lundi, 18 août 2014
La perfection
Le luxe, c'est un chant grégorien qui s'écoule dans la tiédeur d'un après-midi baigné de vent léger, un livre posé sur une table ancienne, le bruissement des feuilles des plantes et des arbres, l'attente du dîner du soir en bonne compagnie et la certitude de contempler un tapis d'étoiles avant de regagner un lit dans une petite chambre au fond d'un couloir.
C'est l'odeur du bois d'un meuble, c'est le crépitement du feu, c'est le sourire de l'âme quand le nez hume le fumet d'un plat désiré.
C'est l'absence de douleur physique ou morale, l'oubli des soucis, le temps d'une seconde ou d'un long séjour.
C'est quand la pensée n'est plus barrière surgie entre soi et le monde, mais l'une des émanations de l'instant qui passe, en harmonie avec les autres éléments perceptibles ou imperceptibles.
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dimanche, 17 août 2014
Naissance d'un chef égyptien
Benoist-Méchin, dans son ouvrage intitulé Le roi Saud ou l'Orient à l'heure des relèves, évoque la jeunesse de l'homme d’État Nasser (Alexandrie, 1918 - Le Caire, 1970).
Voici la lettre que Nasser écrivit, âgé de dix-sept ans, à son camarade de classe :
Mon cher Ali,
J'ai téléphoné à ton père, le 30 août pour lui demander de tes nouvelles. Il m'a appris que tu étais à l'école. Je t'écris donc ce que je voulais te dire de vive voix.
Dieu a dit : « il faut se préparer et rassembler contre eux toutes nos forces ».
Où est cette force que nous avons préparé contre eux ?
Aujourd'hui, la situation est critique et l’Égypte est dans une impasse. Il me semble que le pays agonise. Le désespoir est grand. Qui peut le dissiper ?
Le gouvernement de l’Égypte est basé sur la corruption. Qui peut le changer ? La Constitution est suspendue. Le protectorat va être proclamé. Qui peut dire à l'impérialisme : arrête-toi là ?
Où est le nationalisme brûlant de 1919 ? Où sont les hommes prêts à se sacrifier pour la terre sacrée de la patrie ? Où est celui qui peut recréer le pays, pour que l’Égyptien faible et humilié puisse se relever, vivre libre et indépendant ?
Où est la dignité ? Où est le nationalisme ? Où, cette chose que l'on appelle l'activité de la jeunesse ? Tout cela a disparu et la nation s'endort comme les gens de la caverne. Qui peut les réveiller, ces misérables qui n'ont pas la moindre connaissance de leur état ?
Mustapha Kamel [avant-gardiste du nationalisme égyptien, homonyme du chef d'Etat turc Mustapha Kémal] a dit : « Ce n'est pas une vie que de vivre dans le désespoir ». Actuellement, nous sommes en plein désespoir...
On dit que l’Égyptien est lâche, qu'il craint le moindre bruit. Il faut un leader qui le conduise à la lutte. Et ainsi, cet Égyptien deviendra un tonnerre qui fera trembler les édifices de la persécution.
Mustapha Kamel a dit : « Si mon cœur se déplace de gauche à droite, si les Pyramides bougent, si le Nil change de cours, moi je ne changerai pas de principe ».
Tout ce qui s'est passé jusqu'ici n'est qu'une longue introduction à un travail plus important et plus grand... »
Quelques années plus tard, Nasser fête ses vingt ans...
« Tel est le jeune homme que ses camarades écoutent parler, avec un mélange d'étonnement et de respect, au cours des longues veillées qui les rassemblent autour d'un feu de camp. Malgré son jeune âge, ce n'est pas un novice. Il a accumulé des connaissances, et dispose d'une expérience politique bien supérieure à celles d'un garçon de vingt ans. Ses camarades sont tout disposés à s'engager dans la voie qu'il leur trace. Mais, pour commencer, leur réaction est purement émotionnelle.
- Ce n'est pas avec des sentiments que l'on fait une révolution ! leur dit Gamal Abdel Nasser, c'est avec l'instrument approprié aux fins que l'on veut atteindre. J'ai bien réfléchi à la question. Etant donné la situation particulière de notre pays, cet instrument ne peut être qu'un organisme militaire, de caractère clandestin, un Comité secret dont tous les membres doivent être initiés à la technique insurrectionnelle.
Le 15 janvier 1939, les amis de Gamal décident de fêter son anniversaire dans la montagne du Djebel-El-Chérif. Il y a là Ahmed Hafiz Mazhar, Anwar el Sadat, d'autres encore. « Sur la table, écrit ce dernier [dans son ouvrage Révolte sur le Nil], se trouvait un grand plat de lentilles que nous avions fait cuire nous-mêmes. Pour donner plus d'éclat à la cérémonie, nous avions apporté des châtaignes d'Assiout. Pendant que nous plaisantions, Gamal, d'une voix calme, nous adressa ce discours :
- Saisissons cette occasion pour créer quelque chose de solide. Que ceci soit une réunion historique ! Restons toujours fidèles à l'amitié qui nous unit. Grâce à cette union, nous triompherons de tous les obstacles ! »
Les jeunes officiers sont saisis par la gravité extraordinaire avec laquelle leur camarade vient de prononcer ces paroles. Ils acquiescent. Autour du feu de camp, ils prêtent, l'un après l'autre, serment de fidélité à Nasser. Ils jurent de combattre à ses côtés, jusqu'à la libération de l’Égypte.
Ainsi est scellé, en une nuit d'hiver de 1939, le pacte de Mankabad.
Ainsi naît également, le premier embryon du « Comité des Officiers libres » qui, quinze ans plus tard, gouvernera le pays. »
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(Extrait tiré de : Le roi Saud ou l'Orient à l'heure des relèves, de Jacques Benoist-Méchin, 1960)
Encore un peu de Nasser sur AlmaSoror :
Extrait de La philosophie de la Révolution, opuscule publié par Nasser en 1953
Gamal abdel Nasser en 1953 : le charme et la liberté
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samedi, 16 août 2014
Tcha tcha tcha !
« - Sur les talus, ces tâches sombres ?
- Les gens ».
M Duras
Pendant que vous faites la nouba, nous dansons la rumba. Les averses dansent leurs gouttes de pluie dans l'air et le soleil. Une sorte de bleu se pose tout doucement sur la ville, les jardins, les artères et la plage, là-bas. « Il n'y aura bientôt plus d'arbres », chantaient les enfants de l'école des jours sombres. Il en reste encore, pourtant, sur les places et le long de la promenade de la côte. Qui connaît encore des personnes qui craignent les abbés du monastère de l'étoile filante ? On danse, cela danse, tout le monde danse ! La théorie des péchés n'a plus cours au cœur même des familles. Un moine traverse la ville, il porte un chapelet, un grand chien à côté de lui, une clochette autour du cou, sonne l'appel du denier. Oh, lueur, tu t'échappes de la villa de Moonsmile. À l'intérieur, les riches dansent, comme nous – pas comme nous. Ils ont des blancheurs sur leurs soies, des reflets sur leurs ongles, que nous ne pouvons pas nous offrir. Les pauvres, eux, dansent aussi. Ils dansent en bas, du côté des docks, là où la gnôle se troque contre des bouteilles vides. Ils ont des déchirures à leurs vêtements, des trous à leurs chaussures, et crient trop fort – pas comme nous. Salsa ? Oui. Tango, non. Pas ce soir. Aujourd'hui, 15 août, la bonne vierge monte au ciel, en souvenir des premières communions nous dansons comme des fous sur des musiques qu'on aime. Le moine et son chien, la clochette, personne ne descend – on rit ! Ai-je déjà pensé dans ma vie ? C'était la question du mendiant philosophe, hier, au marché, quel idiot ! Je suis remontée sur mon scooter et je suis partie en filant comme un poisson volant. Le buffet se vide, les couleurs des aliments se réduisent, il ne restera bientôt que des cacahuètes et des loukoums. Ah ! C'est ce que je préfère, quand on a tout mangé, qu'on ne mange plus, qu'on oublie la vie, qu'on se remue dans la musique, qu'Abel m'appelle, que j'observe les autres, que je descends par l'escalier, que je le retrouve, qu'il me dit qu'il va bientôt quitter Lena pour moi, qu'il veut m'embrasser, que je m'enfuis, qu'il me rattrape derrière la statue, que je dis non, qu'il dit si, que je bouscule la table blanche, que l'on revient, qu'il me dit « marche devant », que je traverse la terrasse, que je vois Lena qui attend, que je vois des garçons qui m'attendent, qui me sourient, je suis la reine, qui pourrait vouloir penser ? Des mendiants, des pauvres moines, des philosophes, tous ces ratés qui ne connaissent pas la joie de se trémousser dans la splendeur d'une fête.
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vendredi, 15 août 2014
La visitation de Diviciacos
Hier, 14 août, nous commémorions activement la bataille de Mauron (1352), la cérémonie du Bois-Caïman (1791) et la naissance de René Goscinny (1926). Vers 22h30 environ, visitée par Diviciacos qui avait fait irruption dans la tout petite chambre vendéenne où elle se trouvait, Sara eut l'inspiration de ces mots :
..."je pense que l'été se couvre les épaules car le vent est chargé des minces traînées de la froidure des pays du Nord. Dans quelques semaines, il chutera exsangue et grelotant dans un fossé tandis que l'automne paré de tout l'or du monde soignera son entrée en scène par une série de trompettes hurlant au milieu des arbres déchirés. Ô tombes ! ô vastes eaux ! Ayez pitié de nous, si fragiles, si frêles et si arrogants tels nos vieux ancêtres celtes qui craignaient tant que le ciel leur tombe sur la tête !"
Diviciacos, via Sara, le 14 août 2014
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mercredi, 13 août 2014
L'enfant-roi
Dans le quartier du temple, se trouve l'église Sainte-Elisabeth de Hongrie, cette sainte du pain et des roses, et des promenades secrètes. Je m'y suis arrêtée ce matin.
L'église était presque vide. Un homme antillais y disait son chapelet assis sur une chaise ; deux gardiens parlaient trop fort dans leur cabine à l'entrée de l'église. Le drapeau des chevaliers de Malte dominait un aigle.
En souvenir de cette promenade, je cite ci-bas un texte que l'on peut lire dans son intégralité sur le site de la paroisse.
On peut le lire en écoutant cette vidéo qui joue La légende de Sainte-Elisabeth de Hongrie, de Frantz Liszt.
Extrait du site de ND de Ste-Elisabeth, à propos du petit du Temple :
Le 5 janvier 1794, le cordonnier résigne sa sinécure pour retourner siéger, sans rétribution cette fois, à la Commune. Ce qui le conduira à l’échafaud thermidorien six mois plus tard. Louis est encore «en bonne santé». II est loin du Versailles de sa prime enfance et séparé des siens, mais il peut encore s'ébattre dans le jardin, y jouer «aux quilles et au palet» avec les officiers municipaux du Temple. Il dispose même d'une salle de jeu-salle de billard garnie en jouets et son régime alimentaire est «bon».
La situation se dégrade brutalement au départ de Simon. Sans gardien attitré, l'enfant est confiné du jour au lendemain dans un cachot obscur et infect. Désormais, il lui est interdit de sortir et de communiquer avec sa sœur Marie-Thérèse. Après six mois de réclusion absolue, l'enfant dépérit peu à peu dans une saleté repoussante et sans autre «distraction» qu'un jeu de cartes poisseux qu'il passe des journées à battre machinalement, les yeux vides. En mai, les gardiens de Louis qui, couvert d'escarres, ne s'est plus levé depuis des semaines, signalent, enfin, au Comité de sûreté générale «une indisposition et des infirmités qui paraissent prendre un caractère grave». Le 8 juin, Louis XVII s'éteint peu avant trois heures de l'après-midi. Le 10 (22 prairial an III du calendrier républicain), «avant que tombe la nuit» , le petit prince est porté à la fosse commune du cimetière Sainte-Marguerite, près de la Nation".
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lundi, 11 août 2014
à ma mère, l'autre soeur
Nous nous demandons ensemble ce que peuvent bien signifier les événements qui ont tourneboulé notre vie. Nous regrettons peut-être une douceur, une sérénité qui n'existait pas. "Le charme du passé, c'est qu'il est passé", reconnaissait avec acuité le facétieux Oscar Wilde. La douleur du présent, qui tourne parfois à l'exaltation, c'est qu'il est bien réel. Le charme de l'avenir réside dans les atours dont notre imagination intransigeante le pare.
Tu évoques ces longues promenades au cours desquelles nous marchions ensemble dans un Paris qui semblait nous appartenir. Tu fais face au présent bétonné sur lequel, toutefois, un vent venu de l'océan glisse doucement. Et avec cette mystique de magie et de vision qui n'appartient qu'à toi, tu fais de ces instants de galère des offrandes de prières pour un dieu clément, pour une communauté invisible, mais tangible.
Des trouées d'air et de lumière apparaissent ici et là dans le brouillard de nos questions. Le jour où tu as arrêté de peindre, nous sommes sortis d'un tunnel pour entrer dans un pays neuf. Le jour où tu te seras remise à peindre, c'est que nous aurons contemplé, ensemble, un horizon encore inconnu aujourd'hui à nos regards.
Quelques tours de clefs à mollette restent à donner, de ci de là : transformer la convoitise en sérénité, reconnaître la douceur ineffable des zones de flottement, sourire aux délices d'une coupe en apparence banale. Lorsque ces verrous seront déloqués, les flots d'un fleuve profond couleront de nos cœurs et irrigueront le monde.
Toutes les aventures ne se valent pas. Les révoltes, les rébellions appartiennent à un passé dont les grandeurs se sont recouvertes d'une patine élégante. Il ne convient plus de chercher des délivrances ou des libérations. Il nous faut nous approcher au plus près de notre secret.
Ce secret ressemble tantôt à un puits caché dans la cour d'une maison troglodyte, tantôt à une barque prête à traverser l'Achéron, tantôt encore à un hamac bercé par la tiédeur d'un après-midi éternel.
Nous n'avons aucune peur, car la vérité n'est qu'une amie, peut-être la plus douce en dépit de son masque glacial.
Même au milieu des jours de solitude, l'isolement nous est inconnu, nos chants s'entendent et se répondent.
Patience... Demain est déjà presque ici. Demain frappe à la porte et il ne tient qu'à nous de lui dire :
"oui".
D'accepter, tout simplement, d'être un chat qui se prélasse dans la béatitude d'une existence pleine de présences.
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dimanche, 10 août 2014
Plume d'or sous un manteau d'étoiles
Voici quelques lignes pleines du charme subtil, sensuel et retenu, de la plume d'or de Jacques Benoist-Méchin. Elles sont tirées de son ouvrage intitulé Le roi Saud ou l'Orient à l'heure des relèves (1960), consacré au roi Saud, fils d'Ibn Séoud, à qui il avait aussi consacré un sublime ouvrage (Ibn Séoud ou la naissance d'un royaume).
« Joignant tous les avantages du confort occidental à un luxe qui semble emprunté au siècle des Califes, ce « Victorial des Arabes » est un palais de rêves où tout – depuis la forêt de lustres et les girandoles de cristal, jusqu'aux massifs de roses et aux fontaines lumineuses – conspire à donner à ceux qui le visitent un sentiment exalté du pouvoir et de la richesse du roi.
Comme il y fait bon vivre, et comme on y oublie volontiers les problèmes angoissants qui tourmentent notre époque ! Pourtant, trop de préoccupations y assaillent encore le souverain. Celui-ci ne se sent vraiment heureux que lorsqu'il peut partir à la chasse, escorté de ses Emirs, de sa Garde du corps et de ses fauconniers. Ce sont alors des randonnées fougueuses à travers le Nedjd et l'Azir, sans souci de l'heure qui passe ni même du lendemain. Ici, aucune contrainte. Les repas sont servis sous des tentes de soie, et le bruissement des Cadillacs cède la place aux hennissements des étalons arabes. Tout s'efface devant la grandeur incommensurable du désert et les soucis du pouvoir se dissolvent dans un sentiment de liberté illimité.
Après une halte à l'ombre d'une palmeraie, ou au pied d'un château fort médiéval dont les donjons crénelés découpent leur masse fauve sur un ciel transparent comme une aigue-marine, la cavalcade reprend au cri aigu des faucons. Elle se poursuit jusqu'à la tombée du jour, quand le soleil décline et remplit tout l'espace d'une lueur safranée. Vidons, jusqu'à l'épuisement cette coupe de délices, qui ne se représentera plus ! Voici un des derniers lieux du monde où l'homme puisse s'abandonner aux mêmes instincts que ses ancêtres et connaître cette dilatation de l'âme qui rend insignifiants tous les autres bonheurs.
Mais ne nous y trompons pas : pour enivrant qu'il soit, ce spectacle n'en est pas moins celui d'un crépuscule – le crépuscule d'une féodalité. Il a quelque chose de poignant comme la fin d'un beau rêve et son charme a la fragilité des choses qui vont périr...
Oui, cette coupe de délices ne se représentera plus. Un autre monde, dur et impitoyable, engloutira celui-ci et n'en laissera subsister qu'un regret ébloui.
Mais la féerie se prolonge encore un peu, lorsqu'au retour d'une de ces cavalcades, mille fuseaux opalescents s'allument au fond du parc de Nasrya. Les allées bordées de lauriers-roses, de térébinthes et de grenadiers s'enfoncent dans la nuit, au milieu d'un silence qu'approfondit encore le murmure des fontaines. Tout au loin, une voix psalmodie le verset sacré :
- « O vous qui allez dormir, remettez votre âme en garde à Celui qui ne dort jamais... »
Alors, une paix merveilleuse descend sur ces jardins où la grandeur et la solitude vous ouvrent leurs trésors et où les heures glissent, sans laisser de traces, tandis que l'Arabie s'endort sous un manteau d'étoiles ».
Le roi Saud où l'Orient à l'heure des relèves, par Jacques Benoist-Méchin, 1960, Albin Michel
Les visiteurs d'AlmaSoror avaient déjà pu rencontré cet auteur maudit, à la si belle plume, à la vie impressionnante de contradictions et de rebondissements :
Il est cité dans Le désillusionné
Il est mentionné et cité dans La fabuleuse plume de Jacques Benoist-Méchin
Il est cité et mentionné dans Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin
Il est mentionné et cité dans Trois esthètes du XX°siècle : Rolland, Benoist-Méchin, Vaneigem
Il est cité dans Épuration.
Il est cité dans Fragment d'un printemps arabe
Il est cité dans Invasion de l'Europe - Année 700
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Isteamar de l'intérieur
Isteamar : "c'est le terme global que les Arabes emploient pour désigner l'impérialisme occidental". J B-M.
Fasciné par le nazisme qui occupait durement son pays, puis par l'islamisme qui s'en libérait, Benoist-Méchin, homme empli d'intelligence et de sensibilité, se sera laissé impressionné par tout ce qui lui paraissait ressembler au retour de l'épopée, quitte à payer le prix de ses illusions entre quatre murs. C'est ainsi qu'il en est venu à défendre dans de belles pages emplies de son style ethéré, le plan de sédentarisation de l'Arabie adopté par le roi Saud. Fils du fondateur du pays, Saud el Awal voulait être le souverain de l'eau comme son père avait été celui du pétrole, et il était aidé dans son projet par l'O.N.U.
Benoist-Méchin est capable de créer des mythes pour soutenir le sien, c'est ce qui en fait un auteur mobile comme la pensée, fascinant comme un paysage insaisissable.
Quoi qu'il en soi, sa façon de raconter le dilemme des Bédouins du désert et leur histoire née d'une fuite, rappelle la question européenne des Roms venus de l'Inde et, malgré les quatre cents ans d'esclavage en Valachie et en Molachie, leur mode de vie à l'écart des maisons en dur et des peuples qui les construisent et les administrent.
Cela rappelle encore le face-à-face de plus en plus sanglant des identitaires et des immigrationnistes, dans les pays d'Europe qui pratiquent "l'état-providence", tous regardant le même problème depuis deux angles de perception irréconciliables : l'assimilation, qui force des millions de migrants à renoncer à eux mêmes ; le communautarisme, qui force un peuple autochtone à abandonner des pans de territoire et de culture ancestraux à des nouveaux-venus qu'ils n'ont pas désiré.
Ce passage étonnant, plein d'un rêve impraticable, du livre de Benoist-Méchin, rappelle enfin toutes les théories, aussi fumeuses que séduisantes, qui tendent à transformer un peuple selon la courbe d'une idée extrinsèque. Ou quand le style se détache du sens pour suivre sa propre logique qui n'a plus rien à voir avec la raison...
« Le ministère de l'Agriculture séoudien, assisté par la Food and Agricultural Organization de l'O.N.U. pourra dresser un plan de développement agricole de l'Arabie, portant sur vingt-cinq ans. S'il est méthodiquement appliqué, l'Arabie échappera à la menace de mort qui la guette, et sa population pourra assurer sa subsistance, sans être tributaire des importations de l'étranger.
Mais il va sans dire qu'une transformation aussi radicale de l'aspect physique d'un pays exige une transformation parallèle dans l'esprit de ses habitants. La tâche la plus difficile qui incombe aujourd'hui au gouvernement séoudien, consiste à convaincre les Bédouins des avantages qu'ils retireront de cette métamorphose. Or, pour beaucoup d'entre eux, l'idée de vivre sous un toit et de cultiver la terre leur apparaît non comme une promotion, mais comme une déchéance. Malgré la joie que leur cause la vue du moindre filet d'eau, ils refusent d'abandonner leur ancienne manière de vivre. Leur expliquer que c'est la seule façon pour eux d'échapper à la misère, est aussi vain que de prêcher à des pierres. « Lorsqu'Allah créa le monde », répondent-ils, « il prit le vent, et avec le vent, il fit les Bédouins. Puis il prit une flèche, et avec cette flèche, il fit le cheval. Puis il prit la boue, et avec cette boue, il fit l'âne. Enfin, par pure commisération, il prit le crottin de l'âne, et avec ce crottin, il fit les paysans et les citadins. » Vouloir fixer les Bédouins à un lieu quelconque du sol est aussi malaisé que d'y enraciner le vent.
Pour comprendre leur réaction, il faut comprendre leur histoire. Toutes les tribus du désert sont originaires du Yémen. Refoulées vers le nord par la surpopulation du sud, elles ont abandonné peu à peu leur vocation agricole pour devenir nomades. Rejetées pendant des siècles vers le grand espace vacant de l'Arabie centrale, elles ont perdu leurs champs, leurs jardins, leurs maisons, et jusqu'au souvenir d'en avoir jamais possédé. Mais au cours de leur longue errance à travers les sables, il leur est arrivé une prodigieuse aventure : elles y ont trouvé Dieu, un Dieu arabe qui se confond pour elles avec le soleil et les étoiles, la solitude et l'immensité. Peut-on imaginer un échange plus fructueux ? Maintenant qu'on leur demande de s'enraciner de nouveau, elles craignent de reperdre Dieu en retrouvant un champ. Renoncer à leur liberté pour cultiver la terre, c'est renoncer à tout ce qui faisait la noblesse de leur vie.
Pourtant, aussi dur que ce soit, il faudra qu'elles s'y résignent. Ici encore, nous nous trouvons devant un de ces problèmes qui nous faisaient dire, dans l'introduction de cet ouvrage, que le monde arabe était engagé sur une route où il ne pouvait plus s'arrêter, sous peine de tout reperdre. Il lui faut avancer, avancer encore...
Avancer vers quoi ? Vers un avenir qu'il n'appartient qu'à lui-même de définir. Mais dans le domaine de l'agriculture, cet avenir, par un phénomène étrange, se confond avec ses origines. Il s'agit pour lui, non d'aller vers l'inconnu, mais de retrouver son plus lointain passé : l'époque où, avant de devenir nomade, il cultivait les terrasses fertiles de Tais et de Marib. De même que certains esprits pensent régénérer l'Islam en le ramenant à la pureté de ses traditions primitives, de même certains autres estiment qu'il n'est pas impossible de réveiller dans l'âme des Bédouins des instincts plus anciens que ceux qu'y a déposés leur séjour dans le désert. Qui sait si la vue des eaux ruisselantes ne ressuscitera pas en eux, par-delà trente siècles de vie errante, la mémoire du temps où ils étaient enracinés ? Utopie, dira-t-on ! Est-ce plus utopique, à tout prendre, que de faire ressurgir des entrailles de la terre, une eau vieille de plus d'un million d'années, pour qu'elle assure la subsistance des générations encore à naître ? Parti d'un jardin, pourquoi le Bédouin ne reviendrait-il pas à un jardin, après une longue pérégrination à travers les sables ? Le cheminement que ferait ainsi son esprit serait parallèle à celui des eaux souterraines. Nulle part au monde, le « retour aux sources » ne prend un sens plus fort et plus littéral qu'ici.
Sans doute est-ce une œuvre délicate, qui exigera de la part du roi autant d'autorité que de patience. Mais c'est sur elle, en définitive, que l'histoire jugera son règne. Une œuvre de longue haleine, aussi, qui s'étalera sur plusieurs générations, car il est plus facile de creuser la terre que de transformer le cœur des êtres vivants.
Mais quelles que soient l'ampleur et la difficulté de cette réforme, puisse-t-elle s'accomplir avant qu'il ne soit trop tard. Puisse-t-elle aussi s'effectuer dans des conditions telles, que nul de ceux à qui elle s'appliquera n'ait le sentiment douloureux d'avoir à choisir entre une liberté merveilleuse et le salut de l'Arabie..
XXII
… Oui ; une œuvre de longue haleine.
En attendant, puisqu'on ne peut pas brusquer les choses, quelle tentation de se replier sur soi-même et de jouir, avec insouciance, des bienfaits de la vie ! Où mènerait-on une existence plus large et plus royale ? Chassons ces préoccupations d'avenir et savourons l'instant présent avant qu'il ne soit trop tard...
Puisque les annuités de l'Aramco s'accroissent d'année en année, pourquoi ne pas en profiter pour édifier des palais et des sanctuaires ?
C'est là un domaine où le roi n'entend se laisser distancier par personne ».
Le roi Saud où l'Orient à l'heure des relèves, par Jacques Benoist-Méchin, 1960, Albin Michel
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jeudi, 07 août 2014
Chronique de Lu cie & co
"Le livre s'ouvre sur l'esquisse d'un paysage: une silhouette, deux oiseaux, trois arbres, pas de texte. En page suivante, "Les eaux printanières se répandent au nord et au sud de ma maison" est la première phrase qui sous-titre le même paysage, vu avec un effet de zoom avant. On se rapproche ensuite encore un peu pour lire "tandis que des nuées de mouettes passent jour après jour."
L'homme apparu en silhouette sombre est assis sur une marche dans son jardin. Trois mouettes lui tiennent compagnie durant ses réflexions. Il entame ensuite ses préparatifs pour accueillir son invité".
Ainsi parle Lucie Cauwe de l'Invité d'un jour (éditions Hong Feï) sur son blog "Livres utiles - Lu cie & co", dans une note sur l'éloge de l'hospitalité en papier déchiré. Elle mentionne ensuite l'album qui raconte la vie de Paul Imbert, marin sablais qui fut esclave du caïd de Marrakech à un siècle où les fraternités et les esclavages se tissaient autour de la Méditerranée des rois d'Europe et des sultans du Maghreb, jusqu'à Tombouctou.
Image extraite de L'homme des villes de sable,
éditions Chandeigne
Texte d'Edith de CL et illustrations en papiers déchirés de Sara
Les auteurs dédicaceront L'homme des villes de sable à l'Institut du monde arabe le 13 décembre 2014
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Mon pays
(j'ai contemplé mon mal-être et les quelques mots que j'ai posés sur lui manifestent un signe, une lueur. Auparavant, il n'y avait pas d'autre conscience que celle, venue de l'extérieur, de ma nullité. Maintenant je suis sortie du métro et sous la pluie j'observe la tentative du soleil de percer le ciel. Je sais que je souffre et c'est une révolution. Car j'ai mis des mots sur ma douleur, qui pourraient être partagés et éprouvés par un autre, deux autres, dix autres, mille autres. Ainsi naissent les révoltes. Ce n'est plus toi qui souffre à cause de toi dans un monde irréprochable. C'est une situation plombée qui se dégage sous le regard. Les individus individuellement dénigrés découvrent qu'ils sont une expérience collective. Le roi dévoile sa nudité. Apprentissage de l'acuité).
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mercredi, 06 août 2014
Ciudad
« Où se trouve le bonheur intime, la joie d'exister ? » se demandait Sénélé en sortant du laboratoire de biologie des ondes où le professeur aux yeux pairs (l'un bleu, l'autre vert) l'avait diagnostiquée électrosensible. Sur les parois de son ventre arrondi par la présence de trois nourrissons en gestation, des microchimères créaient des démangeaisons. La ville de Barlingot-Point diffusait à cette heure matinale la musique d'Orestia II, d'Aurel Stroë ; on était lundi. Les organistes des lumières étaient en grève depuis dix-sept jours ; ce soir encore, il serait tout à fait inintéressant de sortir se promener. Une brume chargée de pluie lui faisait pousser de petits rires inoffensifs et frais. À l'autre bout de la ville, des hommes en lutte, masqués et gantés, complotaient en vue de la renaissance du métier d'éboueurs des déchets invisibles, malgré la dernière révision de la loi. Aussi incongru que cela puisse paraître, j'étais assise sur le rebord d'une fenêtre en haut d'une tour et je rêvais à la possibilité d'aimer un être en fumant une ou deux idées d'une autre ère.
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Le palais des congres
Dans toutes les villes qui ont oublié la grande tradition typographique de la France, il existe un palais des Congres, souvent situé sur une grande avenue, aisément accessible que l'on arrive en voiture, en train ou en avion. Le jour, ce palais accueille diverses sortes de conférences, d'événements entreprenariaux ou associatifs. Mais la nuit, les jours fériés, les jours sans événements, le palais est pris d'assaut par les congres.
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Les tondeuses
Il n'y avait qu'un charme, qu'une joie dans l'ensemble d'immeubles : l'herbe des terre-pleins avait poussé et des pâquerettes fleurissaient. Depuis une heure, de grosses machines bruyantes rasent tout pour faire un gazon carré. Enfants qui grandissez par ici, vos parents reçoivent les aides de la CAF (Caisse d'allocations familiales) et vous apprenez à l'école que vous avez de la chance d'aller à l'école.
Dans le monde qu'on vous fabrique, mort et aseptisé, la respiration des morts-vivants est la seule autorisée.
Demain, quelle rave-party, quelle drogue chimique, quelle musique industrielle accueillera les cris de votre adolescence avide de sang et dévastée par le vide ?
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mardi, 05 août 2014
Deuxième fragment d'Electrochoc, les mémoires du Dj Laurent Garnier
Co-écrite avec David Brun-Lambert, les souvenirs de vingt-cinq années d'existence du maître de musique ès clubs et rave-parties Laurent Garnier ne manquent pas de charme littéraire : fond et forme sont bien présents et nous emportent à travers le monde électromusical des nuits trop blanches pour n'être que sombres.
Nous avions proposé un premier extrait ici. En voici un second, qui relate des aventures raveuses de Montreuil-sous-bois.
« Au milieu des années 60 à Montreuil fut construite Mozinor, la première zone industrielle en étages d'Europe. Dans cet entrelacs d'immenses entrepôts, on peut encore voir des rampes permettant aux camions de monter les étages de l'usine. Au sommet, une terrasse édifiée pour que le week-end les familles des ouvriers viennent se détendre. En semaine, cette terrasse était censée servir de cuisine d'entreprise pour les équipes d'ouvriers. Mais le projet, radical, ne rencontra jamais de succès. La mairie de Montreuil hérita de Mozinor et l'oublia.
Eric Napora est traiteur. À l'époque il organisait des événements pour des sociétés privées et était en constante recherche de nouveaux lieux. Avec son équipe il découvrit par hasard le dernier étage de Mozinor. Séduit, il décida d'en créer un fonds de commerce.
Fin 90, Luc Bertagnol loua la salle pour y organiser une rave. La soirée ne connut pas le succès espéré, les organisateurs perdirent de l'argent, mais Napora, intéressé par ce qu'il venait de découvrir, leur proposa un marché : annuler leur dette et organiser ensemble des raves à Mozinor. Bertagnol et son équipe avaient élaboré un système très au point de promotion de leurs événements : un mailing constitué depuis leurs raves au fort de Champigny assurait la venue d'une clientèle fidèle et affranchie. La première soirée eut lieu début 1991. Succès immédiat. Pour la seconde édition les organisateurs ouvrirent la terrasse. Deux mille quatre cents ravers répondirent présents ! Bientôt, ne pouvant plus satisfaire la demande, l'équipe investit les nombreuses salles attenantes du dernier étage.
De 1991 à 1994, le budget des soirées tripla. Le sound-system venait de Hollande, les lumières d'Allemagne, les Djs de toute l'Europe, et un accent particulier était mis sur la décoration. Le tout en respectant la légalité : la SARL Cosmos Factory effectuait ses demandes de licence d'alcool, engageait une équipe de sécurité professionnelle, déclarait ses soirées auprès de la préfecture.
Mais la légalité n'altère pas la magie. Prenez n'importe quel ancien de Mozinor entre quatre yeux et demandez-lui de vous raconter ses plus beaux souvenirs. Vous verrez en quoi une soirée peut marquer toute une vie, comment elle peut rester toujours là, au fond du cœur. Les deux Djs résidents, Francesco Farfa et Jérôme Pacman, accompagnaient les danseurs jusqu'au dimanche midi. Une octogénaire venait danser en voisine, se mêlant aux ravers. Des danseurs se levaient à 8 heures pour vivre les dernières heures de la fête, apportant avec eux fruits et croissants. D'autres se posaient sur le toit de Mozinor, le visage rougeoyant dans les rayons matinaux du soleil, et regardaient la structure en métal fumer de trop de condensation.
Tout autour, la ville dormait encore. »
Extrait d'Electrochoc - L'intégrale 1897 - 2013
Par Laurent Garnier et David Brun-Lambert
éditions Flammarion
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lundi, 04 août 2014
Lu dans les toilettes d'un bar à la station Robespierre (Montreuil)
"étonnement de ce que je vis. Nous sommes en pays envahi et occupé mais personne ne le dit. Chacun met sa souffrance sur le compte de son échec individuel, chacun met son regret de l'identité perdue sur le compte de son incapacité personnelle à envisager la modernité inaccessible à sa piètre intelligence. La morale a avalé toute la politique. Certains sans vergogne surfent sur la vague. Les autres assistent à la défaite, au milieu d'une bataille qui n'a jamais été livrée. Dans ce monde qui ne ressemble à aucun épisode historique, l'individu isolé a trois choix : folie, soumission ou désespoir. Il ne reste plus aucun fil qui relie les hommes et les femmes de ce pays. Il ne reste aucun point de vue d'où apercevoir une lueur, s'il y en a une. Témoignage du 2 août 2014 écrit sur un portable entre les stations Mairie de Montreuil et Robespierre et recopié ici dans les toilettes de ce bar qui n'échappe pas au destin des vaincus".
Un dessin d'un homme seul poignardé par un croissant accompagnait ce texte, que je lus en écoutant la voix chaude de Gil Scott-Heron traverser la cloison.
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