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mercredi, 25 mars 2015

Les lourdes eaux

L'eau de mer.jpg

Face aux puissances de l'océan, je mesure mon impuissance à soulever mes lourdes eaux. Comment devient-on la fine barque ivre, filant entre les vagues au coucher du soleil ?

mardi, 24 mars 2015

Sur les délits d'opinion et leur dénonciation perpétuelle

Extrait du discours du 11 mai 1791 de Maximilien de Robespierre sur la liberté de la presse.

"Les lois peuvent atteindre les actions criminelles parce qu’elles consistent en fait sensibles, qui peuvent être clairement définis et constatés suivant des règles sûres et constantes : mais les opinions ! leur caractère bon ou mauvais ne peut être déterminé que par des rapports plus ou moins compliqués avec des principes de raison, de justice, souvent même avec une foule de circonstances particulières. Me dénonce-t-on un vol, un meurtre ; j’ai l’idée d’un acte dont la définition est simple et fixée, j’interroge des témoins. Mais on me parle d’un écrit incendiaire, dangereux, séditieux ; qu’est-ce qu’un écrit incendiaire, dangereux, séditieux ? Ces qualifications peuvent-elles s’appliquer à celui qu’on me présente ? je vois naître une foule de questions qui seront abandonnées à toute l’incertitude des opinions ; je ne trouve plus ni faits ni témoins, ni loi, ni juge ; je n’aperçois qu’une dénonciation vague, des arguments, des décisions arbitraires. L’un trouvera le crime dans la chose, l’autre dans l’intention, un troisième dans le style. Celui-ci méconnaîtra la vérité ; celui-là la condamnera en connaissance de cause ; un autre voudra punir la véhémence de son langage, le moment même qu’elle aura choisi pour faire entendre sa voix. Le même écrit qui paraîtra utile et sage à l’homme ardent & courageux, sera proscrit comme incendiaire par l’homme froid et pusillanime ; l’esclave ou le despote ne verra qu’un extravaguant ou un factieux où l’homme libre reconnaît un citoyen vertueux. Le même écrivain trouvera, suivant la différence des temps et des lieux, des éloges ou des persécutions, des statues ou un échafaud. Les hommes illustres, dont le génie a préparé cette glorieuse révolution sont enfin placés, par nous, au rang des bienfaiteurs de l’humanité : qu’étaient-ils durant leur vie aux yeux des gouvernements ? des novateurs dangereux, j’ai presque dit des rebelles. Est-il bien loin de nous le tems où les principes mêmes que nous avons consacrés auraient été condamnés comme des maximes criminelles par ces mêmes tribunaux que nous avons détruits ? Que dis-je ! aujourd’hui même, chacun de nous ne paraît-il pas un homme différent aux yeux des divers partis qui divisent l’Etat, et dans ces lieux mêmes, au moment où je parle, l’opinion que je propose ne paraît-elle pas aux uns un paradoxe, aux autres une vérité ? ne trouve-t-elle pas ici des applaudissements, et là, presque des murmures ? Or, que deviendrait la liberté de la presse, si chacun ne pouvait l’exercer qu’à peine de voir son repos et ses droits les plus sacrés livrés à tous les préjugés, à toutes les passions, à tous les intérêts !"

Robespierre, extrait du Discours sur la liberté de la presse 11 mai 1791

dimanche, 22 mars 2015

Firmus ut Cornu

Ainsi parle le cerf, après des siècles de silence :

 I

An mille. On les voit naître là-bas, en Bretagne, non loin des bois que je hante depuis toujours. Ils me tuent sans doute déjà, à la chasse. Mais ils ne m'ont pas encore élevé au rang totémique. 

II

Premier nom, premières fratries. Vaines occupations des hommes. Et pourtant, quand ils ne se font pas la guerre entre eux, c'est nous qu'ils traquent. 

 III

Un des nôtres avait aussi blessé son fils, un jeune cerf adulte, à mort. Pris de remord il voulut le relever. Le fils croyant que son père voulut l'achever fit un mouvement brusque ; leurs bois s'entremêlèrent. Ils souffrirent trois jours à se débattre sans pouvoir se détacher.
À l'aube du quatrième jour le fils rendit l'âme. Alors le père brama sans fin et mourut de ce brame de douleur qui chantait son affliction. Les bois affligés retinrent cette histoire. Plus jamais les cerfs ne se battirent avec leurs fils, même par grande colère.

 IV

Rarement nous sommes rentrés dans Vitré. En meute, une fois nous vînmes aux abords et nous comprîmes l'orgueil immense de l'homme. Leurs maisons à l'époque étaient si belles que les autres animaux les admiraient.

Aujourd'hui avilis, eux-mêmes ont honte de ceux qu'ils bâtissent.

 V

Entre deux chasses à courre, ils ratifiaient à courre.

Soudain, ils s'en allaient. Tous. Ils partaient dans des pays des cousines gazelles. Nos faons grandissaient en paix.

VI

Ils revenaient. Nous réapprenions la peur.

VII

La dame marchait dans nos bois et contemplait les vols de corneille, sans savoir que ses fils oublieraient que leurs aïeux révéraient les oiseaux noirs. Nos fils, à nous, n'oublient jamais. Notre histoire est dans notre sang et dans nos réactions intuitives. Les mots n'ont pas coupé le fil de la vie qui passe entre les morts.

VIII

Qu'ils étaient beaux, vos châteaux. Qu'ils sont tristes, vos sanglots. Et c'est encore la main du destin qui fait s'entrecroiser les douleurs de vos corps humains et de nos corps cerfs : tous deux chassés de nos terres par les meutes hurlantes hier, par l'argent aujourd'hui. Frères ennemis, nous vous regrettons, car vous nous reconnaissiez comme vos totems. Et nos brames disent : revenez... revenez... revenez... A vos chasses, vous cherchiez quelque fois le danger, et vous saviez accepter d'être quelque fois perdants.

 IX

Vous épousâtes vos femelles ; vous enseignâtes vos petits à nous chasser.

X

Ainsi, ma mise à mort était leur gloire. Ainsi, je suis devenu leur emblème. Vos corneilles ne survolaient nos bois, vos cerfs ne sont pas nos frères, car vos images sont fausses et personne n'a le droit de nous totémiser.

 XI

Nos vies ne diffèrent que parce que vous parlez trop.

 XII

Nous ne reconnaissons pas votre noblesse. Nous ne reconnaissons que l'intrépidité des coureurs et la grandeur de ceux qui meurent sans gémir.

XIII

Leurs prénoms les distinguent entre eux. Nos brames leur paraissent tous semblables. L'homme qui a découvert que l'animal a un visage a découvert bien d'autre chose encore. Le cerf qui a entendu le brame humain sait que l'homme est un animal sauvage.

Vous avez des prénoms. Mais nous aussi nous avons des visages, n'en déplaise à votre marotte de ne reconnaître que ce que vous nommez.

Et que t'importe, homme, que le nom de cette femme te soit inconnu ? N'a-t-elle pas moins de chair, de cheveux et de sang que celles que tu nommes ?

XIV

Nos veuves aussi souffrent. Nos orphelins survivent peu. La vie est un combat, l'amour est un combat, la mort est un combat. Seul le ciel qui nous domine est douceur, quand il donne l'eau pour la langue et la lumière pour les yeux.

 XV

Il y a mille ans les bois recouvraient une grande partie du territoire ; et dans mille ans les bois recouvriront une grande partie du territoire. Les cerfs et les biches feront beaucoup de petits faons et ils oublieront la terreur de l'homme qui colonise.

XVI

Eh, l'homme, tu disparaîtras. Notre mémoire muette te recouvrira de son silence plein de prière, et nous effacerons la trace de tes pas.

Crépuscule.jpg

 

mercredi, 18 mars 2015

Foi et faits

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"Nous croirons à la crise quand les riches se suicideront en masse".

Image tirée de la bande dessinée Jazz Maynard (Raule et Roger)

mardi, 17 mars 2015

Blue note, Ô lumière de la vieillesse

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"Dis-donc, elle est bien conservée, pour son âge, Adélaïde !" entendis-je. Celle qui s'exclamait s'adressait à deux autres femmes dans une cuisine. Celle dont on parlait venait de prendre congé.
C'était il y a quelques semaines et soudain une question s'empara de moi : vais-je continuer à avoir l'air jeune ? Vais-je devenir vieille aux yeux de tous, moi qui rit et pleure comme lorsque j'étais enfant, d'une manière simplement plus... civilisée ? Serais-je plus ou moins vieillissante que ces gens qui m'entourent et qui boivent et conversent entre eux ? Vais-je mourir d'une manière inattendue dans quelques mois ?
L'hôte me resservit un verre et je le sirotai avec la concentration de ceux qui veulent tout oublier.

Les échos de ces rires et de ces mots sont éloignés dans le temps, et me voilà au bord du patio où s'écoule la nouvelle lumière du printemps.

Pour rester à jamais éclatante de jeunesse, une solution s'impose : mourir jeune. Pourquoi ne pas plonger avant le premier cheveu gris, avant la première ride, du haut de la jetée du phare un soir de pluie et de bourrasque où le port est désert ? Oui, pourquoi pas, mais si je m'en abstiens, alors autant ne pas circonvenir au rythme de la vie et du temps.

J'ai été bébé joufflu, enfant pétillante et triste à la fois, adolescente malingre, jeune sans visage, adulte reconstituée par la promenade intérieure ; pourquoi ne continuerai-je pas la mue perpétuelle de mon être selon les désidératas de la nature et de la culture, d'une nature respectée dans sa sauvage exaltation du mouvement des saisons, d'une culture qui cesse de s'abîmer dans la lutte contre le temps ?

Et s'il faut que je vive, alors, que mon visage envisage de se dévisager sans sourciller face aux lames de fond des années qui le sculptent et le rapprochent chaque saison un peu plus de la mort.

Car c'est Elle, peut-être, qui nous fait peur, lorsque nous imaginons un jour nos mains couvertes de taches et nos joues creusées par l'âge.

Je photographiais tout à l'heure ma mère, qui fête ses soixante-cinq ans aujourd'hui. Je la remercie d'avoir été, d'être et de devenir.

Prions Dieu de ne pas être bien conservés (évitons d'ailleurs de manger des produits industriels gavés d'agents conservateurs) : donnons-nous tout entiers à chaque saison qui nous est offerte ici-bas. Captons-en dans nos yeux des essences de lumière, de brume et de science, afin que nos regards deviennent peu à peu baignés de lampées du mystère infini.

Ne prenons pas à notre compte les regards effrayés de ceux qui tentent de se conserver, mais tendons nos cœurs à l'instant qui passe, à la joie, à la peine qu'il contient, et renonçons au combat inutile. Un combat est inutile quand il n'élève pas l'âme de celui qui le mène. 

Vivre comme on ouvre les yeux, mourir comme on ferme les yeux, sans crainte excessive du lendemain. Comme c'est facile à écrire... Mais peut-être que ce n'est pas si difficile à faire. Je vais essayer.

 

Incipit de la révolte

Voilà comment s'ouvre le roman de Jean Brune, La révolte

"I

La ville

Il pleuvait comme il pleut souvent après les orages, quand le ciel rompu par des fureurs démesurées s'effondre dans des averses. Les nuages écroulés pesaient sur les toits ; les rues ressemblaient à des tranchées ouvertes dans des matières molles, qui ne retrouvaient une densité de pierre qu'au ras du sol, dans la magie des lumières mêlées. Le capitaine s'arrêta sous un auvent, pour reconnaître le porche qu'il cherchait. L'eau qui ruisselait des balcons et des gouttières se solidifiait autour des lampadaires, en un vol de fléchettes lumineuses ; et quand l'oreille oubliait, l'espace de quelques secondes, le crépitement de la pluie, elle entendait monter, de la mer encore déchaînée, une rumeur grave, confusément inquiétante, comme une colère de géant. Le capitaine pensait à ses terreurs d'enfant et au sillage qu'elles gravent dans la mémoire. Une ombre tassée à côté de lui l'interpella à mi-voix. Il sursauta. Puis, comme on se reproche un réflexe importun, il pensa qu'il ne s'accoutumerait jamais à ces rendez-vous qui évoquaient des conciliabules de malfaiteurs, ni à cette veille perpétuelle du regard, qui permet de déceler, presque de pressentir, la moindre présence dans un trou d'ombre ou dans une foule. Homme de guerre familier des nuits de garde coulées dans la solennité des silences de cristal, ou trempées par les vacarmes de métal des batailles, il se sentait mal à l'aise quand grondaient autour de lui ces rumeurs qui montent des foules et portent en elles, comme une boue, un peu de ce qu'il y a de dégradant dans les complicités subies. Il se nomma. 

- Je suis le capitaine de Louveciennes. 

- Je sais, chuchota l'inconnu". 

La révolte

Jean Brune

1965

jean brune,la révolte

dimanche, 15 mars 2015

Celui que je pourrais être

 

Au fond vous ne me connaissez pas. Qui sait si moi-même je me connais. Je pourrais être celui qui se lève dès potron-minet et chausse ses skis pour monter des cols et descendre des vallées enneigées. Mes deux Saint-Bernard (Aydius et Baïkal) m'accompagneraient, heureux de cette nouvelle course à travers la nature presque vierge. Je rentrerais à l'heure d'un déjeuner tardif et, tandis que les chiens se coucheraient pour ne se relever qu'aux premières lueurs du soir, je m'installerais à mon ordinateur pour travailler.

Je ne penserais presque jamais à celui avec qui j'ai vécu dans la ville du tramway, du métro et du RER, et quand bien même ces années grises me reviendraient à l'esprit, je n'y éprouverais ni haine, ni tristesse, simplement la surprise d'avoir été si longtemps enchaîné.

Six heures de l'après-midi : l'alcool dès ce moment est autorisé. Je me servirais donc une bière dans la cuisine du minuscule chalet, que je boirais en jetant de longs regards circulaires sur la montagne au Nord, sur le village à l'Est.

Un weekend sur deux et la moitié des vacances, comme signé au bas d'un papier par sa mère et par moi-même, j'accueillerais mon fils, cet être que j'aime plus que tous les autres êtres ici-bas. Des parties de ballon avec Aydius et Baïkal, le jeu de fléchettes avant de dormir, la lecture du Tintin qu'il choisit, la grande et la petite ourse par la fenêtre et tant de fondues et de chocolats chauds, de rires et de pansements après les randonnées. Les devoirs scolaires aussi, pour qu'il n'y ait pas d'histoires.

Je pourrais être celui dont je viens de vous décrire la vie. Heureux, le serais-je ? Certainement. Avec des moments de doute et de sombre humeur quelquefois, mais plein d'une vie choisie en fils de la montagne, frère de chien et chienne et père aimant, malgré la distance du partage parental.

Et loin, très loin, très très loin de l'appartement où j'ai vécu sans joie, de l'agence où j'ai travaillé sans motivation, de la ville où j'ai vécu à côté de moi, sans jamais m'écouter vivre.

 

 

 

vendredi, 13 mars 2015

Latitude : les livres d'hier

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Ils reposent sur l'étagère et savent que demain leur descendance aura changé de forme. Pleins d'une nostalgie tendre et muette, ils se contentent d'émaner une lumière de mots et d'odeurs. 

Mue

Surfin Sables2014.05.24.LS9.jpg

Au Pérou, en Bolivie, si j'avais été détendue, des choses auraient pu merveilleusement se passer. Mais j'étais tellement mal à l'aise, stressée, cérébrale ! La peur (d'agir), le mal-être (face aux autres), la culpabilité (vis-à-vis de mes incompétences et inconséquences) obstruaient le passage vital entre mon être et le monde, entre mon désir et mon entrée réelle dans le paysage désiré.

Ma vie aurait pu être changée par mon attitude, mais j'étais trop fermée à la vie pour la laisser me modeler et m'emporter dans sa danse.

Désormais, je ne devrais plus laisser mon mal intérieur gâcher les belles années qui font ma vie, les expériences que je tente et les relations que je noue. Je ne devrais pas laisser le doute mental miner les heures qui passent, les jours de soleil comme les jours de pluie.

Combien d'années sans joie, combien de voyages quelque peu gâchés ? Combien de tentatives avortées ? Je ne veux pas attendre l'approche certaine de la mort pour changer. Je dépose mon fardeau et siffle sur la route en cet instant d'éternité.

 

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jeudi, 12 mars 2015

Vivre nos métarêves

Contenter suffisamment les gens ou les pousser à la révolte ? Si une société, ou des parents, imposent un modèle de réussite, invitent les gens à s'y conformer, les jugent en fonction de leurs résultats, mais que dans les faits, ils ne leur donnent pas les moyens de parvenir à ces résultats malgré leurs efforts, la situation devient tendue.

En tant que parent, ami, groupe, patron, si l'on veut que dure son pouvoir et plus largement sa puissance, il faut que la grande majorité des personnes sous notre houlette soit capable de s'insérer dans le système d'une manière satisfaisante tant sur le plan des moyens que des résultats. Sinon, c'est la pagaille, puis la révolte, sire, et bientôt la révolution. 

Mais quand on est l'individu qui subit une incapacité d'accomplir à la fois ce qu'il voudrait et qui est attendu de lui ?

L'homme qui voulait s'adapter et réussir dans ce monde se voit contrecarré malgré ses efforts, et considéré comme inférieur de ce fait. Dès lors, il n'a plus que des choix sombres ou éthérés : fuir dans le rêve en fournissant le minimum syndical du quotidien ; brûler sa vie dans la révolte individuelle ; fomenter une révolte collective avec des camarades pour renverser le système qui les a trompés ; ou se réfugier dans la morale, une morale au sein de laquelle il a un beau rôle, noble bien que non reconnu par la société (une morale teintée d'aigreur).

Face à une société dans laquelle d'autres semblent se déployer à merveille alors que soi-même, on rame, que faire ?

Se sacrifier est dommage... Même si ce peut être romantique, esthétique et fulgurant, l'individu qui grille sa vie par désespoir souffre tant que ce n'est pas vraiment une « solution ».

Fomenter une révolte collective demande à ce qu'on trouve un groupe adapté dans lequel on a une place qui nous convient. Dès lors, on peut gagner ou perdre, au moins la punition et la récompense seront collectives, et même s'il y a opprobre de la part de la majorité, le rebelle reste un homme intégré au sein de la rébellion.

Fuir dans le rêve en assurant le minimum syndical de l'adaptation ressemblerait à un suicide doux (alors que la brûlure de sa vie en serait un violent)... 

Se réfugier dans une morale sclérosante, mais rassurante, qui permette d'excuser ses échecs et de les justifier, est une solution qui fait mener à l'individu une vie de seconde zone, de moindre importance, puisqu'il renonce à ses rêves sociétaux mais aussi à ses rêves intérieurs ; en quelque sorte il renonce à sa puissance personnelle.

Si l'on ne choisit pas la voix rebelle collective, que l'on ne veut pas détruire sa vie que ce soit lentement ou en la grillant en un temps record, que peut-on faire ?

D'une part, définir ses métabuts, c'est à dire se demander ce qu'apportent les résultats qu'on aimerait (et ne parvient pas à) obtenir, en extraire l'essence au delà de la forme et trouver d'autres moyens d'y parvenir.

Ce n'est pas la richesse qu'on cherche réellement, car si on vivait dans un monde où un compte en banque n'a aucune valeur, mais posséder un maximum de vers de terre et avoir de gros piercings ouvrent toutes les portes, on serait prêt à échanger tous nos millions pour obtenir des vers et se percer la peau. Que cherche-t-on alors à travers la richesse ?

Il faut creuser de même pour tous les buts.

Dans notre société, qu'est-ce que les gens cherchent à tout prix à atteindre ?

De l'argent, une maison, passer des vacances ailleurs que dans cette maison, un entourage, dont des enfants, et une reconnaissance sociale, c'est à dire que les inconnus comme nos proches nous voient et se disent : ah ! Celui-là a assurément de la valeur !

Mais si notre argent nous fait passer toute notre vie en prison, ou que notre maison reste vide car ceux avec qui on voulait la partager n'y viennent pas, ou que nous passons des vacances sur une île de rêve en crevant de mal quelque part dans notre corps ou notre âme toute la journée, ou que notre entourage nous hait, ou que nos enfants nous font regretter de les avoir mis au monde dans notre for intérieur, ou que face à tous ces inconnus ou ces proches qui nous croient au sommet, nous n'avons qu'une seule peur, c'est qu'ils se rendent compte que ce n'est pas le cas, alors dans ce cas, ni l'argent, ni les vacances, ni l'entourage, ni les enfants, ni la reconnaissance d'autrui de ne nous est du moindre secours, et on serait prêt à échanger de vie avec quelqu'un qui n'a pas cet argent, ni ces vacances, ni ces enfants, ni cet entourage, ni cette reconnaissance.

Ce n'est donc pas l'argent que l'on cherche dans l'argent, ni la maison que l'on cherche dans la maison, ni les vacances que l'on cherche dans les vacances, ni la p/maternité que l'on cherche dans les enfants, ni la reconnaissance que l'on cherche chez autrui.

Dans l'argent on cherche à ne plus éprouver le manque la frustration, mais au contraire à ressentir la complétude, l'abondance, la satisfaction.

Dans la maison, on fuit la peur de la rue, du froid, de l'insécurité, des agresseurs violents, et on cherche une sentiment de sécurité, un confort de vivre, un repos du corps et du cœur.

Dans les vacances, on cherche à sortir de l'horreur du quotidien, à sentir son corps vivre, mais aussi à montrer aux autres que l'on n'est pas attaché à son étable et que s'ouvre à nos pas alertes le vaste monde accueillant.

Nous souhaitons un entourage pour pouvoir être aidé dans les choses nécessaires pour lesquelles nous sommes nuls, pour avoir quelqu'un à qui parler, avec qui partager les bonnes nouvelles et le poids des fardeaux de la vie.

Nos enfants sont là pour nous montrer que notre vie ne passe pas pour rien, que si nous vieillissons, eux au moins sont jeunes et nous donnent un peu de leur jeunesse, que lorsque nous achetons un meuble ou une maison, cela ne sera pas jeté aux ordures ou vendu par des inconnus après notre décès, mais que cette trace de notre vie, de nos choix, restera parmi ceux que nous avons mis au monde et qui y seront toujours.

La reconnaissance d'autrui, elle est là pour nous rassurer : nous ne sommes pas le paria sur lequel on crache en passant, ni l'infime avorton dont personne ne pense rien, dont personne ne dit rien, et dont l'existence n'a aucun impact. Dans cette reconnaissance extérieure nous cherchons donc la preuve de l'importance de notre existence.

Nous cherchons donc, pour la plupart d'entre nous, à ressentir au tréfonds de notre être un sentiment de complétude, d'abondance et de satisfaction. Nous désirons nous sentir en sécurité, et pouvoir reposer en paix notre corps et notre cœur. Nous voulons évoluer en liberté dans l'espace comme dans la pensée, et partager nos joies et nos peines en confiance avec nos semblables. Nous voudrions que nos actes quotidiens ne soient pas vains ; que la graine que l'on sème ait un avenir en dehors de notre infime passage terrestre. Nous désirons sentir que notre vie ici et maintenant est importante, autant que celle d'une étoile ou d'un chêne magnifique.

 

Et bien souvent, au lendemain de nos batailles, qu'on les gagne ou qu'on les perde, on se retrouve assis sur les marches de l'incrédulité, encore instable, encore étonné que tous ces efforts et toutes ces pensées n'aient mené qu'à un renouvellement de la peur et de la frustration. 

Il suffirait peut-être de descendre souffle par souffle au lieu où dort la paix.

 

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mercredi, 11 mars 2015

Nus pieds sur un rêve

Je sais que le désir est une bête insatiable aux tentacules innombrables. Aussi, en premier lieu, j'expurge de mon être l'insatisfaction qui hante et l'envie qui ronge.

Comme en revanche, on peut sans dommage, tisser son rêve comme une toile sur les parois indifférentes de la vie réelle, je songe à ce que pourrait être demain - le prochain aujourd'hui.

Il y aurait une maison pourvue d'un jardin assez grand pour la liberté des chiens, duquel on verrait les innombrables étoiles du tapis de la nuit.

Un fil tendu entre deux arbres pour nos tentatives de marcher sur les airs et de toucher le ciel.

Nos chansons pour saluer l'aube et accueillir le soir.

Une vie de baladins, un campement de fortune sans cesse recommencé, au même endroit. 

mardi, 10 mars 2015

Latitude : ad majorem mundi gloriam

Quai du RER à Magenta

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Paris, 10 mars vers 16h. Quai de RER E - PARIS/Magenta Phot. Sara

 

"Tout à l'heure, quai du RER à Magenta, des seaux pour recueillir l'eau qui tombe du plafond. Comme dans les vieux châteaux en ruine…"

Une correspondante d'AlmaSoror

Narcose !

Empires administratifs et politiques, vous êtes morts. Vos fantômes exercent encore leur pouvoir métallique sur nos corps mais nos esprits sont tendus vers l'ailleurs. Vos chaînes sentent sous leurs poids notre peau vibrer d'un autre bonheur, que vous ne connaissez pas. Vous serrez les vis, nous fumons le grand joint de la liberté. Même nos corps échappent à votre puissance nécrosée, quels que soient les outils avec lesquels vous tentez de nous détruire. 

Car nous sommes le peuple de l'amour, de la foi, de la liberté. 

Entendez-vous ces murmures incessants qui se mêlent aux chants des oiseaux, aux cadences des vagues ? C'est le son magnifique de notre prière, dont vous ne connaissez ni la grammaire spirituelle, ni le lexique divin. Tout ce qui vibre échappe à vos sondes performantes.

Narcose ! Narcose ! Narcose ! Ivresse des profondeurs, aucune machine technique, aucun ordre humain ne pourra jamais décrire tes délires !

Nous sommes ivres de vie et nous échappons à vos organisations. Le monde que vous dirigez est mort. Vous ignorez toute vie réelle, vous en sentez parfois une trace, vous tentez de l'attraper, c'est impossible. 

Notre Nouveau Monde est inaccessible à toute personne avide de domination. Il est fermé à tout être n'ayant pas exterminé en lui les miasmes d'hypocrisie. 

Empires, votre mort invisible n'empêche pas vos drapeaux de flotter. 

Notre peuple libre exerce sa puissance imaginaire à des milliards d'années-lumière de l'air vicié sur lequel vous croyez encore régner. 

Ah ! je ris de me voir si libre en ce miroir scintillant d'horizons !

lundi, 09 mars 2015

Latitude : Fissures

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