne se connaissaient pas.
Ils étaient d'une beauté impressionnante, toujours renouvelée.
Ils parvenaient à allier ces deux éléments souvent opposés : toujours propres sur eux, prêts à entrer dans un salon cossu ; toujours prêts à la déconne ou à l'aventure en haute montagne ou sur l'océan hivernal. De même, ils étaient toujours très élégants et jamais raides ni snobs. Ils ressemblaient à des héros insouciants qui captent dans leurs cheveux, dans leurs yeux, dans leur voix, la majesté et la fougue.
Je ne les ai jamais vus malades (sans doute l'ont-ils été hors de ma présence) ; ils avaient un teint magnifique plein de vitalité, une pêche d'enfer, le rire dans la voix détendue, le regard pétillant, l'allure dynamique. Ils rayonnaient l'énergie et l'aisance en ce monde.
Ils appartenaient à des familles sympathiques, unies et chaleureuses ; ils étaient entourés de nombreux amis : des bandes de copains, des vieux copains, des copains du boulot, des copains du sport, des copains d’Égypte, des copains de Londres, des copains du club de plongée, des copains de l'association universitaire, des amis intellos, sportifs, ingénieurs, profs, avocats, pilotes, médecins, patrons de PME, marketing men, et même un prêtre par ci, un dessinateur libertaire par là.
Ils réussissaient tout. Les cross, les permis de conduire, de chasse, d'avion, de bateau, les études (hautes écoles d'ingénieur très prisées), le boulot (postes intéressants et largement payés), les voyages (tours du monde, grande facilité à parler de nombreuses langues), la fête (excellents danseurs, buveurs fantasques sachant s'arrêter avant la chute, potaches admirables et, à quatre heures du matin, conversations lunaires sur l'existence, le monde et l'intérieur du cœur).
Je les regardais avec une grande fascination, admirative de l'extrême aisance avec laquelle ils domptaient les éléments de la vie qui me plongent parfois dans les plus sombres affres de la dépression, de la douleur, de l'incapacité. Je les approchais avec perturbation, incapable de rentrer en réelle relation avec eux, n'arrivant pas à m'insérer souplement dans cette chorégraphie parfaite qui avait lieu autour d'eux. Je ne leur ai connu qu'un seul point faible, une fragilité presque invisible qui m'avait marquée à plusieurs reprises. Il n'y avait pas de place dans leur vie pour plus de deux heures de solitude. Peut-être qu'ils ne supportaient pas la solitude.
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samedi, 05 avril 2014
Un samedi soir dans un port en avril
Oh mes amis, j'ai passé une journée schizophrène, entre une obsession de plomberie autour du pauvre évier et la lecture de Psyché, de Pierre Louÿs, cet écrivain étrange. Tu sais quoi ? Même la promenade à la Chaume, dans ses ruelles (rue de l'Amour, rue des Soupirs, pour finir coincée dans l'impasse des Garçonnes) n'a pas réussi à vider ma tête de la lessive de soude à insérer dans la tuyauterie dévissée sous l'évier ni des hésitations langoureuses et terrifiantes de Psyché Vanetty.
J'ai vissé, dévissé, débouché, et contribué à des forums en ligne sur l'efficience ou la maléfficience du marc de café dans les canalisations. J'ai lu et relu les atermoiements épouvantables et fascinants de Psyché ("Il n'y a pas de honte à craindre Satan. Un homme se défend contre un homme, il ne se bat pas contre un fléau. Ce n'est pas de montrer une âme faible que de s'enfuir devant l'orage, ma fille, ou devant l'amour, car nos bras humains ne sont pas assez forts pour lutter contre le feu du ciel, ni contre celui de l'abîme").
Alors, comprenez que le soir, j'ai mis un billet de 20 euros dans ma poche, une veste Zara sur mon jean Zadig, et je suis sortie pour marcher dans la ville, jusqu'au port, dans cette brume troublante qui engourdissait les maisons. Je suis arrivée aux abords de la Roulotte. Elle est belle, elle est bleue, une agréable odeur de friture bio s'en dégage. Je me suis approchée timidement, les mains dans les poches, tentant d'avoir l'air intelligent et détaché. Je commandai la seule chose qu'il s'y sert : un fish & chips, que j'agrémentais d'une bière Chiens de Perrins de l'Île d'Yeu, car les frites aiment être arrosées. La moutarde semblait bonne, j'en tartinai mes frites d'une couche épaisse et je m'assis au bord du port, rêveuse et solitaire.
Car j'étais solitaire. L'évier et Pierre Louÿs diparurent, laissant la place à deux goélands patibulaires qui matèrent ma gueule sans sympathie et dévisagèrent mon fish & chips avec un intérêt certain. Tu vois, j'ai mangé sans leur accorder le moindre regard, car j'ai vu Birds, le film d'Hitchcock, et je sais à quoi m'en tenir. Au lieu de cela j'ai laissé mon esprit divaguer dans les eaux du port des Sables, puis sur les bâtiments de tôle de la coopérative maritime Cavac. Et la bière pétillait au fond de mon âme, brune, comme un sortilège levuré. Et le temps s'effaça.Quand tout fut fini, je lançai les restes aux goélands, qui crièrent de joie en se précipitant vers les miettes, et repris le chemin de mon antre, par l'océan.
Une bruine tombait au bord de la plage. La marée montait, la température baissait. Je tendais mon visage au ciel pour quémander des gouttes de bruine. J'aimais vivre. Ce n'est qu'en approchant du cours Blossac que je sentis la nuit tomber. Dans un bar, des jeunes hurlaient, pour célébrer, sans doute, un match de foot ou un anniversaire. En quelques minutes, l'air frais et bleu ciel se transforma en pénombre lourde. La pluie se fit plus drue. Moi qui, quelques instants auparavant, levai mon visage pour ne pas manquer une précieuse goutte, je le rentrai désormais dans mon cou pour me protéger, inconstance de la météo et de l'esprit humain. Et puis, la pénombre devint ténèbre. Je songeai à cette phrase que Jérôme Delvaux avait écrit, sur son blog depuis défunt, Sublimation : « il m’invite à honorer avec lui notre maîtresse favorite, la seule qui continue de nous surprendre après des milliers d’étreintes passionnées : la nuit ». La nuit est une amante trop lilithienne pour mes bras chétifs, pour mon âme faible, pour mon corps apeuré. Je préfère le soir, plus amène, plus ambigu, moins fou. Le soir est tout aussi beau que la nuit.
Et puis je rentre dans l'immeuble dont chaque centimètre carré exhale l'atmosphère des années 1950, je tourne la clef dans une porte destinée à être condamnée, je pénètre dans le lieu où l'évier est guéri, ou Pierre Louys se rendort pour toujours, et j'écoute la musique de Mondkopf.
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vendredi, 04 avril 2014
D'un train crépusculaire
20h07 : Face à moi un jeune homme blond aux cheveux très courts écoute une musique dans son casque, les yeux fermés, les bras paisiblement posés sur ceux du fauteuil. Il porte un Tshirt à l'effigie du drapeau américain. Plus loin, deux hommes qui ne se connaissent pas se font face. L'un contemple le paysage, l'autre est fixé sur son téléphone portable. La campagne est belle, qui défile derrière la vitre. La respiration du garçon se fait plus forte et très régulière : il dort. J'écris un peu, puis je relève la tête.
Splendeur sur la campagne. Un coucher de soleil flamboyant s'écrase sur les cimes des arbres et se couche dans les champs. C'est un océan de couleurs qui déploie ses vagues nébuleuses et scintillantes entre chien et loup. Quelques vaches encore dehors assistent à ce spectacle époustouflant. Je ne peux détacher mon regard de la vitre et jette seulement de temps à autre un œil sur l'ordinateur pour voir si mes doigts agiles, habitués intimes du clavier, tapent bien ce que je leur demande. Je sais que ce moment empreint d'une magie étincelante ne durera pas. Ces lambeaux de rose et d'orange noyés dans des jetées de bleu indéfinissable ont quelques minutes à peine d'existence. On est entre chien et loup ; le loup va chasser le chien. Nous venons de passer devant une ferme, dont la lumière de la grande pièce était allumée. J'ai aperçu une atmosphère, vite enfuie dans le passé. L'incendie fabuleux se poursuit, au dessus d'un lac ; le lac disparu, il émerge par flots colorés entre les arbres. Les bois se succèdent, puis laissent la place à des champs. Le jeune homme dort toujours, mais les deux messieurs sont absorbés par le même paysage que moi. Si ces moments baignés de sublime se prolongeaient éternellement, serions-nous capables d'en être toujours aussi émus ?
Il est 20h25 et le soleil n'en finit pas de se noyer dans les nappes de couleurs. C'est presque écrasant de beauté. Je voudrais que cela dure toujours et pourtant j'attends la fin avec une sorte d'impatience. Pour me retrouver moi-même après la sidération ? Ou pour me perdre à nouveau dans les méandres inutiles de la vie mentale ? Comme c'est rose, là-bas, rose orangé. Aucun peintre n'a jamais pu rendre la somptuosité à laquelle j'assiste. L'art évoque, l'art approfondit, l'art ne reproduit pas. Peut-être qu'au volant d'une voiture, à une fenêtre, sur un chemin, quelques êtres humains, en instance, contemplent cette beauté en suspension. Une annonce nous dit que dans quelques instants, nous arriverons en gare d'Angers Saint-Laud.
Il est 20h31. Les affreux immeubles de la banlieue d'Angers se dressent entre le couchant et nous. Entre deux barres, au dessus d'un ancien cimetière, dans les branches d'un arbre, le brasier apparaît quelques secondes ; le train ralentit. Comme les villes bétonnées depuis les années 1960 sont laides, les pauvres. Mais nous entrons dans le centre et de vieilles et imposantes bâtisses en pierre, restaurent mon sentiment intérieur. Un des messieurs se lève (celui qui contemplait le paysage) ; il va descendre à Angers. L'autre a remis le nez dans son portable. La respiration du jeune dormeur berce ma contemplation. Il ne s'éveille pas, mais sans doute sent-il dans son sommeil que nous arrivons quelque part, car ses bras bougent et sa tête dodeline un instant. Des murets de brique construits le long de la voie ferrée dissimulent l'éclatante dissolution du soleil.
20H35 : un homme au très gros ventre, jean et blouson de cuir, une soixantaine d'années, allume une cigarette sur le quai. Ses yeux parcourent la gare, les rails, la ville derrière alors que les premières volutes s'élèvent de sa bouche. Soulagement intense et visible de celui qui s'est retenu de fumer durant près de deux longues heures. Les sifflets des agents de la gare retentissent. Le train va repartir. Oui, les portes automatiques se ferment. Nous sommes repartis. Le rose est toujours là ! Et c'est encore plus incandescent que tout à l'heure ! Il vire au rouge ! Les lumières artificielles de la ville d'Angers offrent faiblement leurs lueurs pour soutenir la rougeur chamarré du ciel. De longs nuages gris se tordent au milieu de ces aplats mouvants de rouge, d'orange, et les toits de la ville disparaissent. Maintenant ce ne sont plus eux qui se détachent dans la rougeur, mais des arbres, dont les pieds sont dans l'eau (il a du beaucoup pleuvoir sur ces étangs) et la tête dans l'incendie du firmament. Le train prend de la vitesse. Des usines succèdent à la campagne, la campagne succède aux usines. Les formes des arbres s'élevant vers la toute-beauté des cieux donnent une atmosphère d'ailleurs, d'Afrique peut-être, ou du fin fond de l'Amérique du Sud. L'Ouest de la France m’apparaît soudain comme l'endroit de la magie suprême. Sur une route, qui suit le tracé de la voie, quelques voitures solitaires avancent à un rythme égal ; leurs phares leur confèrent une personnalité – presque un visage. Mais voilà que le rouge a entièrement disparu : le ciel est violent. Le ciel est violet. Il évoque un événement surnaturel menaçant.
Et puis (il est 20h47) la pénombre avale le violet qui devient sombre, sans couleur. Nous entrons dans la nuit. Le train file. Les ombres des maisons, des arbres, se stylisent et perdent de leur précision et de leur couleur pour se transformer en silhouettes informes. C'est la nuit qui tombe à pas de loups, qui s'abat sur des milliers et des milliers de vies fatiguées, invisibles depuis le train. Où sont les êtres humains ? Là-bas, sans doute, mais d'ici on n'imagine pas leur présence. Encore un peu de rose, par là ? Oui, mais il disparaît, comme un mirage, dans la vitesse du train et de la nuit. La nature quand elle se pare ou quand elle mue n'est pas réaliste. Elle est surréelle.
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mardi, 01 avril 2014
Ecclesia
Dans l'étrange beauté de l'église Saint Jean Bosco (rue Alexandre Dumas, Paris XX), je me posais des questions banales en savourant l'instant présent. La lumière pénétrait par les vitraux et le silence peuplait les bancs déserts. J'avais laissé loin derrière moi le monde morne des pensées mentales et je me délectais du vide et du plein, surtout du vide. Je riais de toutes ces luttes féroces qu'on vit dans le travail, et je m'abandonnais à la plénitude distante de l'existence dédramatisée. J'avais connu cela déjà à Arles, sur un hamac ; je découvrais ce même bouquet de sensations et de saveurs dans une architecture ecclésiale bizarre et envoûtante. Mourir et vivre perdaient leur caractère grave ; il me semblait que ma mort et ma vie n'étaient qu'un détail sans importance de ce monde, un vague phénomène imperceptible aux autres, parfois glauque, parfois charmant. J'éprouvais ce sentiment double et mélangé d'exaltation palpitante et de profonde tranquillité. C'était la première fois que je connaissais un tel calme sans avoir bu de rhum Diplomatico du Venezuela.
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lundi, 31 mars 2014
L'ambition de la lune noire
Je préfère développer la puissance qu'obtenir le pouvoir ; je préfère scruter les profondeurs que rebondir sur les surfaces ;
je choisis de miser sur la beauté de la prière plutôt que sur l'efficacité de la hargne ; je désire sonder et comprendre le tréfonds du cœur de tout homme plutôt que de dominer les corps et les esprits de la majorité.
Je préfère vivifier une personne dans le secret, même en l'ignorant moi-même, que faire semblant de faire du bien à plusieurs avec un cœur impur ;
je préfère m'élever au regard de Dieu qu'au regard de l'administration ou de l'Insee ;
j'aspire à accomplir la fraternité intégrale par la crucifixion de chacune de mes cellules, plutôt que que boire une coupe qui a couté un zeste de dignité à quelqu'un.
Je suis plus ambitieuse que les plus ambitieux de ce monde.
Invisible Seigneur, guide-moi vers mon destin.
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jeudi, 27 mars 2014
Palette
"Magie du jour qui crée le jour où l'on crée".
L.B.
La Saudade des Portugais, le Duende des Espagnols, le Fiu des Tahitiens, et nous mon ami qu'avons-nous pour pleurer et rire à force de s'abîmer dans la mélancolie ? Ce n'est ni la Révolution ni le chant du coq qui pourraient nous emporter comme un rythme, comme un berceau sur le flot des regrets. C'est peut-être la nuit, la nuit en impulsion. Ce n'est même plus la nuit, même si elle s'étire, ce n'est plus que l'impulsion.
Dans le Vaucluse ou en Vendée, au pays basque ou dans la plaine Lorraine, l'impulsion ? à Foix même, aux confins de la diagonale du vide, tout est plein d'impulsion.
Rues Boissonade et Campagne-Première à Paris, sur les bords de la Seine, sur les bords de la Marne, à Meaux où les chatons naissent au fond des armoires, à Saumur où le chien assis à la fenêtre guette le pas des chevaux de la dernière garde, à Châteauroux, malgré les souvenirs de guerre, à Equihen et à Arbois, aux Monts d'Arrée ou en Savoie - l'impulsion.
Et même à Nice, c'est vous dire si ça impulse dans ce drôle d'hexagone.
(Picasso : la Femme à l'éventail et Les deux frères)
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Liberté d'expression et bienséance sociétale
L'opinion et la loi
En France, en 2014, toute opinion ne peut être exprimée en public.
Quand je parle d'opinions, il ne s'agit pas des insultes nominatives, mais tout simplement d'idées générales (peu importe qu'elles soient vraies ou fausses) sur le monde. Certaines opinions sont interdites par des lois, lois mémorielles, lois interdisant l'apologie de « crimes contre l'humanité », lois contre l'homophobie, le racisme.
Parmi les opinions dont l'expression publique est illégale, certaines sont condamnées comme des contraventions, d'autres, comme des délits (une contravention ne mène pas en prison, contrairement à un délit. Or, l'expression de certaines opinions peut mener en prison).
Nous ne vivons donc pas dans un pays tout à fait libéral à l'égard de la liberté d'expression, bien qu'il ne soit pas non plus entièrement prohibitif.
Contre la liberté d'expression : les durs
Que des gens défendent un régime politique contraignant pour les individus, je peux le comprendre. Un militant fasciste ou théocratique s'opposera de façon cohérente à la liberté d'opinion ainsi qu'à d'autres libertés individuelles. Je ne suis pas de l'avis de ces personnes, je ne partage pas le même désir de société. Toutefois, je suis capable de comprendre en quoi la société qu'ils défendent s'oppose par principe à la liberté d'expression, au nom d'autres principes qui leur paraissent plus élevés et que la liberté d'expression met en danger (tels le primat de la collectivité, le règne intégral de Dieu sur la terre). Ce sont mes ennemis objectifs, mais nous sommes capables d'envisager mutuellement nos positions. Nous sommes au clair avec nos projets de société, qui divergent et même s'opposent.
Mollesse et arguments des mous
Je comprends moins les personnes molles, qui ne veulent surtout pas s'opposer à une liberté, mais sont incapables de la défendre. Ces personnes se disent d'accord avec la liberté d'expression, mais soutiennent les lois qui l'entravent. Malgré de multiples conversations répétées et approfondies, je n'ai jamais pu me faire une idée claire de leur vision d'un régime politique. Elles avancent en général, dans le désordre, ces arguments contre la liberté d'expression :
« Moi, je n'ai rien à cacher ».
Les entraves à la liberté d'expression, selon elles, ne peuvent nuire qu'aux « méchants », c'est à dire aux violeurs, aux pédophiles, aux apprentis-dictateurs, aux personnes mal-intentionnées. Dès lors, la personne qui défend le droit au secret se voit mise implicitement, d'emblée, dans la position d'avoir quelque chose à cacher.
La conversation s'enlise, puisque la première tentative du libéral est de se défendre d'avoir quelque chose à cacher. Pourtant, il faudrait justement raconter en quoi, oui, nous avons tous des choses à cacher. La première raison pour laquelle nous avons des choses à cacher, c'est parce que nous avons une intimité, le sens du secret, une vie intérieure qui ne concerne ni les pouvoirs publics, ni la communauté dans laquelle nous vivons. C'est en vertu de cette intimité que, même dans un bureau de vote qui ne rassemblerait que des partis en accord avec le régime politique en place, l'urne doit rester secrète. Dans un deuxième temps de la conversation, l'on peut arguer que, pour un pouvoir tentaculaire, l'intimité elle-même est l'ennemi de l'ordre, comme le décrit bien la bande dessinée en trois volets, SOS Bonheur. L'intimité préservée est donc le premier et le dernier témoin de ma liberté.
Ainsi donc, toi, mou et paradoxal défenseur de la liberté et des lois liberticides, tu n'as rien à cacher !
Mais tu soutiens ces lois liberticides « contre les pédophiles », « contre les nazis », « contre les fascistes ».
Dans notre société, en effet, le pédophile, le nazi et le fasciste sont les tenants suprême du Mal. Ils en sont les représentants les plus radicaux, les plus haïssables, et tout doit être fait pour les éliminer.
Les opinions discordent toutefois. Certains disent : « moi, je suis bien sûr contre les pédophiles mais je considère que le révisionnisme, attitude intellectuelle sans conséquence directe sur la vie et l'intégrité des gens, devrait être autorisé ». D'autres, affirment : « je conchie le nazisme et souhaite qu'il soit interdit mais je ne vois pas pourquoi l'ordre moral interdirait aux enfants d'avoir une vie sexuelle (opinion fort répandue dans les années « libérées » 1970-80, et défendue par de nombreux intellectuels, artistes, hommes politiques devenus depuis ministres, officiers dans l'Ordre de la Légion d'Honneur, comme en témoigne la pétition Apprenons l'amour à nos enfants, publiée en novembre 1978 dans le journal Libération, ainsi que celle publiée dans le journal Le Monde du 26 janvier 1977).
Néanmoins, il demeure essentiel de discerner si l'attitude incriminée relève de la pure expression intellectuelle, de la spéculation, ou bien de l'acte. La profération des propos nazis ou pédophiles ne doit pas être confondue avec la pratique d'actions nazies ou pédophiles, car, comme le rappelle Chaïm Perelman « Notre conception humaniste du droit empêche de punir les hommes d’une façon préventive, avant qu’ils aient commis un méfait : la liberté qu’on leur accorde interdit de les assimiler à un animal nuisible, à un serpent venimeux ou à un chien atteint de rage. »
Punir à la source, c'est priver d'emblée l'individu de ses choix intérieurs ; c'est orienter par la contrainte la société dans une direction intellectuelle choisie par les législateurs.
« Les gens diraient n'importe quoi si on les laissait parler sans contrôle ».
Qu'à cela ne tienne. S'ils ne sont pas capables de parler juste, et qu'il faut dès lors leur interdire certaines paroles, ne nous arrêtons pas en si bon chemin. Ôtons leur également le droit de vote (car ils votent mal, comme le déplorent si souvent les journalistes), le choix de leur conjoint (car ils se choisissent des hommes violents, des femmes alcooliques), la possibilité incontrôlée d'avoir des enfants (car ils les brisent physiquement et psychologiquement).
Si l'on part du principe qu'on doit contrôler la parole des gens, alors il est inutile de continuer à défendre un régime qui donne un quelconque pouvoir à l'expression populaire, une quelconque importance aux libertés individuelles. Établissons immédiatement une oligarchie éclairée qui fera le bien de tous. Cessons d'être mous, reconnaissons que la surveillance doit prédominer sur la liberté, et assumons notre volonté d'un pouvoir autoritaire.
La norme et la foule
La spéculation n'est pas l'action. Le fantasme n'est pas le réel. La différence entre une volonté de coup d'Etat et un coup d'Etat, c'est que dans le second cas, il y a révolution et changement de régime. Dans le premier cas, rien ne change.
La différence entre un désir sexuel interdit et un viol, c'est que dans le second cas, l'intégrité d'une personne est brisée. Dans le premier cas, aucune vie n'est brisée.
Sur le plan des actes que l'on veut réprimer, l'interdiction sert de norme pour le plus grand nombre. En deça de cette norme, je m'expose à la répression, à l'emprisonnement. Tout le monde le sait, et seul celui qui veut réellement agir en contradiction avec la loi prend ses risques et en assume les conséquences.
Mais sur le plan des paroles, c'est la société toute entière qui est concernée par loi, qui n'est plus seulement une norme, une frontière, mais devient une contrainte intellectuelle qui pèse sur les individus en permanence. Car, qu'il s'agisse de désirs politiques ou de pulsions crapuleuses, beaucoup parlent, peu agissent. La criminalisation de la pensée concerne presque tout le monde, et, en quelque sorte, demande à chacun de se situer par rapport à l'interdiction en vigueur qui plane au-dessus de nos têtes. C'est pourquoi l'interdiction de penser, au lieu de guider les gens vers la pensée idéale voulue par le pouvoir, créée un appel d'air à la transgression.
A qui profite la loi liberticide ?
Ce type de lois liberticides, qui bâillonnent un peuple entier pour nuire à deux ou trois terroristes, pédophiles ou apprentis-dictateurs, se révèle particulièrement efficace pour semer la terreur et la suspicion générale dans toute la société, mais particulièrement inefficace pour lutter contre les fameux criminels. Eux, en effet, n'attendent pas d'être autorisés par la loi pour fomenter leurs actes crapuleux. (Du moins les criminels hors-la-loi - mais les crimes adoubés par la loi ne nous intéressent pas dans cet article, puisque nous parlons des lois liberticides).
Or, le criminel déterminé est l'allié d'un pouvoir faible et harcelé, car, semant la peur sur la ville et dans les campagnes, il interdit toute expression intelligente populaire. Chacun se retranche chez soi et se protège du danger. L’État qui punit les opinons déviantes est l'allié du criminel crapuleux car il traite de criminel en puissance chaque individu et atténue ainsi la frontière entre le citoyen qui pense (mal) et le citoyen objectivement récalcitrant aux normes fondatrices de la société. Chacun se retranche dans son intériorité et se compose un visage qui ne trahit aucune opinion déviante. Main dans la main, la racaille et l’État, vampires de l'ombre et Monstre officiel, se repaissent chaque jour des droits et des libertés des individus qui forment le peuple.
Le contrôle législatif des opinions trahit la faiblesse du pouvoir et multiplie le crime dans la société. Sous prétexte de défendre le faible, la loi pose le soupçon sur chacun et consolide le chaos et la peur.
Comme en témoigne l'histoire de la prohibition de l'alcool aux États-Unis, ou encore le long rapport entre l’Église catholique et la sexualité, l'interdiction légale, c'est-à-dire la création d'un ordre sociétal parfait en apparence, ne fait que reléguer les problèmes réels dans l'inframonde de l'illégalité.
(Sur AlmaSoror et le même sujet, on peut lire Aime-moi (baise-moi ?) matelot : le seul roman de gare entièrement lu devant une cour suprême très sérieuse.)
"Fais de chaque barricade un pays".
Mahmoud Darwich
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lundi, 24 mars 2014
Oh Paracelse
Cette maladie qui enserre ton âme dans une gangue qui l'empêche de respirer, cette maladie est revenue. Tu descends, une par une, contre ta volonté, les marches de cet enfer que tu as déjà connu, et que tu reconnais. Tu reconnais les lieux, tu retrouves les sensations lourdes, tu sais que tu arrives aux portes du malheur. Comment changer de route, comment aller ailleurs ? Si tu lèves la tête, tu aperçois la joie du monde. Là-bas, des gens rient ; d'autres dansent. Plus loin encore, on parle, on discute, on échange des idées et tout au bout où commence la forêt, des badauds font la sieste dans la première clairière. Ne pourrais-tu pas les rejoindre ?
Se peut-il que ta volonté soit morte ?
Oui, c'est possible. Ceux qui pilotent leur être intérieur ignorent cette sensation étrange de perte de contrôle, aux commandes d'une machine qui n'obéit pas.
Se peut-il que ton destin soit noir ?
Non. «C'est la nuit qu'il est beau de croire en la lumière». C'est au fond du puits qu'il est doux de sourire aux étoiles.
Oh Paracelse, que peut ta science ?
«C'est la nuit qu'il est beau de croire en la lumière»
Edmond Rostand
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dimanche, 16 mars 2014
Êtes-vous voltairien ?
Dans sa lettre à monsieur Damilaville, datée du premier avril 1766, Voltaire s'exprime ainsi :
Je crois que nous ne nous entendons pas sur l’article du peuple, que vous croyez digne d’être instruit. J’entends, par peuple, la populace qui n’a que ses bras pour vivre. Je doute que cet ordre de citoyens ait jamais le temps ni la capacité de s’instruire; ils mourraient de faim avant de devenir philosophes. Il me paraît essentiel qu’il y ait des gueux ignorants. Si vous faisiez valoir, comme moi, une terre, et si vous aviez des charrues, vous seriez bien de mon avis. Ce n’est pas le manœuvre qu’il faut instruire, c’est le bon bourgeois, c’est l’habitant des villes : cette entreprise est assez forte et assez grande.
Il est vrai que Confucius a dit qu’il avait connu des gens incapables de science, mais aucun incapable de vertu. Aussi doit-on prêcher la vertu au plus bas peuple ; mais il ne doit pas perdre son temps à examiner qui avait raison de Nestorius ou de Cyrille, d’Eusèbe ou d’Athanase, de Jansénius ou de Molina, de Zuingle ou d’Œcolampade. Et plût à Dieu qu’il n’y eût jamais de bon bourgeois infatué de ces disputes ! Nous n’aurions jamais eu de guerres de religion ; nous n’aurions jamais eu de Saint-Barthélemy. Toutes les querelles de cette espèce ont commencé par des gens oisifs qui étaient à leur aise ; Quand la populace se mêle de raisonner, tout est perdu.
Je suis de l'avis de ceux qui veulent faire de bons laboureurs des enfants trouvés, au lieu d'en faire des théologiens. Au reste, il faudrait un livre pour approfondir cette question ; et j'ai à peine le temps, mon cher ami, de vous écrire une petite lettre.
Dans un autre lettre, adressée cette fois à monsieur Tabareau et datée du 3 février 1769, il indique, à propos des gens nés "de basse condition", comme on disait à l'époque :
Ce sont des bœufs auxquels il faut un joug, un aiguillon et du foin.
Mais "le bas peuple" n'est pas le seul inférieur aux yeux de monsieur Arouët, dit Voltaire. Dans l'Esprit des Nations, il fait un sort aux Noirs :
Nous n’achetons des esclaves domestiques que chez les Nègres ; on nous reproche ce commerce. Un peuple qui trafique de ses enfants est encore plus condamnable que l’acheteur. Ce négoce démontre notre supériorité ; celui qui se donne un maitre était né pour en avoir.
Cela ne l'a pas empêché, à d'autres endroits de son œuvre, de condamner la pratique esclavagiste.
Reste que les Juifs descendent plus bas encore que le peuple de France ou les Noirs :
C’est à regret que je parle des Juifs : cette nation est, à bien des égards, la plus détestable qui ait jamais souillé la terre.
Les catholiques lui paraissent tout à fait ridicules :
Un gueux qu’on aura fait prêtre, un moine sortant des bras d’une prostituée, vient pour douze sous, revêtu d’un habit de comédien, me marmotter dans une langue étrangère ce que vous appelez une messe, fendre l’air en quatre avec trois doigts, se courber, se redresser, tourner à droite et à gauche, par devant et par derrière, et faire autant de dieux qu’il lui plaît, les boire et les manger, et les rendre ensuite à son pot de chambre !
Voltaire, pourtant, était capable d'entrevoir la beauté d'une culture différente de la sienne. D'abord férocement hostile à l'Islam, il qualifie son Prophète d'homme cruel et fourbe. Puis il se calme et finit par considérer en fin de comptes que cette religion est sage, sévère, chaste et humaine : sage puisqu’elle ne tombe pas dans la démence de donner à Dieu des associés, et qu’elle n’a point de mystère ; sévère puisqu’elle défend les jeux de hasard, le vin et les liqueurs fortes, et qu’elle ordonne la prière cinq fois par jour ; chaste, puisqu’elle réduit à quatre femmes ce nombre prodigieux d’épouses qui partageaient le lit de tous les princes de l’Orient ; humaine, puisqu’elle nous ordonne l’aumône, bien plus rigoureusement que le voyage de La Mecque. Ajoutez à tous ces caractères de vérité, la tolérance.
Il mit sa plume au service de douloureuses causes perdues : Le vieux Calas, protestant accusé à tort d'avoir tué son fils parce que celui-ci souhaitait se convertir au catholicisme ; Sirven, un autre père protestant, accusé de la même façon. Et enfin, le charmant petit Chevalier de la Barre, âgé de 19 ans, torturé et brûlé pour avoir soi-disant malmené un crucifix et refusé de saluer une procession. Mais le chevalier fut surtout victime d'une vengeance d'un bourgeois de la ville, qui avait été éconduit par sa tante et tutrice. Il se vengea sur le neveu en concoctant cette accusation.
Mépris profond de tout ce qui ne faisait pas partie de l'élite bourgeoise à laquelle il appartenait, grands élans en faveur d'une Justice indépendante des passions religieuses du temps, il est difficile de cerner cet esprit vif, capable de courage journalistique comme de la plus grande servilité auprès des princes. La lecture de ses Mémoires nous éclaire sur son seul vrai grand amour : François-Marie Arouët, dit Voltaire.
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samedi, 15 mars 2014
Finale de l'aube
Ils traversèrent sans rien se dire la ville de Pornic, engourdis par le froid. Ils rejoignirent les plages.
Les pins parasols ployaient ; au loin, un cyprès de Lambert tentait de rester droit malgré les bourrasques. Jean désirait fumer une cigarette : il n’en n’avait plus.
Le soleil se leva soudainement, étouffa la force du vent et réchauffa l'air, qui se mit à pétiller comme un champagne. Les trois cœurs se délestèrent du trop-plein de rancune qui les alourdissait, mais les mots, même banaux, restaient tapis au fond des gorges.
- Marchons encore, dit Jean.
Elles ne répondirent pas. Elles regardaient la mer.
Il attendit sans fumer, en se suggérant à lui-même le goût d'une cigarette. Il pensa à son père. La question de savoir s'ils se retrouveraient un jour, outre-monde, demeurait irrésolue. Il tourna son regard vers les vivants, ces deux femmes qui l'accompagnaient.
Un couple étrange était réuni sur cette plage. Lui, et elle.
Ils regardaient ensemble dans la même direction ce matin-là. Leurs yeux couvaient leur fille, qui contemplait la mer. C'était la première fois que leurs deux regards fixaient en même temps, dans le silence, le fruit de leurs amours erratiques.
- J'aimerais vivre au bord de la mer, dit Sophie.
- Cela arrivera un jour, dit Marie.
- J’aimerais ne pas repartir ce soir.
- Tu reviendras, souffla Jean. Tu reviendras souvent ici au cours de ta vie.
- Jean, est-ce que nous nous reverrons ? demanda Sophie, d'une voix distante.
- Je viendrai chaque année en Europe, désormais. J’ai du temps à rattraper avec ma fille.
Sophie se déchirait en contemplant la mer sud-bretonne, cet océan Atlantique qui mène au Mexique, aux îles Kerguelen, à New York… Elle murmura d'un ton boudeur :
- C'est impossible de rattraper le temps perdu.
Ses parents l'épiaient. « Elle est sauvée », pensait Marie. « Elle s'en sortira ».
« Est-ce que je l'aime comme les pères aiment leurs enfants ? » s'interrogeait Jean.
Le vent soufflait des courants à faire éclore des rhumes. Il mesura l’imperfection de son propre cœur, dont le magma mouvant charriait la lave des émotions. La joie et le chagrin de cette matinée, au contact de l'air et du froid, se figeaient en sculptures dans sa mémoire, comme du basalte. Ainsi lui apparut le titre de son œuvre musicale presque achevée : La symphonie basaltique, dédiée à Sophie Douce-Narrow.
- Ce voyage, dit Sophie en se retournant, n’a servi à rien.
Elle crispait ses poings, malgré la douceur du paysage qui s'étendait sous ses yeux. Elle serrait les dents. Comme si, quitter toute cette tristesse pour épouser la beauté du monde, équivalait à renoncer à la liberté contre une grosse somme d'argent.
- J'ai trouvé le titre de ma symphonie, annonça Jean. La Basaltique, dédiée à ma fille Sophie, pour guitare électrique, basse électrique, orgue et basson français, avec une irruption de chœurs harmoniques lors du troisième mouvement.
Au fond des yeux humides de Sophie, la dernière lame d’aigreur passa. Elle emportait ses ultimes relents de rancune et de mélancolie. Le soleil chauffait ce paysage maritime. Il était midi en France, selon le méridien de Greenwich ; onze heures cinquante et un selon le méridien de Paris. La faim pointait ses crocs.
A quelques milles au large, une vieille jubarte longue de treize mètres, lourde de vingt tonnes, venait d'avaler son dernier repas - quelques centaines de krills blancs. Elle jaillit à la surface de l'océan. Elle darda son chant mélodieux vers le ciel. Elle redescendit au fond des eaux pour l'éternité.
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vendredi, 14 mars 2014
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Mère du droit de propriété "usus et abusus" et du contrat de salariat inspiré du louage d'esclave de la Rome antique, la Révolution française fut la meilleure amie des capitalistes du XIX°siècle.
Victor Hugo chanta leur geste infâme :
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules.
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : «Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes !»
Victor Hugo, extrait de Mélancholia - 1838
Le poème au complet peut se lire par ici.
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