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mercredi, 17 décembre 2014

Zone commerciale

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Une femme attend debout au milieu de la zone commerciale. Son regard mouillé embrasse les parois du restaurant macdonald. Elle attend un petit garçon qui déjeune en compagnie de son père et de sa belle-mère. Elle lui avait promis un déguisement de superman : elle ne l'a pas. Elle sait qu'elle attendra longtemps, que c'est fait exprès. Les gens disent "c'est injuste : la garde est toujours donnée aux mères". Elle ne répond rien. Elle attend dans le froid et elle serre ses doigts à l'intérieur de son poing.

mardi, 16 décembre 2014

France-Maroc-Mali - XVII ème siècle

à propos de la dédicace qui eut lieu à l'Institut du monde arabe samedi dernier (13 décembre 2014) à Paris, voici ce qu'annonçait le site :

Sarah Rolfo

Le mot de Sarah Rolfo :

Dans ce bel album, nous suivons avec beaucoup d’émotions Paul Imbert, marin français dans ses péripéties depuis les dunes des Sables-d’Olonne à la cité de sable de Tombouctou. Nous sommes au XVIIe siècle, Al-Andalus a été reconquise par les Espagnols et les Maures d’Espagne se sont réfugiés au Maroc. Certains se livrent au pillage des navires pour le compte de princes marocains. L’équipage du capitaine Imbert croisera leur route. Il se battra vaillamment, mais l’issue est fatale. Les hommes du capitaine Imbert feront leur entrée dans la somptueuse Marrakech les chaînes aux pieds pour être vendus comme esclaves. Respecté et apprécié de son maître, Paul Imbert accompagnera ce dernier dans son voyage à Tombouctou, devenant ainsi le premier Européen à découvrir cette ville. Le sujet est traité avec érudition par l’auteure qui s’est abondamment documentée sur le sujet pour nous faire le récit de ces événements. De magnifiques illustrations accompagnent un texte écrit dans un style qui rappelle la langue de l’époque.

Description de l’ouvrage
Titre : L'homme des villes de sable
Edition : Chandeigne, 2014
Genre : Album
Prix : 20 €

 

 

La domination intellectuelle en douceur

En 1928, Edward Bernays, fils de la soeur de Freud et du frère de la femme de Freud, publie un ouvrage intitulé Propaganda. Il y distille l'art et la manière de manipuler les peuples, en faisant croire à chaque individu d'une masse qu'il pense par lui-même. Fervent défenseur de cet art, Bernays le théorise et l'applique à la fois. 

Aujourd'hui, nous sommes gouvernés comme des pions. Nous faisons des choix dictés par quelques décisionnaires, mais nous pensons que nous sommes libres. C'est pourquoi il est intéressant de lire Propaganda. La collection Zones propose ce texte en ligne, précédé d'une préface du québécois Normand Baillargeon.

 

"La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays.

Nous sommes pour une large part gouvernés par des hommes dont nous ignorons tout, qui modèlent nos esprits, forgent nos goûts, nous soufflent nos idées. C'est là une conséquence logique de l'organisation de notre société démocratique. Cette forme de coopération du plus grand nombre est une nécessité pour que nous puissions vivre ensemble au sein d'une société au fonctionnement bien huilé.

Le plus souvent, nos chefs invisibles ne connaissent pas l'identité des autres membres du cabinet très fermé auquel ils appartiennent.

Ils nous gouvernent en vertu de leur autorité naturelle, de leur capacité à formuler les idées dont nous avons besoin, de la position qu'ils occupent dans la structure sociale. Peu importe comment nous réagissons individuellement à cette situation puisque dans la vie quotidienne, que l'on pense à la politique ou aux affaires, à notre comportement social ou à nos valeurs morales, de fait nous sommes dominés par ce nombre relativement restreint de gens – une infime fraction des cent vingt millions d'habitants du pays – en mesure de comprendre les processus mentaux et les modèles sociaux des masses. Ce sont eux qui tirent les ficelles : ils contrôlent l'opinion publique, exploitent les vieilles forces sociales existantes, inventent d'autres façons de relier le monde et de le guider."

Edward Bernays, IN Propaganda, 1928

 

Sur AlmaSoror, on peut aller visiter le billet intitulé L'accent d'une pensée, ou encore Moineville, la ville des écrivains

Mais aussi Les dictatures douces, ainsi que Votre témoignage et Consciences silencieuses

Au bord de la D 85 un an après

 

Un blues lascif pénètre tous les espaces du bistrot à cheval entre une ville de province et sa campagne agri-industrielle. Un couple improvise une valse quelque peu mâtinée de tango. Je me souviens de la fête : c'était l'année dernière. Un océan de mojito baignait les âmes et les corps. Des lumières bleues et rouges clignotaient autour des canapés et de la baie vitrée. La nuit dansait, la poudre tournait, les douleurs administratives et sociales s'évaporaient. C'est comme si c'était la même trompette qui pleure aujourd'hui sur le silence et qui pleurait alors sur le bruit. Ce soir-là, tes yeux brillait. Ce jour-ci, tu n'es plus là. La percussion de mon cœur, depuis l'annonce de ton départ, joue moins en rythme. Des enfants passent dans une voiture, ils nous font des signes de la main. De vieux messieurs, ici, finissent leurs bières. Moi j'écoute la musique et je ne bois plus rien. Mon café refroidit sous mes yeux embués par le froid. Il faisait chaud l'année dernière, dans l'appartement de la fête. Tu dansais. Tu riais. Tu te fâchais. Tu ressemblais à l'éternel jeune homme. Je te regardais et je ne savais pas ce que tu pensais.

Tu ne pensais rien : tu dansais. Nous dansions sur le fil d'une vie sans savoir l'heure ni le jour. Une autre voiture passe sur la départementale D85 et je ferme les yeux. Je pense à toi une dernière fois.

 

jeudi, 11 décembre 2014

La sonate du remord

J'ai commis de grands crimes et je ne l'ai dit à personne. Il ne se traduisaient pas en sang, ni en déchirures visibles. Mais ils firent souffrir plus que je ne l'ai su. Comment se supporter soi-même, après avoir accompli tant d'outrages ? Croyez-vous que je le voulais ?

Non.

Je voulais faire le bien autour de moi ; que mes proches s'épanouissent en ma présence ; qu'ils se sentent vivifiés par mon amour.

J'ai déchiré des cœurs. J'ai lacéré des âmes. J'ai éteint tout espoir au sein de quelques êtres.

Seigneur, si vous existez, pourrez-vous me pardonner ? Le pire est sans doute que vous n'existez pas. Or, si vous n'êtes pas là pour réparer les blessures par moi occasionnées, qui donc pourra soulager mes victimes ? Voilà où mène l'intempérance. Voilà où ma propre douleur m'a mené : à être celui que je voulais à tout prix éviter d'être.

Ainsi parle le pécheur, qui a vécu dans la nuit obscure de sa colère. Il a voulu pardonner : il n'a pas su. Il a voulu aimer : il n'a pas pu.

 

Instances entre des silences

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Il faudrait encore bouger, il faudrait encore sentir, il faudrait encore chanter...

Bords d'Atlantique

 

Grand soleil sur la ville à moitié morte ! Picotements de vents ici et là, la tôle des gouttières tremble doucement. Tiédeur, d'où viens-tu ? Tu te mêles à la fraîcheur et vous formez ensemble l'atmosphère la plus étrange des vingt dernières années. Comme je t'aime, ville ouverte sur l'Atlantique ! Même si tu as perdu jusqu'à ton nom, ton histoire et ton blason. Une voix de basse canadienne murmure un rock traînant dans un électrophone des années 1980. Le XXI ème siècle s'est ouvert depuis quelques années déjà, mais qui peut nous parler d'un projet collectif ? Marxisme et catholicisme se font la guerre sur les étagères d'une vieille école abandonnée. Un moine sans habit se souvient de l'époque où tout tenait encore debout : l'aventure, la structure. La mission donnait peu de moissons mais le tracteur suivait sa course à travers les saisons. Je me réjouis tellement d'être vivante que j'ai peur de mourir d'éclats de rire. Une boisson pétillante sur un rayon abandonné ; un téléphone achevé au poignard ; il ne reste alentour que ruines et liberté. J'ai connu des gens, j'ai eu des amis. Ces éléments appartiennent à l'histoire trépassée.

 

mercredi, 10 décembre 2014

Les saccages

Vous qui souhaitez peut-être, par un soir de dépit, rejoindre la cohorte des saccageurs et des saccagés, voici quelques  conseils de base.

Pour détruire votre santé, commencez par vous laver le moins possible. Buvez énormément d'alcool, mangez des aliments gras, sucrés et chimiques. Dormez de façon aléatoire et déstructurée. Que vous dormiez peu ou beaucoup, l'important est de casser tout rythme de sommeil qui aurait tendance à s'installer. N'oubliez pas de vous exposer le plus rarement possible à la lumière, ainsi que d'écouter de la musique extrêmement fort, pourquoi pas avec un casque afin que vos oreilles reçoivent directement toute la force du son. Droguez vous ici et là, sans faire attention à la qualité des substances. Prenez des coups de froid en ne vous couvrant pas lorsque la température baisse. Passez de longues heures face à la télévision ou à l'ordinateur, assis d'une façon qui vous créée des problèmes musculaires et osseux. Avachissez-vous autant que vous le pouvez. Ne faites jamais de sport, menez des jours mous et soyez flasque.

Pour rater sa vie financière, il suffit souvent de dépenser sans compter pour des choses inutiles, le plus souvent possible. N'encaissez pas d'éventuels chèques que les gens signeraient en votre faveur. Détestez l'argent, et surtout, ignorez votre banquier ou, même, agressez le régulièrement. Méprisez toute idée de gestion intelligente de l'argent.

On peut se rendre la vie affreusement désagréable en étant de fort mauvaise humeur dès le matin. Le long du jour, maintenir un haut état d'irritabilité, se concentrer sur les problèmes plutôt que sur les événements qui se passent bien, et prendre soin de gâcher systématiquement les petits plaisirs quotidiens et les beautés qui surgissent au fil du temps. Mépriser les gens que l'on rencontre, détester toutes les choses que l'on doit faire, être désolé de se trouver là où l'on est, n'avoir aucun espoir que les choses s'améliorent. Mépriser les gens simples et bons, et toujours opter pour des comportements régis par l’intempérance et la brutalité.

Afin de vous assurer une vie sociale désastreuse, quelques techniques simples fonctionnent à merveille. Parlez très fort, de vous surtout, sans jamais écouter les autres. Ou bien, si cela est plus facile pour vous, taisez-vous en toute circonstance : prenez l'air fermé et détournez-vous de ceux qui vous adressent la parole. Mentez autant que possible ; dès que l'occasion se présente, faites preuve de radinerie. Affirmez votre cynisme, votre mépris, faites peur. Soyez arrogant, discourtois. Polémiquez sans réfléchir et montrez votre exaspération. Faites honte à d'éventuelles personnes assez motivées pour vous accompagner quelque part ou vous présenter à leurs proches, en vous tenant particulièrement mal. Enfin, refusez toute joie collective, opposez-vous à toute forme de consensus.

Au cours d'une histoire d'amour, n'accordez aucune attention à la personne qui vous accompagne ; montrez lui qu'elle vous fait honte et que vous trouvez ridicules ses idéaux et ses projets. Soyez méchant quotidiennement envers elle. Refusez tout romantisme, refusez toute sexualité ou alors seulement lorsque cette personne n'en a strictement pas envie. Faites des reproches, critiquez ses amis, sa famille. Soyez susceptible : prenez très mal la majorité de ses réflexions. Grâce à une hygiène désastreuse et à une vulgarité déployée, soyez le moins séduisant possible. Mentez-lui, trompez-la, draguez ses amis et harcelez-la de vos reproches.

Pour compléter ces quelques idées saccageuses, disons que pour aller dans le mur sans hésitation, il ne faut surtout pas savoir ce que l'on veut accomplir, ni dans quelle direction l'on souhaite orienter notre vie. On peut s'entourer de gens mous, inactifs, versatiles et sales, et faire fuir toute personne responsable et généreuse, en déployant sans cesse un énorme ego, mais aussi en aidant ses proches à sombrer dans des ornières dont ils ne se relèveront pas. Se dénigrer et dénigrer autrui, ne pas supporter la présence d'une personne plus douée que soi, ne jamais accepter la remise en question personnelle permettent d'accélérer la chute. On peut aussi se plaindre constamment, consacrer le plus clair de son temps aux choses futiles, vaines, mesquines, se complaire dans la souffrance croissante et se sentir tellement coupable de tout cela que, condamné d'avance par le dieu intérieur de son âme, il ne reste plus qu'une solution : tomber encore plus bas.

Détestez ceux qui vous aiment, et si vous devez accorder votre affection à des êtres, assurez-vous à l'avance qu'ils vous veulent du mal.

Ces quelques conseils, appliqués consciencieusement, donnent des résultats miraculeux.

mardi, 09 décembre 2014

La maison du fleuve

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Est-il possible que je vive désormais dans cette petite maison d'une ville au bord du fleuve ? ce fleuve dont, il y a trois années encore, j'ignorais le nom. L'existence d'un fleuve est la preuve de la possibilité du mouvement, c'est la philosophie qui m'échoit aujourd'hui que roucoulent à mes volets les tourterelles qui ne connaissent pas la peur de l'hiver.

J'ai voulu rater, il y a longtemps, ma vie et celle de ceux qui m'entouraient. J'ai noyé mes enfants sous le flot d'une souffrance, d'une violence dont je ne connais ni la cause, ni l'origine, que j'ai eu en partage avant même le jour de ma naissance. J'ai dit non aux présents que la vie m'offrait, j'ai renvoyé dans leurs ornières les gens qui m'apportaient des coups de main et des sourires. J'ai mangé dans une écuelle quand l'assiette m'attendait dans l'armoire, j'ai nourri mes petits de vers et de miasmes quand ils rêvaient de chips et de carottes tendrement préparées. J'ai gâché toute chance, j'ai salué d'un ricanement méchant chaque jour qui se levait.

Jusqu'au jour où la fatigue m'a pris.

Comme était belle, ce soir là, la vague bleutée qui déferlait sur le parking du centre commercial. C'était la robe du soir qui s'étalait sur les capots des voitures, les tôles des magasins, les sols de macadams. Un homme et un chien passaient, au loin, sous la barrière. Comment me suis-je laissée aller à la contemplation de la beauté ? Je ne sais.

Le lendemain, commençait la vie qui m'a menée ici. Une vie presque facile, où l'on glisse au fil des jours sans s'en faire des soucis et des écueils. Vrai, j'avais trop ramé.

Maintenant, je ne commets plus d'imprudence, ni d'impudence. Je ne cherche plus qu'à voir passer les enfants, les oiseaux et les chats, le long du chemin de la rive aménagée. Le fleuve nourrit mon songe et j'ai honte d'avoir détruit ceux que j'avais mis au monde. Où sont-ils aujourd'hui ? Le soir, j'allume cinq petites bougies, une pour chacun, et je les regarde se consumer en rêvant aux endroits où ils pourraient être... Peut-être.

Voyage dans les villes du bord du fleuve

(...) Le blogueur rentrait sous la pluie, les mains dans ses poches et son téléphone androïde qui ne sonnait plus encastré dans une des mains. Il passa les trois porches de la ville morte, le porche des Arcs, la rotonde des Frères Farouzot et le portique de VillaBar. Les escaliers du vieux quartier de Lune-Molle glissaient et il pataugea dans une flaque presque transparente. Il visualisait la poussière de sa chambre, le vide de ses années estudiantines, les rêves amoureux tant caressés aux premières lueurs de l'âge adulte. Il se remémorait plusieurs aurores qui l'avaient fasciné, aurores connues au cours des nuits blanches de désobéissance. "Fraternité" était le mot qu'il aurait voulu mieux connaître ou reconnaître. Lui, et les autres passants de la ville-pluie, ressemblaient à des cavaliers courageux et misérables, orphelins de cheval, dénués de projet, emplis d'un fou désir de vivre une aventure où le ciel déploierait ses instances et ses invites. Il rentrerait quand même chez lui tout à l'heure, fin d'une promenade en solitaire à travers les routes de béton jonchées de poubelles et les voies de terre bordées de peupliers.

Il bloguait tous les jours vers sept heures du soir et l'angoisse du blogueur le tenait dès le début d'après-midi, quand il se demandait ce qu'il posterait de nouveau sur le blog du Maître de Ravenswood. Écrire, filmer, photographier, parler, chanter, recopier, mélanger tout cela en un coquetel apéritif que des lecteurs anonymes et inconnus attendaient peut-être.

La pluie cessa : une éclaircie traversa le ciel qui se para d'une brillance propice à l'exultation intérieur. L'air devint frais. La rue des Loups et son antre de blogueur isolé n'était plus loin. Quelques enjambées l'amenèrent à sa porte. Avec amour il constata qu'il restait du bon café de Harar dans sa cuisine bienveillante. Il en poussa la porte grinçante, heureux déjà de, bientôt, poser ses lèvres sur la tasse bien chaude qu'il allait préparer. (...)

2011

        - M Dupondt

lundi, 01 décembre 2014

Nos vanités

 

« La gloire d’un homme, non moins que son crédit, non moins que sa fortune, est susceptible de grandir ou de diminuer sans changer de nature. Elle est donc une sorte de quantité sociale. Il serait intéressant de mesurer avec une certaine approximation, moyennant des statistiques ingénieuses, pour chaque espèce de célébrité, cette quantité singulière. »

Gabriel Tarde, IN Psychologie économique 1902

 

Quelques ouvrages de Jean-Gabriel Tarde sont disponible sur le site de l'Université du Québec à Chicoutimi.

Ailleurs sur AlmaSoror : Edmond Goblot et la distinction sociale

vendredi, 28 novembre 2014

Same town, new story

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Les heures passent lentement ; l’atmosphère du jour se tamise. J'ai laissé depuis maintenant plusieurs mois la grande ville où dans les salons les histoires de demain se fomentent et j'ai laissé ce matin les étangs, les prairies, les bois. Avant l'aube un camion attendait devant la double-porte de la maison basse. La route fut courte et ne ressembla pas à la route de Kerouac, à cause du GPS et d'un rendez-vous précis, mais à l'heure dite j'étais assise dans un train qui m'emmenait où je suis maintenant. Same town, new story : c'est la même petite ville de l'Ouest, où s'ouvre une histoire qui ne recommence pas. J'ai failli ricaner en ressassant les comportements des uns, des autres : et puis je me suis souvenue : l'histoire ne recommencera pas.

L'histoire ne recommencera plus jamais : je laisse le passé s'envoler au vent mauvais, au vent trop frais, au vent qui passe. J'appelle une femme : elle est danseuse. Je lui parle un long moment. J'écris par voie de mail à un ami qui vit dans une cité nordique. Je lui envoie quelques pensées et une électrobise.

Combien encore d'heures, de jours, d'années à vivre ? Peu importe, si chaque respiration me rapproche de mon âme.

Étonnante vie humaine de ces premières décennies du XXIème siècle, accaparée toute entière par des à-cotés et des contrebas, des détours et des réflexions parallèles.

J'aime des personnes à qui je n'écris jamais.

mercredi, 19 novembre 2014

Latitude

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Pont routier à Saint-Christophe du Ligneron

Latitude : autobiographie du regard

mardi, 18 novembre 2014

Encore un adieu

 

Affreuses visions de l'hôpital, des parkings, des aides-soignantes qui se traînent dans les couloirs glauquissimes, tragique transformation de Carmina pourvue d'une perruque blonde, maigre comme un clou, décharnée, la peau du visage et du corps jaune, allongée sur son lit, la voix un peu changée, pâteuse. Il y avait ses deux filles Gudule et Cléo, gentilles avec leur mère, ayant laissé leur dureté habituelle aux portes de la chambre, conscientes sans doute qu'il n'y a plus le moindre espoir. Je suis rentrée avec elles en voiture et nous n'avons touché mot du drame qu'elles vivent, que vit leur mère, nous riions de rien et de tout dans les embouteillages de Vertou. Oh mon Dieu notre siècle est celui des camps de concentration, hôpitaux, prisons, barres HLM, notre siècle est celui de la déshumanisation du monde et des fous rires dans des voitures payées à crédit.

Lorsque nous nous levâmes pour partir, Carmina se mit à sangloter. Puis, devant nos consolations fades, devant l'inanité de ses larmes, devant l'absurde fatalité de la situation elle a cessé de pleurer. Nous l'avons laissée seule face au plateau repas médiocre apporté par l'hôpital. Nous ne parlons pas en vérité de la mort, nous n'en parlons jamais alors que chacun y pense. Cette omission grande comme le néant empêche un vrai contact.

Là voilà, cette manière de mourir que chacun veut éviter et vers laquelle tant d'entre nous se dirigent. Une mort non choisie, (mal) administrée.

J'en suis hébétée.

Voir de suite la mort en face permettrait d'éviter cette lente déchéance sans paroles. Accepter l'arrivée de la mort la rendrait plus douce, plus vraie, plus tangible. Un adieu paisible serait possible.

Mais nous allons voir Carmina, nous savons qu'elle va mourir et ne lui disons pas Adieu parce que ce serait mentionner la mort, avouer qu'il n'y aura pas d'autre issue, et cette vérité là n'a pas sa place dans cette triste histoire...

Nous retournons dans la ville de Nantes, la laissant seule et jaune, dans sa chambre isolée et jaune, au milieu d'aides-soignantes, la plupart immigrées, qui lui parlent sans intérêt, sans gentillesse, qui ne sont là ni par dévotion, ni par morale, mais pour toucher leur salaire, sauf certaines qui sont un peu plus gentilles, un peu plus conscientes.

Ses filles retrouvent leurs maris et leurs enfants et j'hésite entre une soirée politique ou un bar lesbien pour oublier les détails techniques de la chambre 413. Elle s'éloigne de nous tandis que nous nous éloignons d'elle, si vivants, pour manger, boire, marcher sous le ciel de la ville, et ripailler loin des mourants. Et je pense à Paul-Jean Toulet, au poème qu'il écrivit le dernier jour et que la mort interrompit :

Ce n'est pas drôle de mourir

Et d'aimer tant de choses

La nuit bleue et les matins roses

Le verger plein de glaïeuls roses

L'amour prompt

Les fruits lents à mûrir...

Enfance, cœur léger.

 

Carmina, tu étais pétillante. Tu étais violente et méprisante, et drôle quand même quand tu laissais tout aller et que tu faisais la fête. Tu étais belle et pimpante le dimanche, et soudain glaciale comme une bourgeoise plus riche que nous, et à nouveau charmante, le verre à la main, entonnant une chanson, t'agitant dans un débat politique. « Je suis l'homme de la rue, je pose une question comme ça ! » crias-tu un jour à un amiral qui sourit, désarmé par ta faconde baroque, et nous rîmes tous. Ce soir, je suis chez moi devant mon ordinateur, la musique tourne, j'ai bien bu et mangé et je t'ai laissée seule, douloureuse, souffrant, pleurant, t'enfermant dans une bulle parce que ta prison t'a ensevelie, qu'il n'y a plus d'espoir pour toi, seulement de temps en temps des baisers de tes filles. Tout s'est effondré dans ta vie, ton mariage et ta santé. Nous avons vécu les uns à côté des autres, et tu t'en vas ?

Oui, tu t'en vas, et nous nous en irons tous à notre tour.

Hier soir à l'hôpital il y avait tout de même la beauté de la nuit sur le béton des villes de l'Ouest, la beauté des lumières des réverbères sur le toit des bâtiments, l'étrangeté nocturne qui dissipe la cruelle criardise du jour. L'allée le long de l'hôpital fut cinématographique.

 

 

("Une âme ne peut donner aux autres que du trop-plein d'elle-même, que le surplus qui lui est donné.    On ne peut faire aimer l'Amour que dans la mesure où on le possède, comme on ne peut rayonner que si on porte en soi la Vérité, qui est la Lumière". Marthe Robin)

 

 

Sur AlmaSoror

L'échec social par Philippe Ariès

La ville de perdition par Axel Randers

mardi, 11 novembre 2014

Entre deux sentiments

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Nostalgique tristesse des jours de pluie ; langueur envahissante des jours fériés. Il ne m'a pas suffi pour apaiser l'ennui vague, de marcher sur l'herbe humide à quelques pas de la maison. Évidemment, quand la lecture ne se laisse pas prendre, quand l'ordinateur fatigue les yeux, quand l'autre ou les autres vaquent à leurs occupations diverses, une sorte de vide émerge, prend forme, grossit comme un nuage. Voluptueux, sans joie ni douleur, le rien s'installe au creux du temps qui passe. Un air de piano très bas coule des baffles et ne berce aucune pensée précise. Dans l'autre maison, un gâteau au chocolat sur la table attend qu'on le finisse ; un bébé rit et pleure alternativement ; un fils remue sans conviction les bûches dans la cheminée ; une femme soupire sans bruit. Son mari lui paraît à la fois un ami sur lequel on peut compter et un étranger qui la dérange. Sa fille ressemble étrangement à celle qu'elle était il y a trente ans, berçant l'enfant contre son cœur et ne se doutant pas qu'aucun échelon monté n'éteint la monotonie de vivre. Comme les gens du bourg doivent s'ennuyer aujourd'hui, autant que nous, se dit-elle. Qui peut savoir ce qui se fomente dans les maisons des autres ? Le cortège de cumulus nimbus défile comme les officiels dans les cimetières, en ce 11 novembre qui ne nous dit plus grand chose de poignant sur l'histoire. Un blouson de cuir suspendu à la porte rappelle les temps de vache maigre où l'on se l'était acheté – une folie. Le grand fils n'appelle plus désormais qu'une fois par mois. Et pourtant dans cette lassitude triste et douce, il y a comme un pincement de joie et de douleur, imperceptible, au fond de notre ennui.

 

(Sur AlmaSoror : Mélancolie)