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mercredi, 22 mars 2017

Fazil - poème du printemps 2017

Puisque désormais j'ai pris la suite d'un poète mort, puisqu'il me faut écrire un poème à chaque saison, puisque le printemps est là, voici Fazil, le poème du printemps 2017. 

(Le vieux majordome, poème de l'hiver 2017, est lisible par ici.)

 

Fazil

 

C’est dans ce printemps français que je me souviens de toi,

ton visage à Istamboul, ton visage triste,

ton regard à Alemdar, ton regard fier.

 

Dans ce rayon de soleil sur la rue Saint-Nicolas,

un makam anatolien surgit d'une guitare,

je me remémore les mots échangés au café antique,

entre deux portes, entre deux rues, entre deux imprévus.

 

Ton profil se détachant sur la colline dans la voiture 

Tes mains mates conduisant vers l’aéroport

Tes mains moites qui ne me toucheraient plus.

Le chien dormait derrière nous, sage et calme, sûr de sa place en ton cœur.

 

Et j’ai souvent chanté depuis nos chants des rives de la Corne d’Or

Et j’ai souvent pensé qu’un fils aurait pu naître

J’ai souvent désiré réécouter ta voix

J’ai souvent regretté mon choix.

 

En ce printemps français, je me détourne un instant de Paris

Le faubourg Saint-Antoine bruyant, l’hôpital des Quinze-Vingts derrière les murs,

les bourgeons qui vont naître dans un jour, dans une semaine.

 

Dans l’air tiède qui caresse la rue Saint-Nicolas

je retourne en pensée une dernière fois

vers un bonheur perdu il y a presque dix ans, vers l’appartement d’Hasnun Galip Sokak.

 

Edith de CL

 

 

lundi, 13 mars 2017

Dialogue avec celle qui me pourchasse

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Mon angoisse, qui es-tu ? 

Je suis ton enfant interdit. 

Pourquoi es-tu venue me tourmenter hier soir, alors que je rentrais par la rue de Charenton ? 

Parce que tu ne pensais à rien et j'ai voulu que tu penses à quelque chose. 

Est-ce toi qui tiens les fils de mon destin ? 

Tu n'as aucun destin, juste une volonté. 

As-tu prise sur ma volonté ? 

Jamais. 

Me veux-tu du bien ? 

Je ne te veux ni bien, ni mal. 

Que me veux-tu ? 

Je ne te veux rien. 

Que cherches-tu, lorsque tu tournes autour de moi, lorsque tu m'attaques ? 

Je cherche à exister. 

Pourquoi exister à travers moi, et pas à travers d'autres ? 

Parce que je suis ton angoisse. 

Qui t'a créé ? 

Je me suis créée toute seule. 

Qui te nourrit ? 

Ne crois pas que tu me nourrisses. C'est moi qui me nourris de toi. 

Es-tu un parasite ? 

Les fantasmes ne sont pas des parasites. 

M'es-tu utile ? 

Ce n'est pas mon but. 

Quel est ton but ?

Survivre. 

Pourquoi faire ? 

Parce que je t'aime. 

Pourquoi m'aimes-tu ? 

Parce que je te connais. 

Et si demain tu ne me reconnaissais plus ? 

Je t'attaquerais jusqu'à ce que tu redeviennes celle que je connais. 

Et si je ne le redevenais jamais ? 

Je mourrais. 

Meurs ! 

Tu ne m'as pas encore assassinée. 

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vendredi, 03 mars 2017

Ta semi-folie inconsciente

Sans raison apparente ni explication aucune, tu nous a plongés dans un cauchemar, de temps en temps nous faisons semblant de l’oublier pour pouvoir vivre, un jour peut-être, nous sortirons de ce tunnel noir pour accéder, nous tous ensemble, à la lumière ?

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à lire encore sur AlmaSoror : 

Le poème ou l'image qui viendra 

Dolores, terrae incognitae

mardi, 28 février 2017

Matines

Le matin a cassé ma colère,

le matin l’a brisée en mille morceaux de douceur.

Fenouil braisé aux deux carottes et à l'orange confites

C’est ainsi que je fis braiser dans de l’huile d’olive, un bulbe de fenouil. Lentement.

Plus tard (ma cuisinière étant petite, ma poêle unique), j’ai fait confire dans du beurre, du curcuma et du paprika, deux carottes et une orange (coupée en lamelle, avec la peau).

J’ai déposé l’ensemble dans un plat que j’ai enfourné un quart d’heure. Au dernier moment, j’ai déposé deux crottins de chèvre qui ont fondu quelques minutes supplémentaires.

 

A lire ailleurs sur AlmaSoror : 

La rentrée des classes

samedi, 25 février 2017

À jamais inconnus l'un à l'autre

Un temps qu'il fait, une bière, une musique, un roman, un état d'âme. C’est ce que je voulais partager avec vous hier. Vous étiez beau, dans votre chandail gris clair, en laine chaude. Vous sembliez absorbé par une contemplation dont j’aurais voulu connaître la cause. Le climat doux et frais réjouissait mon âme – et la vôtre ?

Je buvais une bière blanche de Belgique et vous restiez debout au comptoir, sans porter aucun verre à vos lèvres. La radio du bar diffusait une musique sans caractère mais j’avais entendu le matin même le requiem d’Howells, et je savais que le soir, j’assisterais à un concert de Nils Petter Molvaer. Vous m’avez demandé : « avez-vous terminé l’écriture de votre roman ? » et je ne sus que vous répondre, mais j’aurais voulu vous demander qui vous préfériez parmi les personnages de Guerre et Paix, et quel roman vous emporteriez pour un trop long voyage en train.

Je n’éprouvais qu’un contentement impatient d’être là, en présence de vous, et vous, quel était votre état d’âme ? Vous parlez si peu de vous, vous parlez si peu. Je parlais de tout et de rien et vous répondiez d’un air vague.

Depuis deux ans, combien de fois n’ai-je pas réussi à vous rencontrer ? C’est dommage, car j’aime vous voir enfourcher votre moto dans la ville hivernale, et j’ai souvent rêvé de me hisser derrière vous pour filer dans les latitudes des après-midi perdues.

 

Lire encore sur AlmaSoror :

Angélisation lente, Extrait du journal de Kevin Motz-Loviet

dimanche, 12 février 2017

Comme un dimanche

 

Je descends dans une zone de brume depuis ce matin, je m'enfonce à chaque seconde. J'essaie en tâtonnant des mains dans la tourbe rouillée de trouver des racines, de les arracher pour m'en nourrir à travers ces moments indistinctement laids. J'aurais besoin d'une attelle pour mon âme, d'une assistance respiratoire pour mes relations interpersonnelles. J'aurais besoin d'un grand chien noir qui marche à côté de moi.

Je m'asphyxie avec de la poudre anesthésiante. Des sons dans mon oreille ressemblent à des cloaques. J'ai mal à l'insuffisance émotionnelle de mes reins. Je vous regarde passer, vous tous qui vivez dans un monde structuré, là-bas, dans cet espace si clair où les gens se lèvent le matin, se rassemblent le soir et suivent des règles communes. Immuable, ce sentiment d'une chair en incapacité d'adaptation.

Comme c'est drôle : bonnes et mauvaises nouvelles se confondent en une lente contusion des sens. Je délaisse l'Evangile de Jean, je délaisse les films de Tarkovski. Les formes du monde se défont, la nasse se dessine et je vogue immobile, transie, pétrifiée, à l'abandon.

 

dimanche, 05 février 2017

Conte, fleurette !

Il me semble que si une petite fleur pouvait parler, elle dirait simplement ce que le Bon Dieu a fait pour elle, sans essayer de cacher ses bienfaits. Sous le prétexte d'une fausse humilité elle ne dirait pas qu'elle est disgracieuse et sans parfum, que le soleil lui a ravi son éclat et que les orages ont brisé sa tige, alors qu'elle reconnaîtrait en elle-même tout le contraire.

Thérèse Martin, dite Sainte Thérèse de Lisieux, IN Histoire d'une âme

vendredi, 27 janvier 2017

Le poème de l'hiver 2017

Tu disais des poèmes aux quatre saisons. Tu n'es plus. Il faut bien que quelqu'un te succède à cette valse de mots. Voici celui de l'hiver 2017.

 

Aux grands froids de janvier, quand la foule frissonne,

Un glaçon solitaire étreint le souvenir

D'un frère. 

 

J'ai prié dans l'oubli. J'ai crié dans la lumière. 

 

Les vents sonnent tocsin quand les cloches sont tues. 

Dans la foule laïque, un religieux s'éteint

Sans Père. 

 

J'ai donné des piécettes au miséreux derrière la gare. 

 

Mes éveils s'indisposent avec la charge des années. 

Quand ma vie se repose, je me souviens d'elle : 

Ma mère. 

 

Mais l'armoire est mitée où s'entreposent les vieux papiers.

 

Janvier tire à sa fin comme un vieux majordome

Qui s'éloigne à pas tremblants du château où il servait

Le dernier maître.

lundi, 23 janvier 2017

Le vélo géant, par Lau Bergey et Nicolas André

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C'est dans une ferme d'un pays d'Europe de l'Ouest, imaginons une ferme du Bordelais, qu'une fillette reçoit un vélo pour son anniversaire. Adieu tricycle, le nouveau vélo est arrivé ! 

Les chutes s'ensuivent et se ressemblent, mais un grand garçon étranger vient résider à la ferme. 

Il est fort, il est mystérieux, il est chaleureux, et il dessine comme un Dieu. 

Il dessine les vélos géants qu'on chevauchera quand on sera grande. Mais on ne le sait pas encore. On sait simplement que Peter s'en va, que la ferme redevient sage et qu'il n'y a plus qu'à pédaler sur les routes et à rêver en haut des arbres. 

Un souvenir d'enfance tout en images, aux dialogues rares ; une narration apaisante ; une histoire à regarder et re-regarder.

 

 Autour de ce Vélo géant, il y a même un peu de musique... par ici !

jeudi, 29 décembre 2016

Jour de chasse

J’étais parti chasser pour tromper l’ennui…

Pour tromper le malheur, j’étais parti chercher la proie, donner la mort.

Le fusil en bandoulière, le chien sur mes talons.

Nous t’avons pisté.

Nous t’avons poursuivi à travers bois et clairières,

Tu courais devant nous, inquiet, tourmenté.

Un oiseau te guidait vers un lieu de refuge,

Un oiseau te guidait à travers les sentiers.

Nous nous sommes embourbés dans la boue et les ronces qui encerclaient le château en ruines.

Ruines du temps perdu, ruines de mon cœur d’homme.

Cœur d’homme ému par une hase en automne.

Je t’ai laissé en vie, avec ta femme et tes petits,

Lièvre, tu m’as fait honte avec ton bonheur pur.

jeudi, 22 décembre 2016

Frappée en novembre

Suite à deux rencontres avec François Bernheim, au Café de l'Etoile manquante et dans le salon Colette de l'Hôtel de Massa, j'ai accepté d'écrire pour le site Mardi, ça fait désordre, un texte sur ce qui m'avait frappée au mois de novembre. 

Le voici ici aussi :

 

Le mois de ceux qui ne sont plus parmi nous

Novembre, tu es revenu enterrer l’été. Tu es arrivé comme on t’attendait, tu t’es comporté à ton habitude, avec ta froideur implacable et ta pluie pénétrante. Je t’ai laissé me traverser sans réfléchir aux conséquences de mon inaction. Je t’ai laissé agir sur ma vie, sur tout ce qui m’environne. Puisqu’on me demande aujourd’hui ce qui me frappa en ce mois, je dirai que c’est avant tout la grande absence des morts.

Ils ont cessé de vivre et aussitôt nous avons cessé de les considérer. Nos corps ont faim et soif de nourritures et de boissons, cette vitalité nous sépare d’eux et aucun amour hélas ne résiste quand l’appel du ventre de l’un répond à la dés-existence de l’autre.

Mais les morts ne sont pas les seuls laissés-pour-compte de nos vies. Les absents leur ressemblent beaucoup à cet égard. Même celle que j’aimais, à laquelle j’étais liée me semblait-il d’une manière inextricable, depuis qu’elle a claqué la porte de la maison familiale, elle disparaît. Son ombre obscurcit nos dîners, nos palabres, mais son ombre n’est pas sa personne. Sa personne n’a plus sa place à notre table.

J’aimerais dîner à une table éternelle, à la table des anges et des fantômes, où tous, vivants et morts, présents et absents, trinquent ensemble, en chantant des airs égrillards ou grégoriens. J’aimerais prendre place au grand banquet macabre des amours mortes et des liens défaits.

dimanche, 18 décembre 2016

Franchir la ligne

Le soir se pose sur la grande ville ; tu bois un verre où flotte un zeste de fleur d’oranger, et tu dors, ou plutôt tu sors du réel. Conscience créative, tu deviens. Aucune musique ne dessine ton image sur le miroir aux alouettes. Tu marches. Le béton sous tes pieds : aréole de sensualité. Tu te diriges vers où toutes les rues du Vice se rejoignent. C’est décidé ; ce soir, tu mords. À l’hameçon du désir et du plaisir, de la douleur et de la peur, tu mords ce soir. Il faut une première fois au moins une fois tous les dix ans, il faut une première fois quand depuis si longtemps la ouate hideuse et monocorde du quotidien a recouvert la suie des rêves.

Les voix éthérées des femmes vendues abrègent ton questionnement moral. Le sensorium de l’instant t’emporte au-delà de la limite floue des décences admises. Tu te sens en apesanteur au milieu de cette soirée où tout te tourneboule, où tout se déroule comme dans un hymen subi, un film bien-aimé, un rite accompli.

Extrêmement longue est ta nuit initiatique. Les lampadaires réverbèrent les échos imagés de tes gestes désinhibés. À sept heures du matin, un fouet claque dans la ville. Une porte s’ouvre. Deux silhouettes s’éloignent de toi. Tes yeux cillent, ton esprit décille, tu t’éveilles au Toi que tu avais congédié quelques heures plus tôt.

Un nouvel amour t’attend. Un nouveau voyage. Désormais, quelque chose dans ta vie sera grand.

samedi, 10 décembre 2016

Somnambule, me disait-elle.

 

« Somnambule, me disait-elle. Oui, j'ai parfois l'impression d'avoir dormi ma vie, et seulement changé de sommeils ; peut-être ma lucidité, dont j'étais trop sûr, ne fut-elle que la conscience de mes rêves. Suis-je donc enfin réveillé ? Ce grand vertige de lumière, ou de mort... »

 

Cette phrase que vous venez de lire est l'avant-dernière du roman Le somnambule, de Pierre-Henri Simon (1960).

Ce livre, dans une collection intitulée « Le club de la femme », je l'ai trouvé posé sur le comptoir du vestibule d'un immeuble d'une rue du vingtième arrondissement de Paris, dans le quartier situé entre les stations de métro Maraîchers et Alexandre Dumas. Je l'ai ramassé, et je l'ai parcouru, parfois en ricanant, parfois avec émotion.

 

lundi, 28 novembre 2016

Stabat memoria

 

Pergolèse, je suis si vieille par rapport à l'âge que tu connus. C'est toi pourtant qui me ravives et me consoles, les longs soirs de novembre. Jeune homme, ta musique accompagne mieux encore que l'Armagnac la lenteur des ennuis nappés de froidure. À côté de moi, dorment plus d'une vingtaine de tomes édités avant la guerre de 1939-45. Leurs titres : Les hommes de bonne volonté. Le drapeau noir ; Prélude à Verdun ; Recherche d'une église ; ces volumes dévorés par de jeunes gens devenus des vieillards aujourd'hui. Se souviennent-ils de leurs frémissements en lisant Jules Romains ?

Je divague, peut-être à cause du frimas, peur-être à cause du vin. Je divague, peut-être à cause de moi, peut-être à cause de toi à qui je pense, ce soir. Toi dont je sais le nom. Toi dont j'ai su la peau. Toi dont je ne sais plus rien.