dimanche, 24 juillet 2011
L'échec social et la mort
Philippe Ariès, dans L’homme devant la mort (tome I : le temps des gisants) discute la naissance de la notion d'échec social. Ses idées nous ont paru intéressantes et étranges. Voici un extrait.
"Chaque vie de pauvre a toujours été un destin imposé sur lequel il n’avait pas de prise.
Au contraire, à partir du XIIè siècle, chez les riches, les lettrés, les puissants, nous voyons monter l’idée que chacun possède une biographie personnelle".
« Pour bien comprendre le sens que la fin du Moyen Âge a donné à cette notion de désillusion et d’échec, il faut prendre du recul, laisser un moment de côté les documents du passé et la problématique des historiens et nous interroger nous-mêmes, hommes du XXè siècle.
Tous les hommes d’aujourd’hui ont éprouvé à un moment de leur vie le sentiment plus ou moins fort, plus ou moins avoué ou refoulé, d’échec : échec familial, échec professionnel. La volonté de promotion impose à chacun de ne jamais s’arrêter à l’étape, de poursuivre au-delà des buts nouveaux et plus difficiles. L’échec est d’autant plus fréquent et ressenti que la réussite est souhaitée et jamais suffisante, toujours reportée plus loin. Un jour vient cependant où l’homme ne soutient plus le rythme de ses ambitions progressives, il va moins vite que son désir, de moins en moins vite, il s’aperçoit que son modèle devient inaccessible. Alors il sent qu’il a raté sa vie.
C’est une épreuve qui est réservée aux mâles : les femmes la connaissent peut-être moins, protégées qu’elles sont encore par l’absence d’ambition, et par leur statut inférieur.
L’épreuve arrive en général autour de la quarantaine et elle tend même, de plus en plus, à se confondre avec les difficultés de l’adolescent à accéder au monde des adultes, difficultés qui peuvent mener à l’alcoolisme, à la drogue, au suicide. Toutefois, dans nos sociétés industrielles, l’âge de l’épreuve est toujours antérieur aux grandes défaillances de la vieillesse et de la mort. L’homme se découvre un jour comme un raté : il ne se voit jamais comme un mort. Il n’associe pas son amertume à la mort. L’homme du Moyen Âge, oui.
Ce sentiment d’échec est-il un trait permanent de la condition humaine ? Peut-être sous la forme d’une insuffisance métaphysique étendue à toute la vie, mais non pas sous la forme de la perception ponctuelle et subite d’un choc brutal.
Ce choc, les temps froids et lents de la mort apprivoisée ne l’ont pas connu. Chacun était promis à un destin qu’il ne pouvait ni ne souhaitait changer. Il en fut ainsi longtemps là où la richesse était rare. Chaque vie de pauvre a toujours été un destin imposé sur lequel il n’avait pas de prise.
Au contraire, à partir du XIIè siècle, chez les riches, les lettrés, les puissants, nous voyons monter l’idée que chacun possède une biographie personnelle. Cette biographie a d’abord été faite seulement d’actes, bons ou mauvais, soumis à un jugement global : de l’être. Ensuite, elle a été faite aussi de choses, d’animaux, de personnes, passionnément aimés, et aussi d’une renommée : de l’avoir. A la fin du Moyen Âge la conscience de soi et de sa biographie s’est confondue avec l’amour de la vie. La mort n’a plus été seulement une conclusion de l’être, mais une séparation de l’avoir : il faut laisser maisons et vergers et jardins.
En pleine santé, en pleine jeunesse, la jouissance des choses s’est trouvée altérée par la vue de la mort. Alors la mort a cessé d’être balance, liquidation des comptes, jugement, ou encore sommeil, pour devenir charogne et pourriture, non plus fin de la vie et dernier souffle, mais mort physique, souffrance et décomposition ».
Philippe Ariès
L’homme devant la mort
(tome I : le temps des gisants)
Publié dans La place, Le corps, Sleipnir | Lien permanent | Commentaires (4) | | Facebook | Imprimer |
Commentaires
Il écrivait cela à la fin des années 60
Écrit par : axel | vendredi, 29 juillet 2011
Tous les hommes d’aujourd’hui, même ceux qui sont au sommet, éprouvent un manque et cherchent d’arrache-pied plus de réussite, il y a peu de lions heureux de régner au fond de la forêt, profitant du calme pour contempler tranquillement le monde du haut de leur piédestal. Combien de ministres se prennent des dossiers dans la gueule au lieu d’être de tranquilles patriarches ?
Échec familial, échec professionnel hantent tout un chacun et détruisent les cœurs.
Il faut vivre à la fois la réussite familiale et professionnelle. La vie familiale prime, parce que c’est celle du cœur, toutefois l’échec professionnel peut détruire la vie familiale, il faut donc le conjurer au moins en partie.
La soif de promotion n’est jamais étanchée. Qu’est-ce que cette volonté de promotion ? Il y a selon moi 5 stades :
La norme (rester dans le coup : vivre dans un lieu sain, tenir ses affaires en ordre, avoir un aspect physique et psychique que tout le monde reconnaît comme bon).
Le milieu social : se sentir et être ressenti comme quelqu’un de la bourgeoisie, qui a les codes et les attributs du milieu aisé
Sortir du lot : que ce soit par la profession, les accomplissements, engagements, l’aspect physique, être toujours un peu plus élevé que la personne aisée et bourgeoise lambda
Etre le modèle de réussite : se situer en haut de la bourgeoisie, devenir un étalon, ne plus être comparé, mais être celui à qui on se compare
Etre le chef : la source de ce qui va avoir lieu, tel Sobiewski, le sauveur de la Pologne. Passer de Grand du royaume à Roi
(Certes, beaucoup ont atteint les derniers stades sans jamais remplir les conditions exigées par le premier stade !)
Si ces cinq stades ont été atteints, faut-il poursuivre au-delà ? Il est un moment où l’on doit cesser la promotion pour se tourner vers l’accomplissement intérieur. Ne pas chercher à atteindre un sixième stade, qui d’ailleurs annihilerait les grandeurs du cinquième. Attention à Sainte-Hélène !
Pour ne pas devenir fou-jaloux des gens qui nous surpassent, pour rester conscient, chaque stade doit paraitre suffisant, même le premier : être normal, être reconnu comme tel, est déjà une grande réussite.
Le stade 2 est déjà une réussite supérieure, et qui doit rendre heureux, ayant l’impression d’avoir bien réussi, de recevoir tout ce que le monde peut offrir.
Le stade 3 permet de ne pas se reposer sur les lauriers et doit servir à cela.
Le stade 4 n’est intéressant que si l’accomplissement a quelque chose d’éternel, que les autres hommes adouberont
Le stade 5 est-il souhaitable ? C’est sortir de l’humanité pour être un mythe.
L’ambition n’a pas d’autre intérêt que d’embellir sa vie. S’il en reste au stade 1, l’homme doit rester reconnaissant. S’il en reste au stade 2, alors il a réussi et demeure plein d’espoir pour en tirer des choses. S’il en reste au stade 3, que demander de plus ? Il a réussi et seul le développement personnel et la vie mystique lui manque pour son bonheur.
S’il se brûle contre un désir qui fuit, il faut changer son désir : que ce soit un désir d’approfondissement et non plus d’accumulation. Il faut intérioriser le modèle à atteindre, car un modèle intérieur est toujours à portée de nous. On ne peut pas échouer à ressembler à notre cœur.
Tous les hommes d’aujourd’hui, même ceux qui sont au sommet, éprouvent un manque et cherchent d’arrache-pied plus de réussite. Que faire quand on se découvre comme un raté ? On y échappe, à ce sentiment d’échec et d’amertume, en acceptant justement son sort d’être humain en manque méta-physique. Dès lors, ni les insatisfactions terrestres, ni la maladie et la mort ne peuvent ébranler un moral christique.
Écrit par : Sage quelquefois | vendredi, 29 juillet 2011
Vivre une vie que j'aime et qui m'emplit d'extase, chaque jour est un présent du ciel, de la terre et du vent. Conversion perpétuelle d'un cœur transi d'enfance à l'amour à venir dans l'instant qui s'approche. Toucher l'air de rien la joie des choses et des êtres, sentir la nature au plus profond de moi et comprendre comment toucher les autres, ceux qui m'écoutent et ceux qui sont loin.
Créer de mes mains une œuvre comme une araignée tisse sa toile, dans la patience oblative et la certitude qu'il n'y a rien d'autre à faire. Malgré sa fragilité, cette toile restera comme une image prise entre le soleil éternel du monde et la poussière du temps. Que des rencontres balisent le chemin sans l'enserrer. Que des amours amicales chantent le chant de vie qui nous donne envie de vivre.
Chaque projet marque la terre de sa route et permet l'existence d'autres projets. Loin des comparaisons, je crée des poèmes qui suivent leur route au-delà de moi. À chaque instant, je sais que l’œuvre est faite, suffisamment belle pour être considérée comme achevée. Chaque nouvelle œuvre est gratuite et libre comme la gratitude.
Aimer les mouvements du corps, sentir une fraîcheur souple et agréable du corps, une légèreté joyeuse et paisible du cœur et de l’âme.
Apporter quelque chose aux enfants, être proche d’eux, ne pas laisser le raisonnement et l’aigreur entamer ma sensibilité, accepter l’innocence, le bonheur et les beautés de l’espoir
Nuit, cède à la lumière ! Jour, entre dans la nuit. Cycle, tourne pour les siècles et laisse-nous boire à ta continuité.
Écrit par : Légèreté relaxante | vendredi, 29 juillet 2011
Que faire quand on se découvre comme un raté ?
Une commentatrice m'écrit pour réagir à propos du commentaire de Sage quelquefois. Les ratés n'existent pas. C'est une illusion créée par des valeurs pourries, qui mesurent les hommes à leur réussite matérielle. Cette réussite matérielle n'est ni souhaitable ni détestable : elle n'a pas d'intérêt moral ou spirituel. Il n'y a donc pas de ratés, sauf peut-être ceux qui ont oublié toute leur âme pour croire qu'il y en a !
Écrit par : AlmaSoror | lundi, 18 août 2014
Les commentaires sont fermés.