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vendredi, 06 juin 2014

Le groove dans l'écriture – le groove dans le blog

 

Au menu :

Qu'est-ce que le groove
Chemins de l'Ostinato
O ! Tempo rubato
Blog & groove
Nerfs et mollesse
Destins
Quelques questions infiniment liées à la question du groove

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C'est compliqué de trouver son style dans la vie comme dans l'écriture.
On peut tout au moins trouver le groove idéal, ou, s'il n'existe pas, un groove évolutif.

 

Qu'est-ce que le groove ?

C'est un mot de la langue anglaise d'Amérique. Groove, en nom commun, signifie sillon ; en verbe, s'amuser. Comme le fil d'un scénario nous aide à supporter le silence des images d'un film, le groove fait partie de notre vision moderne qui ne supporte pas ce qui ressemble à l'ennui (l'attente, la lenteur). Le groove est ce qui permet au public de ne pas s'ennuyer, de ressentir intérieurement le rythme propre à la musique et d'être porté par lui. Traditionnellement, lorsqu'on parlait du rythme (l'enchaînement des longueurs des notes), du tempo (l'allure) d'une musique, on parlait de la structure musicale du morceau ; tandis que le groove implique la sensation éprouvée tant par le musicien que par l'audience. Le groove d'une musique est lié au rythme qui unit, non pas les notes entre elles, mais les cœurs des participants à la musique, qu'elle soit « vivante » ou enregistrée. Le groove unit la musique à ceux qui l'écoutent.

(à cet instant, je fais une pause. Je me souviens d'une scène vécue dans une ville péruvienne ; je revis une traversée interminable du quartier Etienne Marcel à Paris ; j'entre en pensée dans ma jeunesse. Je revois des visages, des situations. Imaginez une histoire d'amour entre un chanteur agressif de métal et une fragile fleur de la chanson romantique. Il impressionne, voire, il fait peur, physiquement, par sa stature et son air patibulaire. Elle, fêle, ses grands yeux et sa toute petite bouche, elle inspire la tendresse protectrice à ceux qui la croisent dans la rue. Ils se connaissent. Ils se fréquentent. Ils s'aiment. Ils ne s'entendent pas. Elle le détruit avec dextérité et tout le monde la plaint. Forcément : les apparences lui donnent raison. Ou la fragilité n'a pas toujours le visage qu'on croît. Et tout cela, sous la forme d'un conte de Perrault, avec une morale finale. Mais cette parenthèse devrait être fermée depuis longtemps déjà).

Qu'est-ce qui restera dans les mémoires de ceux qui viennent après des musiques qu'on écoute sur les routes de la pluie, des musiques du doute, des musiques de l'oubli ? C'est ce que nous cherchons à découvrir. Le groove nous emporte, mais le groove n'est-il pas un piège ?

 

Chemins de l'Ostinato

Il faut savoir se perdre au tendre fil du tempo d'un autre âge, d'un autre pays. C'est le moyen le plus doux de connaître l'amour et de tromper l'ennui. Mais ce qui nous guette, qui est aussi ce par quoi nous désirerions être pris, c'est l'ostinato, la ritournelle lancinante, trop fascinante pour s'apparenter à l'un de ces virus auditifs qui hantent notre tête et l'agacent. Un ostinato hante et harcèle sans agacer, sans lasser, parce qu'il parle à quelque chose en nous que nous aimons et que nous voudrions mieux connaître.

 

O ! tempo rubato

Quand finalement l'ostinato s'en va, les mesures se suivent et ne se ressemblent plus. Le temps volé ne se fait plus répétitif, il altère la monotonie, il prend l'oreille par surprise, il varie les nuances et créée ce joli décalage entre la voix et la musique, entre l'instant qui passe et l'atmosphère du monde présent.

Le temps volé à la mesure confortable du monde, fait déraper le cœur prêt à se faire la belle, à la suivre dans une aventure à travers rues et jusqu'au dernier étage d'un miteux hôtel de la rue Saint-Denis – puisqu'il existe encore, rue Saint-Denis, des immeubles qui n'ont pas été rachetés par des entreprises ou des producteurs de cinéma.

 

Blog & Groove

Oui, peut-être que l'écriture d'un blog, peut-être que la tenue d'un zinc blogal, requiert quelque chose qui a trait au rythme, en cela il semble qu'on pourrait étendre la notion de groove, jusqu'ici purement réservé au domaine musical, à l'activité blogale (et à toutes celles qu'on voudra)

Le groove alors serait cette nervure qui relie le blog à ses visiteurs auteurs, qui parcourent la plateforme de maintenance éditoriale, et à ses visiteurs lecteurs, qui parcourent l'infime espace public que le blog occupe sur la grande toile.

Lorsqu'un blog a trouvé son groove, pourrait-on croire, il peut tenir la barre au long cours. Mais un groove se fatigue à force d'être répété. Et les blogs parfois meurent d'avoir tout donné.

 

Nerfs et mollesse

Engagement, respectabilité, récupération, sont trois notions qui gouvernent la création. L'engagement créatif du jeune artiste (quel que soit son âge, souvent, il est réellement d'âge tendre), la respectabilité qu'il arrache à force de combats à une société indifférente d'abord, puis méprisante, cruellement, puis flagorneuse et aplatie d'admiration. C'est alors que le groove ramollit. Ce peut-être l'artiste lui-même, qui perd la boule de nerfs à force de descendre dans des luxueux hôtels et d'écouter des louanges, telle Nan Goldin, photographe ravageuse et fulgurante des inframondes de la libération sexuelle new-yorkaise, qui, des décennies plus tard, pense que l'art photographique est mort, qu'il n'y a plus d'art et que les jeunes d'aujourd'hui font de la photo numérique industrielle sans intérêt. Pourtant, madame, lorsque vous fabriquiez vos diaporamas et que vous les diffusiez dans les salles arrières des bars faméliques, les vieux schnocks regardaient ces nouveautés et ne leur accordaient pas plus d'intérêt que vous n'en accordez à vos successeurs. Oh, l'étrange douleur anesthésique de la perte du groove. J'imagine qu'elle fait encore plus mal qu'une aiguille dans la chair, mais où donc se loge-t-elle, la douleur de n'être plus que l'héritier des droits d'auteur de son propre groove ? Dans d'autres circonstances, l'artiste fauché en plein vol meurt au milieu de son groove ; c'est la postérité qui se charge d'achever la respectabilité que l'artiste n'avait qu'entrevue, et de récupérer son œuvre pour la rendre officielle et par là, lui ôter de sa superbe révolutionnaire. C'est ainsi que le chanteur Victor Tsoï, rockeur magnifique du groupe russe Kino, figure sur les affiches électorales du président Poutine.

 

Destins

Nous choisissons quelques destins que nous vous présentons rapidement ici : Moondog ; Pascal Lamorisse ; Zénon. Oui, vous avez raison, nous avons perdu la raison. Nous mettons dans le même sac à groove deux humains du XX°siècle et un personnage romanesque ayant pris forme dans un roman de Yourcenar et ayant supposément vécu dans les années du règne de Charles Quint...

Mais aucune norme universitaire n'a cours ici, ou disons plutôt que c'est une norme universitaire parallèle qui régit les œuvres et les productions almasororiennes : celle de la FaTransLibDADat (Faculté Transatlantique Libre Dark Angel de Dallas et Tallin). J'en suis moi-même une brillante ancienne élève, comme l'indique la biographie impartiale et neutre que mon consacra, à l'époque où nous dansions ensemble le vendredi soir à Saint-Jean en Ville, la chère Katharina.

Donc, présentons Moondog en dévoilant les quelques miettes biographiques que nous avons pris la peine de recueillir : un homme, devenu aveugle à seize ans, portant les cheveux longs, adorant la musique classique et s'intéressant à toutes celles qui naissaient sous ses yeux. Un homme qui connut la rue, cette grande maison sans eau chaude ni électricité, démeublée, presque nue, au toit infini qui ne protège pas des intempéries. Des livres vous parleront de Moondog. Il est probable qu'il avait sa propre opinion sur ce mot qu'il avait dû entendre, groove.

Mais parlons de cet autre homme, Albert Lamorisse, cinéaste de l'enfance, pourrait-on dire, puisqu'il composa les films Crin Blanc et le ballon rouge, et le voyage en ballon, et ce qui frappe, c'est que Lamorisse voulut faire, enfin, un film pour les grandes personnes, mais il mourut avant de le terminer. C'était un film sur l'Iran, et on peut le voir, car un proche collaborateur l'acheva ; N'y a-t-il pas un mystère d'ordre grooveux dans cette interruption brutale d'une œuvre au moment d'un changement d'adresse ? Il s'adressait aux enfants, il tente de s'adresser aux adultes ; il faisait de la fiction, il se lance dans un documentaire... Et il meurt.

Révélons ensuite le groove qui berce la vie de Zénon. Dans l'Oeuvre au noir, Zénon de son enfance à sa mort par suicide pour éviter la peine qui l'attend (l'Inquisition vient de le livrer au bras séculier, autant dire : elle le condamne indirectement au bûcher), le long de cette vie solitaire traversée de rencontres amicales et intellectuelles, au cours de ses voyages comme de ses longues stations, Zénon, c'est son secret, suivait son groove intérieur. Et ceux qui l'entendaient sans en avoir trop peur le protégeait, tel un prince ici, une paysanne là, ou le doux prieur d'un couvent flamand.

 

Quelques questions infiniment liés à la question du groove :

Peut-on courir en prenant son temps ?

Que pourrait signifier l'expression : le tempo de la vie ?

Notre relation au monde n'est-elle qu'une question d'ajustement des rythmes, de travail sur les rythmiques ?

Une relation amoureuse peut-elle durer au long cours en suivant le lit d'un même fleuve, d'un même groove ?

Peut-on parler de groove mathématique ?

Passe-t-on d'un groove à un autre, ou bien n'y a-t-il que transformation du groove, qui est, ou n'est pas, mais ne peut se succéder ?

Ces questions ne doivent pas nous faire oublier le sens de notre quête. Nous débroussaillons parmi les ronces, les branches et les racines d'un monde obscur, qui nous appelle et que nous ne voyons pas. Par le blog ou par l'écriture hors blog, par le malaxage des jours et des idées, nous nous frayons un chemin vers ce qui viendra. Quelque chose, peut-être, qui tienne à la fois de la chanson, de l'écriture, du cinéma, et qui rappelle nos bons vieux rêves adolescents qu'en dépit de certaines apparences, nous n'avons pas abandonnés.

 

Le groove alors serait un versant de la grâce.

 

Ta vie d'oiseau

Qui suis-je, mon bel amour au bec brisé ?

Toi seul pouvais le dire, mais tu t'es envolé. Ton regard oiseau ne sait plus où me trouver.

aigrette blanche, sables d'olonne

Je connais les brumes claires
la neige rose des matins d'hivers
je pourrais te retrouver
le lièvre blanc qu'on ne voit jamais
mais l'oiseau l'oiseau s'est envolé
et moi jamais je ne le retrouverai
car j'ai vu, j'ai vu l'oiseau
j'ai vu l'oiseau je sais qu'il partait
je l'ai entendu pleurer
le bel oiseau que le vent chassait

je voudrais tout te donner
mais toi pourquoi ne me dis tu rien
quel est il ton grand secret
un secret d'homme
je le comprend bien
mais tu sais je peux te raconter
combien l'oiseau est parti à regret
si un jour tu m'écoutais
tu apprendrais tout ce que je sais
l'oiseau part et puis revient
tu le verras peut etre demain

c'est l'oiseau que tu aimais
l'oiseau jaloux je l'ai deviné
si jamais il revenait
je lui dirais que tu l'attendais

 

Chanson de Belle et Sébastien, romans et téléfilms de Cécile Aubry

Cécile Aubry - Eric de Marsan/D White

jeudi, 05 juin 2014

Le pouvoir de la Kora

 

Tu t'endormais au creux de cette musique mandingue et ton cœur battait le rythme du mouvement perpétuel du monde, dans ton berceau d'un bois verni trop vite dont les senteurs te rappelleront pour toujours les longues après-midi de Bamako. C'était à l'époque où il restait des arbres et aujourd'hui, homme en train de devenir vieux, tu plisses les yeux au fond d'un bar d'Europe. Quelques notes encore suffisent, quelques notes pincées sur une Kora, pour te transporter dans le vieux blues primordial. Tu as traîné tes guêtres dans les pays de l'Europe et tu as voyagé en Roumanie, accompagné par un camarade de faculté originaire de ce pays. C'était un cousin lointain du roi déchu Michel de Roumanie et tu as ressenti à nouveau cette violence d'être le fils du cadet, de ne pas appartenir à une longue lignée de griots. A un ou deux rangs de naissance près, tu aurais raconté, toi aussi, tes aïeux, tes alliances, tes traditions à ce jeune étudiant roumain qui te faisait parcourir les routes de ce pays.

Il te fit entrer dans un monastère au fond d'une forêt, sur les murs duquel d'immenses fresques représentaient différemment le dieu de la Mission des Pères Blancs où tes pères et oncles avaient étudié. Une ribambelle de moines en aubes marchaient au milieu des pierres et des fleurs presque sauvages en élevant les mains et en chantant un psaume lent venu des débuts du monde du langage, et tu reconnus sur le visage de l'ami roumain ton propre frisson, lorsque résonne au fond d'une rue, au fond d'une cour, quelques notes d'un vieil air du Mali.

(Ce roman, celui qui naîtrait de votre rencontre et de ce miroir humide des visages presque fermés, tu en as écris les soixante premières pages dans une chambre du dix-neuvième arrondissement de Paris, par laquelle pénétrait le pâle soleil des jours d'hiver. Mais, les années passent, et tu ne sais si tu parviendras un jour à le reprendre, à le terminer).

 

à lire, sur AlmaSoror : Insomnie bretonne à Paris

Ota Benga

Ota Benga, ton existence est la honte des nations. Ta souffrance est la honte des religions. Ton suicide est ta gloire.

mardi, 03 juin 2014

autour du périphe

 

Oh ma lune, entre ma tisane à la sauge et ses ailes d'ange, et mon rhum ambré et ses cornes rouges, je te regarde à travers le rectangle vertical de la fenêtre PVC. Sur un balcon abandonné, un olivier laissé là remue ses cheveux dans le soir frais qui tombe. Toi, petit croissant, ta blancheur est inaccessible et le ronron des voitures au loin te paraît si petit qu'il en est négligeable, moi il me berce, ce ronron sur le périphe, là-bas, c'est mon murmure océanique. Soule, mon âme s'emballe pour un vent de panique, pour un prince charmant qui passe dans un nuage, pour un air pop de la radio d'en bas.

En bas les femmes voilées, presque toutes, marchent loin derrière les hommes qui rient et qui haïssent le sol que leurs pas foulent depuis trop, trop longtemps, c'est ce qu'ils disent.

C'est ce que disent tous les exilés. C'était mieux là-bas mais je reste quand même, c'était plus beau et la musique chantait comme pas ailleurs, là-bas les olives, plus grosses, le miel, plus doux, les rires, plus chauds, mais là-bas n'est plus qu'un regret, un regret pathétique.

Un aimant angélique, voilà ce que tu es, lune de ce soir, et mon corps est aspiré vers ta blancheur infime, croissant si éloigné de moi que j'en pleure et j'en meurs en buvant, en buvant (de mes tasses devinez celle qui gagne la bataille du prince charmant ?).

Tandis que je m'envole, le bleu de nuit enserre la ville qui se fait toute petite. Vivante ? Vivante, oui, mais que font-ils, en bas ? Des enfants ! Tous les enfants viennent en courant sur le périphe et les voitures s'effacent.

Les voitures s'effacent et la couronne de béton devient champ où l'on danse. Momes, gosses, marmaille, tout cela envahit le terre-plein et danse, danse, danse. C'est comme si le monde était mort, c'est comme si l'enfance revenait.

Sauge, ta tisane, il faut croire, contenait le parfum des envolées ; rhum, encore toi, tu as encore débordé de ma coupe ! Ah mais vraiment, je découvre enfin cette vérité nue comme une image, que la ville n'était qu'un mirage, que l'on vole comme des enfants sages, à l'heure où l'esprit présage les amants irréels de la nuit.

Il faut que je prenne une photo avec mon téléphone portable, sinon personne ne me croira si je dis que je suis montée jusqu'à la lune cette nuit.

 

lundi, 02 juin 2014

Le vagabond des ruelles ouvertes

Vagabond des ruelles 1.jpg

 

Il est venu un soir, à l'heure où elle cuisine, et le petit garçon attendait devant la porte que passent les oies sauvages. Mais elles ne passaient plus depuis longtemps, depuis bien avant sa naissance, et ce qu'il vit, ce fut l'homme qui arrivait, un sac à dos sur son épaule, une bouteille de bière à la main.

C'était l'époque des grands oiseaux qui se battent sur la plage et des louves qui s'approchent de l'orée des forêts. Mais moi je n'aimais personne et je vivais au premier étage de la bicoque défoncée. Personne mieux que mon pauvre être déchiqueté n'avait vue plus limpide sur les voisins de la ruelle ouverte. Et j'ai vu l'enfant voir l'homme qui arrivait.

Il ignorait encore que cet homme avait des yeux créés pour que sa mère flanche, il ne comprit que bien tard que Vagabond resterait coucher pour toujours dans la chambre où sa mère jusqu'ici dormait seule. Et cet enfant sut qu'il faudrait attendre une délivrance inaccessible.

Mais les vagabonds partent, les vagabonds s'en vont un jour, au petit matin chagrin. Ils laissent quelques dettes et quelques plaies dans les cœurs où ils ont mangé ; ils s'en vont cœur léger oubliant soudain tout ce que les muets et les aimants leur donnaient.

Ils partent pour partir.

Il partent pour ne pas revenir.

Ils partent pour se revêtir d'un nouveau mystère qui fera pétiller les yeux d'une autre femme.

Ils partent pour se refaire une colère qui fera dégouliner les yeux énamourés.

Leur violence est leur blason.

 

Et j'ai vu le jour où l'enfant dépaysé restait debout auprès des larmes de sa mère, tandis que la vitre cassée et l'absence de la bourse étaient les seules traces de l'homme enfui.

Mais il est des hommes qui restent. Tel ce géant barbu qui hante le village et qui nous fait peur. Il ne ressemble plus à ses frères, cela fait trop longtemps qu'il n'a pas apprêté sa barque pour la pêche sur le lac.

Mais il est des enfants qui grandissent.

Et l'enfant si sage dont je vous parlait, le voilà qui gratte une guitare, l'air trop fier, à l'heure où passent les fantômes. Moi je ne sais même pas son nom, moi qui ne parle à personne, moi qui regarde tout de ma fenêtre ébréchée et qui n'écoute plus rien.

 

Il était une fois un petit garçon qui n'existe plus. Même l'adolescent à la guitare a rendu l'âme qu'il avait belle et douloureuse. Et c'est un homme silencieux qui regarde aujourd'hui les grands oiseaux se battre au bord des vagues. Son chien, Aydius, grande bête blanche égarée, contemple la mélodie visuelle du soir.

L'homme sans bagage finit ses frites et son eau minérale. Ensorcelé par une Étoile, il regarde le jour se dissoudre dans l'oubli.

Reviendra-t-il comme un voleur à l'heure où personne ne l'attendra ? Reviendra-t-il au coucher du soleil, quand les adolescents frappent sur leurs tambours ? Reviendra-t-il, quand flamboie l'horizon, ceindre d'un coup de lanière le vieil homme qui mange à la table de la maison où il a grandi ?

Car le vagabond est revenu et nul fils n'était plus là pour glisser sa menotte dans la main de sa mère épuisée.

Sortilèges, vous mourez lentement aux premiers jours du printemps, quand l'herbe devient verte au milieu des bidons et des vieilles carrosseries que les services de la ville n'enlèvent jamais.

Il est des ruelles malades, trop ouvertes, où les vies se fomentent comme des complots manqués.

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Poèmes à cueillir sur AlmaSoror

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Sur notre colonne de gauche se trouve l'entrée vers l'album Poésie. On y trouve des poèmes, de la barmaid de ce blog sans partage, mais aussi de poètes invités pour une page ou deux.

En voici la liste et le vers d'ouverture :

Le train rouge

Le train rouge a filé sur les brumes du ciel

Venise

A Venise qui choit dans la lagune

Miroir d'eau

Soleil brillant parmi les mille anges trop pâles

Rue Milton

Petit matin, soleil, vent tiède

L'étoile

Je poursuis une étoile aux quatre coins du monde

Grise du soir

Tes yeux gris mon amour embellissaient les lieux

Séjour lunaire

Ton char aux cent rennes lunaires

Véranda

Hier soir un ciel orange se vautrait sur la plage

The Stoned / Les défoncés

I am a light

La chanson des gisants

Gisez ! et ne parlez plus. Écoutez le vent du soir...

Atone

Ma voix coule dans le soir

L'abîme

Tes caresses ont laissé mon corps en ruines

L'horloge

L'horloge de la gare a sonné quelques coups

Brest

Donne-moi le Nord

Gange

Mais je sais que nous sommes un poisson

Zip & flip

Vodka au comptoir

Le rêve aux bulles

Comme dans la chanson d'enfant

La mer

La mer m'amène

Funboard

Sur l'océan le soir, quand le soleil se couche

Deltaplane

Ne plus jamais poser mes deux pieds sur la terre

Abattoir

C'est drôle et c'est bien de se revoir

Le van

Nous écoutons la radio dans le van

Ciao Baby

Mon bel ennemi dort

Les fressures de l'aube

J'ai besoin d'une femme qui me tende le sein

Autel

Le jour se lève et le café

Tango de nuit, chanson d'abandon

Dans la nuit opale, je t'ai rencontrée

Messe de la citadelle

Baignée dans ton rire éclatant, sous les vagues du ciel

Le malade

Les murs du cube sont bleus

Les sœurs douloureuses

Minuit dans le hangar ! et nos sœurs douloureuses

Dans un bar de nuit banal

Dans un bar de nuit banal

Lumières dans la ville morte

Lac de nuit, sur ta rive herbeuse je dansais

Jour de Sleipnir

Les oiseaux fantômes ont passé la frontière

Lau

J'ai trouvé un soir une étoile

Charade

Ballade, ballade...

dimanche, 01 juin 2014

L'Arcane sans Nom - 1

vendredi, 30 mai 2014

La tourelle du hibou

 Ondine Frager

Le temps passe, madame. Et bientôt ce que nous sommes ne sera plus qu'un souvenir qui s'efface. Comment conjurer l'impression vertigineuse que la vie nous traverse sans que nous ayons prise sur elle, ni sur nous-même ?

Enfant, j'avais songé à transformer la face du monde ; la tâche m'ayant effrayée, j'ai préféré une autre mer à boire – la mer des livres.

Lire, l'antidote au temps.

Ce soir, alors que les feuilles de tilleul rabougrissent au fond de ma tasse, je suis le fil de mes souvenirs de lecture. Dans la pénombre d'une petite pièce aux tentures rouges, au son de la musique malienne lancinante et paisible, je rencontre des livres compagnons, sans lesquels je ne parlerais pas à la même personne, lorsque je parle seule.

Du plus loin qu'il me revienne l'ombre de mes amours anciennes... Je revois les maisons de Dame-Souris. Ce charmant album destiné aux enfants et prisé des architectes en quête d'inspiration, expose les créations architecturales - des maisons individuelles adaptées au client - d'Héloïse la souris. On y admire le château du cochon, l'antre du renard, la maisonnette de l'ours, la villa souterraine de la truite, et tant d'autres.
Ma maison préférée, c'était celle du hibou. Installé dans une tourelle en plein ciel, il a vu sur la forêt, peut-être la mer scintille-t-elle au loin sous le tapis d'étoiles. Hibou peut scruter les mystères du ciel au moyen de la lunette d'astronome posée devant la fenêtre.
Les maisons de Dame souris, c'est un livre empreint d'une profonde paix, qui invite à la rêverie structurée, en quelque sorte, et créée, pour l'avenir (si on le lit à l'âge de l'enfance) des nostalgies infiniment langoureuses.

(Sur les maisons de Dame souris, quelques webécrivains se sont exprimés :

Comme avant dans mes rêves d'enfant

Lili l'archi)

Je poursuis ma route mentale à travers mes souvenirs, et je rencontre Le cheval blanc de Suho. Celui qui contient les illustrations d'Akaba - car les nouvelles éditions sont beaucoup moins belles ! Quel artiste, que cet Akaba - Suekichi Akaba ! Sur ce conte mongol de toute beauté, il livre des planches à couper le souffle et l'enfant que j'étais pleura toutes les larmes de son corps. C'était la découverte de l'amour et de la mort, du lien sacré entre l'homme et l'animal, de la musique liturgique universelle des défunts et des êtres qui s'aiment. 

Après quelques lectures déchirantes, je fermai le livre et ne l'ouvrit plus durant de longues années, car je savais que toutes les larmes de mon corps sortiraient à nouveau. Mais j'en regardais la couverture parfois, je savais, je sentais sa présence ; cette présence était taboue.

(Des traces du cheval blanc de Suho sur la Toile :

Vers Gif sur Yvette.

Ou en Romandie.)

Je pourrais encore parler de L'auberge de l'ange gardien et de l'affreux destin de Torchonnet, qui m'initia aux sordides rapports humains et à l'étrangeté sauvage des adultes. La suite de l'Auberge, la comtesse de Ségur, cette démiurge savante et sulfureuse, la raconte dans Le général Dourakine. On y découvre l'invraisemblable beauté, pâle et tragique, du Prince Romane, le polonais traqué.

Ces livres de la comtesse de Ségur, née Sofia Rostopchine, fille du terrible et majestueux aristocrate tsariste qui ne voulut pas livrer Moscou à Bonaparte, on me les lisait avant que je sache lire, je les ai entendus avant de les lire seule.

Mais le premier roman que je lus seule, et qui transforma ma vie, ce fut celui que m'offrit ma marraine Ségolène, l'année de mes six ans.

Les premiers paragraphes de Sans famille, d'Hector Malot, ne m'ont jamais quittée depuis. Maître Malot ! Je ne me suis jamais résolue à lire tes autres livres, car jamais je ne voudrais que tu tombes du piédestal où cette enfant t'avait élevé.

C'est par toi que j'ai compris la puissance de l'invention romanesque.

Je suis un enfant trouvé.

Mais jusqu’à huit ans j’ai cru que, comme tous les autres enfants, j’avais une mère, car lorsque je pleurais, il y avait une femme qui me serrait si doucement dans ses bras, en me berçant, que mes larmes s’arrêtaient de couler.

Jamais je ne me couchais dans mon lit, sans qu’une femme vînt m’embrasser, et, quand le vent de décembre collait la neige contre les vitres blanchies, elle me prenait les pieds entre ses deux mains et elle restait à me les réchauffer en me chantant une chanson, dont je retrouve encore dans ma mémoire l’air, et quelques paroles.

Quand je gardais notre vache le long des chemins herbus ou dans les brandes, et que j’étais surpris par une pluie d’orage, elle accourait au-devant de moi et me forçait à m’abriter sous son jupon de laine relevé qu’elle me ramenait sur la tête et sur les épaules.

Enfin quand j’avais une querelle avec un de mes camarades, elle me faisait conter mes chagrins, et presque toujours elle trouvait de bonnes paroles pour me consoler ou me donner raison.

Par tout cela et par bien d’autres choses encore, par la façon dont elle me parlait, par la façon dont elle me regardait, par ses caresses, par la douceur qu’elle mettait dans ses gronderies, je croyais qu’elle était ma mère.

Je trempe mes lèvres dans la tisane. La musique s'est tue, je ne m'en étais pas rendue compte - mais les timbres intenses des instruments africains résonnent encore au fond de mon corps.

Avec Jud Allan, roi des lads, de Paul d'Ivoi, j'ai appris à aimer l'existence des méchants, tel le Crâne, qui portent le crime avec panache et savent mourir en reconnaissant la valeur supérieure de leurs ennemis.

Les secrets de la lande, d'LN Lavolle, m'initièrent à l'amour des vieilles maisons. Je compris comment on fait le miel et pourquoi il faut se taire beaucoup pour savoir deviner les secrets.

Et puis, lorsque j'avais treize ans, mon grand-père Jacques me surprit alors que j'errais, pleine d'ennui, dans les rayons d'une bibliothèque que je connaissais par cœur. Je traînais entre l'escalier qui mène au pavillon et le lapinodrome, soulevant un livre par ici, le reposant.

Sa silhouette rare s'approcha de moi et je me tins coite.

- Tu n'as jamais lu cela, murmura-t-il, en passant son doigt tremblant sur un ouvrage dans l'ombre d'un rayon.

Il me tendit ce livre et me livra cette confidence : c'était le livre préféré de Dieudonné. Il le lisait l'année de sa mort et l'adorait.

Oh mon Dieu !

Je repartis dans ma chambre en le tenant entre mes mains. Le livre de Dieudonné. Ses mains l'avaient tenu. Et mon grand-père sévère me le confiait en chuchotant.

L'apôtre des lépreux, de Wilhelm Hunnerman, traduit par l'abbé Grandclaudon.

Sans cette lecture, je serais dénuée de doute et certaine d'être athée.

Mais j'ai lu L'apôtre des lépreux, dans cette édition tenue par un adolescent malade, et je l'ai relu, tout un été.

Et puis j'ai perdu de vue ce livre et ne l'ai plus jamais ouvert de ma vie. Je me souviens, c'est tout.

Des années plus tard, en cours de langues polynésiennes, j'eus un choc en entendant des mots d'Hawai'i, presqu'un malaise doublé d'une fascination, et je ne compris pas pourquoi. Ce n'est qu'encore longtemps après que je compris que j'avais reconnu les mots de l'Apôtre des Lépreux : Moloka'i. Kalaupapa.

Je pourrais encore parler de Bandini, de John Fante. Raconter ce trait incongru de ma mère, qui voulait que je dorme, et je ne voulais pas. Eh bien, alors, lis ce livre, dit-elle. Ce livre, qu'elle avait ramassé dans son étagère, c'était Bandini. J'avais onze ans je crois et ce fut le début d'une lecture répétée tous les deux ou trois ans, jusqu'à compréhension du texte.

Et que dire de La dentellière ? Un roman que j'adorais à quinze ans. Je vénérais l'auteur d'avoir écrit une œuvre si sensible, et quand vers vingt et quelques années je compris qu'il l'avait écrit pour rire, pour se moquer de la sensibilité de ses contemporains, j'en étais dégoutée. Il trouve que le reste de son œuvre vaut mieux que la Dentellière ; moi j'ai voulu ouvrir d'autres livres mais je n'aime qu'elle.

Adolescente ou adulte, j'eus d'autres lectures initiatiques. Breakfast at tiffany et les short stories de Truman Capote, dont la plus belle : One Christmas, le Noël triste d'un petit garçon à la Nouvelle-Orléans, à l'époque de la fameuse Prohibition...

La bande dessinée Lova, de Jean-Claude Servais,  Les sept piliers de la sagesse, de TE Lawrence d'Arabie, L'introduction à la langue et à la littérature aztèque, de Michel Launey, et enfin  Guerre et paix du vieux Tolstoï.

La caroline calligraphique des moines médiévaux s'est effacée devant l'imprimerie. Les ouvriers sidérurgistes ont vu leur monde s'éteindre. Nous marchons vers la numérisation de l'écriture et de la lecture, et l'apparence de l'édition traditionnelle se dissoudra bientôt dans la grande évidence du Code.

J'attends ; j'attends de voir si je deviens vieille. Si je reste encore quelques décennies dans ce monde, il me sera peut-être donné un jour de lire les nostalgies littéraires d'un enfant né en l'an 2014. A quoi ressembleront-elles ? Auront-elles des poussières et des odeurs, comme les miennes ? Ou bien d'autres sensations que mon esprit est incapable d'imaginer ?

Je les lirai, ces nouveaux-nés, quand je serai très vieille et j'écouterai leurs mémoires déjà profondes.

 

Le même thème, sur AlmaSoror :

Moineville, la ville des écrivains

Mémoires de nos lectures

jeudi, 29 mai 2014

Chaque jour que Dieu fait

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Mais comment, mais comment, mais comment vivre ?

Je précise d'emblée que j'ai de la chance, pas à me plaindre, etc.

Je le précise, d'abord parce que c'est vrai : je marche, j'entends, je vois, certaines personnes m'aiment, je mange à ma faim, je bois à ma soif (et parfois plus), je vois la lumière du jour et j'ai où crécher entre deux villes, l'une océanique, l'autre métropolitique. Last but not least, j'ai la chance de recevoir des visites d'amis inconnus, frères-soeurs lointains, sur le blog d'AlmaSoror.

Je le précise en outre parce qu'il m'est arrivé plusieurs fois de me faire remettre à ma place (ah ah ah ! ma place ! laquelle donc ?) par des gens sérieux, qui, comme ils disent, "ont des responsabilités".

Par une fin d'après-midi du mois de février, à Beaune, dans un bâtiment situé avenue du Parc, non loin du square de la Bouzaise, on m'a expliqué que je ne pouvais rien juger de la vie et du monde puisque je n'avais pas d'enfants. Seuls ceux qui ont des enfants savent ce que c'est que de vivre. Ainsi que ceux, me précisa-t-on, qui ont des handicaps. Ah ! bon.

Je n'ai ni enfant, ni handicap (j'ai bien deux fils imaginaires, Hugues et Dylan, et des handicaps réels au fond de mon âme, mais tout cela ne compte pas pour la mesure objective des responsabilités et de la connaissance de la vie réelle), je n'ai donc pas voix au chapitre sérieux.

Néanmoins, j'existe, je persiste à ressentir, éprouver, faire des choix, aimer la marmaille bien réelle  qui gravite autour de moi, et faire de temps à autre des coups de blues (que j'arrive peu à peu à esthétiser, à rendre de plus en plus romantiques, et donc, plus appréciables, moins douloureux). Comme donc j'ai des désirs d'expression personnelle et des pensées sur le monde, je me donne voix au chapitre, quitte à ce qu'il soit arraché du grand livre sérieux de la vie.

Oui, car, j'ai beau crouler sous des cascades de chance et de bonne fortune et être dénuée de toute forme de responsabilité, reste qu'un matin sur trois, au fond d'un trou invisible (bien qu'apparemment installée sur une chaise), je m'interroge : mais comment donc pourrais-je vivre ? Je cherche à éliminer ou surmonter ou transmuter cette sorte de bourrasque de déprime qui me tombe dessus tous les quatre matins et qui, parfois, met plusieurs heures à se dissiper. Dans ces moments là, c'est comme s'il m'était impossible de vivre.

Je scrute alors le ciel et me demande comment est-ce possible que j'arrive à ne pas vivre légèrement sous une si belle couche atmosphérique, un firmament infini, capable à d'autres moments de me transporter de bonheur. Soljenitsyne m'interpelle :

Voilà, en somme, la liberté, l'unique liberté, mais aussi la plus précieuse, dont nous prive la prison: pouvoir respirer ainsi, pouvoir respirer dans un endroit comme celui-ci. Aucune nourriture terrestre, aucun vin, aucun baiser de femme, même, n'est pour moi plus doux que cet air ivre de floraison, d'humidité, de fraîcheur.
Peu importe que ceci ne soit qu'un minuscule jardin, resserré entre les cages à fauves de maisons de quatre étages.
Je cesse d'entendre les pétarades des motocylettes, les vociférations des postes de radio, les crachements des haut-parleurs. Tant qu'on peut encore respirer, après la pluie, sous un pommier, on peut encore vivre! 

Le clocher de Kaliazine

Et c'est vrai qu'on peut vivre sous un bout de branche de pommier dans une courette après la petite bruine, on le peut.

Mais je me souviens d'un après-midi dans le jardin du 13, boulevard du Montparnasse. Un homme, un ami cher, était assis sous le cerisier en fleurs d'un assez grand jardin, au printemps. Il n'avait pas plu depuis quelques jours. Sa tête fermée, ses membres crispés, il attendait on ne savait quoi. Il était comme enfermé à l'intérieur de lui-même ; sa tête était une prison dont il ne pouvait s'évader, et aucun de nous n'était jamais parvenu à le sortir d'un état pareil. Il fallait attendre qu'il s'en sorte tout seul, ou que les barreaux de la prison interne cèdent d'eux-mêmes, sous la pression. Du reste, nous avions tous plus ou moins peur de lui, lui qui à d'autres moments se montrait si charmant. Face à cette image d'un homme libre en cage, j'avais mis en doute la phrase de Soljenitsyne.

Je l'ai à nouveau mise en doute il y a quelques jours, ici-même, face à un autre visage, une autre histoire, une autre souffrance dans un bel appartement où rien ne laissait présager le malheur.

J'entends les gens responsables et sérieux m'annoncer que, tonnerre de Brest ! Si ces gens souffrent, c'est qu'ils sont riches et trop gâtés par la vie !

Ces braves défenseurs d'un peuple laborieux, miséreux et plein de joie, n'ont semble-t-il jamais connu la moindre famille sans-le-sou. On y trouve, autant que chez les riches, des dépressifs, des désespérés, des ultrasensibles, des pervers, des loufoques, des fantaisistes, des paresseux, des exaltés, des mystiques et des maniaques.

Non, vraiment, cette douleur de la cage interne est proprement humaine, ou en tout cas universellement humaine (car le malheur moral n'est pas inconnu des autres espèces animales, et particulièrement lorsqu'elles sont arrachées à leur terrain de vie sauvage).

Bref, comment vivre ? Comment vivre sans en crever ?

Si j'écoute les questions qu'on me pose et me repose sans cesse, si je tente de mener ma vie selon ce qui semble parler aux foules intelligentes et sensées, il faut, dès à présent, que je me confectionne une vie au plus proche des cases prévues par l'Insee. Foyer fiscal, catégorie socio-professionnelle, type d'emploi, pacs ou mariage, au fond, c'est comme si, une fois ma définition sociale trouvée, tout serait accompli.

- Tout est accompli, c'est une des sept dernières phrases que le Christ prononça sur la croix - qu'on traduit encore par : tout est consommé.

Il avait dit encore : "j'ai soif", et les lyncheurs lui avaient alors proposé du vinaigre à boire.

Mes amis, j'ai connu ou tout au moins j'ai touché, à certains moments, la perfection Insee au sein de ma propre vie, et je lui ai trouvé un arrière-goût de vinaigre.

Beaucoup de personnes m'interrogent, m'assommant de questions visant à me faire cracher des informations sur mon état-civil, ma profession, mon habitation, afin de cerner, au mieux, l'état de ma vie privée et celui de mon compte bancaire. Je ne sais que répondre. La vérité ? Elle ne les satisfait pas. Les questions rebondissent, des précisions sont exigées. Du baratin ? Il ne me satisfait pas, et même, il m'épuise. "Je m'intéresse à toi", m'explique-t-on. A moi ? Mais non, ce n'est pas moi. Moi, ce n'est pas cela.

Alors, en retour je vous ai interrogés, ceux d'entre vous que je connais le mieux, je vous ai demandé si vous aviez, vous aussi, à certains moments, des attaques dévorantes, des monstres invisibles avalant sans pitié l'amour de vivre.

Aucun de vous, diplômés, sans diplômes, bien payés, au chômage, aventureux, casaniers, drôles, déprimants, sportifs, habitués des hamacs, renommés, inconnus, boute-en-train, discrets, habillés avec une élégance raffinée, engoncés dans des chandails sales, idéologues, louvoyeurs, aucun de vous, ne me répondit clairement par OUI ou par NON.

Aucun de vous ne me répondit : oui, j'ai de très grosses baisses de moral durant lesquelles j'ai envie de me jeter par la fenêtre ou de me taper contre les murs.

Mais aucun de vous ne me répondit : de quoi parles-tu donc ? Je ne vois pas ce que tu veux dire. Le moral ? Oh, ça va ça vient, mais quel est le problème ?

En revanche, presque chacun d'entre vous m'expliqua qu'il fallait certaines conditions pour ne pas que tout s'écroule : travailler ; être en vacances ; prendre tel somnifère ou tel médicament ; partir le weekend ; un massage par semaine ; l'alcool ; l'argent ; les fringues ; le sexe ; la prière ; le regard des autres le samedi soir ; que le portable sonne au moins deux fois dans la soirée ; la connexion à un réseau social en ligne, ou, au contraire, la déconnexion totale sous peine d'écroulement moral ; une publication par an ; courir ; nager ; une psychanalyse ; un chat ; la voile.

(Seuls certains restèrent silencieux, scrutant mon regard, ne me répondant pas, attendant je ne sais quoi. L'un d'eux me remercia plusieurs fois au cours de la semaine suivante pour ce café très chaleureux à la gare du Nord).

Les mêmes phrases sans fard ni phare, revenaient. "Je ne pourrais pas vivre sans..." ; "quand je n'ai plus cela, mon existence est vide" ; "Si je ne fais pas cela je succombe".

Qu'est-ce que vivre, et qu'est-ce que succomber ? Pourquoi vivre et comment ne pas tomber ? Où tombe-t-on quand on tombe ?

Je repensais à l'expérience intérieure, qui consiste à ouvrir les portes de la perception et faire connaissance avec les sensations qu'offre l'instant présent.

Dès que je m'éloigne de cette expérience intérieure, de ma propre vision du monde, de mon rêve intérieur, j'agis sous la pression sociale en vue de me rapprocher des cases Insee et je me sens envahie par la nullité de la vie quotidienne administrée. Car dans ce monde très organisé et complètement chaotique (excusez l'oxymore facile), suivre les règles revient, soit à dominer ses semblables en s'extirpant de l'esclavage du métro-boulot-dodo (par un métro transformé en voiture de luxe, un boulot au temps variable, aux longs déjeuners dans de bons restaurants payés par l'entreprise ou par le ministère, un dodo dans un bel appartement confortable et, souvent, dans des villas de plaisance), soit à les rejoindre dans ce métro-boulot-dodo chronophage sans respiration, épuisants pour la santé et, de ce fait, difficile à conjuguer avec une certaine joie de vivre. Ce métro-boulot-dodo qui maintient les têtes sous l'eau et ne les laisse respirer que pour qu'elles soient encore assez vivantes pour replonger.

A tout prendre, je préfère la première solution, l'extirpation par le haut. La concurrence est rude, l'amélioration progressive des conditions de vie est difficile à obtenir, on peut tout au moins, si l'on ne part pas trop plombé, s'en rapprocher par des tactiques d'ambition, la persévérance, la mise en œuvre de stratégies sociales bien pensées. Cela demande de l'énergie et j'obtiendrai d'un tel effort, peut-être plus de plaisirs, sûrement plus de confort - mais pas plus de bonheur (j'ai gardé en bouche le goût de vinaigre).

Je me souviens que je suis née pour un laps de temps infiniment court, que je vais mourir un jour. J'ai des rêves et des crises de désespoir, et quelquefois, je me demande s'ils ne sont pas les deux faces d'une même pièce d'or. Une pièce d'or qui ne s'échangerait pas sur le marché de l'or, parce que c'est un or trop pur pour être mesuré sur des balances.

Pourtant, en dehors des clous, comme un oiseau sur la branche, suis-je prête à me demander, chaque jour que Dieu fait : "mais comment, mais comment, mais comment vivre ?"

Y suis-je vraiment prête ?

 

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mercredi, 28 mai 2014

Charade

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Ballade, ballade,
Que vas-tu nous chanter
Quand la nuit descend dans la moiteur d'été ?

Insomniapolis,
La ville où les amants avides du sommeil
Passent leur exil -
Arthurs Rimbauds dégénérés, violeurs d’Éthiopies !

Quelle est cette danse qui tient mon corps en transe ?

Je suis solitaire et vous ne me connaissez pas.
Voici que vient l'heure de la douceur et des grillons,
Mais mes pas, même lents, trébuchent sur la pierre
Et j'ai le vague à mon âme isolée,
Île de désolation à la lagune en cœur brisé.

Exode, exil, j'ai laissé ma vie, ma ville grouillante, la plus riche cité.
Dans son amplitude, ma solitude avale l'espérance et la charité.
Je suis trop près de la mer pour la foi du charbonnier
Et les marins partis ne prient plus pour mon cœur.
Paris c'était la vie, la vile, la ville
Je ne sais pas lui pardonner de m'avoir laissée la quitter.

Parade, parade,
Que vas-tu nous danser
Quand le zénith descend le long du jour brûlé ?

La nécropolis,
Cité célibataire où le buveur d'amour
Abreuve son joug -
Baudelairien désespéré, charmeur d'aliénées !

Tiens, d'où vient ce chant qui altère mon ouïe ?

Moi, velléitaire, et vous qui ne me voyez pas,
Voici l'air qui sonorise un bateau d'oxygène.
N'est-ce pas, même lent, le chant de la sirène,
Au fond du flot, sa voix immaculée
Pousse la complainte tendre au cœur brisé dans ses lacunes.

Exsangue exil, j'ai lassé la vie, la ville bruyante, la folle magnanime,
Dans ses turpitudes, d'habitude, j'arborais la chance et la probité.
Je suis trop loin : l'autoroute a nargué ma péninsule
Et mes amis enfuis méprisent ma pendule.
La baie de Cayola, c'est l'aune, c'est là !
Je ne peux pas lui pardonner de m'avoir laissée la rejoindre.

Charade, charade !

 

27.5.14. Avant minuit ?

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mardi, 27 mai 2014

Classicisme & underground

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Underground

La clandestinité insuffle aux ambiances, aux lieux, aux œuvres, une force vitale... Aussi l'esprit aux aguets, en quête de substance artistique, cherche le museau au vent du côté des arts underground.

Ce mot anglais, underground, on pourrait le traduire par parallèle, ou clandestin, justement. Ou souterrain, si l'on veut une vraie équivalence. Quoi qu'il arrive, l'art underground par nature, n'accède pas immédiatement à la gloire, ou alors il y accède d'un coup net et s'y désintègre aussitôt en plein vol - comme un poète-chanteur fauché à 27 ans (par exemple).

Beaucoup d'artistes nous ont fait rêver par la force vitale de leurs premières œuvres (celles qui ne les nourrissaient pas sont celles qui nous nourrissent longtemps), tandis que leurs productions plus tardives, une fois qu'ils ont acquis la renommée et la reconnaissance, ne sont que de pâles reflets de l'époque où la source n'était pas tarie.

Classicisme

La beauté classique telle que les Grecs l'aimaient, exigeait l'équilibre des proportions, la perfection formelle, dont découlaient le sens et la puissance. Ce classicisme grec, les artistes de la Renaissance l'ont réapprivoisé. Il impose une impeccable maîtrise artisanale, jointe à la plus haute inspiration et sait manier l'impact de la synthèse à la délicatesse de la finition. Au risque de sombrer dans une vision élitiste et inégalitaire de la civilisation, disons que seules certaines civilisations, dans leur époque la plus brillante, la plus profonde et la plus maîtrisée, atteignent une telle stature, qu'elles perdent au bout d'un temps plus ou moins long.

De l'un à l'autre

Un art classique, pour rester vif, cueille aux sources clandestines des arts plus bruts et plus libres ; un art souterrain, clandestin, parallèle, s'inspire toujours des formes classiques même si c'est pour les détourner, les contourner, les déformer, ou bien il grapillle, là où l'art n'est pas censé exister, des ébauches qu'il tire vers un embryon de classicisme. Bref, l'art classique et l'art underground se nourrissent l'un de l'autre...

Sui generi

Parfois aussi, le classicisme est underground... Cela arrive, quand, dans une société, ce qui n'est qu'ébauché, mal fait, vite fait, attire l’œil, l'intérêt et l'argent. Quand l'art fabriqué en y pensant à peine, en parlant trop, en le vendant déjà avant même qu'il existe, en le vendant d'ailleurs et en le revendant sans même qu'il existe jamais, quand cet art vite fait, mal fait, tiré du premier jet d'un instinct non fouillé, recueille tous les suffrages officiels, médiatiques, administratifs, alors ceux qui, dans l'indifférence de leur entourage tâtonnent et peaufinent vers la plus haute qualité possible, ceux là, créent des œuvres classiques underground.

 

lundi, 26 mai 2014

Piano gare

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Un homme est assis au piano dans le hall de la gare Montparnasse ; il joue bien et fort, les passants passent plus lentement à ses abords ; chacun entre en soi par le chemin de la musique et revit un souvenir de sa jeunesse.

Debout contre une rambarde en métal et en béton, les yeux rivés sur l'écran qui affiche les voies de départ des trains de l'Ouest, je règne sans partage sur mes images intérieures.

Je revois les années envolées, les visages, les figures, disparus sur la ligne effacée du temps. Je marche rue Boissonade. Les voix qui m'accompagnent parlent des gens du lycée Buffon et de la fête de Lutte Ouvrière.

Un second homme, qui regardait, debout, l'homme du piano, élève la voix. Voix de stentor qui infuse l'aria d'un opéra que tout le monde connaît et que personne ne peut nommer. Le pianiste, heureux de ce passant opportun, organise des points d'orgue et des da coda.

Je me souviens d'une femme âgée que j'allais voir à Nantes et dont les gilets de tricot chargeaient l'air tiède d'un autre temps. Sa voix mentionnait les quartiers des oncles et des tantes et les regards braisés d'une carmélite égyptienne.

Le chanteur se baisse, ramasse sa valise, salue son compagnon d'une heure volée au temps chronométré de nos modernités, et s'en retourne à ses allures pressées de voyageur du quotidien. Le pianiste reprend son rythme de croisière et les airs se succèdent, d'opéra en variété, tandis que les voies des trains s'affichent successivement en lettres jaunes et oranges sur le panneau noir.

Il y avait cette ville à mi-chemin entre Paris et la province, il y avait cette maison pourvue d'une tourelle et d'un jardin à l'abandon, il y avait cette femme que je croyais dans ma vie pour toujours, il y avait cette femme dont je ne sais plus le prénom. Il y avait ce cœur ravi d'entrain et d'espérance, il y avait ces yeux noyés dans l'autoroute, il y avait ces mots restés gravés dans mon tombeau et qui surgissent en cet instant et résonnent dans une tête plus sage.

Fillette, fillette ! Il n'y a plus cette enfant sage. Tu dors dans un linceul, Edith, toi qui vibrais. Du haut de ma stature qui ne reflète pas mon visage, je te regarde dormir, tu as bientôt treize ans.

Et si toutes les gares, à toutes les heures, offraient des airs d'un autre siècle aux gens qui passent, il y aurait plus de douleur, moins de gageure et point de mots dans les espaces agrandis par les bémols, dans les escalators démaquillés par nos mémoires en transit.

samedi, 24 mai 2014

Dolores, Terrae incognitae

Je t'ai reconnue hier soir au premier coup d'oeil, la douleur. Tu prenais toute la place sur son visage. En regardant cet homme qui ne me ressemble pas, je voyais ma figure des jours mauvais.
Et je te contemplais, stupéfiée, saisissant à quel point nous ne te comprenons pas. Nous te portons, la douleur, et tu pèses lourd, mais c'est un fardeau sans paroles, c'est un fardeau sans frontières.

Tout ce que le corps visible ou connu souffre est nommé ou pourrait l'être. Un bras blessé, un colon irrité, la souffrance est physique, dit-on.
L'autre souffrance, comment l'appelle-t-on ? La souffrance morale ?
Pourtant, existe-t-il une pensée humaine, qui ait lieu ex nihilo, hors de la matière ? Existe-t-il une seule émotion qui soit vécue hors de la chair ?

Le pas d'un pied, le geste d'une main, l'élan "du coeur" ou l'idée "dans la tête" sont des phénomènes physiques. Ils n'ont pas lieu dans un monde désincarné, vide, mais ils sont fabriqués par des mouvements de matière.
Cela nous le savons.

Les mouvements imperceptibles du monde n'existent pas moins que les mouvements perceptibles.
Cela nous nous en doutons à peine.

L'homme, encore au seuil timide de la connaissance, ne s'est pas débarrassé de cette naïve habitude de ne pas croire à l'existence de ce qu'il ne voit pas. Aussi nomme-t-il "souffrance morale" une douleur dont il ne perçoit ni l'origine locale, ni les conséquences exactes.

Comme si le moral était une zone hors la chair, où la matière n'est plus...

L'homme, du côté obscur de la porte entrouverte de la connaissance, croit encore à l'existence d'un monde éthéré où auraient lieu les événements affectifs, émotifs, intellectuels de sa vie. Il ignore presque tout des phénomènes de son cerveau, et s'il ne croit plus en Dieu, il croit tout de même que sa vie affective, émotive, intellectuelle, est régie en dehors de tout processus physique.

Il nous faudra beaucoup de temps pour comprendre qu'un sentiment, qu'une émotion, qu'un choix, a lieu dans le corps. Ce sont des gestes, comme ceux que nous faisons avec nos mains et nos pieds, avec notre visage. Ce sont des gestes que nous faisons dans des zones de notre corps que nous ne connaissons pas, dont nous ignorons le mode d'action et de réaction.

Quand nous comprendrons ces gestes infimes, nous mettrons des mots justes sur nos souffrances aujourd'hui qualifiées de "morales". Nous comprendrons pourquoi nous pleurons, pourquoi nous nous jetons par la fenêtre, nous comprendrons comment nous ressentons.

Hier, te voyant assise, énorme et implacable, sur le visage ravagé d'un homme à la tombée du jour, j'ai compris, la douleur, que tu n'étais qu'une blessure de la chair, une plaie, comme une autre.

Et je t'ai regardée.

notre dame de lorette

La douleur renversée. Notre-Dame de Lorette, 75009

 

mercredi, 21 mai 2014

Pluie de mai

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Au milieu d'un jour jaune, cascades qui rendent les bâtiments et le ciel gris comme un autre jour. De ce monde, je ne connais presque rien. Pourtant, l'heure de ma mort approche,et je n'ai pas assez étreint. J'ai glané ici et là des quarts d'heure de sourire, et poursuivi un rêve qui n'en finissait pas. Deux mois, dix ans, trente ans, la bagatelle ! Quel clown ailé nous demandera des comptes, à nous qui n'en pouvons plus de compter ?  L'effort de survivre au-dessus des égouts occupe nos années. L'espérance d'un autre monde s'en est allée. C'est la pluie qui le dit à l'heure du thé.