vendredi, 13 juin 2014
La préservation des dunes intérieures
La solitude ne doit pas être le lieu du ressac des ressassements ni celui de la consommation intime de rêveries psychotropes, mais un manoir consacré à la recherche constante sur le plan intellectuel, artistique, spirituel. La solitude - ou semi-solitude - est aussi ce qui permet d'être soi, loin du répandu égotique et de la compétition qui vous rendent méchant et amer.
Les écrivains français ne sont pas assez seuls. Germano-pratins ou embastillés, ils parcourent la ville en tous sens, stationnent dans de grands appartements, et boivent du champagne au milieu de trop de journalistes.
La façon dont les écrivains doivent être en représentation permanente est destructrice. Comment font-ils pour parler, parler sans cesse, devant des vidéos, des télévisions, dans des cafés, dans des bibliothèques, dans des facultés... ?
Dans la grande foire de la consommation artistique, on dissèque les écrivains comme des écrevisses dans les restaurants. On les fait cracher leur jus jusqu'au trognon.
La foule des consommateurs les aspire.
On leur demande qui ils sont, où ils ont grandi, comment ils s'appellent en vrai, pourquoi ils pensent ceci, quelle est l'injustice qui les révolte le plus, quel âge ils ont, que signifie leur tatouage...
La foule du public est un aspirateur sans pitié.
Mais sans ce public, l'écrivain n'est plus qu'un individu sans intérêt, simple membre anonyme du public.
Il accepte sa propre dissection en échange d'un éclairage somptueux sur son visage soudainement mis en évidence... Souvent, il se laisse prendre par ce jeu de lumière et se met à croire qu'il émane de lui quelque chose d'intéressant.
Durant les premiers mois, les premières années, voire, s'il est très profond et rempli, les premières décennies, il crache un beau jus. Et puis au bout d'un moment, vidé, il sert sa bile aux gens qui continuent de l'entourer.
Pour éviter de sombrer dans ce piège, les ésotérismes choisissent l'anonymat depuis la nuit des temps.
L'anonymat est une belle idée ; pourtant, un auteur n'est-il pas justement un bel équilibre entre l'effacement derrière l’œuvre et la signature qui unit toutes les facettes de l’œuvre ?
L'anonymat est une démarche spirituelle dont il faut à tout le moins se souvenir, une démarche qui rappelle que ce n'est pas moi qui parle quand j'exprime quelque chose, et que c'est précisément parce que quelque chose de plus grand que moi parle à travers moi que ma voix paraît intéressante.
Vampire, le journaliste ou le public qui regardent le doigt qui montre la lune, et non la lune (qui s'intéresse à la personne, non à l’œuvre).
Quand on interroge un écrivain sur sa vie, c'est qu'on n'a pas encore contemplé son œuvre.
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jeudi, 12 juin 2014
Le massage des mondes engloutis
Éveillée dans la ville de Montreuil-sous-bois accablée sous un soleil inattendu, je suis descendue sous la terre et les rails m'ont transportée de l'autre côté du périphérique parisien, au sixième étage d'un immeuble du XXème arrondissement où m'attendait Emily King, auteur de Watashi Tashi Nous au Japon et masseuse, dont j'avais déjà connu un premier massage efficace et profondément détendant.
Je ne savais pas alors que ce massage m'était offert par l'étoile qui descendit de l'immeuble peu après.
Je m'allongeai en disant à Emily King que j'avais besoin de détendre ma tête, surtout, et elle me proposa le stéthoscope.
Ainsi je connus le Massage des mondes engloutis.
Les mains de la masseuse effectuent leur lent travail le long de la tête et du corps, tandis que la pièce résonne des sons étranges de mon propre ventre. La symphonie préhistorique prend place. Le chant obscur du ventre laisse place à des plages d'attente silencieuse. Et lorsqu'elle masse le pied droit, une cascade ventriloque de sons chamaniques indique un lieu sacré où, peut-être, le danger guette.
Durant cette longue séance, je vis des lieux inconnus jusqu'alors, et lorsque j'ouvrais, l'espace d'une seconde, les yeux, le visage concentré d'Emily se superposait aux paysages induits par l'alliance de mon imaginaire et des sons intérieurs.
Comme des vagues, les nappes de détentes venaient s'échouer sur les rebords de ma conscience. Elles venaient de si loin que je me demandais si ce pays du corps invisible est réellement accessible.
Lorsque ce fut fini, je compris que j'avais été emportée là où les marins et les aventuriers ne vont jamais. Aux confins du monde, où l'enfance et la sagesse coulent comme de la lave volcanique au tréfonds du règne animal.
Une vision des mondes engloutis...
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Vers la lumière
"On frémit..... quand on sait comme il est facile de juger, et difficile de vivre, et comme c’est rapide, un jugement, et comme c’est long, une vie".
Henry de Montherlant
Arrêter de gigoter...
J'ai longtemps cru avec rage que je pouvais devenir quelqu'un. Mais ce n'est que lorsque j'ai ressenti toute la poussière de mon être que j'ai commencé à respirer.
L'acceptation de n'être qu'une particule fondue dans le néant correspond au début du bonheur.
Je convoque ma toute-puissance dans cet instant présent. Toute-puissante, je renonce aux détails de mon passé et les envoie au vent qui les emporte pour toujours.
Je deviens la femme sans passé.
Il est temps d'arrêter d'attendre ou de chercher à comprendre. Car ce qui m'habite me dépasse. Je ne cherche qu'un hamac où lire des poèmes en détendant mes muscles, en déployant mon cœur.
Il y a une nuée autour du sanctuaire. Que l'Esprit souffle dessus et le bonheur se fera chair.
Arrêter de consommer...
Reconnaissons notre propre addiction, qu'elle concerne une substance physique (un produit) ou virtuelle (une habitude, une émotion).
(Observons les douze étapes du cheminement des AA (Alcooliques Anonymes) :
1. Nous avons admis que nous étions impuissants devant l’alcool - que nous avions perdu la maîtrise de notre vie.
2. Nous en sommes venus à croire qu’une Puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison.
3. Nous avons décidé de confier notre volonté et notre vie aux soins de Dieu tel que nous Le concevons.
4. Nous avons procédé sans crainte à un inventaire moral approfondi de nous-mêmes.
5. Nous avons avoué à Dieu, à nous-mêmes et à un autre être humain la nature exacte de nos torts.
6. Nous étions tout à fait prêts à ce que Dieu élimine tous ces défauts.
7. Nous Lui avons humblement demandé de faire disparaître nos défauts.
8. Nous avons dressé une liste de toutes les personnes que nous avions lésées et nous avons consenti à réparer nos torts envers chacune d’elles.
9. Nous avons réparé nos torts directement envers ces personnes dans la mesure du possible, sauf lorsqu’en ce faisant, nous risquions de leur nuire ou de nuire à d’autres.
10. Nous avons poursuivi notre inventaire personnel et promptement admis nos torts dès que nous nous en sommes aperçus.
11. Nous avons cherché par la prière et la méditation à améliorer notre contact conscient avec Dieu, tel que nous Le concevons, Lui demandant seulement de connaître Sa volonté à notre égard et de nous donner la force de l’exécuter.
12. Ayant connu un réveil spirituel comme résultat de ces étapes, nous avons alors essayé de transmettre ce message à d’autres alcooliques et de mettre en pratique ces principes dans tous les domaines de notre vie.
(Il y a aussi la Vie libre, où les addicts et leurs proches peuvent avancer ensemble).
Fondons la confrérie des addicts invisibles : ceux que les médecins trouvent en bonne santé et qui savent qu'ils pêchent quelque part - ne serait-ce que pour être eux aussi guéris ou sauvés.
Arrêter de se détruire...
Dans notre société de kamikazes dissimulés en agents du quotidien, la cause la plus fréquente de mort chez les gens de trente à quarante ans, c'est le suicide - chez les adolescents il est la deuxième cause de mort.
Il peut valoir le coup parfois de soulever le téléphone et d'appeler SOS Amitié
Ou de se demander comment écouter l'être qui vient, qui ressemble à tout le monde, et qui a soif d'exister.
Entrer en soldat sans armes dans la ville libre...
Dans nulle autre ville, le soleil ne brille avec autant de diagonale. Tout reflet ne peut être qu'oblique. Aucune rue ne connaît l'affluence des avenues capitalistes et politiques, car c'est une ville qui lézarde, éloignée de nombreux kilomètres de toute institution. Personne ne sait si le cours d'eau qui la traverse en son centre est une fleuve qui se vide dans la mer ou un lac immense. Il est toujours tranquille, ses remous n'effraient ni les bêtes, ni les barques. Un sifflement retentit quelquefois dans la nuit, au hasard d'une rue, et réveille un enfant isolé dans sa chambre à l'étage ou surprend une vieille femme qui tricote au coin du poêle. C'est le clochard qui appelle son chien.
Dans cette ville, il n'y a qu'un seul clochard et un seul chien. C'est pourquoi c'est la ville où le mendiant est roi, et l'habitant, sujet dévoué.
C'est la ville où j'aimerais vivre quand j'aurai passé tous les stades de l'ouverture du cœur.
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mercredi, 11 juin 2014
Substance : solitude
De retour d'un grand et beau festival, je rentre dans ma chambre comme on retrouve sa cellule. Pas une cellule de prison ; celle d'un moine ou d'une moniale. Celle qui a été créée, non pas pour punir l'homme en le coupant du monde, mais pour délivrer l'âme en la retirant à l'écart du monde.
Les bruits, les paroles et les mouvements incessants se dissipent et s'échappent dans le passé ; l'instant présent redevient pur bruissement des secondes qui s'écoulent mystérieusement.
Mon souffle réapprend la lenteur et le calme. Mes gestes se font plus rares. Je reconnais la douceur étonnante du silence. Mon coeur cesse de commenter ; mon esprit cesse de réagir.
La sensation de perpétuelle urgence, qui primait lors de ces jours animés, éclate comme une bulle. L'urgence me paraît une folie incompréhensible, aujourd'hui que je suis de retour dans ma cellule.
Le point de rencontre entre moi et moi, celui où je suis Une et Réunie, correspond au point exact où j'épouse parfaitement l'instant qui vient. Cette présence intacte dans l'existence brute, née d'une solitude qui ressemble à une extase de calme.
La solitude est une sorte de drogue. J'essaie de retrouver la sensation d'être seule en présence de moi-même, comme on cherche une sensation psychotrope.
Je suis accroc à cette solitude-là.
(à lire sur AlmaSoror :
Souffle et drogues autogénérés : le psychédélisme au naturel
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Index nominum, : la lettre B
En huit ans d'existence, AlmaSoror a égrené de nombreux noms propres dans ses pages electro-poussiéreuses. Le chantier de l'index est entamé, mais bien loin d'être achevé. C'est donc une lettre B en construction que nous vous livrons ici et qui permettra à ceux qui viennent depuis longtemps de retrouver, peut-être, de vieux articles qu'ils avaient oubliés.
B
Babx
Il est cité (sans que son nom soit mentionné) dans Deuil d'une illusion
Jean-Sébastien Bach
Il est mentionné dans Auto(?)censure
Gaston Bachelard
Il est cité dans Sanctuaire
Normand Baillargeon
Il est cité dans Québec : l'accent d'une pensée
Honoré de Balzac
Il est mentionné dans Auto(?)censure
Arturo Bandini
Il est mentionné dans Mémoires de nos lectures
Alexina (Herculine Abel) Barbin
Alexina est mentionné(e) dans Vigny aux temps électros
Barynsflook
Il est l'auteur de Dangereuse beauté
Il est l'auteur de L'incompréhension notoire de l'homme
Charles Baudelaire
Il est mentionné dans Auto(?)censure
Il est mentionné dans Au confessionnal du cœur
Béja
Il est mentionné dans La musique de Nadège
Il est mentionné dans Moineville : la ville des écrivains
Il est mentionné dans Le sexe des anges
Ota Benga
Il est mentionné dans Ota Benga
Jacques Benoist-Méchin
Il est cité dans Le désillusionné
Il est mentionné et cité dans La fabuleuse plume de Jacques Benoist-Méchin
Il est cité et mentionné dans Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin
Il est mentionné et cité dans Trois esthètes du XX°siècle : Rolland, Benoist-Méchin, Vaneigem
Il est cité dans Épuration.
Il est cité dans Fragment d'un printemps arabe
Il est cité dans Invasion de l'Europe - Année 700
Cyrano de Bergerac (personnage)
Il est mentionné dans Militants radicaux des deux extrémités du centre
Cyrano de Bergerac (auteur)
Ingmar Bergman
Il est cité en exergue d'Alcool, liberté, littérature
Il est cité dans Dialogues du septième sceau
Il est cité en exergue d'Intemporalité
Claude Bernard
Il est mentionné dans La faculté de médecine au XIX°siècle
Paul Bert
Il est cité dans Mélange de paternités
Aloysius Bertrand
Il est mentionné dans Au confessionnal du cœur
Pierre Bez(h)oukov
Il est cité dans Où il y a jugement, il y a injustice
Patrick Biau
Il est cité dans Paysage
Il est cité dans Soleil noir foncé
Black Agnès
Les deux noires Agnès sont mentionnées dans Black Agnès
William Blake
Il est mentionné dans Auto(?)censure
Marc Bloch
Il est cité dans La bibliothèque éparpillée : une histoire symbolique du moyen âge
Enid Blyton
Elle est mentionnée et citée dans Auto(?)censure
Jules Boissière (Voir à Khou Mi)
Laurence Bordenave
Elle est l'auteur de Eau de Coco
Elle est citée dans Palette
Elle est l'auteur de A tâtons N°2
Elle est citée dans La duplication de Mari
Elle est mentionnée dans Passage de Baude Fastoul (extrait des 29 et 30 mai)
Elle est citée dans Auto(?)censure
Saint Jean Bosco
Il est mentionné dans Ecclesia
Jean Bouchenoire
Il est dédicataire de Ignis Fatuus
Il est cité dans Le flot urbain
Il est cité dans La trace de l'archange
Il est cité dans Le soldat inconnu
Alain Bouissière
Il est mentionné dans Quatuor d'un monde en chantier
Nicolas Bourbaki
Il est mentionné dans Nécrologie de Nicolas Bourbaki (1968)
Anouar Brahem
Il est mentionné dans La vie tranquille de Dylan-Sébastien M-T
Tieri Briet
Il est cité dans Capitaine Corbeau Noir
Il est mentionné dans Te revoilà Tieri !
Il est mentionné dans La naissance des ours
Il est mentionné dans Réponse à une question de Tieri Briet
Il est mentionné dans Beauté des affiches des deux bouts de la politique
Il est mentionné dans La carte du Tendre
Il est mentionné dans Les commentaires de Tieri sur AlmaSoror
Il est cité dans Orso dort encore
Il est cité dans Malgré l'hiver des sentiments
Il est mentionné dans A quoi ressemblent tes amoureux ?
Il est mentionné dans Petite brouette de survie, album de route et de mer
Il est cité dans Sens et Mystique des Sens : épisode 9
Il est le photographe de Qui a peur des hamacs ?
Brunehaut
Elle est mentionnée dans Brunehaut, la perdante
Hanno Buddenbrook
Il est l'auteur d'Amour d'un homme pour son petit garçon
Luis Buñuel
Il est cité dans l’Éloge de la Mémoire
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vendredi, 06 juin 2014
Le groove dans l'écriture – le groove dans le blog
Au menu :
Qu'est-ce que le groove
Chemins de l'Ostinato
O ! Tempo rubato
Blog & groove
Nerfs et mollesse
Destins
Quelques questions infiniment liées à la question du groove
C'est compliqué de trouver son style dans la vie comme dans l'écriture.
On peut tout au moins trouver le groove idéal, ou, s'il n'existe pas, un groove évolutif.
Qu'est-ce que le groove ?
C'est un mot de la langue anglaise d'Amérique. Groove, en nom commun, signifie sillon ; en verbe, s'amuser. Comme le fil d'un scénario nous aide à supporter le silence des images d'un film, le groove fait partie de notre vision moderne qui ne supporte pas ce qui ressemble à l'ennui (l'attente, la lenteur). Le groove est ce qui permet au public de ne pas s'ennuyer, de ressentir intérieurement le rythme propre à la musique et d'être porté par lui. Traditionnellement, lorsqu'on parlait du rythme (l'enchaînement des longueurs des notes), du tempo (l'allure) d'une musique, on parlait de la structure musicale du morceau ; tandis que le groove implique la sensation éprouvée tant par le musicien que par l'audience. Le groove d'une musique est lié au rythme qui unit, non pas les notes entre elles, mais les cœurs des participants à la musique, qu'elle soit « vivante » ou enregistrée. Le groove unit la musique à ceux qui l'écoutent.
(à cet instant, je fais une pause. Je me souviens d'une scène vécue dans une ville péruvienne ; je revis une traversée interminable du quartier Etienne Marcel à Paris ; j'entre en pensée dans ma jeunesse. Je revois des visages, des situations. Imaginez une histoire d'amour entre un chanteur agressif de métal et une fragile fleur de la chanson romantique. Il impressionne, voire, il fait peur, physiquement, par sa stature et son air patibulaire. Elle, fêle, ses grands yeux et sa toute petite bouche, elle inspire la tendresse protectrice à ceux qui la croisent dans la rue. Ils se connaissent. Ils se fréquentent. Ils s'aiment. Ils ne s'entendent pas. Elle le détruit avec dextérité et tout le monde la plaint. Forcément : les apparences lui donnent raison. Ou la fragilité n'a pas toujours le visage qu'on croît. Et tout cela, sous la forme d'un conte de Perrault, avec une morale finale. Mais cette parenthèse devrait être fermée depuis longtemps déjà).
Qu'est-ce qui restera dans les mémoires de ceux qui viennent après des musiques qu'on écoute sur les routes de la pluie, des musiques du doute, des musiques de l'oubli ? C'est ce que nous cherchons à découvrir. Le groove nous emporte, mais le groove n'est-il pas un piège ?
Chemins de l'Ostinato
Il faut savoir se perdre au tendre fil du tempo d'un autre âge, d'un autre pays. C'est le moyen le plus doux de connaître l'amour et de tromper l'ennui. Mais ce qui nous guette, qui est aussi ce par quoi nous désirerions être pris, c'est l'ostinato, la ritournelle lancinante, trop fascinante pour s'apparenter à l'un de ces virus auditifs qui hantent notre tête et l'agacent. Un ostinato hante et harcèle sans agacer, sans lasser, parce qu'il parle à quelque chose en nous que nous aimons et que nous voudrions mieux connaître.
O ! tempo rubato
Quand finalement l'ostinato s'en va, les mesures se suivent et ne se ressemblent plus. Le temps volé ne se fait plus répétitif, il altère la monotonie, il prend l'oreille par surprise, il varie les nuances et créée ce joli décalage entre la voix et la musique, entre l'instant qui passe et l'atmosphère du monde présent.
Le temps volé à la mesure confortable du monde, fait déraper le cœur prêt à se faire la belle, à la suivre dans une aventure à travers rues et jusqu'au dernier étage d'un miteux hôtel de la rue Saint-Denis – puisqu'il existe encore, rue Saint-Denis, des immeubles qui n'ont pas été rachetés par des entreprises ou des producteurs de cinéma.
Blog & Groove
Oui, peut-être que l'écriture d'un blog, peut-être que la tenue d'un zinc blogal, requiert quelque chose qui a trait au rythme, en cela il semble qu'on pourrait étendre la notion de groove, jusqu'ici purement réservé au domaine musical, à l'activité blogale (et à toutes celles qu'on voudra)
Le groove alors serait cette nervure qui relie le blog à ses visiteurs auteurs, qui parcourent la plateforme de maintenance éditoriale, et à ses visiteurs lecteurs, qui parcourent l'infime espace public que le blog occupe sur la grande toile.
Lorsqu'un blog a trouvé son groove, pourrait-on croire, il peut tenir la barre au long cours. Mais un groove se fatigue à force d'être répété. Et les blogs parfois meurent d'avoir tout donné.
Nerfs et mollesse
Engagement, respectabilité, récupération, sont trois notions qui gouvernent la création. L'engagement créatif du jeune artiste (quel que soit son âge, souvent, il est réellement d'âge tendre), la respectabilité qu'il arrache à force de combats à une société indifférente d'abord, puis méprisante, cruellement, puis flagorneuse et aplatie d'admiration. C'est alors que le groove ramollit. Ce peut-être l'artiste lui-même, qui perd la boule de nerfs à force de descendre dans des luxueux hôtels et d'écouter des louanges, telle Nan Goldin, photographe ravageuse et fulgurante des inframondes de la libération sexuelle new-yorkaise, qui, des décennies plus tard, pense que l'art photographique est mort, qu'il n'y a plus d'art et que les jeunes d'aujourd'hui font de la photo numérique industrielle sans intérêt. Pourtant, madame, lorsque vous fabriquiez vos diaporamas et que vous les diffusiez dans les salles arrières des bars faméliques, les vieux schnocks regardaient ces nouveautés et ne leur accordaient pas plus d'intérêt que vous n'en accordez à vos successeurs. Oh, l'étrange douleur anesthésique de la perte du groove. J'imagine qu'elle fait encore plus mal qu'une aiguille dans la chair, mais où donc se loge-t-elle, la douleur de n'être plus que l'héritier des droits d'auteur de son propre groove ? Dans d'autres circonstances, l'artiste fauché en plein vol meurt au milieu de son groove ; c'est la postérité qui se charge d'achever la respectabilité que l'artiste n'avait qu'entrevue, et de récupérer son œuvre pour la rendre officielle et par là, lui ôter de sa superbe révolutionnaire. C'est ainsi que le chanteur Victor Tsoï, rockeur magnifique du groupe russe Kino, figure sur les affiches électorales du président Poutine.
Destins
Nous choisissons quelques destins que nous vous présentons rapidement ici : Moondog ; Pascal Lamorisse ; Zénon. Oui, vous avez raison, nous avons perdu la raison. Nous mettons dans le même sac à groove deux humains du XX°siècle et un personnage romanesque ayant pris forme dans un roman de Yourcenar et ayant supposément vécu dans les années du règne de Charles Quint...
Mais aucune norme universitaire n'a cours ici, ou disons plutôt que c'est une norme universitaire parallèle qui régit les œuvres et les productions almasororiennes : celle de la FaTransLibDADat (Faculté Transatlantique Libre Dark Angel de Dallas et Tallin). J'en suis moi-même une brillante ancienne élève, comme l'indique la biographie impartiale et neutre que mon consacra, à l'époque où nous dansions ensemble le vendredi soir à Saint-Jean en Ville, la chère Katharina.
Donc, présentons Moondog en dévoilant les quelques miettes biographiques que nous avons pris la peine de recueillir : un homme, devenu aveugle à seize ans, portant les cheveux longs, adorant la musique classique et s'intéressant à toutes celles qui naissaient sous ses yeux. Un homme qui connut la rue, cette grande maison sans eau chaude ni électricité, démeublée, presque nue, au toit infini qui ne protège pas des intempéries. Des livres vous parleront de Moondog. Il est probable qu'il avait sa propre opinion sur ce mot qu'il avait dû entendre, groove.
Mais parlons de cet autre homme, Albert Lamorisse, cinéaste de l'enfance, pourrait-on dire, puisqu'il composa les films Crin Blanc et le ballon rouge, et le voyage en ballon, et ce qui frappe, c'est que Lamorisse voulut faire, enfin, un film pour les grandes personnes, mais il mourut avant de le terminer. C'était un film sur l'Iran, et on peut le voir, car un proche collaborateur l'acheva ; N'y a-t-il pas un mystère d'ordre grooveux dans cette interruption brutale d'une œuvre au moment d'un changement d'adresse ? Il s'adressait aux enfants, il tente de s'adresser aux adultes ; il faisait de la fiction, il se lance dans un documentaire... Et il meurt.
Révélons ensuite le groove qui berce la vie de Zénon. Dans l'Oeuvre au noir, Zénon de son enfance à sa mort par suicide pour éviter la peine qui l'attend (l'Inquisition vient de le livrer au bras séculier, autant dire : elle le condamne indirectement au bûcher), le long de cette vie solitaire traversée de rencontres amicales et intellectuelles, au cours de ses voyages comme de ses longues stations, Zénon, c'est son secret, suivait son groove intérieur. Et ceux qui l'entendaient sans en avoir trop peur le protégeait, tel un prince ici, une paysanne là, ou le doux prieur d'un couvent flamand.
Quelques questions infiniment liés à la question du groove :
Peut-on courir en prenant son temps ?
Que pourrait signifier l'expression : le tempo de la vie ?
Notre relation au monde n'est-elle qu'une question d'ajustement des rythmes, de travail sur les rythmiques ?
Une relation amoureuse peut-elle durer au long cours en suivant le lit d'un même fleuve, d'un même groove ?
Peut-on parler de groove mathématique ?
Passe-t-on d'un groove à un autre, ou bien n'y a-t-il que transformation du groove, qui est, ou n'est pas, mais ne peut se succéder ?
Ces questions ne doivent pas nous faire oublier le sens de notre quête. Nous débroussaillons parmi les ronces, les branches et les racines d'un monde obscur, qui nous appelle et que nous ne voyons pas. Par le blog ou par l'écriture hors blog, par le malaxage des jours et des idées, nous nous frayons un chemin vers ce qui viendra. Quelque chose, peut-être, qui tienne à la fois de la chanson, de l'écriture, du cinéma, et qui rappelle nos bons vieux rêves adolescents qu'en dépit de certaines apparences, nous n'avons pas abandonnés.
Le groove alors serait un versant de la grâce.
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Ta vie d'oiseau
Qui suis-je, mon bel amour au bec brisé ?
Toi seul pouvais le dire, mais tu t'es envolé. Ton regard oiseau ne sait plus où me trouver.
Je connais les brumes claires
la neige rose des matins d'hivers
je pourrais te retrouver
le lièvre blanc qu'on ne voit jamais
mais l'oiseau l'oiseau s'est envolé
et moi jamais je ne le retrouverai
car j'ai vu, j'ai vu l'oiseau
j'ai vu l'oiseau je sais qu'il partait
je l'ai entendu pleurer
le bel oiseau que le vent chassait
je voudrais tout te donner
mais toi pourquoi ne me dis tu rien
quel est il ton grand secret
un secret d'homme
je le comprend bien
mais tu sais je peux te raconter
combien l'oiseau est parti à regret
si un jour tu m'écoutais
tu apprendrais tout ce que je sais
l'oiseau part et puis revient
tu le verras peut etre demain
c'est l'oiseau que tu aimais
l'oiseau jaloux je l'ai deviné
si jamais il revenait
je lui dirais que tu l'attendais
Chanson de Belle et Sébastien, romans et téléfilms de Cécile Aubry
Cécile Aubry - Eric de Marsan/D White
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jeudi, 05 juin 2014
Le pouvoir de la Kora
Tu t'endormais au creux de cette musique mandingue et ton cœur battait le rythme du mouvement perpétuel du monde, dans ton berceau d'un bois verni trop vite dont les senteurs te rappelleront pour toujours les longues après-midi de Bamako. C'était à l'époque où il restait des arbres et aujourd'hui, homme en train de devenir vieux, tu plisses les yeux au fond d'un bar d'Europe. Quelques notes encore suffisent, quelques notes pincées sur une Kora, pour te transporter dans le vieux blues primordial. Tu as traîné tes guêtres dans les pays de l'Europe et tu as voyagé en Roumanie, accompagné par un camarade de faculté originaire de ce pays. C'était un cousin lointain du roi déchu Michel de Roumanie et tu as ressenti à nouveau cette violence d'être le fils du cadet, de ne pas appartenir à une longue lignée de griots. A un ou deux rangs de naissance près, tu aurais raconté, toi aussi, tes aïeux, tes alliances, tes traditions à ce jeune étudiant roumain qui te faisait parcourir les routes de ce pays.
Il te fit entrer dans un monastère au fond d'une forêt, sur les murs duquel d'immenses fresques représentaient différemment le dieu de la Mission des Pères Blancs où tes pères et oncles avaient étudié. Une ribambelle de moines en aubes marchaient au milieu des pierres et des fleurs presque sauvages en élevant les mains et en chantant un psaume lent venu des débuts du monde du langage, et tu reconnus sur le visage de l'ami roumain ton propre frisson, lorsque résonne au fond d'une rue, au fond d'une cour, quelques notes d'un vieil air du Mali.
(Ce roman, celui qui naîtrait de votre rencontre et de ce miroir humide des visages presque fermés, tu en as écris les soixante premières pages dans une chambre du dix-neuvième arrondissement de Paris, par laquelle pénétrait le pâle soleil des jours d'hiver. Mais, les années passent, et tu ne sais si tu parviendras un jour à le reprendre, à le terminer).
à lire, sur AlmaSoror : Insomnie bretonne à Paris
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Ota Benga
Ota Benga, ton existence est la honte des nations. Ta souffrance est la honte des religions. Ton suicide est ta gloire.
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mardi, 03 juin 2014
autour du périphe
Oh ma lune, entre ma tisane à la sauge et ses ailes d'ange, et mon rhum ambré et ses cornes rouges, je te regarde à travers le rectangle vertical de la fenêtre PVC. Sur un balcon abandonné, un olivier laissé là remue ses cheveux dans le soir frais qui tombe. Toi, petit croissant, ta blancheur est inaccessible et le ronron des voitures au loin te paraît si petit qu'il en est négligeable, moi il me berce, ce ronron sur le périphe, là-bas, c'est mon murmure océanique. Soule, mon âme s'emballe pour un vent de panique, pour un prince charmant qui passe dans un nuage, pour un air pop de la radio d'en bas.
En bas les femmes voilées, presque toutes, marchent loin derrière les hommes qui rient et qui haïssent le sol que leurs pas foulent depuis trop, trop longtemps, c'est ce qu'ils disent.
C'est ce que disent tous les exilés. C'était mieux là-bas mais je reste quand même, c'était plus beau et la musique chantait comme pas ailleurs, là-bas les olives, plus grosses, le miel, plus doux, les rires, plus chauds, mais là-bas n'est plus qu'un regret, un regret pathétique.
Un aimant angélique, voilà ce que tu es, lune de ce soir, et mon corps est aspiré vers ta blancheur infime, croissant si éloigné de moi que j'en pleure et j'en meurs en buvant, en buvant (de mes tasses devinez celle qui gagne la bataille du prince charmant ?).
Tandis que je m'envole, le bleu de nuit enserre la ville qui se fait toute petite. Vivante ? Vivante, oui, mais que font-ils, en bas ? Des enfants ! Tous les enfants viennent en courant sur le périphe et les voitures s'effacent.
Les voitures s'effacent et la couronne de béton devient champ où l'on danse. Momes, gosses, marmaille, tout cela envahit le terre-plein et danse, danse, danse. C'est comme si le monde était mort, c'est comme si l'enfance revenait.
Sauge, ta tisane, il faut croire, contenait le parfum des envolées ; rhum, encore toi, tu as encore débordé de ma coupe ! Ah mais vraiment, je découvre enfin cette vérité nue comme une image, que la ville n'était qu'un mirage, que l'on vole comme des enfants sages, à l'heure où l'esprit présage les amants irréels de la nuit.
Il faut que je prenne une photo avec mon téléphone portable, sinon personne ne me croira si je dis que je suis montée jusqu'à la lune cette nuit.
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lundi, 02 juin 2014
Le vagabond des ruelles ouvertes
Il est venu un soir, à l'heure où elle cuisine, et le petit garçon attendait devant la porte que passent les oies sauvages. Mais elles ne passaient plus depuis longtemps, depuis bien avant sa naissance, et ce qu'il vit, ce fut l'homme qui arrivait, un sac à dos sur son épaule, une bouteille de bière à la main.
C'était l'époque des grands oiseaux qui se battent sur la plage et des louves qui s'approchent de l'orée des forêts. Mais moi je n'aimais personne et je vivais au premier étage de la bicoque défoncée. Personne mieux que mon pauvre être déchiqueté n'avait vue plus limpide sur les voisins de la ruelle ouverte. Et j'ai vu l'enfant voir l'homme qui arrivait.
Il ignorait encore que cet homme avait des yeux créés pour que sa mère flanche, il ne comprit que bien tard que Vagabond resterait coucher pour toujours dans la chambre où sa mère jusqu'ici dormait seule. Et cet enfant sut qu'il faudrait attendre une délivrance inaccessible.
Mais les vagabonds partent, les vagabonds s'en vont un jour, au petit matin chagrin. Ils laissent quelques dettes et quelques plaies dans les cœurs où ils ont mangé ; ils s'en vont cœur léger oubliant soudain tout ce que les muets et les aimants leur donnaient.
Ils partent pour partir.
Il partent pour ne pas revenir.
Ils partent pour se revêtir d'un nouveau mystère qui fera pétiller les yeux d'une autre femme.
Ils partent pour se refaire une colère qui fera dégouliner les yeux énamourés.
Leur violence est leur blason.
Et j'ai vu le jour où l'enfant dépaysé restait debout auprès des larmes de sa mère, tandis que la vitre cassée et l'absence de la bourse étaient les seules traces de l'homme enfui.
Mais il est des hommes qui restent. Tel ce géant barbu qui hante le village et qui nous fait peur. Il ne ressemble plus à ses frères, cela fait trop longtemps qu'il n'a pas apprêté sa barque pour la pêche sur le lac.
Mais il est des enfants qui grandissent.
Et l'enfant si sage dont je vous parlait, le voilà qui gratte une guitare, l'air trop fier, à l'heure où passent les fantômes. Moi je ne sais même pas son nom, moi qui ne parle à personne, moi qui regarde tout de ma fenêtre ébréchée et qui n'écoute plus rien.
Il était une fois un petit garçon qui n'existe plus. Même l'adolescent à la guitare a rendu l'âme qu'il avait belle et douloureuse. Et c'est un homme silencieux qui regarde aujourd'hui les grands oiseaux se battre au bord des vagues. Son chien, Aydius, grande bête blanche égarée, contemple la mélodie visuelle du soir.
L'homme sans bagage finit ses frites et son eau minérale. Ensorcelé par une Étoile, il regarde le jour se dissoudre dans l'oubli.
Reviendra-t-il comme un voleur à l'heure où personne ne l'attendra ? Reviendra-t-il au coucher du soleil, quand les adolescents frappent sur leurs tambours ? Reviendra-t-il, quand flamboie l'horizon, ceindre d'un coup de lanière le vieil homme qui mange à la table de la maison où il a grandi ?
Car le vagabond est revenu et nul fils n'était plus là pour glisser sa menotte dans la main de sa mère épuisée.
Sortilèges, vous mourez lentement aux premiers jours du printemps, quand l'herbe devient verte au milieu des bidons et des vieilles carrosseries que les services de la ville n'enlèvent jamais.
Il est des ruelles malades, trop ouvertes, où les vies se fomentent comme des complots manqués.
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Poèmes à cueillir sur AlmaSoror
Sur notre colonne de gauche se trouve l'entrée vers l'album Poésie. On y trouve des poèmes, de la barmaid de ce blog sans partage, mais aussi de poètes invités pour une page ou deux.
En voici la liste et le vers d'ouverture :
Le train rouge
Le train rouge a filé sur les brumes du ciel
Venise
A Venise qui choit dans la lagune
Miroir d'eau
Soleil brillant parmi les mille anges trop pâles
Rue Milton
Petit matin, soleil, vent tiède
L'étoile
Je poursuis une étoile aux quatre coins du monde
Grise du soir
Tes yeux gris mon amour embellissaient les lieux
Séjour lunaire
Ton char aux cent rennes lunaires
Véranda
Hier soir un ciel orange se vautrait sur la plage
The Stoned / Les défoncés
La chanson des gisants
Gisez ! et ne parlez plus. Écoutez le vent du soir...
Atone
L'abîme
Tes caresses ont laissé mon corps en ruines
L'horloge
L'horloge de la gare a sonné quelques coups
Brest
Gange
Mais je sais que nous sommes un poisson
Zip & flip
Le rêve aux bulles
Comme dans la chanson d'enfant
La mer
Funboard
Sur l'océan le soir, quand le soleil se couche
Deltaplane
Ne plus jamais poser mes deux pieds sur la terre
Abattoir
C'est drôle et c'est bien de se revoir
Le van
Nous écoutons la radio dans le van
Ciao Baby
Les fressures de l'aube
J'ai besoin d'une femme qui me tende le sein
Autel
Tango de nuit, chanson d'abandon
Dans la nuit opale, je t'ai rencontrée
Messe de la citadelle
Baignée dans ton rire éclatant, sous les vagues du ciel
Le malade
Les sœurs douloureuses
Minuit dans le hangar ! et nos sœurs douloureuses
Dans un bar de nuit banal
Lumières dans la ville morte
Lac de nuit, sur ta rive herbeuse je dansais
Jour de Sleipnir
Les oiseaux fantômes ont passé la frontière
Lau
J'ai trouvé un soir une étoile
Charade
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dimanche, 01 juin 2014
L'Arcane sans Nom - 1
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vendredi, 30 mai 2014
La tourelle du hibou
Le temps passe, madame. Et bientôt ce que nous sommes ne sera plus qu'un souvenir qui s'efface. Comment conjurer l'impression vertigineuse que la vie nous traverse sans que nous ayons prise sur elle, ni sur nous-même ?
Enfant, j'avais songé à transformer la face du monde ; la tâche m'ayant effrayée, j'ai préféré une autre mer à boire – la mer des livres.
Lire, l'antidote au temps.
Ce soir, alors que les feuilles de tilleul rabougrissent au fond de ma tasse, je suis le fil de mes souvenirs de lecture. Dans la pénombre d'une petite pièce aux tentures rouges, au son de la musique malienne lancinante et paisible, je rencontre des livres compagnons, sans lesquels je ne parlerais pas à la même personne, lorsque je parle seule.
Du plus loin qu'il me revienne l'ombre de mes amours anciennes... Je revois les maisons de Dame-Souris. Ce charmant album destiné aux enfants et prisé des architectes en quête d'inspiration, expose les créations architecturales - des maisons individuelles adaptées au client - d'Héloïse la souris. On y admire le château du cochon, l'antre du renard, la maisonnette de l'ours, la villa souterraine de la truite, et tant d'autres.
Ma maison préférée, c'était celle du hibou. Installé dans une tourelle en plein ciel, il a vu sur la forêt, peut-être la mer scintille-t-elle au loin sous le tapis d'étoiles. Hibou peut scruter les mystères du ciel au moyen de la lunette d'astronome posée devant la fenêtre.
Les maisons de Dame souris, c'est un livre empreint d'une profonde paix, qui invite à la rêverie structurée, en quelque sorte, et créée, pour l'avenir (si on le lit à l'âge de l'enfance) des nostalgies infiniment langoureuses.
(Sur les maisons de Dame souris, quelques webécrivains se sont exprimés :
Comme avant dans mes rêves d'enfant
Je poursuis ma route mentale à travers mes souvenirs, et je rencontre Le cheval blanc de Suho. Celui qui contient les illustrations d'Akaba - car les nouvelles éditions sont beaucoup moins belles ! Quel artiste, que cet Akaba - Suekichi Akaba ! Sur ce conte mongol de toute beauté, il livre des planches à couper le souffle et l'enfant que j'étais pleura toutes les larmes de son corps. C'était la découverte de l'amour et de la mort, du lien sacré entre l'homme et l'animal, de la musique liturgique universelle des défunts et des êtres qui s'aiment.
Après quelques lectures déchirantes, je fermai le livre et ne l'ouvrit plus durant de longues années, car je savais que toutes les larmes de mon corps sortiraient à nouveau. Mais j'en regardais la couverture parfois, je savais, je sentais sa présence ; cette présence était taboue.
(Des traces du cheval blanc de Suho sur la Toile :
Je pourrais encore parler de L'auberge de l'ange gardien et de l'affreux destin de Torchonnet, qui m'initia aux sordides rapports humains et à l'étrangeté sauvage des adultes. La suite de l'Auberge, la comtesse de Ségur, cette démiurge savante et sulfureuse, la raconte dans Le général Dourakine. On y découvre l'invraisemblable beauté, pâle et tragique, du Prince Romane, le polonais traqué.
Ces livres de la comtesse de Ségur, née Sofia Rostopchine, fille du terrible et majestueux aristocrate tsariste qui ne voulut pas livrer Moscou à Bonaparte, on me les lisait avant que je sache lire, je les ai entendus avant de les lire seule.
Mais le premier roman que je lus seule, et qui transforma ma vie, ce fut celui que m'offrit ma marraine Ségolène, l'année de mes six ans.
Les premiers paragraphes de Sans famille, d'Hector Malot, ne m'ont jamais quittée depuis. Maître Malot ! Je ne me suis jamais résolue à lire tes autres livres, car jamais je ne voudrais que tu tombes du piédestal où cette enfant t'avait élevé.
C'est par toi que j'ai compris la puissance de l'invention romanesque.
Je suis un enfant trouvé.
Mais jusqu’à huit ans j’ai cru que, comme tous les autres enfants, j’avais une mère, car lorsque je pleurais, il y avait une femme qui me serrait si doucement dans ses bras, en me berçant, que mes larmes s’arrêtaient de couler.
Jamais je ne me couchais dans mon lit, sans qu’une femme vînt m’embrasser, et, quand le vent de décembre collait la neige contre les vitres blanchies, elle me prenait les pieds entre ses deux mains et elle restait à me les réchauffer en me chantant une chanson, dont je retrouve encore dans ma mémoire l’air, et quelques paroles.
Quand je gardais notre vache le long des chemins herbus ou dans les brandes, et que j’étais surpris par une pluie d’orage, elle accourait au-devant de moi et me forçait à m’abriter sous son jupon de laine relevé qu’elle me ramenait sur la tête et sur les épaules.
Enfin quand j’avais une querelle avec un de mes camarades, elle me faisait conter mes chagrins, et presque toujours elle trouvait de bonnes paroles pour me consoler ou me donner raison.
Par tout cela et par bien d’autres choses encore, par la façon dont elle me parlait, par la façon dont elle me regardait, par ses caresses, par la douceur qu’elle mettait dans ses gronderies, je croyais qu’elle était ma mère.
Je trempe mes lèvres dans la tisane. La musique s'est tue, je ne m'en étais pas rendue compte - mais les timbres intenses des instruments africains résonnent encore au fond de mon corps.
Avec Jud Allan, roi des lads, de Paul d'Ivoi, j'ai appris à aimer l'existence des méchants, tel le Crâne, qui portent le crime avec panache et savent mourir en reconnaissant la valeur supérieure de leurs ennemis.
Les secrets de la lande, d'LN Lavolle, m'initièrent à l'amour des vieilles maisons. Je compris comment on fait le miel et pourquoi il faut se taire beaucoup pour savoir deviner les secrets.
Et puis, lorsque j'avais treize ans, mon grand-père Jacques me surprit alors que j'errais, pleine d'ennui, dans les rayons d'une bibliothèque que je connaissais par cœur. Je traînais entre l'escalier qui mène au pavillon et le lapinodrome, soulevant un livre par ici, le reposant.
Sa silhouette rare s'approcha de moi et je me tins coite.
- Tu n'as jamais lu cela, murmura-t-il, en passant son doigt tremblant sur un ouvrage dans l'ombre d'un rayon.
Il me tendit ce livre et me livra cette confidence : c'était le livre préféré de Dieudonné. Il le lisait l'année de sa mort et l'adorait.
Oh mon Dieu !
Je repartis dans ma chambre en le tenant entre mes mains. Le livre de Dieudonné. Ses mains l'avaient tenu. Et mon grand-père sévère me le confiait en chuchotant.
L'apôtre des lépreux, de Wilhelm Hunnerman, traduit par l'abbé Grandclaudon.
Sans cette lecture, je serais dénuée de doute et certaine d'être athée.
Mais j'ai lu L'apôtre des lépreux, dans cette édition tenue par un adolescent malade, et je l'ai relu, tout un été.
Et puis j'ai perdu de vue ce livre et ne l'ai plus jamais ouvert de ma vie. Je me souviens, c'est tout.
Des années plus tard, en cours de langues polynésiennes, j'eus un choc en entendant des mots d'Hawai'i, presqu'un malaise doublé d'une fascination, et je ne compris pas pourquoi. Ce n'est qu'encore longtemps après que je compris que j'avais reconnu les mots de l'Apôtre des Lépreux : Moloka'i. Kalaupapa.
Je pourrais encore parler de Bandini, de John Fante. Raconter ce trait incongru de ma mère, qui voulait que je dorme, et je ne voulais pas. Eh bien, alors, lis ce livre, dit-elle. Ce livre, qu'elle avait ramassé dans son étagère, c'était Bandini. J'avais onze ans je crois et ce fut le début d'une lecture répétée tous les deux ou trois ans, jusqu'à compréhension du texte.
Et que dire de La dentellière ? Un roman que j'adorais à quinze ans. Je vénérais l'auteur d'avoir écrit une œuvre si sensible, et quand vers vingt et quelques années je compris qu'il l'avait écrit pour rire, pour se moquer de la sensibilité de ses contemporains, j'en étais dégoutée. Il trouve que le reste de son œuvre vaut mieux que la Dentellière ; moi j'ai voulu ouvrir d'autres livres mais je n'aime qu'elle.
Adolescente ou adulte, j'eus d'autres lectures initiatiques. Breakfast at tiffany et les short stories de Truman Capote, dont la plus belle : One Christmas, le Noël triste d'un petit garçon à la Nouvelle-Orléans, à l'époque de la fameuse Prohibition...
La bande dessinée Lova, de Jean-Claude Servais, Les sept piliers de la sagesse, de TE Lawrence d'Arabie, L'introduction à la langue et à la littérature aztèque, de Michel Launey, et enfin Guerre et paix du vieux Tolstoï.
La caroline calligraphique des moines médiévaux s'est effacée devant l'imprimerie. Les ouvriers sidérurgistes ont vu leur monde s'éteindre. Nous marchons vers la numérisation de l'écriture et de la lecture, et l'apparence de l'édition traditionnelle se dissoudra bientôt dans la grande évidence du Code.
J'attends ; j'attends de voir si je deviens vieille. Si je reste encore quelques décennies dans ce monde, il me sera peut-être donné un jour de lire les nostalgies littéraires d'un enfant né en l'an 2014. A quoi ressembleront-elles ? Auront-elles des poussières et des odeurs, comme les miennes ? Ou bien d'autres sensations que mon esprit est incapable d'imaginer ?
Je les lirai, ces nouveaux-nés, quand je serai très vieille et j'écouterai leurs mémoires déjà profondes.
Le même thème, sur AlmaSoror :
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jeudi, 29 mai 2014
Chaque jour que Dieu fait
Mais comment, mais comment, mais comment vivre ?
Je précise d'emblée que j'ai de la chance, pas à me plaindre, etc.
Je le précise, d'abord parce que c'est vrai : je marche, j'entends, je vois, certaines personnes m'aiment, je mange à ma faim, je bois à ma soif (et parfois plus), je vois la lumière du jour et j'ai où crécher entre deux villes, l'une océanique, l'autre métropolitique. Last but not least, j'ai la chance de recevoir des visites d'amis inconnus, frères-soeurs lointains, sur le blog d'AlmaSoror.
Je le précise en outre parce qu'il m'est arrivé plusieurs fois de me faire remettre à ma place (ah ah ah ! ma place ! laquelle donc ?) par des gens sérieux, qui, comme ils disent, "ont des responsabilités".
Par une fin d'après-midi du mois de février, à Beaune, dans un bâtiment situé avenue du Parc, non loin du square de la Bouzaise, on m'a expliqué que je ne pouvais rien juger de la vie et du monde puisque je n'avais pas d'enfants. Seuls ceux qui ont des enfants savent ce que c'est que de vivre. Ainsi que ceux, me précisa-t-on, qui ont des handicaps. Ah ! bon.
Je n'ai ni enfant, ni handicap (j'ai bien deux fils imaginaires, Hugues et Dylan, et des handicaps réels au fond de mon âme, mais tout cela ne compte pas pour la mesure objective des responsabilités et de la connaissance de la vie réelle), je n'ai donc pas voix au chapitre sérieux.
Néanmoins, j'existe, je persiste à ressentir, éprouver, faire des choix, aimer la marmaille bien réelle qui gravite autour de moi, et faire de temps à autre des coups de blues (que j'arrive peu à peu à esthétiser, à rendre de plus en plus romantiques, et donc, plus appréciables, moins douloureux). Comme donc j'ai des désirs d'expression personnelle et des pensées sur le monde, je me donne voix au chapitre, quitte à ce qu'il soit arraché du grand livre sérieux de la vie.
Oui, car, j'ai beau crouler sous des cascades de chance et de bonne fortune et être dénuée de toute forme de responsabilité, reste qu'un matin sur trois, au fond d'un trou invisible (bien qu'apparemment installée sur une chaise), je m'interroge : mais comment donc pourrais-je vivre ? Je cherche à éliminer ou surmonter ou transmuter cette sorte de bourrasque de déprime qui me tombe dessus tous les quatre matins et qui, parfois, met plusieurs heures à se dissiper. Dans ces moments là, c'est comme s'il m'était impossible de vivre.
Je scrute alors le ciel et me demande comment est-ce possible que j'arrive à ne pas vivre légèrement sous une si belle couche atmosphérique, un firmament infini, capable à d'autres moments de me transporter de bonheur. Soljenitsyne m'interpelle :
Voilà, en somme, la liberté, l'unique liberté, mais aussi la plus précieuse, dont nous prive la prison: pouvoir respirer ainsi, pouvoir respirer dans un endroit comme celui-ci. Aucune nourriture terrestre, aucun vin, aucun baiser de femme, même, n'est pour moi plus doux que cet air ivre de floraison, d'humidité, de fraîcheur.
Peu importe que ceci ne soit qu'un minuscule jardin, resserré entre les cages à fauves de maisons de quatre étages.
Je cesse d'entendre les pétarades des motocylettes, les vociférations des postes de radio, les crachements des haut-parleurs. Tant qu'on peut encore respirer, après la pluie, sous un pommier, on peut encore vivre!
Le clocher de Kaliazine
Et c'est vrai qu'on peut vivre sous un bout de branche de pommier dans une courette après la petite bruine, on le peut.
Mais je me souviens d'un après-midi dans le jardin du 13, boulevard du Montparnasse. Un homme, un ami cher, était assis sous le cerisier en fleurs d'un assez grand jardin, au printemps. Il n'avait pas plu depuis quelques jours. Sa tête fermée, ses membres crispés, il attendait on ne savait quoi. Il était comme enfermé à l'intérieur de lui-même ; sa tête était une prison dont il ne pouvait s'évader, et aucun de nous n'était jamais parvenu à le sortir d'un état pareil. Il fallait attendre qu'il s'en sorte tout seul, ou que les barreaux de la prison interne cèdent d'eux-mêmes, sous la pression. Du reste, nous avions tous plus ou moins peur de lui, lui qui à d'autres moments se montrait si charmant. Face à cette image d'un homme libre en cage, j'avais mis en doute la phrase de Soljenitsyne.
Je l'ai à nouveau mise en doute il y a quelques jours, ici-même, face à un autre visage, une autre histoire, une autre souffrance dans un bel appartement où rien ne laissait présager le malheur.
J'entends les gens responsables et sérieux m'annoncer que, tonnerre de Brest ! Si ces gens souffrent, c'est qu'ils sont riches et trop gâtés par la vie !
Ces braves défenseurs d'un peuple laborieux, miséreux et plein de joie, n'ont semble-t-il jamais connu la moindre famille sans-le-sou. On y trouve, autant que chez les riches, des dépressifs, des désespérés, des ultrasensibles, des pervers, des loufoques, des fantaisistes, des paresseux, des exaltés, des mystiques et des maniaques.
Non, vraiment, cette douleur de la cage interne est proprement humaine, ou en tout cas universellement humaine (car le malheur moral n'est pas inconnu des autres espèces animales, et particulièrement lorsqu'elles sont arrachées à leur terrain de vie sauvage).
Bref, comment vivre ? Comment vivre sans en crever ?
Si j'écoute les questions qu'on me pose et me repose sans cesse, si je tente de mener ma vie selon ce qui semble parler aux foules intelligentes et sensées, il faut, dès à présent, que je me confectionne une vie au plus proche des cases prévues par l'Insee. Foyer fiscal, catégorie socio-professionnelle, type d'emploi, pacs ou mariage, au fond, c'est comme si, une fois ma définition sociale trouvée, tout serait accompli.
- Tout est accompli, c'est une des sept dernières phrases que le Christ prononça sur la croix - qu'on traduit encore par : tout est consommé.
Il avait dit encore : "j'ai soif", et les lyncheurs lui avaient alors proposé du vinaigre à boire.
Mes amis, j'ai connu ou tout au moins j'ai touché, à certains moments, la perfection Insee au sein de ma propre vie, et je lui ai trouvé un arrière-goût de vinaigre.
Beaucoup de personnes m'interrogent, m'assommant de questions visant à me faire cracher des informations sur mon état-civil, ma profession, mon habitation, afin de cerner, au mieux, l'état de ma vie privée et celui de mon compte bancaire. Je ne sais que répondre. La vérité ? Elle ne les satisfait pas. Les questions rebondissent, des précisions sont exigées. Du baratin ? Il ne me satisfait pas, et même, il m'épuise. "Je m'intéresse à toi", m'explique-t-on. A moi ? Mais non, ce n'est pas moi. Moi, ce n'est pas cela.
Alors, en retour je vous ai interrogés, ceux d'entre vous que je connais le mieux, je vous ai demandé si vous aviez, vous aussi, à certains moments, des attaques dévorantes, des monstres invisibles avalant sans pitié l'amour de vivre.
Aucun de vous, diplômés, sans diplômes, bien payés, au chômage, aventureux, casaniers, drôles, déprimants, sportifs, habitués des hamacs, renommés, inconnus, boute-en-train, discrets, habillés avec une élégance raffinée, engoncés dans des chandails sales, idéologues, louvoyeurs, aucun de vous, ne me répondit clairement par OUI ou par NON.
Aucun de vous ne me répondit : oui, j'ai de très grosses baisses de moral durant lesquelles j'ai envie de me jeter par la fenêtre ou de me taper contre les murs.
Mais aucun de vous ne me répondit : de quoi parles-tu donc ? Je ne vois pas ce que tu veux dire. Le moral ? Oh, ça va ça vient, mais quel est le problème ?
En revanche, presque chacun d'entre vous m'expliqua qu'il fallait certaines conditions pour ne pas que tout s'écroule : travailler ; être en vacances ; prendre tel somnifère ou tel médicament ; partir le weekend ; un massage par semaine ; l'alcool ; l'argent ; les fringues ; le sexe ; la prière ; le regard des autres le samedi soir ; que le portable sonne au moins deux fois dans la soirée ; la connexion à un réseau social en ligne, ou, au contraire, la déconnexion totale sous peine d'écroulement moral ; une publication par an ; courir ; nager ; une psychanalyse ; un chat ; la voile.
(Seuls certains restèrent silencieux, scrutant mon regard, ne me répondant pas, attendant je ne sais quoi. L'un d'eux me remercia plusieurs fois au cours de la semaine suivante pour ce café très chaleureux à la gare du Nord).
Les mêmes phrases sans fard ni phare, revenaient. "Je ne pourrais pas vivre sans..." ; "quand je n'ai plus cela, mon existence est vide" ; "Si je ne fais pas cela je succombe".
Qu'est-ce que vivre, et qu'est-ce que succomber ? Pourquoi vivre et comment ne pas tomber ? Où tombe-t-on quand on tombe ?
Je repensais à l'expérience intérieure, qui consiste à ouvrir les portes de la perception et faire connaissance avec les sensations qu'offre l'instant présent.
Dès que je m'éloigne de cette expérience intérieure, de ma propre vision du monde, de mon rêve intérieur, j'agis sous la pression sociale en vue de me rapprocher des cases Insee et je me sens envahie par la nullité de la vie quotidienne administrée. Car dans ce monde très organisé et complètement chaotique (excusez l'oxymore facile), suivre les règles revient, soit à dominer ses semblables en s'extirpant de l'esclavage du métro-boulot-dodo (par un métro transformé en voiture de luxe, un boulot au temps variable, aux longs déjeuners dans de bons restaurants payés par l'entreprise ou par le ministère, un dodo dans un bel appartement confortable et, souvent, dans des villas de plaisance), soit à les rejoindre dans ce métro-boulot-dodo chronophage sans respiration, épuisants pour la santé et, de ce fait, difficile à conjuguer avec une certaine joie de vivre. Ce métro-boulot-dodo qui maintient les têtes sous l'eau et ne les laisse respirer que pour qu'elles soient encore assez vivantes pour replonger.
A tout prendre, je préfère la première solution, l'extirpation par le haut. La concurrence est rude, l'amélioration progressive des conditions de vie est difficile à obtenir, on peut tout au moins, si l'on ne part pas trop plombé, s'en rapprocher par des tactiques d'ambition, la persévérance, la mise en œuvre de stratégies sociales bien pensées. Cela demande de l'énergie et j'obtiendrai d'un tel effort, peut-être plus de plaisirs, sûrement plus de confort - mais pas plus de bonheur (j'ai gardé en bouche le goût de vinaigre).
Je me souviens que je suis née pour un laps de temps infiniment court, que je vais mourir un jour. J'ai des rêves et des crises de désespoir, et quelquefois, je me demande s'ils ne sont pas les deux faces d'une même pièce d'or. Une pièce d'or qui ne s'échangerait pas sur le marché de l'or, parce que c'est un or trop pur pour être mesuré sur des balances.
Pourtant, en dehors des clous, comme un oiseau sur la branche, suis-je prête à me demander, chaque jour que Dieu fait : "mais comment, mais comment, mais comment vivre ?"
Y suis-je vraiment prête ?
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