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mercredi, 28 mai 2014

Charade

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Ballade, ballade,
Que vas-tu nous chanter
Quand la nuit descend dans la moiteur d'été ?

Insomniapolis,
La ville où les amants avides du sommeil
Passent leur exil -
Arthurs Rimbauds dégénérés, violeurs d’Éthiopies !

Quelle est cette danse qui tient mon corps en transe ?

Je suis solitaire et vous ne me connaissez pas.
Voici que vient l'heure de la douceur et des grillons,
Mais mes pas, même lents, trébuchent sur la pierre
Et j'ai le vague à mon âme isolée,
Île de désolation à la lagune en cœur brisé.

Exode, exil, j'ai laissé ma vie, ma ville grouillante, la plus riche cité.
Dans son amplitude, ma solitude avale l'espérance et la charité.
Je suis trop près de la mer pour la foi du charbonnier
Et les marins partis ne prient plus pour mon cœur.
Paris c'était la vie, la vile, la ville
Je ne sais pas lui pardonner de m'avoir laissée la quitter.

Parade, parade,
Que vas-tu nous danser
Quand le zénith descend le long du jour brûlé ?

La nécropolis,
Cité célibataire où le buveur d'amour
Abreuve son joug -
Baudelairien désespéré, charmeur d'aliénées !

Tiens, d'où vient ce chant qui altère mon ouïe ?

Moi, velléitaire, et vous qui ne me voyez pas,
Voici l'air qui sonorise un bateau d'oxygène.
N'est-ce pas, même lent, le chant de la sirène,
Au fond du flot, sa voix immaculée
Pousse la complainte tendre au cœur brisé dans ses lacunes.

Exsangue exil, j'ai lassé la vie, la ville bruyante, la folle magnanime,
Dans ses turpitudes, d'habitude, j'arborais la chance et la probité.
Je suis trop loin : l'autoroute a nargué ma péninsule
Et mes amis enfuis méprisent ma pendule.
La baie de Cayola, c'est l'aune, c'est là !
Je ne peux pas lui pardonner de m'avoir laissée la rejoindre.

Charade, charade !

 

27.5.14. Avant minuit ?

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mardi, 27 mai 2014

Classicisme & underground

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Underground

La clandestinité insuffle aux ambiances, aux lieux, aux œuvres, une force vitale... Aussi l'esprit aux aguets, en quête de substance artistique, cherche le museau au vent du côté des arts underground.

Ce mot anglais, underground, on pourrait le traduire par parallèle, ou clandestin, justement. Ou souterrain, si l'on veut une vraie équivalence. Quoi qu'il arrive, l'art underground par nature, n'accède pas immédiatement à la gloire, ou alors il y accède d'un coup net et s'y désintègre aussitôt en plein vol - comme un poète-chanteur fauché à 27 ans (par exemple).

Beaucoup d'artistes nous ont fait rêver par la force vitale de leurs premières œuvres (celles qui ne les nourrissaient pas sont celles qui nous nourrissent longtemps), tandis que leurs productions plus tardives, une fois qu'ils ont acquis la renommée et la reconnaissance, ne sont que de pâles reflets de l'époque où la source n'était pas tarie.

Classicisme

La beauté classique telle que les Grecs l'aimaient, exigeait l'équilibre des proportions, la perfection formelle, dont découlaient le sens et la puissance. Ce classicisme grec, les artistes de la Renaissance l'ont réapprivoisé. Il impose une impeccable maîtrise artisanale, jointe à la plus haute inspiration et sait manier l'impact de la synthèse à la délicatesse de la finition. Au risque de sombrer dans une vision élitiste et inégalitaire de la civilisation, disons que seules certaines civilisations, dans leur époque la plus brillante, la plus profonde et la plus maîtrisée, atteignent une telle stature, qu'elles perdent au bout d'un temps plus ou moins long.

De l'un à l'autre

Un art classique, pour rester vif, cueille aux sources clandestines des arts plus bruts et plus libres ; un art souterrain, clandestin, parallèle, s'inspire toujours des formes classiques même si c'est pour les détourner, les contourner, les déformer, ou bien il grapillle, là où l'art n'est pas censé exister, des ébauches qu'il tire vers un embryon de classicisme. Bref, l'art classique et l'art underground se nourrissent l'un de l'autre...

Sui generi

Parfois aussi, le classicisme est underground... Cela arrive, quand, dans une société, ce qui n'est qu'ébauché, mal fait, vite fait, attire l’œil, l'intérêt et l'argent. Quand l'art fabriqué en y pensant à peine, en parlant trop, en le vendant déjà avant même qu'il existe, en le vendant d'ailleurs et en le revendant sans même qu'il existe jamais, quand cet art vite fait, mal fait, tiré du premier jet d'un instinct non fouillé, recueille tous les suffrages officiels, médiatiques, administratifs, alors ceux qui, dans l'indifférence de leur entourage tâtonnent et peaufinent vers la plus haute qualité possible, ceux là, créent des œuvres classiques underground.

 

lundi, 26 mai 2014

Piano gare

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Un homme est assis au piano dans le hall de la gare Montparnasse ; il joue bien et fort, les passants passent plus lentement à ses abords ; chacun entre en soi par le chemin de la musique et revit un souvenir de sa jeunesse.

Debout contre une rambarde en métal et en béton, les yeux rivés sur l'écran qui affiche les voies de départ des trains de l'Ouest, je règne sans partage sur mes images intérieures.

Je revois les années envolées, les visages, les figures, disparus sur la ligne effacée du temps. Je marche rue Boissonade. Les voix qui m'accompagnent parlent des gens du lycée Buffon et de la fête de Lutte Ouvrière.

Un second homme, qui regardait, debout, l'homme du piano, élève la voix. Voix de stentor qui infuse l'aria d'un opéra que tout le monde connaît et que personne ne peut nommer. Le pianiste, heureux de ce passant opportun, organise des points d'orgue et des da coda.

Je me souviens d'une femme âgée que j'allais voir à Nantes et dont les gilets de tricot chargeaient l'air tiède d'un autre temps. Sa voix mentionnait les quartiers des oncles et des tantes et les regards braisés d'une carmélite égyptienne.

Le chanteur se baisse, ramasse sa valise, salue son compagnon d'une heure volée au temps chronométré de nos modernités, et s'en retourne à ses allures pressées de voyageur du quotidien. Le pianiste reprend son rythme de croisière et les airs se succèdent, d'opéra en variété, tandis que les voies des trains s'affichent successivement en lettres jaunes et oranges sur le panneau noir.

Il y avait cette ville à mi-chemin entre Paris et la province, il y avait cette maison pourvue d'une tourelle et d'un jardin à l'abandon, il y avait cette femme que je croyais dans ma vie pour toujours, il y avait cette femme dont je ne sais plus le prénom. Il y avait ce cœur ravi d'entrain et d'espérance, il y avait ces yeux noyés dans l'autoroute, il y avait ces mots restés gravés dans mon tombeau et qui surgissent en cet instant et résonnent dans une tête plus sage.

Fillette, fillette ! Il n'y a plus cette enfant sage. Tu dors dans un linceul, Edith, toi qui vibrais. Du haut de ma stature qui ne reflète pas mon visage, je te regarde dormir, tu as bientôt treize ans.

Et si toutes les gares, à toutes les heures, offraient des airs d'un autre siècle aux gens qui passent, il y aurait plus de douleur, moins de gageure et point de mots dans les espaces agrandis par les bémols, dans les escalators démaquillés par nos mémoires en transit.

samedi, 24 mai 2014

Dolores, Terrae incognitae

Je t'ai reconnue hier soir au premier coup d'oeil, la douleur. Tu prenais toute la place sur son visage. En regardant cet homme qui ne me ressemble pas, je voyais ma figure des jours mauvais.
Et je te contemplais, stupéfiée, saisissant à quel point nous ne te comprenons pas. Nous te portons, la douleur, et tu pèses lourd, mais c'est un fardeau sans paroles, c'est un fardeau sans frontières.

Tout ce que le corps visible ou connu souffre est nommé ou pourrait l'être. Un bras blessé, un colon irrité, la souffrance est physique, dit-on.
L'autre souffrance, comment l'appelle-t-on ? La souffrance morale ?
Pourtant, existe-t-il une pensée humaine, qui ait lieu ex nihilo, hors de la matière ? Existe-t-il une seule émotion qui soit vécue hors de la chair ?

Le pas d'un pied, le geste d'une main, l'élan "du coeur" ou l'idée "dans la tête" sont des phénomènes physiques. Ils n'ont pas lieu dans un monde désincarné, vide, mais ils sont fabriqués par des mouvements de matière.
Cela nous le savons.

Les mouvements imperceptibles du monde n'existent pas moins que les mouvements perceptibles.
Cela nous nous en doutons à peine.

L'homme, encore au seuil timide de la connaissance, ne s'est pas débarrassé de cette naïve habitude de ne pas croire à l'existence de ce qu'il ne voit pas. Aussi nomme-t-il "souffrance morale" une douleur dont il ne perçoit ni l'origine locale, ni les conséquences exactes.

Comme si le moral était une zone hors la chair, où la matière n'est plus...

L'homme, du côté obscur de la porte entrouverte de la connaissance, croit encore à l'existence d'un monde éthéré où auraient lieu les événements affectifs, émotifs, intellectuels de sa vie. Il ignore presque tout des phénomènes de son cerveau, et s'il ne croit plus en Dieu, il croit tout de même que sa vie affective, émotive, intellectuelle, est régie en dehors de tout processus physique.

Il nous faudra beaucoup de temps pour comprendre qu'un sentiment, qu'une émotion, qu'un choix, a lieu dans le corps. Ce sont des gestes, comme ceux que nous faisons avec nos mains et nos pieds, avec notre visage. Ce sont des gestes que nous faisons dans des zones de notre corps que nous ne connaissons pas, dont nous ignorons le mode d'action et de réaction.

Quand nous comprendrons ces gestes infimes, nous mettrons des mots justes sur nos souffrances aujourd'hui qualifiées de "morales". Nous comprendrons pourquoi nous pleurons, pourquoi nous nous jetons par la fenêtre, nous comprendrons comment nous ressentons.

Hier, te voyant assise, énorme et implacable, sur le visage ravagé d'un homme à la tombée du jour, j'ai compris, la douleur, que tu n'étais qu'une blessure de la chair, une plaie, comme une autre.

Et je t'ai regardée.

notre dame de lorette

La douleur renversée. Notre-Dame de Lorette, 75009

 

mercredi, 21 mai 2014

Pluie de mai

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Au milieu d'un jour jaune, cascades qui rendent les bâtiments et le ciel gris comme un autre jour. De ce monde, je ne connais presque rien. Pourtant, l'heure de ma mort approche,et je n'ai pas assez étreint. J'ai glané ici et là des quarts d'heure de sourire, et poursuivi un rêve qui n'en finissait pas. Deux mois, dix ans, trente ans, la bagatelle ! Quel clown ailé nous demandera des comptes, à nous qui n'en pouvons plus de compter ?  L'effort de survivre au-dessus des égouts occupe nos années. L'espérance d'un autre monde s'en est allée. C'est la pluie qui le dit à l'heure du thé.

mardi, 20 mai 2014

Mise au point

Veuillez trouver la mise au point de Venexiana, suivie du droit de réponse de MCA.

 

Si je vous écris ce soir, chers lecteurs d'AlmaSoror, depuis ce Palace M où l'on boit les meilleures bouteilles d'alcool de salamandre qu'on puisse trouver sur cette bonne vieille Terre, c'est parce que je suis sortie dans la ville et j'ai erré, erré, pour trouver du tranxène 9-Excalibur. Aucune autre drogue n'aurait pu me sortir des affres où m'avait plongée le mail psychotique de Michel Carant-Agouy.

Je sanglote depuis hier soir. J'ai bien le droit de diffuser ce poison vénéneux. Avant de lire, toutefois, assurez-vous que vous avez les nerfs bien calés dans leurs tissus :

merci pour ces merveilleux souvenirs du cinéma de la décennie 2030. 
A mon avis la vraie rupture c'est "Love me, not ?" de Traput Bachira mais je peux comprendre tes arguments. Mais avoue que l'utilisation du stroboscope pour éclairer les trépidations de la pensée était une nécessité qui ne pouvait apparaître que lors. Seulement lors.

Il va de soi que je ne souscris pas à l'absurde vision de MCA, lorsqu'il évoque la rupture qu'aurait provoqué Traput Bachira avec son film Love me, not ? Comme je le lui ai répondu sans ambages :

je ne sais même pas comment tu oses supputer qu'il serait une rupture, voire LA rupture. Le film ne comporte aucun Sternum-phare et son dialogue n'est que demi-mental.

Bien évidemment, je n'aurai pas fait cas de cet échange de vue par courrier électronique sur cette avenue publique qu'est devenue AlmaSoror, s'il ne s'agissait que de cette opinion curieuse et, somme toute, peu nocive, à propos de Love me, not ?

Non, ce qui m'a entraînée dans de violents tourments intérieurs, élevant d'abord mon âme vers les sommets de l'exaltation pour ensuite la jeter dans la géhenne de la désespérance, c'est la révélation glaciale et brûlante que MCA nous jette à la figure à propos du Stroboscope.

Mais ne tombons pas dans la gueule du loup !

Car si nous, membres du groupe électro-nirvana, décorés de toutes les médailles de la lumière intellectuelle, capables en outre de semer des graines créatrices dans les esprits de nos post-contemporains (à cet égard, pour ceux qui douteraient de mes compétences, je rappelle que je suis internée d'honneur à l'asile d'Apsyaï, comme le mentionne justement Katharina Flunch-Barrows dans la biographie qu'elle m'a consacrée), car si nous, disais-je, avions tout prévu, tout conçu, tout pensé dans la plus complète liberté de nos cœurs, jamais nous n'avions osé dévier au point d'éclair où MCA nous projette brusquement.

A l'ouest, mais sans perdre le nord, MCA ne se contente pas d'affirmer que l'éclairage des trépidations de la pensée par le stroboscope était nécessaire, ce qui constitue en soi une révolution copernicienne qui ébranle nos bases ; non, il ajoute, avec une perfidie qui m'arrache encore des larmes, que cette nécessité ne pouvait apparaître que lors. Et, sans doute parce qu'il a abandonné toute idée de compassion envers son prochain, et particulièrement son prochain esthète, il insiste comme un chat torture une souris : seulement lors.

J'ai lu son mail, et j'ai fui comme un rat qui court, j'ai couru avec un jean délavé et un T shirt transparent sur les boulevards de l'oubli, j'ai poussé, en train, jusqu'au Havre où j'ai dansé comme une furie dans ma si belle robe verte parmi les fleurs extraterrestre de la déchirure maritime. Et puis, ne pouvant surmonter le mal des ardents du poison insufflé par la sonde de sa phrase, j'ai vomi tout mon pituite sur les poubelles de l'aube.

Alors, notre compagnon d'armes Aleixandre Loisnac est entré en lice. Il a participé à la conversation, et, dans une volonté désarmante de m'armer pour mieux résister aux attaques de la panique intellectuelle, il m'a incitée à aller voir un film qu'il a qualifié de perle : Espoir, tais-toi cru, d'Etopac Namurt. C'était le fol espoir que je me relève, que je ressuscite, que je m'en sorte. Et c'aurait pu, effectivement, ce film, oui, c'aurait pu être une porte de sortie, ma porte de sortie, notre porte de sortie. Mais la station spatio-temporelle 2032 était fermée aux personnalités non-qualifiées à cause d'une onde bizarroïde qu'un terroriste de l'ONU avait fait semblant de jeter dans l'espace-ciel 733. Aussi ai-je dû renoncer à ce film-sauvetage et ai-je poursuivi mon naufrage. Peu importe.

Il reste que, quoi qu'il arrive, nous devons nous fonder sur des bases solides pour parachever l'histoire de la décennie 2030 - sans quoi, de funestes trompeurs, tels MCA, peuvent nous faire vaciller sur nos certitudes intérieures. Or, sans elles, sans ces certitudes qui sont notre colonne vertébrale astrale, que peut devenir le chemin civilisateur ?

C'est cette question que je vous pose aujourd'hui, amis humains et néo-humains. Attention aux pervers. Attention aux attaques du non-sens proactif. Attention à ceux qui veulent nous faire prendre des vessies pour des lanternes et des stroboscopes révélateurs des trépidations de la pensée pour des Nécessairoscopes.

Merci à vous. Diffusez largement. C'est important pour l'avenir de nos mutants.

 

Éléments pour mieux comprendre le dossier :

La saga des voix lactées

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Droit de réponse

 

Droit de question ou de réponse ?

 

chère Venexiana, chère à nos âmes et chère à nos futurs. 
 
Très chère en vérité tant vos larmes nous coûtent et vos arguments nous transpercent, permettez moi cette interpellation. Votre réponse a été pour moi une torture : torture du temps et de la faille cinématique. Vous décidiez donc, ce soir là, juste là, posé bêtement sur le rebord de la semaine, de faire valser les idées reçues et en grillant une lampe  de faire griller ce que en quoi nous croyons comme les Gliptosaures ont grillé sous les laves du  Dekkan. Non la rupture stroboscopique n'est pas une idée isolée et sortie de l'esprit de quelque pervers à qui aurait échappé l'éclair d'une ombre ou l'ombre d'un éclair. J'ai sous les yeux la demande d'internement signée par 37892 membres de la Société des Gens de Goût qui affirme sans ambages que Traput Bachira doit être interné d'honneur à l'asile d'Apsyaï. Et cette demande précise la nécessité de libérer la totalité de l'asile pour que ladite SGG puisse y installer le Service du Goût Exquis, qui serait présidée à l'avenir par Traput Bachira en personne. Je n'invente rien, les pièces sont là, protégées sous scellé et par des piranhas. Isolement, superbe isolement que celui des amis de Traput !
Mais venons en aux faits.
De quoi la lumière stroboscopique est-elle le nom ? De la naissance et de la mort. Une naissance et une mort renouvelées chaque fois plus intensément dans le flux d'une pensée, jusqu'à perdre leurs limites et devenir un seul jet, la vie. OUI, le cinéma stroboscopique est le seul cinéma qui ait su capter la vie, une vie complète, intermittente, féconde et anémique. Le seul cinéma qui ait la force et l'ambition de briser l'image animée jusqu'à tuer le spectateur, qui peut en effet traverser l'écran en abandonnant sa conscience souveraine. Il n'est pas étonnant dès lors que vous assimiliez Traput  à Copernic, reconnaissance involontaire de votre acquiescement au cinéma Bachirianique. Qui mieux que Alfred Copernic a su dire, en effet, que la source de l'image, la lumière du soleil, était intermittente non par la volonté du projecteur mais par le couple dansant du projecteur et de la toile. Ainsi c'est dans l'entredeux, dans le regard du spectateur pris dans cette danse comme au filet, que se jouait l'apoptose de la conscience. Effondrement narcissique parfait... jusqu'à l'invention terrifiante du projecteur à lumière continue,  qui menaçait d'élever une nouvelle tour de Babel des illusions mentales.  
 

Sur ces quelques mots de précisions, qui ne pourront apaiser votre cœur vêtu de vert, (CENSURE).

MCA, Michel Carant-Agouy

lundi, 19 mai 2014

Les pompes et les oeuvres

Tu dis que, plusieurs fois, tu as connu le pillage de tes idées. En cherchant un canal pour les diffuser, en les découvrant face à des personnes aux commandes, tu t'es vu opposer une fin de non-recevoir ; quelques semaines, quelques mois, quelques années après, par hasard, tu as repéré que ton travail avait été entièrement pompé, et diffusé sous une autre signature.

C'était inévitable. A moins de naître à l'endroit même où se décident les événements, tu n'es qu'un pion qui avance péniblement dans le labyrinthe de cette société dont le fonctionnement ésotérique est dissimulé par ces mots : liberté, égalité, fraternité.

Soldat de ton propre travail, sois prêt aux mauvaises rencontres, aux malotruands.

Sur les chemins de campagne de la fin du moyen âge, des brigands se promenaient déguisés en moines pour prendre par surprise le voyageur à détrousser. Dans les immeubles de nos villes, les pillards sont déguisés en personnes sincères, ouvertes, chaleureuses, compassionnelles, tolérantes et solidaires.

Ne sois pas naïf. Apprends à discerner. Chaque jour, pratique la musculation mentale et psychologique.

Ne sois pas paranoïaque. Apprends à dissiper. Chaque jour, abandonne au passé ses vieilles nécropoles de rêveries trompées.

Qui trompe la vie trompe la mort. Mais rien ne trompe le temps.

Ne te trompe pas : le vrai créateur ne te volera rien. Ses ressources intérieures sont illimitées.

Le vrai chercheur, sache-le, remonte toujours vers la source. S'il a aimé une oeuvre ou une idée, il en suivra avidement le cours et il parviendra ainsi jusqu'à toi. Quel que soit le temps que cela prenne.

Apprends encore que le pompeur, quelle que soit sa puissance en ce monde, meurt aussitôt que la mort l'empêche de continuer à pomper. Car son oeuvre n'est nourrie que de l'extérieur, comme une plante qui n'a pu pousser qu'aux engrais et n'a aucune relation avec la terre qui l'abrite. En revanche, l'oeuvre pourvue du souffle authentique qui l'a fait surgir, continuera à inspirer bien après la mort de son auteur, quelle que soit l'obscurité dans laquelle il a vécu.

Ton pompeur connaîtra le succès suprême, mais patience. Toutes les époques s'écroulent sous le poids de gloires tentaculaires aussi éphémères qu'une fausse nouvelle de guerre, qu'un scandale de la troisième République, qu'un événement qui fait jaser toute la cour de Versailles durant trois mois. Aux pompeurs, les publics faciles et artificiels.

Aux créateurs, les audiences faites d'individus qui cherchent.

Sur les matériaux authentiques, le temps agit comme un ami. Il leur confère une patine qui les teinte d'élégance et de mystère, et parachève ainsi le travail de l'auteur.

Le temps, maître patient et implacable, ne se reconnaît pas dans les jeux pipés des tricheurs.

 

dimanche, 18 mai 2014

Quand on a réalisé son rêve

2014.05.17.plage1.jpgPlus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres...

 

Arrive parfois le jour rare où l'on a réalisé son rêve.

Le prix littéraire fut un moment de feu et de flammes, et l'on pleurait croyant serrer enfin ce que l'on méritait depuis longtemps. Ce n'est que le lendemain qu'on se rappela que parmi les méritants, peu obtiennent l'once d'une récompense. La plupart ne voit pas le bout de ses peines.

Des amis nous appellent, nous écrivent, nous invitent, nous rappellent, nous congratulent chaleureusement ou nous plaignent avec tendresse. Ils répondent à nos demandes, préviennent nos besoins, demandent pardon si par hasard ils ont manqué de tact.

Quelqu'un nous aime, et l'on se souvient bien que ce ne fut pas toujours le cas - mais le passé s'est enfui.

Le passé s'est enfoui sous les victoires remportées, sous la chance glanée et glanée encore sans même plus y penser.

Il était une fois un enfant privé d'océan - mais la villa de sable et de vent abrite désormais ce qu'il reste de cette enfance - des livres gardés précieusement par un père attentif ; des photographies d'une ville grise, un vieil ours en peluche à moitié mangé par un chien qu'on aima.

La somptuosité des étoiles sur l'océan, c'est devenu le quotidien du soir ; comme la douceur des jus mêlés de goyave, de mangue, de pomme et de framboise est devenu le quotidien de l'aube, une aube tardive depuis que le réveil n'a plus besoin de sonner.

Ti-Punch, pisco sour ou White Russian ? Tout ce que vous voulez. Mais parce que la sobriété est la mère des arts de vivre, le punch du bord de plage exclura que l'on ouvre plus tard la bouteille de Gevrey-Chambertin. Il faut savoir ne pas trop boire pour continuer à boire.

La santé ne fait pas défaut. Le corps encore très jeune peut accomplir tout ce que l'esprit lui demande, et pourrait même beaucoup plus si l'esprit lui demandait plus.

La promenade cependant de sept heures du soir se teinte souvent d'une infime amertume, lorsque le regard se noie dans les nappes de ciel orpiment.

Pourquoi ? Quelle est cette langueur qui pénètre le cœur ? Qui vient déranger une vie parfaite ? Maudite pensée qui traverse un esprit et l'irrite !

Et l'évidence se découvre. La douleur blanche de réaliser qu'elle est là, comme une couverture posée le long de notre cœur : la nostalgie du temps où l'on rêvait.

 

(à lire : John Peshran-Boor)

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Le poème ou l'image qui viendra

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Si tu créais un poème ou une image, tu t'interrogerais sur la possibilité de son existence, sur la possibilité de sa puissance, dans la vie d'un enfant de sept ans qui l'entend ou la regarde par un après-midi d'été empli de chaleur et d'ennui.

Dans la vie d'un enfant de dix ans qui regrette ses six ans et voudrait déjà en avoir treize, comme les grands.

Dans la vie d'un collégien qui souffre chaque jour de ses boutons naissants et de son incapacité à être aimé des autres.

Dans la vie d'un lycéen de quinze ou seize ans qui découvre la politique et la paresse, la poésie et la drogue.

Dans la vie d'un cadre des assurances qui paye une pension alimentaire à la mère de ses enfants, et qui ne peut les voir, à regret, qu'un weekend sur deux et la moitié des vacances.

Dans la vie d'une ancienne gérante d'une agence immobilière, au chômage depuis cinq ans, passionnée par l’Égypte ancienne.

Dans la vie d'un homme qui vient d'être nommé directeur de cabinet du ministre de l’Éducation nationale ; il trouve qu'il mériterait une autre femme que celle qu'il a épousée à l'époque où il avait moins de stature ; il n'a jamais oublié qu'on a abandonné son cher Cocard, le labrador, pour partir vivre à Hong-Kong où son père était nommé.

Dans la vie d'une femme à la retraite, qui voudrait changer de club de gymnastique et hésite à partir au bord de la mer durant une semaine l'été prochain.

Dans la vie d'un homme qui a peur d'oublier son propre nom depuis que son neveu ne vient plus le visiter dans la maison de retraite de la ville de Niort.

Dans la vie d'un Tibétain qui vit à Lhasa depuis qu'il a quitté son village natal et qui cherche de nouvelles idées pour développer son petit commerce et embellir sa vitrine.

Dans la vie d'un Rrom qui vit à Arles, au fond d'une impasse, depuis douze ans.

Dans la vie d'un Hindou dont l'appartement offre une très belle vue sur la ville de Bénarès et qui n'a jamais lu la Comédie humaine, de Balzac, dont il possède une édition complète en langue anglaise.

Dans la vie d'un chauffeur de taxi de la ville de Mexico qui collectionne les affiches de concert qu'il décolle dans les rues de la métropole.

Dans la vie d'un paysan de la pampa, qui s'est fait des meubles avec des pneus de voiture et possède un scooter depuis huit mois et demi.

Dans la vie d'un Russe petersbourgeois à la fois nationaliste dur et fou amoureux de la musique de Kino.

Dans la vie d'un Serbe ayant connu l'horreur des bombes de l'OTAN, qui écoute la radio en réparant l'ordinateur de son frère dans le garage.

Dans la vie d'un musulman fondamentaliste, qui se prépare pour la Guerre Sainte contre l'Infidèle.

Dans la vie d'un catholique traditionnaliste qui prie Saint Michel pour le redressement de la France.

Dans la vie d'une carmélite qui pense à sa sœur à l'heure de Laudes ; dans la vie d'un prisonnier coupable de plusieurs crimes crapuleux et qui s'ennuie dans sa cellule et trouve son co-détenu et compagnon de cellule bête comme la mort ; dans la vie d'un physicien qui boit une bière dans un bar de la rue de la Folie-Méricourt, et se demande quelles sont les failles de la théorie des cordes et pourquoi le serveur a changé de coupe de cheveux trois fois ce dernier mois.

Dans la vie d'un balayeur des rues qui sait son geste par cœur et chante en lui-même un chant hongrois dont il a oublié le troisième couplet.

Dans la vie d'un jazzman qui adore sa contrebasse et sa rue sale et bruyante et déteste les beaux quartiers où il a grandi.

Dans la vie d'une femme de ménage heureuse d'avoir obtenu un logement social dans un quartier où les écoles sont propres et bien fréquentées, au bout de sept ans d'attente.

Dans la vie d'un étudiant martiniquais qui hésite entre rejoindre le mouvement indépendantiste ou un parti centriste français.

Au cours de ton temps de création, tu te demanderais, pour chacune de ces personnes imaginaires, si ce poème ou cet image aurait l'heur de lui plaire, de l'intriguer, de l'emporter quelques secondes ou quelques heures dans un rêve. Tu chercherais à trouver la voie qui te paraît la plus propice pour nourrir cet être que tu viens d'imaginer, puis cet autre, puis cet autre encore.

Comment insuffler à ta création la majesté qui impressionnera chacun d'eux, comment la teinter d'une quête clandestine qui les fascinera et parlera à leur force vitale ? Comment créer une forme qui touche chacun d'eux d'une telle manière qu'ils soient un tantinet changés après l'avoir vue ou entendue, regardée ou écoutée ?

samedi, 17 mai 2014

Les multinationales de la Mort

Bouygues, Monsanto, MacDonald, Coca Cola, auront leur nom au fronton de nos sinistres mémoires, demain.

Bétonisation du monde, empoisonnement de graines, gavage d'enfants, asséchement de nappes phréatiques, emploi de sous-salariés, destruction de forêts et anéantissement du patrimoine que nous laissèrent nos ancêtres, assignation de milliards d'animaux à l'état de choses modelables et découpables en vue d'un produit fini décliné en série et vendu à la foule immense des consommateurs.

La responsabilité individuelle est dissoute dans la grande organisation du monde. Organisation, gestion, communication, la guerre n'a pas toujours lieu là où les fusils tirent. La guerre qui vise à détruire les cerveaux, les corps, les traditions des communautés, les villages, n'a pas le nom de guerre, elle ne part même pas d'une intention.

Il n'y a pas besoin d'intention pour régner par l'argent, car l'argent est un moyen. Les rois du monde capitaliste n'ont pas d'autre fin que leur moyen. Il n'y a pas de but, il n'y a pas de cause.

Le retournement étrange que scelle la victoire du moyen sur la fin nous plonge dans une stupéfaction béate qui tourne sur elle-même. Partout où nous cherchons l'origine, la cause, le but, l'essence, nous ne trouvons que le moyen.

Les yeux vissés au petit écran qui lessive nos neurones, nous n'avons pas plus d'intention que ceux qui nous téléguident grâce à notre impressionnante passivité, grâce à notre consentement indécent.

L'histoire du capitalisme est une histoire de sang, de mort, de destruction. Mais les criminels de guerre ont les mains propres : ils sont partisans des droits de l'homme, ils participent à instaurer la démocratie dans le monde, ils subventionnent des fondations charitables.

Et les victimes ne se doutent jamais que l'arme de leur mort était le symbole de leur plaisir quotidien, la preuve de leur adaptation à ce beau monde global.

La métamorphée

Partir à la rencontre de soi-même ? Oh, comme c'est loin ! En voilà un voyage qui ne finira pas. La chute du moral est comme une attaque interne par un affreux mollusque qui mange toute énergie, toute joie pour ne laisser que l'horreur inesthétique de la dévastation. Cette attaque commence doucement, au fond de l'être, aussi s'en rend-on compte trop tard - toujours trop tard. Irritabilité, sensation de vide laid, reflet affreux de soi dans les vitres et les objets en métal (on ne s'approche pas des miroirs !), se conjuguent pour faire d'un moment pourtant banal - une matinée comme une autre - une descente aux enfers du mental. Bientôt le corps suit le mental sur sa pente sombre et plus rien ne subsiste de la joie de vivre.

Comment lutter contre le terrain glissant qui mène à ces zones sans lumière ? Cesser le sucre raffiné, le blé, l'alcool, les huiles grasses, les produits industriels ? Lutter corps à corps contre son ego, cet ennemi qui nous veut le bien qui nous perdra ? Prier sans y croire ? Que peut une volonté presque morte contre l'invasion de la tristesse morne et glauque ?

Les bonnes résolutions d'hier se sont dissoutes en mon absence, pendant que je dormais. La transfiguration du monde pour laquelle j'oeuvrais s'est fracassée sur le mur invisible des miasmes de l'aigreur - et je ne l'avais pas vu. Je suis prisonnière d'une cage qui s'est construite en moi sans que je m'en rende compte.

Est-on vraiment seul en soi ? Serait-ce moi qui ai bâti l'oubliette gluante où mon âme se noie, ou bien le démon existe-t-il, qui attaque ses ennemis après avoir pénétré en eux par la petite porte, lors d'un moment d'inattention ?

Pourtant je voulais édifier, avec les mains de mon coeur, la profondeur inaltérable du calme. Je voulais descendre les marches veloutées de la décontraction la plus ample. Je marchais habitée d'espérance vers le lagon de paix infinie.

Pourtant, je construisais, jour après jour, la personnalité du légionnaire de l'existence : âme d'acier et sang froid. Renoncement après renoncement, renonciation après renonciation, j'abandonnais le goût de l'image de moi pour n'apparaître plus que dans ma vérité pure et nue, brute comme un fruit sauvage.

Et je connaissais chaque jour un peu plus la certitude intérieure.

Je croyais tenir le fil de la stabilité émotionnelle, sérénité conquise, sérénité acquise.

Connectée à cette immensité qu'on nomme Dieu ou l'éternité, connectée aux infimes et multiples vibrations du monde et de l'instant, je croyais que j'étais guérie ; délivrée ; c'était l'ouverture de ma vie nouvelle.

Mais ce matin le mollusque avait accompli les trois quarts de son travail quand j'ai ouvert les yeux sur l'angoisse de demain.

 

(Lire : Oh, zones...)

jeudi, 15 mai 2014

Mise en route de l'index nominum d'AlmaSoror

AlmaSoror recense désormais ses victimes sur son INDEX NOMINUM. Nous tentons d'indexer tous les noms propres qui hantent les pages d'AlmaSoror ; il nous faut farfouiller à travers huit ans de production irrégulière mais souvent intense, aussi ce vaste chantier n'en est-il encore qu'à son ébauche.

A

Abderrahman III

Il est mentionné dans Le désillusionné

Berhanou Abebe

Il est mentionné dans Sauvetage in extremis.

Alcuin

Il est mentionné dans Une enfance littéraire française : invitation au voyage I

James Allen

Il est traduit dans Ainsi pense-t-il, ainsi soit-il

Jean-Baptiste Amadieu

Il est mentionné dans Auto(?)censure

François Andelkovic

Il est cité dans Les haies

Apostolus

Il est cité dans Quatre entrées en matière, quatre sorties de secours

Il est cité dans J'allais plus loin, et je me disais...

Lotte Arndt

Elle est l'auteur de Die Insel der lesenden ArbeiterInnen

Venexiana Atlantica

Elle est mentionnée dans Les Basaltiques : Critique d'un album musical

Elle est mentionnée dans Hors les murs

Elle est mentionnée dans La dolce vita

Il est citée dans Combattre et vivre libre

Elle est citée dans Parfois j'ai prié

On l'entend dans Psalmodie atone souffle

Elle est citée dans Passage d'une autobiographie incertaine

Elle est mentionnée dans Hors les murs

Elle est l'auteur d'Adieu ma concubine

Elle est citée dans Celle qui ne m'a jamais aimée

Elle est haïe dans Edith de CL

Elle hante en égérie la Saga des voix lactée

Atahualpa

Il est mentionné dans Charte du Mandé, Discours de Seattle, Pièce de la mort d'Athahualpa : des "faux".

Jon Atwood (Voir à Yellow 6)

Sainte Thérèse d'Avila

Elle est mentionnée dans Extase

Elle est mentionnée et citée dans Un dimanche à Avila

Elle est citée dans La nuit

 

Suite sur l'INDEX NOMINUM ALMASORORIS

mercredi, 14 mai 2014

Un jour à la plage,

les petites filles.jpg

"Il ne pleut pas toujours pour les petites filles".

Sara

mardi, 13 mai 2014

Vers un paysage

Je voudrais connaître un lieu, dont l'esthétique, belle et intéressante, m'enivrerait. Libre d'accès, je pourrais m'y rendre chaque fois que j'en ai envie. Lieu virtuel ou bien réel, lieu visuel ou spirituel, ce pourrait être un rivage ou un visage, ou même une page. J'y retrouverais dès que je le désire son rythme propre, à la fois soutenu et paisible. J'y jouirais de la présence intemporelle et profonde de l'Intelligence ; je m'y baignerais dans son énergie pleine de vitalité et sentirais les caresses de sa délicatesse. Dans cet univers à la fois semblable à lui-même et toujours renouvelé, j'y puiserais une inspiration pour ma vie quotidienne. Empreint de mystère, ce lieu ne se laisserait jamais voler son essence, toujours il y aurait des éléments à découvrir, à comprendre d'une manière plus intense. Là, dans la plénitude, le fardeau des soucis s'évanouirait de lui-même, et, avec joie, j'y reconnaîtrais des nourritures intellectuelles et artistiques classiques et underground. J'y retrouverais la confiance dans l'universalité de la beauté et j'en sortirais guérie des ambages du monde. Ce lieu hospitalier aux accents d'aventure secrète possèderait la recette inestimable des noces de l'énergie et de la tranquillité.

lundi, 12 mai 2014

Quatuor d'un monde en chantier

Suprême puissance silencieuse - Beauté démente - Libertravail - Méprison

 

Suprême puissance silencieuse

J'observe des journalistes qui parlent, qui parlent, et des ministres qui bougent, qui bougent, et des artistes qui brillent, qui brillent, et j'interroge ma vision : transforment-ils le monde, avec tous leurs cris, leurs gestes, leurs actions incessantes ?

À mes yeux, la puissance suprême serait celle d'un être humain né dans un milieu ni riche, ni pauvre, dans une ville quelconque, et qui deviendrait, sans le moindre brio apparent au cours de sa jeunesse, un mathématicien parmi d'autres ; il vivrait dans un deux ou trois pièces et ressemblerait à tant d'autres hommes, qui achètent un nouveau téléphone portable, courent au bord de la rivière le dimanche et cherche sur internet la recette d'une tarte aux tomates et aux olives pour les copains qui viennent ce soir. Jour après jour, mois après mois, année après année, il réfléchirait sur le thème qui l'obsède et finalement, un jour qui ressemblerait à un autre jour, il trouverait la solution à un problème que l'humanité poursuit depuis deux mille ans, ou bien poserait une question que personne ne s'est posée et qui révolutionnerait entièrement l'univers mental et matériel dans lequel nous vivons. Cet homme continuerait par la suite sa vie normale et ses recherches obsédées, entre l'ascenseur parfois en panne, le marché bio et le bar du coin, et il aurait transformé le monde, dans la plus parfaite discrétion.

 

Beauté démente

Nous parlions de censure, nous entendions parler de ces gens qu'on fait taire parce que la liberté qu'ils osent dérange un pouvoir tentaculaire, nous discutions de ces œuvres qui font scandale en atteignant aux mœurs et aux codes spontanément répandus à travers la société, et soudain dans l'affre d'un silence je me demandais s'il existe des personnes qui se censurent elles-mêmes parce qu'elles savent que leur style, leur conte, leur vision, atteint de tels sommets de beauté que les autres ne les supporteraient pas. Alors ils exercent un travail de sape sur leur œuvre afin qu'elle ne surplombe pas de trop celle des autres et être ainsi admis dans la foule d'élite des artistes d'un temps donné.

 

Libertravail

Et je réfléchis à ces emplois rémunérés qui diffusent de la monnaie virtuelle sur nos comptes en banque et permettent que nos cartes visa ne gémissent pas quand nous tapons leurs codes après un bon repas au restaurant ou lors de l'achat du jean idéal avec lequel nous surfons sur les trottoirs avec une grâce insaisissable. Je scrute l'atmosphère de ces nombreuses boites qui logent en leur sein, de nombreuses heures par jour, des travailleurs dont un temps considérable se passe à faire des choses qu'il pourraient faire tout aussi efficacement chez eux. Dès lors, la présence physique imposée par l'employeur, et parfois recherchée par l'employé, ne relève pas d'une nécessité liée à l'efficacité du travail des uns et des autres, mais au désir d'agglutinement, qui procure au premier un contrôle mental sur ceux qu'il dirigent, et au second une surveillance qui les force à se mettre au travail. Un homme, rencontré récemment, me racontait qu'il avait accepté, comme on saute dans le vide, que le responsable de son site internet et de la communication en ligne, parte vivre en Bretagne et reçoive le même salaire pour un jour de présence par semaine et une réunion téléphonique quotidienne. Eh bien, sans qu'il sache le moins du monde le temps passé par son télésalarié à travailler, ni les heures auxquelles il agit, l'homme m'affirma qu'un résultat extrêmement satisfaisant était au rendez-vous. Tout est accompli en temps et en heure, comme on peut le souhaiter d'un type très professionnel. Dès lors, qu'il y passe trois heures par nuit, en caleçon et en écoutant sa musique préférée ultraringarde, quelle importance ?

 

Méprison

Durant un trajet de train Paris-Beaune, il y a quelques années, je téléchargeais sur mon téléphone portable deux ouvrages à disposition gratuite : le bar du subjonctif,  d'Alain Bouissière, et la morale anarchiste de Piotr Kropotkine. Plongée dans la fabuleuse conjugaison française d'abord, puis promenade dans les idées intéressante du russe anar à propos de la morale réelle, commune aux hommes et à toutes les autres espèces du règne animal. Je lisais, passionnée, quand j'entendis un couple assis en face de moi se murmurer à voix basse que décidément, les jeunes adultes, braqués sur leur téléphone portable, n'étaient que des décervelés incapable de lire un livre ou de réfléchir avec suite et concentration. Ils parlaient de moi. Lui, lisait un roman vendu à plus de cent mille exemplaires cet année là, et elle, une revue hebdomadaire paraissant le jeudi.