mardi, 09 mars 2010
Eternelle servitude volontaire
Etienne de La Boétie raconte comment celui qui ne connait la liberté ne peut même pas imaginer qu'elle existe... Ô mon Dieu, que fais-je de mon cerveau ? Que fais-je de mon temps disponible ?
Je marche le soir dans toutes les rues de France, je lève les yeux vers les fenêtres et je sais que c'est pareil presque partout dans le monde : les hommes dans leurs foyers ont les yeux rivés sur leur petit écran. Ils apprennent des mythes et des idées, le bien et le mal, le fort et le faible, le normal et l'anormal. Ils gobent, gobent, gobent. Vraiment, les hommes ne cherchent qu'une chose : l'esclavage confortable.
"Je prends plaisir à rappeler ici une anecdote concernant l’un des favoris de Xerxès, grand roi de Perse, et deux Spartiates. Lorsque Xerxès faisait ses préparatifs de guerre pour conquérir la Grèce entière, il envoya ses ambassadeurs dans plusieurs villes de ce pays pour demander de l’eau et de la terre — c’était la manière qu’avaient les Perses de sommer les villes de se rendre. Il se garda bien d’en envoyer à Sparte ni à Athènes parce que les Spartiates et les Athéniens, auxquels son père Darius en avait envoyés auparavant, les avaient jetés, les uns dans les fossés, les autres dans les puits en leur disant : « Allez-y, prenez là de l’eau et de la terre, et portez-les à votre prince. » Ces gens ne pouvaient souffrir que, même par la moindre parole, on attentât à leur liberté. Les Spartiates reconnurent qu’en agissant de la sorte, ils avaient offensé les dieux, et surtout Talthybie, le dieu des héraults. Ils résolurent donc, pour les apaiser d’envoyer à Xerxès deux de leurs concitoyens afin que, disposant d’eux à son gré, il pût se venger sur eux du meurtre des ambassadeurs de son père.
Deux Spartiates, l’un nommé Sperthiès et l’autre Bulis, s’offrirent comme victimes volontaires. Ils partirent. Arrivés au palais d’un Perse nommé Hydarnes, lieutenant du roi pour toutes les villes d’Asie qui étaient sur les côtes de la mer, celui-ci les accueillit fort honorablement, leur fit grande chère et, de fil en aiguille, leur demanda pourquoi ils rejetaient si fort l’amitié du roi. « Spartiates, dit-il, voyez par mon exemple comment le Roi sait honorer ceux qui le méritent. Croyez que si vous étiez à son service et qu’il vous eût connus, vous seriez tous les deux gouverneurs de quelque ville grecque. » Les Lacédémoniens répondirent : « En ceci, Hydarnes, tu ne pourrais nous donner un bon conseil ; car si tu as essayé le bonheur que tu nous promets, tu ignores entièrement celui dont NOUS jouissons. Tu as éprouvé la faveur du roi, mais tu ne sais pas quel goût délicieux a la liberté. Or si tu en avais seulement goûté, tu nous conseillerais de la défendre, non seulement avec la lance et le bouclier, mais avec les dents et avec les ongles ». Seuls les Spartiates disaient vrai, mais chacun parlait ici selon l’éducation qu’il avait reçue. Car il était aussi impossible au Persan de regretter la liberté dont il n’avait jamais joui qu’aux Lacédémoniens, qui l’avaient savourée, d’endurer l’esclavage".
Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire
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Commentaires
chère É, sais-tu d'où La Boétie tire son anectode ? Thucydide ? Ce texte rappelle les discours de Périclès : l'intraitable grandeur en même temps que la passion de la vie.
Écrit par : Sara | mardi, 09 mars 2010
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