mercredi, 14 janvier 2015
Accepter de vivre et de mourir
Sur son blog Slate Star Codex, Alexander Scott, médecin psychiatre à l'hôpital, aux États-Unis, évoque la mort inhospitalière à l'hôpital. Il rappelle que beaucoup de médecins sont moins jusqu'au boutistes lorsqu'ils sont eux mêmes malades que lorsqu'ils doivent soigner les autres. Un choix fait en connaissance de cause, une connaissance très professionnelle.
Voici un extrait de son article Who by very slow decay, un titre extrait de la chanson de Leonard Cohen Who by fire.
"I was sitting in an ICU room yesterday where a patient’s body had just been brought out after their death. My attending was taking care of the paperwork in the other room, and I was sitting there reflecting, and I started thinking about what it would be like to die in that room. There was a big window, and it was a sunny day, and although I mostly had a spectacular view of the hospital parking lot, a bit further in the distance I could see a park full of really big trees. And I knew that if I were dying in that room my last thought would be that I wanted to be outside.
I think if I were very debilitated and knew I would die soon, I would want to go to that park or one like it on a very sunny day, surround myself with my friends and family, say some last words, and give myself an injection of potassium chloride.
(this originally read “morphine”, but just today the palliative care doctor at my hospital gave an impassioned lecture about how people need to stop auto-associating morphine with euthanasia, because it makes it really hard for him to offer morphine painkillers to patients who need them without them freaking out. So potassium chloride it is.)
This will never happen. Or if it did, it would be some kind of huge scandal, and whoever gave me the potassium chloride would be fired or something. But the people dying demented and hopeless connected to half a dozen tubes in ICU rooms aren’t considered scandals by anybody. That’s just “the natural way of things”.
I work in a Catholic hospital. People here say the phrase “culture of life” a lot, as in “we need to cultivate a culture of life.” They say it almost as often as they say “patient-centered”. At my hospital orientation, a whole bunch of nuns and executives and people like that got up and told us how we had to do our part to “cultivate a culture of life.”
And now every time I hear that phrase I want to scream. 21st century American hospitals do not need to “cultivate a culture of life”. We have enough life. We have life up the wazoo. We have more life than we know what to do with. We have life far beyond the point where it becomes a sick caricature of itself. We prolong life until it becomes a sickness, an abomination, a miserable and pathetic flight from death that saps out and mocks everything that made life desirable in the first place. 21st century American hospitals need to cultivate a culture of life the same way that Newcastle needs to cultivate a culture of coal, the same way a man who is burning to death needs to cultivate a culture of fire".
Who by very slow decay, par Scott Alexander. L'article entier est sage, intéressant et invite à la réflexion. Le blogueur nous invite ensuite à lire l'article How doctors die, sur la manière dont les médecins eux mêmes font face à leur propre fin.
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mardi, 13 janvier 2015
Rypdal sur fond de vents coulis
Terje Rypdal, c'est ta musique qui peuple l'appartement de la ville maritime encore aujourd'hui, sous le ciel blanc, alors que des vents coulis s'engouffrent entre les murs du béton des années 1950. Un livre interrompu somnole sur une table depuis plusieurs semaines, écorné : l'histoire de l'Irlande et des Irlandais, par Pierre Joannon. Une ampoule cassée n'est toujours pas jetée. Des stores rouges attendent d'être installés le long des trois fenêtres. Plusieurs images défilent dans ma mémoire. Des vacances à quelques dizaines de kilomètres de Marseille, à vingt ans, dans la très belle propriété de la famille d'une lycéenne du lycée Montaigne nommée Raphaëlle. Le Larcomar de Lima, noyé dans la brume, et les péruviens qui sirotent leurs cocktails entre deux achats face à la mer triste et grise, l'hiver, au mois d'août. Un petit hameau de Bretagne et sa vieille maison de pierres où l'on se gèle en buvant du cidre blindé de pesticides. Des lectures en anglais et en espagnol, à l'époque où les langues étrangères osaient passer par ma bouche. Des exercices de grammaire nahuatl et des textes de Nemesio Zuñiga Cazorla appris par cœur. Il faut bien que jeunesse se passe. Peu à peu, l'apprentissage de la normalité érode les formes de la personnalité. Il faut bien que jeunesse se lasse. Je contemple une chapka qui n'a jamais connu les neiges de la Finlande. Il paraît qu'il ne faut jamais citer une phrase sans l'avoir lue dans son contexte. Cela paraît intelligent, évidemment. La recherche du contexte perdu, c'est le fil d'une pensée à rétablir entre deux ondes d'émotions agrémentées de mille milliards de citations. Rimbaud effrayé par une jeune fille se décrivait « effaré comme trente-six millions de caniches nouveaux-nés », mais je n'ai pas lu la lettre complète. Dans ce contexte exactement, celui qui vous a amené sur ce billet de blog almasororien, je confirme être avide de calme comme trois hippopotames allongés au soleil au bord d'une eau gabonaise. Mais, pour l'heure, les heures passent, peu à peu des pans entiers de ce jour s'effacent, loin de Paris je cherche un sens unidirectionnel à ma vie démantelée en écoutant la musique de Terje Rypdal.
Le musicien Terje Rypdal sur AlmaSoror :
Il est mentionné dans La vie tranquille de Dylan-Sébastien M-T
Il est mentionné dans La trace de l'archange
Il est mentionné dans Musiques de notre monde
La langue nahuatl sur AlmaSoror :
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lundi, 12 janvier 2015
Deux de l'adolescence
Dans mon adolescence, j'ai eu accès à deux œuvres qui ont marqué ma pensée en construction.
La première fut le film Une journée particulière, d'Ettore Scola. C'est notre professeur d'histoire qui nous l'a passé, par un après-midi d'hiver, au lycée Buffon. Ce film raconte la rencontre entre un homme et une femme, seuls individus à être restés dans leur groupe d'immeubles alors que la ville entière défile sur les grandes artères, derrière le Duce Mussolini, en hommage à un homme d'Etat étranger en visite à Rome.
Quant à la deuxième œuvre, il s'agit d'une petite nouvelle, qui était insérée dans mon livre bilingue de nouvelles allemandes. Il s'agit de Mein trauriges Gesicht, mon visage triste en français, une courte nouvelle de Heinrich Böll. Un homme erre solitaire dans la ville, quant un policier l'arrête : il a le visage triste alors qu'aujourd'hui est jour de fête nationale, et que les citoyens doivent donc être joyeux. L'on apprend ensuite que dix ans auparavant, l'homme avait été condamné pour le même genre de délinquance.
Je suis contente d'avoir eu accès à cet âge tendre à ce livre et à ce film, non pas pour recevoir un message de leur part, mais parce que ce sont des œuvres pleines de beauté et de profondeur, des œuvres qui installent des espaces dans notre être intérieur, espaces à partir desquels naissent de nouvelles attentes, de nouvelles pensées (peut-être aussi de nouveaux silences).
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samedi, 10 janvier 2015
Le moine-soldat (11)
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vendredi, 09 janvier 2015
Concert d'opinions communes
Unanimité : « Fait que des personnes réunies en groupe ou appartenant à une collectivité soient toutes du mêmes avis, aient toutes la même réaction devant un événement ».
Cette concentration des réactions extérieures a pour corollaire la déconcentration intérieure ; chaque individu qui participe à l'unanimité s'éloigne de son propre esprit.
L'unanimité, concentration des points de vue en un point de vue collectif, s'accompagne de la déconcentration des esprits singuliers. Il devient difficile de penser en cas d'unanimité. Penser différemment, même, devient suspect : que signifie cet écart par rapport à l'union ? Moi-même, je deviens suspect à mes propres yeux. Je me demande : "mais qu'est-ce que j'ai ? Pourquoi ne fais-je pas, ne ressens-je pas comme tous les autres ?"
L'unanimité n'a jamais lieu en temps normal ; elle n'est même pas désirée. Elle s'impose lorsque la pression monte. On l'exige soudain. Elle s'impose justement pour dissimuler quelque chose qui ferait divergence.
Unanimes et déconcentrés, nous rapetissons le champ de notre expérience personnelle au fur et à mesure que nous adhérons.
Adhérents à la paroi collective, nous ne gênons plus le passage des tanks.
Et le passage des tanks ne nous gêne plus.
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mardi, 06 janvier 2015
Index Nominum : S
L'index des noms propres d'AlmaSoror, encore bien incomplet, permet de retrouver d'anciens articles ou de faire la psychanalyse de la tenancière du blog. Au hasard, la lettre S.
S
Lain Sainclair
Il est mentionné dans des thèmes, quelques œuvres
Charles-Augustin Sainte-Beuve
Il est mentionné dans Auto-(?)censure
Il est cité dans La gloire de l'imagination et l'industrie de la gloire
Antoine de Saint-Exupéry
Il est mentionné dans La bibliothèque éparpillée : Citadelle
Louis-Antoine de Saint-Just
Il est mentionné dans L'ange et l'archange
Sébastien Saint-Kévin
Il est l'auteur de Des thèmes, quelques œuvres
Ernst von Salomon
Il est mentionné dans L'humiliation
Il est cité dans Mon frère, je contemple ton visage
George Sand
Elle est citée dans Tombées du soir, traqués les loups
Thomas Sankara
Il est cité dans Instant banal à Ouaga : le taxi, la radio, la rue
Sara
Conjointement à Mavra Novogrochneïeva, Sara est la photographe d'une grande partie des photos qui illustrent les billets d'AlmaSoror, dont celle de l'Esclave.
Elle est mentionnée dans L'université de Poitiers rencontre Sara
Elle est l'auteur de L'humiliation
Elle est mentionnée dans L'homme des villes de sable en librairie
Satan
Il est mentionné dans Mascara
Jon Savage
Il est mentionné dans Moineville : la ville des écrivains
Eugène Savitskaïa
Il est mentionné dans Mystique littéraire
Florent Schmitt
Il est mentionné dans Florent Schmitt, l'éclat de votre musique nous fascine
Walter Scott
Il est mentionné dans La bibliothèque éparpillée : une histoire symbolique du moyen âge
Chief Seattle
Il est mentionné dans Charte du Mandé, Discours de Seattle, Pièce de la mort d'Athahualpa : des "faux".
Comtesse de Ségur
Elle est mentionnée dans Une enfance littéraire française : Invitation au voyage II
Elle est mentionnée dans Auto(?)censure
Elle est mentionnée dans La tourelle du hibou
Lhasa de Sela
Elle est mentionnée dans Tombées du soir, traqués les loups
Gilles Servat
Il est mentionné dans Insomnie bretonne à Paris
Michel Simon
Il est mentionné dans Auto(?)censure
Mathieu Simonet
Il est mentionné dans La Maternité
Dorian de Smythe-Winter
Il est l'auteur de Variation 14
Lilas L.S. Snuk
Elle est mentionnée dans Les Basaltiques : Critique d'un album musical
Sofia Sombreur-Noir
Elle est mentionnée dans Les Basaltiques : Critique d'un album musical
Alexandre Soljenitsyne
Il est cité dans Chaque jour que Dieu fait
Sophocle
Il est mentionné dans L'enfance, la civilisation et le monde sauvage
Sainte Bernadette Soubirous (de Lourdes)
Elle est mentionnée dans Auto(?)censure
Sylvester Stallone
Il est mentionné dans La ville de perdition
David Nathanaël Steene
Il est l'auteur de l'Ode aux hommes en jupe
Il est l'auteur de Etat-civil sans regard
Il est l'auteur d'Aléa toi R
Nadège Steene
Elle est l'auteur de La musique de Nadège
George Steiner
Il est mentionné dans L'enfance, la civilisation et le monde sauvage
Gustav Streeseman
Il est mentionné dans L'humiliation
Anne-Marie Stretter
Elle est mentionnée dans Des thèmes, quelques oeuvres
Suho
Il est mentionné dans La tourelle du hibou
Jules Supervielle
Il est cité dans Le forçat innocent
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lundi, 05 janvier 2015
Veille
C'est à toi que je pense ce soir, après ces quelques mots au téléphone, toi que j'ai tant aimé jadis, que j'aime encore peut-être. Toi l'homme qui me donnais ta main, ton beau visage d'ange, ta voix d'airain, toi que j'ai tant désiré, toi qui t'es détourné par un matin sans lendemain.
Là où tu dors ce soir, les murs sont blancs comme le beau linge d'antan, celui que ta mère pliait soigneusement, avec ses bonnes, avant de pleurer seule en se cachant, avant le chamboulement, avant la ruine. Là où tu dors ce soir, les couloirs sont vides, mais le cœur bat, et le sommeil te prendra, limpide. Tu ressemblais à celui dont on rêve, et l'on attendait tellement que c'était presque la mort de joie quand tu venais – et puis l'instant fugace, et puis la déception, et puis la bruine sur les joues tristes.
Mon cœur pleure ce soir, mon cœur te téléphone, je pense à ce grand parc enveloppé de nuit, à quelques pas de toi. Je pense à ces angoisses qui serrent ta poitrine, je pense à cet amour qui nous unit encore malgré nos solitudes impartageables. Comme est grande la distance qui nous sépare. Comme l'espérance m'a quittée ! Vrai, tu faisais mal avec tant d'insouciance, que tu pensais qu'il fallait vite te pardonner.
Et il m'arrive de croire que je t'ai pardonné.
A l'intérieur de moi, quelqu'un t'aime. Que l'ange qui te ressemble prenne soin de toi.
Il y a longtemps déjà que je t'ai dit : "adieu".
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dimanche, 04 janvier 2015
Si les murs étaient peints en noirs
Je me pose la question des murs noirs, des plafonds noirs, afin de savoir s'ils peuvent se dresser en remparts contre la blafardisation de la lumière, le matin, l'hiver. Revenue dans ce lit avec le café qui fume encore, plongée dans le Rimbaud de Henry Miller, je lève quelque fois les yeux sur un portrait qui me fait face. Il représente moi-même, à dix-neuf ans. Le croquis en a été fait dans un restaurant qui n'existe plus : l'Auberge d'Italie, rue Mayet. La petite toile fut peinte dans les jours qui suivirent. Je me souviens d'une autre toile de la même artiste et ne suis pas certaine qu'elle continue à peindre. Pourtant, "Peindre, c'est aimer à nouveau".
Ce visage de jeune fille qui ne me regarde pas, c'est le mien et c'est celui d'une autre. C'est surtout le reflet encore lumineux et vivace d'une jeunesse dont les saveurs s'estompent chaque année un peu plus. Des rêves d'expression personnelle qui épouseraient le monde, ces rêves que nous faisions ensemble, et qui se sont déformés sur le mur des réels et des (im)possibles.
Alors que dire d'un passage combatif, que dire de phrases taillées dans la pierre de la langue par un salaud talentueux ?
"Dans tout cela, je retrouve ma propre condition. Je n'ai jamais abandonné la lutte. Mais quel prix n'ai-je pas payé ! Ce fut une guérilla, ce combat désespéré qui naît seulement du désespoir. L'oeuvre que je m'étais donné la tâche d'écrire n'est pas encore écrite, ou ne l'est qu'en partie. Rien que pour élever la voix, pour parler à ma manière, j'ai dû gagner chaque pouce de terrain de haute lutte. Le bruit de la bataille a presque fait taire la chanson. Qu'on parle du regard fatigué qui fait faner les fleurs et pâlir les étoiles ! Mon regard à moi est devenu corrosif : c'est un miracle que, sous mon oeil sans pitié, les fleurs et les étoiles ne soient pas pulvérisées. Voilà pour le fond de mon être. Quant à l'extérieur, eh bien, l'homme superficiel a, peu à peu, appris à s'accommoder des façons du monde. Il peut être dans le monde sans être du monde. Il peut être aimable, gentil, charitable, hospitalier. Pourquoi pas ? "Le vrai problème", comme l'a montré Rimbaud, "est de faire l'âme monstrueuse", c'est-à-dire non pas hideuse mais prodigieuse ! Quel est le sens du mot "monstrueux" ? D'après le dictionnaire : "toute forme organisée de vie fortement déformée par le manque, l'excès, le déplacement ou la défiguration de certaines parties ou de certains organes ; tout ce qui est hideux ou anormal ou composé de parties ou de caractères inconsistants, qu'ils soient repoussants ou non". La racine est dérivée du mot latin monere, qui signifie avertir. En mythologie, le monstrueux s'exprime dans les formes de la Harpie, de la Gorgone, du Sphinx, du Centaure, de la Dryade, de la Sirène. Tous sont des prodiges ; et c'est là le caractère essentiel du monstrueux : ils ont détruit la norme, l'équilibre. N'est-ce pas la seulement la peur du petit homme médiocre ? Les âmes timides voient partout des monstres sur leur route, qu'on les appelle hippogriffes ou hitlériens. Ce que l'homme redoute le plus, c'est l'expansion de la conscience de soi. Tout ce qu'il y a d'effrayant, de sinistre dans la mythologie vient de cette peur. "Vivons en paix, en harmonie", prie le petit homme. Mais la loi de l'univers, c'est que la paix et l'harmonie ne peuvent être gagnés que par une lutte intérieure. Le petit homme ne veut pas payer le prix de ce genre de paix et d'harmonies ; il les veut toutes faites, comme un complet de confection."
Henry Miller, IN RIMBAUD. Traduction par F. Roger-Cornaz
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vendredi, 02 janvier 2015
Lorenzo : les dernières semaines
Il était beau et peintre ; c'était un ami de ma mère. J'ai raconté ici la dernière fois que je l'ai vu.
Voici le film de ses dernières semaines.
"Nuestra película" from Luis Ospina on Vimeo.
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jeudi, 01 janvier 2015
Poésie grecque (6°siècle avant JC)
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dimanche, 28 décembre 2014
Itaparica
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La chambre obscure
Comme l'âme est lourde quand elle ne sait plus qui elle est ni où elle va. Les vacanciers d'hiver vont et viennent sur le remblai, dans les restaurants. Dans le train une femme parlait sur son fils d'un ton si méprisant et arbitraire que je me suis mise à prier pour lui. Que faire dans ce cas là ? Pourquoi tant de gens font tant d'enfants qu'ils n'arrivent pas à aimer, embourbés qu'ils sont dans leur malêtre, dans leurs absurdités mentales ? L'enfant l'appelait sans cesse, il quémandait je ne sais quelle preuve d'affection et, plus de deux heures durant, ne recueillit que des signes de haine. Il n'avait pas encore sept ans.
Depuis mon départ de cette maison du 13, je n'ai pas lu un livre. J'ai du mal à chanter juste (une nouveauté). J'ai dansé une fois, enserrée dans un corset de fer que je ne me connaissais pas. J'ai découvert des musiques qui me plongent dans des ambiances plus douces encore et plus profondes qu'auparavant. J'ai nagé, lentement, dans l'eau dormante.
Depuis mon envol, j'ai modifié ma conception de la tarte au citron. Amère, désormais, plus jamais meringuée. Et surtout, que la saveur du sucre n'apparaisse pas.
Depuis que j'existe, je me suis rencontrée trois fois.
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samedi, 27 décembre 2014
préface d'Abd el-Kader à sa Lettre aux français (1858)
Emir, philosophe, combattant nationaliste, opposant à la colonisation algérienne par la France, Abd el-Kader écrivit avec autant de panache qu'il combattit.
Voici un extrait de sa préface à la Lettre aux Français
La parole du sage est errante.
"Apprenez d'abord que c'est une nécessité pour l'homme intelligent de considérer les paroles prononcées et non celui qui les a dites. Si ces paroles sont vraies, il les acceptera, que celui dont elles proviennent soit connu pour dire en général la vérité ou le mensonge. On extrait bien l'or d'une simple motte de terre friable, on fait pousser la fleur du narcisse en cultivant un vulgaire bulbe, on tire des serpents le médicament appelé thériaque, et l'on cueille les roses sur des tiges hérissées d'épines. C'est par référence à la vérité que l'homme intelligent connaît les autres hommes. Ce n'est pas par référence aux hommes qui parlent qu'il connaît la vérité. La parole de sagesse est la brebis égarée de l'homme intelligent. Il la cherche partout et la prend chez tout individu auprès duquel il la trouve, que cet individu soit de condition vile ou illustre. Le savant, au stade le plus élémentaire, se distingue de l'homme du commun par un comportement qui le pousse, par exemple, à ne pas juger que le miel est gâté quand il le trouve dans la ventouse d'un chirurgien ; car le sang est impur non pas du fait qu'il se trouve dans la ventouse, mais parce qu'il l'est en lui-même ; si l'impureté n'existe pas dans le miel, pris à part, le fait qu'il ait été placé dans le vase où l'on met d'ordinaire le sang impur ne lui fait pas gagner cette propriété, par conséquent, on ne doit pas s'abstenir de le toucher. Pourtant, c'est là une fausse idée qui prédomine chez la plupart des gens.
Chaque fois que des paroles sont attribuées à une personne en qui ils ont confiance, ils les acceptent, même si elles sont contraires à la vérité. Si ces paroles sont prêtées à quelqu'un dont ils pensent du mal, ils les refusent, même si elles correspondent à la vérité. Toujours ils connaissent la vérité par référence aux hommes, jamais ils ne connaissent les hommes par référence à la vérité. Voilà le point suprême de l'ignorance et du préjudice que l'on se fait à soi-même".
Abd el-Kader, 1858, Lettre aux Français
(Environ un siècle plus tard, l'officier égyptien Nasser écrivait la Philosophie de la Révolution.)
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mercredi, 24 décembre 2014
Sur la paille (endormi)
"On parle de la douleur de vivre. Mais ce n'est pas vrai, c'est la douleur de ne pas vivre qu'il faut dire. Et comment vivre dans ce monde d'ombres ?"
Lettre d'Albert Camus à René Char
Le solstice d'hiver, puis la naissance de l'enfant Jésus. Dans le choeur d'un orchestre, un homme - une basse -, athée, pleure au détour d'un accord mineur de Douce Nuit. C'est le dernier concert du coeur de l'orchestre de Paris à Pleyel ; il prendra ensuite ses quartiers à la Philarmonie, dans le dix-neuvième arrondissement.
Les sirènes du Samu, des pompiers, des ambulances, strient la ville trop sonore : suicides et craquages des temps de "fêtes de fin d'année". Les cartes bancaires n'en finissent plus de se dévider aux échoppes des rues décorées. Les gens pressés portent des kilos de cadeaux et de bouffe. Les mendiants organisés citent Noël dans leurs plaintes ; les clochards solitaires se taisent.
Au quatrième étage d'un vieil immeuble branlant, une femme de soixante-quatre ans lit Gertrud von Le Fort comme on prend un remède - un sirop qui apaise. Les familles recomposées se décomposent encore une fois. Il n'y a pas de neige cette année sur les toits.
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dimanche, 21 décembre 2014
un adieu banal
Je vous dirai adieu par un jour si banal qu'on croirait que rien ne peut se passer, rien d'autre que le défilement monotone des petits riens du quotidien. Que la lumière soit douce ou terne, ce jour là nous écouterons des chansons d'une jeunesse enfuie aux senteurs parfumées des amours posthumes. Ce jour là nous ferons du thé. Ce jour là nous dirons des mots sans importance, nous verrons des visages. Nous ferons un tour dans les rues de la ville qui se transforme et laisse derrière elle ses traces anciennes pour se faire une beauté fade en essayant d'imiter des villes plus grandes, plus neuves.
Je vous dirai adieu parce qu'il n'y aura plus rien à dire, ou plus d'énergie pour l'écrire. Je vous dirai adieu après ces tentatives, comme on retourne à la poussière de l'inconnu. Il y aura d'autres jeunes filles, pleines d'espérances dynamiques, pleines de souffle, qui danseront jusqu'à s'essouffler à leur tour, et deviendront des femmes étonnées de n'avoir pas créé ce monument dont elles sentaient frémir les fondations entre leurs mains.
Naissez, enfants, naissez à votre tour. Vous verrez comme est longue la route, dure la bataille, minime la victoire. N'oubliez pas sur le chemin de sentir les fleurs et de rire.
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