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lundi, 31 octobre 2016

Des flambeaux pour la Vierge Noire

 

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(Phot Sara)

 

Écoutez ! La Vierge Noire de Rocamadour est arrivée ! Elle est arrivée aux Sables d'Olonne.

Elle a fait bon voyage, sur un bateau à voiles, encadré par les pêcheurs sur leurs chalutiers ! Et pour l'accueillir à Notre-Dame de Bon Port, une procession l'attendait sur le quai Guiné.

La fanfare en habits, des sablaises et des sablais en costume traditionnel, coiffes et sabots, et puis les confréries, des étendards, les Chevaliers et les Dames de l'Ordre de Malte, des joueurs de cornemuse, et toutes les dames, tous les messieurs, tous les enfants portant des flambeaux, à travers la rue de la Patrie.

Et les prêtres en aube et messeigneurs les évêques avec leurs belles mitres et leurs crosses. Ô Vierge soyez reine chez nous... Soyez la bienvenue, reine noire d'Occitanie, dans notre petite ville maritime du Bas-Poitou.

Vous serez notre reine, vous convertirez nos cœurs, vous nous arracherez des larmes de tendresse. Regardez ces petits, avec leurs baskets et leurs maquillages d'Halloween, ils attendent, depuis plus d'une heure ils attendent, pour voir passer la procession et vous saluer, jolie petite Vierge portée en triomphe par un peuple infidèle et aimant.

Nous allons vous couronner, Ô notre reine, avec une couronne de verre pour vous, et une couronnette pour votre petit garçon, et vous ferez un miracle, encore une fois, s'il vous plaît ! S'il vous plaît !

 

mardi, 25 octobre 2016

Ar c’hoad

Je m'éveillais en bordure de forêt. Des oies groupées se dandinaient vers un flot de lumière. Les âmes celtiques, près des fontaines druidiques, chantaient dans une langue que je ne connaissais pas. Oies spirituelles, guidez-nous vers les forêts de l'abondance et de la fidélité. 

 

Sur AlmaSoror :

Insomnie bretonne à Paris

La roseraie d'Aztlan

Le sacrifice

jeudi, 20 octobre 2016

Inattendu d'automne

Je dois lui demander le code pour entrer dans l’immeuble où j’ai grandi et vécu jusqu’à 35 ans. Je passe devant le marronnier planté par mon petit frère lorsque il avait sept ans, marronnier toujours si chétif, à jamais maigre et nain, toujours si mignon, émouvant, dans le bac en bois qu’il avait construit avec le voisin qu'il admirait. Une douleur me perce le coeur. Derrière l’arbre-arbuste, nos fenêtres, et des rideaux blancs. Nos fenêtres ? Non, elles sont refaites, modernisées. J’aperçois dans l’ombre un bout de la pièce. Mon coeur pleure mais je ne ralentis pas le pas, je me détourne. 

Je repars sans me retourner.

Je ne me retourne pas sur l'immeuble de Montparnasse comme la femme de Loth changée en pierre. Notre appartement est métamorphosé, donc il n’existe plus. Je savais bien que tout ce que nous avons aimé vivre là-bas n’a plus lieu, la joie des voisins, les dîners ensemble dans la cour, mais j’ai revu ce marronnier si particulier, qui n’est jamais devenu adulte et qui continue de vivre avec une tranquille obstination.

Si j’avais un enfant, est-ce que je l’emmenerais dans cette cour en lui disant, c’est ici, mon petit, c’est ici que j’ai grandi, aimé, souffert, pleuré, c’est à ce lieu que je me suis identifié, c’est ce lieu que je n’ai pas su quitter quand les gens de mon âge partaient vivre ailleurs, c’est de ce lieu qu’on m’a bannie, c’est ce marronnier que mon petit frère a planté. Ou bien est-ce que je lui dirai, c’est ici, mais ce n’est pas là. L'immeuble dont je te parle, n’existe plus que dans mon coeur. L’enchantement nous a suivi, l’enchantement est dans les rires d’aujourd’hui, dans ta main qui tient ma main.

Mais aucun enfant ne me tient la main.

lundi, 10 octobre 2016

Octobre

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Phot Lau

vendredi, 07 octobre 2016

Immobile

 

Une vie, c'est à la fois une errance et une construction. Les deux vont de pair.

La vie, à la fois une apparence et une profondeur. Les deux se reflètent quelquefois, quand une eau trouble recouvre leurs surfaces.

 

Comment enregistrer l'expérience intérieure face à un soleil sur mer bleue ? En la vivant intensément, profondément, peut-être...

Et comment apprendre à aimer réellement la pluie, le froid et la grisaille ? Et le vide, et la lenteur, et l'attente et le rien...

Savoir demeurer immobile sans se figer.

L'immobilité est un équilibre endogène, tandis que la fixité n'est pas maîtrisée, mais subie. L'immobilité d'un être ne peut être parfaite, elle touche à la perfection.

L’immobilité est une quête, tandis que la fixité est un résultat.

 

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jeudi, 06 octobre 2016

Saul dans la ville atlante

 

Il sortit pour marcher dans l’air vivifiant de la nuit. A mesure que le grand ascenseur aux parois de verre descendait les quarante-deux étages, l’atmosphère s’épaississait et se chargeait de chaleur et de vie. L’air de la rue bariolée le gonfla de bonheur. Il suffoqua presque d’hyperventilation et se souvint que cela faisait quelques jours qu’il n’était point sorti, n’avait point aéré. Il reprit son équilibre et s’élança sur l’asphalte.

« Et voilà qu’un spleen se déverse sur la ville comme un vent léger. Je risque d’attraper le spleen ». Mais la ville l’attirait. Oublieux de sa santé morale il s’engagea gaillardement dans l’allée des Oliviers Grecs.

Saul pensait à son roman en cours : le style et l’histoire ne parvenaient pas à s’épouser.

A l’école, les professeurs avaient tellement répété des contraintes de style que Saul avait mis beaucoup de temps à oser écrire ce qu’il voulait. Parfois, seul dans sa boîte du 42ème étage, il prêchait aux professeurs et aux académiciens, gardiens de la culture et de la Beauté de l’Humanité :

Laissez la langue parler, leur disait-il, laissez-la inventer des mots, déborder de ses sens et de ses formes, s’enchevêtrer, laissez-la mourir un peu ici, se transformer là-bas, car ainsi et seulement ainsi pourra-t-elle porter nos doutes, nos peurs, nos rêves pour des siècles et des siècles. Laissez la langue se noyer dans sa propre beauté, s’étouffer dans ses propres pièges, mais laissez-là aussi se prolonger dans tous les sens, exprimer le neuf, l’ancien, l’inexprimable , porter nos rires, nos enthousiasmes, laissez-la se soulever, extravagante, ou bien se taire.

Mais la langue l’interrompait, frémissante, et le faisait taire par ses cris rauques : Je me noie dans mon insolitude, dans mon infirmance, faméliques paroles coulées de vos gorges baignées de peurs et de chaleurs vivantes, frémisseuses, amourantes, beauté des consumences du feu, qui pourra m’aliéner ? Mes amoureux me traduiront toujours, et les savants ne m’enchaîneront jamais, car les chaînages cliquètent comme de beaux bijoux exotiques, dictant de nouvelles façons de m’habiter, qui vous échappent, vous échappent, vous échappent.

Je suis la langue et j’habite dans vos bouches, dans vos rêves, je suis presque votre peau. Ne me méprisez jamais car j’exprime toujours, et vous possède toujours. Ne m’enchaînez jamais car j’en mourrai. Je veux qu’on m’invente sans cesse, se souvenant de mes plus vieilles perles et m’en créant de nouvelles.

Je suis la langue. Parlez-moi profondément du fond de vous-mêmes, parlez-moi et parfois… Taisez-vous… Taisez-moi et laissez-moi vous habiter, influencer vos rêves, déplacer votre intelligence. Laissez-moi pénétrer langoureusement tout votre corps et me répandre, couler en vous comme un fleuve, je suis lasse et m’ennuie enfermée dans vos cerveaux étroits. Laissez-moi descendre le long de votre cou, glisser dans votre dos ; je veux tomber dans vos fesses, rebondir, remonter dans votre ventre, emplir vos seins, votre poitrine, de mes milliers et mes milliers de mots, de sons, de plaintes qu’il ne faudra pas séparer, pas détacher, car ils ne sont qu’un souffle décliné cent mille fois.

Je veux être animale. Je vous offrais le flux et le reflux et le mouvement ; vous m’avez enfermée dans une cérébralité arrogante, inutile et monotone. Je voulais être le bel atour d’une animalité parmi tant d’autres, on a fait de moi le parangon de la différence humaine. Je veux me déployer, explorer vos corps, participer à la danse et réunir ce qui était séparé, classé, analysé.

Je suis la langue : dans l’ultime démonstration de ma splendeur, je vous ramènerai au bercail de la perfection innocente et vaste de l’animalité, loin de la Destruction.

 

 

mercredi, 05 octobre 2016

Ancienne prière, prière vive

En ces temps où le Dieu des chrétiens a été enterré vivant sous des strates d'athéisme, on n'a pas toujours le cran de bigoter en se signant face à une église vide ou en récitant le Notre-Père avant d'entamer en compagnie un repas sans gluten dans un restaurant cher du onzième arrondissement de Paris.

Une tactique judicieuse consiste à le réciter en langage crypté. Les connaisseurs pardonnent, les béotiens se convertissent illico.

Voici par exemple :

 

Notre daron qui crèches au ciel,

que ton blase soit sanctifié,

que ton règne aboule,

que ton zirdé soit fait sur la basse comme aux Champs-Elysées.

Abèque aujourd'hui notre artie quotidien,

Scuse nos offenses, comme nous remettons l'ardoise à ceusses qui nous ont traités,

Ne nous asticote pas avec la tentation,

Et démaque nous du Mal.

 

mercredi, 28 septembre 2016

Quatre gros livres près de la bouteille d'Armagnac

J'ai acheté il y a quelques années, dans une brocante des Sables d'Olonne, les quatre tomes des Mémoires du Chancelier Prince de Bülow, diplomate allemand, traduits par Henri Bloch. Ces mémoires s'écoulent de 1849 à 1819. Dans le second tome, le Prince y décrit un rassemblement patriotique organisé par les pouvoirs publics français au début de la guerre de 1914-18. Des ecclésiastiques de plusieurs confessions chrétiennes, de confession musulmane et de confession juive mènent en quelque sorte le bal. Décrivant cela, le prince regrette ensuite que les Allemands ne soient pas capables d'union entre catholiques et protestants même lors des combats au front.

Voici la description de la scène française :

« Pendant la Grande Guerre, on organisa à Paris une grande fête au Trocadéro. L'archevêque de Paris, un pasteur de l’Église réformée, un autre, luthérien, un rabbin et un iman prononcèrent des allocutions. Le public applaudit ces discours patriotiques ; tous les cinq vinrent devant la rampe ; l'archevêque au milieu tenait dans sa main droite celle du luthérien, dans sa gauche celle du calviniste, ce dernier avait pris le rabbin par la main et le luthérien, le musulman. Le public se leva et entonna la Marseillaise, ce chant de la guerre de la Révolution. Les ecclésiastiques sur l'estrade mêlèrent leurs voix à l'hymne ».

 

Cela n'a pas beaucoup de rapport, encore qu'il s'agisse des mêmes Mémoires, que cela rappelle la guerre... Un passage du premier tome m'avait déchiré le cœur. Car il faut le lire en sachant que le prince ignorait tout de ce qui se passerait des décennies plus tard... Un poème y est cité, l'air de rien, alors que le prince relate un déplacement de Guillaume II à Nuremberg.

 

« De Würzbourg on partit le 2 septembre 1897, jour de Sedan, pour Nuremberg.

Si quelqu'un doit connaître l'Allemagne,
Si quelqu'un doit aimer l'Allemagne,
On lui nommera Nuremberg, ville remplie des nobles arts.

Guillaume II avait un plaisir particulier à séjourner dans cette superbe ville ».

Je cherche l'auteur de ce poème, que j'aimerais connaître en entier. Une amie qui avait visité Nuremberg il y a quelques années me disait que les constructions du troisième Reich, gigantesques et magnifiques, y étaient à l'aube de la ruine, lieux maudits de cette ville désormais maudite, et que des fous romantiques les hantaient de leurs regards brûlants de rage.

 

Descendre l'escalier du passé jusqu'aux caves de nos mémoires perdues, par la lecture de textes d'époques, secondaires, oubliés, c'est s'autoriser à retrouver le fil d'une histoire interrompue par l'orage et la sidération intellectuelle qui l'a suivi.

lundi, 26 septembre 2016

L'hôtel de Massa, siège de la Société des Gens de Lettres

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Photo Sara

 

Puisque cette année, je suis responsable du patrimoine de l'hôtel de Massa et de la Société des Gens de Lettres, j'ai participé à l'accueil du public lors des Journées du Patrimoine, le 17 septembre. Je relate ici l'histoire de notre Société et de l'hôtel de Massa, à ma manière, bien que le contenu soit strictement inspiré par le fascicule bien plus complet, rédigé par Jean Claude Bologne, mon prédécesseur, et Cristina Campodonico, la prêtresse de l'action culturelle massaïote, pour aider les conférenciers improvisés.

 

L'hôtel de Massa, des Champs Élysées au Faubourg Saint-Jacques

L'hôtel de Massa porte le nom de ses derniers propriétaires, qui habitaient l'hôtel dans la première partie du XXème siècle : les ducs de Massa. Ce titre de duc de Massa a été créé par Napoléon pour remercier un compagnon de route, Claude-Ambroise Régnier, qui a participé au coup d’État du 18 brumaire. Ce premier duc de Massa est d'ailleurs enterré au Panthéon. Aujourd'hui, ce titre ducal a disparu.

L'hôtel de Massa fait partie de ces nombreuses « folies » qui ont poussé à la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècle. Folie signifie « feuillée », endroit de verdure, mais se prend également au sens propre, puisque ces petits châteaux élégants entourés de jardins ravissants causaient des dépenses effrénées à seule fin d'abriter des plaisirs tantôt mondains... tantôt clandestins.

 

C'est l'architecte Le Boursier qui a bâti celle folie-ci, pour le compte de Thiroux de Montsauge, seigneur de la Bretêche Saint-Nom de Champillot, de sa profession administrateur des Postes. Et figurez-vous que cet hôtel, construit par Le Boursier entre les années 1778 et 1784, a été édifié, tel que vous le voyez aujourd'hui... sur les Champs-Élysées ! Précisément au croisement de la route du Roule et de ce qui s'appelait alors le chemin des Champs-Elysées. À l'emplacement exact où, aujourd'hui, se croisent la rue de La Boétie et l'avenue des Champs Elysées. Ce qui aujourd’hui s'appelle l'avenue des Champs-Elysées était alors la campagne. Notre hôtel fut l'un des premiers édifiés, suivis par six autres en 1790.

On dit d'ailleurs que l'administrateur des postes n'y résidait guère, et qu'il était plutôt habité par une demoiselle Contat, actrice de la Comédie Française et maîtresse du frère de Louis XVI, qui deviendra, sous la Restauration, le très rigide Charles X.

Pendant la Révolution, l'hôtel est laissé à l'abandon, puis déclaré bien national. Napoléon en fait la résidence du comte Marescalchi, ambassadeur d'Italie à Paris, mais souvenons-nous que Bonaparte était président du gouvernement italien ! Sous l’empire, l'hôtel connaît une ère de fêtes brillantes qui rassemble le tout-Paris riche et célèbre.

Les propriétaires se succédent ; l'hôtel a abrité plusieurs ambassades. L'ambassade d'Italie, entre 1804-1814 ; l'ambassade d'Autriche, entre 1814-1826 ; l'ambassade de Belgique, entre 1842-1848.

Alors qu'il est devenu la propriété des ducs de Massa, éclate la guerre franco-allemande de 1870. La France vaincue a perdu l'Alsace et la Lorraine et l'hôtel voit défiler l'armée allemande à ses fenêtres, sur l'avenue des Champs-Élysées. La légende dit alors que le duc de Massa a fermé les volets de l'hôtel, jurant de ne pas les rouvrir avant qu'ait sonné la revanche.

De fait, l'hôtel est très peu habité. Il ne sert qu'à recevoir de brillantes fêtes, deux ou trois fois l'an. À la date symbolique du 14 juillet 1919, au lendemain de la première guerre mondiale, l'Alsace et la Lorraine sont revenues à la France ; le cousin du duc qui avait fermé les volets les rouvre.

 

Paris s'est agrandi. Le chemin des Champs Élysées n'est plus une voie champêtre à l'extérieur de Paris, mais une avenue commerçante à l'intérieur de la capitale. Une avenue commerçante qui attire les investisseurs. Deux d'entre eux rêvent d'ouvrir, sur cette avenue, un grand complexe commercial à l'image de ceux qui fleurissent déjà aux États-Unis d'Amérique. Ces deux investisseurs s'appellent Théophile Bader et André Levi. Le premier est président des Galeries Lafayette ; le second, promoteur immobilier. Ils souhaitent racheter l'hôtel, le détruire pour édifier leur immense complexe. Mais la Commission du Vieux Paris s'insurge et l'hôtel est classé Monument Historique en 1926.

On ne peut plus le détruire ; mais les investisseurs ne veulent pas renoncer à leur projet. Ils sont justement très amis avec le ministre de l'éducation nationale ( et futur président du Conseil des ministres) Édouard Herriot. Celui-ci, membre de la Société des Gens de Lettres, propose que l'hôtel soit dévolu à la société d'auteurs, à l'étroit dans un appartement de la Chaussée d'Antin. Il suffirait de le démolir pierre par pierre et de le reconstruire à l'identique ailleurs...

Formidable idée, qui plaît beaucoup aux auteurs qui justement cherchent une maison pour abriter leurs travaux... Las ! Les auteurs ne sont pas riches, l'achat de l'hôtel, son déplacement, sa reconstruction sont au-dessus des moyens de notre Société. Qu'à cela ne tienne ! Nos investisseurs, eux, sont riches, ils aiment les arts et les lettres, et voudraient bien que leur affaire des Champs Élysées avance. Ils offrent donc la démolition et la reconstruction de l'hôtel. L’État ne peut rester insensible à cet élan de générosité ; à son tour, il met à disposition un bout du très grand jardin de l'Observatoire de Paris.

L’État offre en outre les transformations intérieures de l'hôtel, nécessaire à sa destination future. Désormais Massa ne sera plus un lieu de bals masqués et d'amours clandestines, mais la maison où les auteurs administrent leurs droits et la solidarité qui les lie. En échange de cette aide à l'aménagement intérieur, l’État demande à ce que l'hôtel lui appartienne : la Société des Gens de Lettres bénéficie d'un bail emphytéotique, c'est à dire de 99 ans, en échange d'un franc symbolique que nous payâmes en 1927. Notre bail arrivera à terme en 2026 et nous espérons qu'il sera renouvelé !

Le chantier a duré plus d'un an et ce déplacement a largement occupé la presse parisienne et nationale durant toute cette période.

Les Galeries Lafayette nous avaient donc offert le transport, par six camions de cinq tonnes, des pierres numérotées soigneusement. 65 ouvriers et 4 chefs pour la démolition, 43 ouvriers et 5 chefs pour la reconstruction.

Nous étions donc presque installés dans notre nouvel hôtel, dont la première pierre fut inaugurée le 16 juillet 1927, lors d'une cérémonie officielle, en présence d'une foule d'invités. Comment remercier les Galeries ? En se fournissant en meubles chez eux, bien sûr. Et c'est l'écrivain Pierre Benoît, dont on trouve encore les romans en librairie (L'Atlantide, Mademoiselle de La Ferté, Konigsmark), qui a choisi un ensemble de 110 pièces Art Déco, aujourd'hui répertoriées aux Monuments Historiques.


La Société des Gens de Lettres

Quel long combat pour que les écrivains touchent le fruit de leur travail ! Un combat qui, comme celui de tous les travailleurs, n'est jamais gagné. Longtemps, ce furent les libraires, qui étaient aussi éditeurs, qui empochèrent de l'argent sur les ventes des ouvrages, tandis que les écrivains ne recevaient qu'un forfait au moment de la vente de leur texte au libraire.

En 1764, les libraires lancèrent l'idée de la propriété intellectuelle, mais... en s'arrogeant la propriété intellectuelle d’œuvres qu'il n'avaient pas écrites, mais qu'ils imprimaient et diffusaient ! Ainsi, ceux qui eurent l'idée de propriété intellectuelle pour les œuvres, n'en étaient que les commerçants.

Or, le 30 décembre 1791, dans la tourmente révolutionnaire, l'idée de propriété intellectuelle réapparaît, mais au profit des auteurs des œuvres. L'auteur de théâtre Beaumarchais renchérit et réclame la création d'une Société qui récolterait les droits touchés par les entrées de théâtre et les redistribuerait aux auteurs. Cette Société, La Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, verra le jour en 1829 et reste aujourd'hui la plus ancienne société de perception de droits d'auteur.

Au mois de juillet 1793, la Convention proclame réellement le droit d'auteur ainsi : « la propriété littéraire appartient aux auteurs d'écrits en tout genre ». C'est le début de la liberté pour les auteurs, qui vont commencer à vivre de leur œuvre sans devoir se mettre sous la protection d'un mécène.

Mais que de temps pour que la réalité suive le droit !

Les romanciers, au XIXème siècle, touchaient leurs droits d'auteur sur les feuilletons publiés dans les journaux parisiens, mais tous les journaux de province reproduisaient ces feuilletons sans s'acquitter d'aucun droit, pour la joie des lecteurs et la misère des auteurs. C'est pour remédier à cette situation que Balzac, auteur feuilletonniste, a l'idée d'une société de perception et de redistribution des droits pour les journaux de province. Son ami Desnoyers concrétise cette idée deux ans plus tard, en 1838.

1838. C'est notre date de naissance. Dans l'appartement de Desnoyers, rue de la Michodière, des auteurs approuvent l'idée de créer cette société. Le 16 avril 1838, 95 hommes de lettres répondent à l'appel et participent à la première assemblée générale de la Société. Un comité directeur est élu, pour diriger la société dont la mission est claire : la défense des intérêts moraux et matériels de ses membres, le secours aux écrivains nécessiteux. Parmi les membres fondateurs, Balzac, mais aussi Hugo, Sand, Arago, Lammenais... (Il faut rappeler que si une seule phrase de Victor Hugo est sans cesse citée, sortie de son contexte, par les opposants au droit d'auteur et les militants de la gratuité numérique, l'écrivain-titan fut un fervent combattant en faveur de la propriété intellectuelle). Plus de cent-cinquante ans plus tard, le comité directeur de la SGDL continue de se réunir chaque mois. Les buts de la Société sont restés les mêmes. Nous défendons les intérêts moraux et matériels des auteurs auprès des pouvoirs publics, et nous venons en aide, via notre Commission des Affaires Sociales, aux auteurs nécessiteux.

Depuis 1983, toutefois, nous ne sommes plus une Société de perception et de répartition. Les éditeurs payent directement les auteurs et la SGDL se concentre sur ses missions juridiques, culturelles et sociales.

 

Pour connaître en profondeur notre histoire et celle de Massa, on peut lire la très jolie Histoire de l'hôtel de Massa illustrée de Jean Claude Bologne. Elle est en vente à l'accueil de Massa, ou par téléphone.

Le site de la SGDL

 

 

dimanche, 25 septembre 2016

Suspension II

 

La vie ne s'écoule pas exactement comme on l'aurait voulu ni comme on veut bien le raconter. Pourtant, il y a des bières face à la mer et des moments d'intense rencontre. Mais l'âme a soif et « les désirs réalisés augmentent la soif comme le sel ». Les rêves remisés au tiroir assèchent la joie. Les disputes intérieures courent dans notre esprit, mettant un mur d'insensibilité entre notre corps et le monde. Nous nous protégeons des autres agressivement avant qu'ils ne nous agressent, ou bien nous nous ouvrons à eux béatement, alors, ils nous agressent. Jalousie, comparaison, espérance, déception, surnagent dans la mare. C'est dans la boue du fond que dorment l'amour, l'échange, la gratitude et la tranquillité. Mais voici que l'après-midi qui commence est très calme. C'est l'occasion de rester sage, assis sur la balançoire enivrante du moment présent. Le soleil persiste, mais si la pluie venait lui succéder, il faudrait aimer la pluie. Une douce chaleur se diffuse, mais si le froid tombait, il faudrait désirer le froid. Parce que la vie et la mort sont si proches, je les apprivoise toutes les deux, loin des soucis courants, ou bien au creux de leur flux incessant.

 

jeudi, 01 septembre 2016

Orage calme

L'odeur de la pipe ! Cet appartement ressemble à une névrose.

Beauté de l'emplacement, des fenêtres, des tomettes ; la folie dort dans les placards surchargés d'une bouffe que personne ne mange, elle plane et stagne dans les senteurs du tabac froid de la pipe, enfin elle s'étiole quelque peu quand on ouvre les fenêtres, que le vent pénètre les mètres cubes et dissipe la névrose par des mouvements légers d'air, comme une délivrance qui oserait naitre en ce nid haut perché.

Surgit la musique de Smokey Robinson, A Quiet Storm.

Puis tout se tait.

La nuit s'écoule à la vitesse d'un escargot qui traverse un grand champ. Pour cadrer le temps : "Je ne regrette rien de ma jeunesse", d'Akira Kurosawa. Le film défile, suivi par deux yeux éberlués de fatigue et d'admiration.

Certitude, confiance. Une robe suspendue à un cintre, près de la fenêtre, danse dans l'obscurité. Calculer, ne plus subir. Ouvrir un livre de Jacques Benoist-Méchin : "Rien n'est plus accablant, pour une âme qui se sent appelée à un grand destin, que ces moments où tout s'enlise dans un marécage bourbeux, où aucune pente ne se dessine, où la vie elle-même cherche en vain sa direction".

Du calme, mon âme. Ce n'est que la nuit qui passe, la nuit qui rit, la nuit en impulsion.

 

mardi, 23 août 2016

Cantique de ce soir

 

Ce soir, je n'ai ni l'humeur à rire, ni l'humeur à pleurer. Hier, pas d'église. Juste un cimetière, l'ombre tutélaire de Joachim du Bellay sur les cèdres angevins. Une amie dont les larmes coulent, des messieurs possédant des maisons en Bretagne qui posent des questions fatigantes. Des questions qui rappellent que l'on n'a pas suivi la voie droite. Et le train, ses pannes, sa lenteur. Et le retour au bercail maritime.

Ce soir, une balade au bout du lac crépusculaire. Un cantique murmuré face aux deux étendues d'eaux, dans les lumières de la nuit. « Savoir reconnaître Ton pas ».

Savoir que l'athéisme est un horizon inaccessible à mon cœur. Je marche vers lui, mais sur cette route, n'est-ce pas Toi qui me guide ?

Quand par la purification, j'aurai nettoyé toutes les scories de mon cœur, alors, peut-être que je resterai assise, le soir, sur le pas d'une porte, à sourire aux gens qui passent, comme un soleil parmi d'autres. « Devenir Veilleur ».

À chacun son quart de veille. Un jour, ce sera mon tour. Je serai prête.

 

 

dimanche, 21 août 2016

La croix de Belledonne

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Phot.

 

METTRE L'AMOUR AU SOMMET

lundi, 15 août 2016

Suspension

 

Un petite table demi-lune en bois brun, un sac à main bleu turquoise, un ordinateur portable ouvert à mes pensées profondes, dans un studio du douzième arrondissement de Paris ; mais c'est à la montagne que je pense, au chalet que je voudrais retrouver. À la musique de Terje Rypdal en boucle, au souvenir de ma chienne bien-aimée, partie depuis longtemps de l'autre côté du monde, par un weekend triste de novembre. Aux repas du crépuscule à contempler les nuages d'en haut, au désir de ne plus jamais redescendre, à ces bières grand cru qui accompagnaient les fromages du cru.

Mais c'est d'un studio du douzième arrondissement que j'écris. Comme si nos rêves trop frêles ressentaient trop de crainte de se réaliser. Ne veulent-il jamais devenir réalité ? Je me demande ce que pensent les rêves alors que la même musique de Terje Rypdal masque les bruits de la rue – le camion-poubelle de couleur verte, les livreurs énervés par la circulation, une nounou qui hurle au téléphone dans une langue d'ailleurs en poussant un enfant blond au regard perdu...

Entre ciel bleu et terre parisienne, ou plutôt, entre ozone pollué et béton armé, j'ose croire que mon état n'est que passager. Qu'un jour du futur, à nouveau de grands chiens qui marchent auprès de moi, à nouveau les sommets enneigés au grand soleil d'hiver, à nouveau une bière à l'apéritif dans mon chandail chaud, en sachant que le ciel de la nuit sera chargé d'étoiles constellées.

 

jeudi, 11 août 2016

Luctisonus

 

Lugubre est ton concert a capella, chouette effraie. C'est celui que je veux entendre les mille derniers jours de ma vie, avant de rendre l'âme au vent, le corps au limon, ma voix au silence.

C'est ton hululement à l'orée des ifs obscurs que je veux pour dernières agapes sonores, et qu'à la fin de l'été, les grenouilles de l'étang le perturbent de leurs coassements, et qu'au seuil de septembre, le crapaud te réponde au bord du puits.

Il y aura des vignes descendant vers le ruisseau, une cabane à outil que la fouine investit, des enfants qui s'aventurent jusqu'aux portes de la chambre, attentifs et inquiets.

Je n'écrirai plus de poèmes, à l'étage l'ordinateur couvert de poussière aura cessé de bruire depuis longtemps. Je ne prendrai plus le train pour les dîners, les musées, les appels de la ville, retirée dans mon désert de boue, de flaques et de mousse, enveloppée dans un manteau de dépouillement.

Il y aura mon rire dans les regards des chiens, leurs gambades qui font fuir les chevreuils majestueux. Par les claires soirées de lune, un vol de canards au-dessus de la vallée.

Il y aura sa main à côté de la mienne, vieillies nos mains tremblantes et la bouteille de vieux vin sur la cheminée, qui attend patiemment le douzième jour d'avril pour s'ouvrir et livrer sa saveur trop longtemps enfermée.

Il y aura le souvenirs des mères, et des pères, imparfaits, qu'on craignait, qu'on aimait. Leur ombre tutélaires sur nos démarches, leurs sentences dans nos vieilles mémoires, leurs regards de lumière et d'ombre passés un peu au fond de nos yeux.

Il y aura, comme un goût de jeunesse enfuie, le souvenir des conflits, des réconciliations.

Entre le passage d'un chiffon sur une armoire et l'heure qui tourne à l'horloge paysanne, nos dons pour ceux qui nous survivent et se battent sur les routes du monde, nos prières, nos transmissions.

Je n'ai pas peur du noir qui te prendra, qui me prendra, un soir ou l'autre, à l'aube de l'hiver ou dans la saison chaude. Je n'ai pas peur du dernier regard, je n'ai pas peur du dernier souffle.

Il y aura ton cri luctisonus, chouette effraie, un sourire qui dit au revoir, une paix secrète qui descend l'escalier, le seuil de la mort.

Il y aura la naissance, qui clôt toute vie.