mardi, 30 juillet 2013
La philosophie de la Révolution, extrait de l'opuscule de Nasser
Voici, Amis, ce fragment de La philosophie de la Révolution, opuscule rédigé par Gamal Abd El-Nasser en 1953.
Le destin a voulu que notre pays soit situé au carrefour du monde.
Notre territoire fut maintes fois la proie des envahisseurs. Il nous est donc impossible de juger notre peuple sans prendre en considération les facteurs psychologiques découlant des conditions de vie qui ont prévalu tout au long de ces siècles de servitude.
Remontons à l'histoire des Pharaons, à la fusion de l'esprit grec avec le nôtre, à la conquête romaine, à la conquête arabe.
Ne perdons pas de vue les conditions de vie qui ont prévalu au moyen-âge.
Si les croisades furent, pour l'Europe, une aube de renaissance, elles furent, pour notre peuple, le début d'une ère ténébreuse. Car le peuple égyptien supporta, presque seul, tout le poids des croisades, qui le laissèrent appauvri et affaibli.
A cette même époque, le peuple dut subir le joug des Mongols, ces esclaves achetés à prix d'argent qui devinrent les maîtres de l'Egypte.
Ils débarquaient en mamelouks sur cette douce terre, pour prendre, quelque temps après, les rênes du gouvernement.
L'oppression, l'injustice et la ruine constituaient la règle du gouvernement de l'Egypte, au cours des longs siècles que dura leur règne.
Pendant toute cette période, le pays ressembla à la jungle où les fauves cherchaient leur proie. Cette proie, c'était nous, nos biens, nos terres.
Parfois, en parcourant les pages de notre histoire, je ne pouvais m'empêcher d'éprouver un sentiment de douleur en arrivant à cette période où la féodalité nous suçait le sang, piétinait nos sentiments, annihilait notre dignité, nous léguait ces tares héréditaires qui ne guérissent qu'au prix d'un effort surhumain.
Les effets moraux de l'oppression expliquent en grande partie certains aspects de notre vie politique. Ainsi, il me semble parfois qu'un grand nombre d'Egyptiens assistent en spectateurs au développement de la Révolution, attendant le résultat de la lutte sans y prendre part.
Cet état de choses me révolta un jour :
"Pourquoi, dis-je à mes camarades, ces gens, ne sortent-ils pas de leur indifférence ?"
La seule explication possible est que ceci serait un vestige du règne des Mamelouks.
A leur époque, les chefs s'entretuaient sur la place publique, pendant que les gens, autour d'eux, les regardaient faire sans broncher.
La plupart d'entre nous n'ont pas encore pu se débarrasser de ce sentiment héréditaire que leur pays ne leur appartient pas, et qu'ils n'y sont que des hôtes de passage.
Même les cris de révolte qu'il nous arrivait de proférer de temps à autre au cours de notre enfance, rappelaient, dans leur forme et dans leur accent, ce que profétaient nos aïeux au temps des Mamelouks, avec la différence que l'ennemi d'aujourd'hui est l'Angleterre.
Que nous advint-il après le règne des Mamelouks ?
L'expédition française brisa les chaînes forgées par les Mongols : des idées nouvelles se firent jour, nous ouvrant de nouveaux horizons.
Mohammad Ali voulut continuer la tradition des Mamelouks tout en s'adaptant aux nécessités de l'heure et en tenant compte de l'état d'esprit créé par les Français. C'est ainsi que, sortant de notre isolement, nous reprîmes contact avec l'Europe et le monde civilisé.
C'était le début de la renaissance, en même temps que le commencement d'une nouvelle période critique.
L'Egypte ressemblait à un malade qui a passé plusieurs jours dans une chambre au point d'étouffer. Mais voilà que soudainement une tempête s'élève faisant voler en éclats portes et fenêtres, laissant pénétrer dans la chambre un flot d'air frais qui fouette son corps anémié.
Les nations d'Europe sont parvenues graduellement à l'état où nous les voyons aujourd'hui ; quant à nous, notre évolution s'est produite d'un coup.
Nous vivions dans un étau serré. Brusquement cet étau se desserre. Nous étions isolés du reste du monde, surtout après la découverte du cap de Bonne Espérance : brusquement nous sommes devenus la proie des Puissances ocidentales et leurs point de contact avec leurs colonies du Sud et de l'Est.
Des courants d'idées nouvelles nous envahirent, alors que nous n'étions pas prêts à les recevoir.
Nos âmes vivaient encore au XIIIème siècle, alors qu'en apparence nous semblions vivre au XIX°siècle, voire au XX°siècle.
Nous tâchions de rejoindre le train du progrès, alors que cinq siècles nous en séparaient... Le chemin était long et la course tragique.
Ainsi donc, si nous ne nous sommes pas unis, la cause en est dans la situation expliquée plus haut.
Gamal Abd El-Nasser, In Philosophie de la Révolution - Livre I - Dar Al-Maaref, Le Caire
Brochure diffusée en langue française -1953
Nous avions mentionné Nasser sur AlmaSoror, dans le billet:
Gamal abd el-Nasser en 1953 : Le charme et la liberté
Plusieurs idées mentionnées par Nasser ici furent évoquées par Jacques Benoist-Méchin, voir par exemple la fin de ce billet :
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Commentaires
Eh ouais ! Mais là, mon pauvre Nasser, c'est mort pour l'unification arabe. Le printemps arabe c'est trop dur, l'hiver arabe n'existe pas sauf dans les hautes montagnes, il faut se contenter de l'été, l'éternel été...
Écrit par : Siob | mardi, 30 juillet 2013
Nasser, reviens.
Écrit par : Nord | jeudi, 01 août 2013
Les commentaires sont fermés.