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dimanche, 21 janvier 2018

Ilyès

L’orgue et la mathématique, mes deux mains, les deux pôles de mon cerveau. Oui, et pourtant, depuis une semaine, que sont ces passe-temps devenus ? Je ne pense plus qu’à toi, Ilyès, à ce lit rempli de sang sur lequel tu gisais, mort déjà, quand Clarisse t’a trouvé. Et personne ne comprend. Une rupture récente, oui, un problème de travail, oui, des parents lointains, oui, mais rien d’original à tout cela et tant d’amis autour de toi ! Le grand écart entre l’islam de ton père et le catholicisme de ta mère, oui, mais il y avait les semaines de printemps à Taizé et les sourates que tu récitais à table. La langue turque, la langue arabe, la langue française, Balzac et Marceline Desbordes-Valmore, la musique baroque de Lully et celle, électronique, de ton ami Fazil, toute la beauté des couleurs de ton appartement petit mais charmant de la porte d’Orléans… Depuis ton affreux acte, je ne dors pas beaucoup, je ne monte plus les marches qui mènent à l’orgue de la cathédrale de Senlis, je n’ouvre plus le livre de Pierre Lochak, Mathématique et finitude. Je pense à moi, je pense à Clarisse, je pense à la mort. Ilyès, je pense à toi.

 

vendredi, 19 janvier 2018

L'or tranquille

L'amertume et le désir ont en commun d'avoir d'incessantes et incessibles ramifications. Aucune satisfaction ne les apaise, aucun soulagement ne les fait cesser au-delà de quelques instants, quelques jours, quelques semaines. Ces deux sentiments bardés de tentacules qui repoussent quand on les coupe, empoisonnent nos vies et détruisent tout le bien de notre cœur. L'amertume, comme le désir, distordent notre vision du monde, et se déversent sur les paysages qui s'offrent à notre vue avant même que nos yeux aient pu les découvrir. Se débarrasser du sentiment d'amertume et du désir sans fin, éliminer les joies et les peines trop dépendantes des circonstances extérieures, c'est le premier pas vers la sagesse, vers cette sagesse invisible à l’œil nu, qui permet à la personne d'accueillir le bonheur quand il vient, de surmonter la douleur et la déception.

L'amertume et la frustration (ou le sentiment de manque, d'incomplétude), causent de si grandes souffrances en nos cœurs qu'il faut savoir les abandonner définitivement. Mais en les laissant partir, on perd tant de choses chères : le souvenir d'un rêve, un espoir de revanche, une occupation qui comble les ennuis. Oui, car amertume et frustration stimulent nos cerveaux : que faire, sans elles ?

Je souffle sur mes désirs et je les laisse vivre sans suivre leur cours. Lorsque les sensations de frustration, de manque, débarquent à la surface de ma conscience, je les observe. Elles m'attaquent. Je les contemple et je les transforme en quête, en chemin, en pelle pour creuser la terre de mes couches d'être et descendre au fond de ma mine, là où se trouve le métal qui délivre : l'or tranquille.

mercredi, 17 janvier 2018

Des lettres

Dans cette vieille sacoche de cuir, des cartes postales sans intérêt, un carnet qui date de 1990, c'est à dire d'il y a 27 ans, puis des monceaux de lettres en vrac. Des lettres, des lettres, des lettres. Celles d'une femme mariée à un brave homme et maman de deux petits enfants adoptés en Asie, qui mentionne à son amant ses envies d'être fouettée, dominée, battue, pénétrée par tous les orifices le plus violemment possible ; celles d'une petite fille qui envoie des nouvelles enjouées à son papa en quémandant des réponses. L'amant et le papa, sont la même personne. La femme, je crois l'avoir vue plusieurs fois, il y a vingt ans. La petite fille, c'est moi.

« Est-ce ainsi que les hommes vivent »...

Mais pourquoi est-ce que cela me fait pleurer aujourd'hui ? Je suis grande, pourtant, j'ai trente-neuf ans et demi. Je n'avais jamais reçu de réponse à ces lettres. Il faut dire qu'elles étaient bêtasses. Presque fausses dans leur joie feinte. Ça ne valait pas, en effet, l'autre prose contenue dans la sacoche. Cette autre prose qui suscitait des réponses, des réponses en vers et en prose, en coups de fouet et en invitations au restaurant.

Quand les vieux hommes meurent, bien souvent, ils ne sont plus que de vieux hommes, qui ont cessé depuis longtemps d'être des amants. Sont-ils toujours des pères ? Je ne sais pas vraiment. Ils furent, c'est sûr, des enfants qui grandissaient trop tristement.

Une bibliothèque Cornulier - La littérature orale quechua

(La bibliothèque dont on vous parle fut créée, trente ans durant, dans un appartement au fond d’une cour du 13 boulevard du Montparnasse, avant de devenir une bibliothèque éparpillée).

Titre : La littérature orale quechua

de la région de Cuzco - Pérou

Auteur : César Itier (et les personnes dont il a recueilli les propos)

 

Editeur : Karthala

Genre : ethnologie et linguistique

 

Date de parution : 2004

Pays de l'auteur : France (Pérou pour les personnes dont César Itier a recueilli les histoires)

Nombre de pages : 230

 

Exergue :

Anteschà kay pacha paqarimuypi riki... Autrefois, à l'aube de notre monde...

Arrivée dans la bibliothèque : 2004 (acheté à Paris)

 

Première phrase :

"Dans les hautes terres du Sud du Pérou, les récits concernant l'origine de la société ont généralement pour protagonistes des êtres appelés "gentils" (hintil, de l'espagnol gentil "gentil, païen").

Première phrase de la page 70 :

"A travers ce reniement exemplaire, l'étoile exprime et impose le point de vue des gens de la vallée : les enfants d'une telle union ne pourront tirer un parti positif de leur double héritage génétique et écologique. Fils d'un homme de la puna et d'une femme-étoile-oiseau de la vallée, ils ne pourront prétendre être des hommes de la vallée mais seront des oiseaux de la puna".

Dernière phrase :

"Papanpiwan chay Tumaspiwan tayta kurakama kapunku, ari. (Elle rit). Chayllatan Luciaqa willarquyki".

Lui et son père étaient tous deux curés, oui. (Elle rit). C'est tout ce que Lucia peut te raconter.

COMMENTAIRE

Comme d'habitude avec les travaux des linguistes, des ethnographes, des sociologues, des anthropologues, ils nous ouvrent la grande porte sur des civilisations inconnues et chargées de magnificence, mais nous en donnent un tableau dénaturé par leur "analyse".

 

Une bibliothèque Cornulier : les titres

 

mardi, 16 janvier 2018

T 21

Anne-la-fille-trisomique-de-Charles-de-Gaulle.jpg

« Cette enfant était aussi une grâce, elle m'a aidé à dépasser tous les échecs et tous les hommes, à voir plus haut ».

Général Charles de Gaulle

samedi, 13 janvier 2018

Esthétique inaccessible

Parmi les éléments essentiels de l'écriture (d'un billet de blog, d'un roman, d'un article de réflexion), viennent avant tout la beauté et la pérennité. La beauté, parce que l'esthétique est un des fondements de l'éthique. La pérennité, parce que la force d'un texte provient de ce qu'il peut conserver sa beauté, son pouvoir d'attraction et d'inspiration, son intérêt intellectuel, des décennies et même des siècles après avoir été écrit.

Que nécessite alors un texte pour être beau et durable ? Pour être beau, il faut que les phrases ne soit seulement fonctionnelles, mais qu'elles marient le style et le fond de façon harmonieuse et inventive. La durabilité s'obtient en s'élevant au-dessus des modes de langage, au-dessus des pensées à la mode, en se délivrant des détails dus à l'époque pour toucher aux aspects universels du sujet. Il faut faire attention aux ellipses : souvent, l'on considère comme évident ou connu du lecteur, des éléments qui ne sont connus qu'à nos contemporains. Un texte trop elliptique, ou un texte bardé de références à des choses de l'éphémère présent, ne gardera pas la même force aux yeux des générations de l'avenir, parce qu'elles ne pourront deviner ce qu'évoquent les allusions. Les plus motivés devront se renseigner énormément pour recomposer le contexte dans lequel fut écrit le texte, tandis que le grand nombre des démotivés laissera tomber.

Tout a-t-il déjà été écrit ? Relire les Anciens, c'est se rendre compte qu'ils avaient tout pensé, malgré l'ignorance dans laquelle ils étaient de l'évolution du monde après leur disparition. Qu'écrire, après Aristote, Epictète, les évangélistes, Sénèque et Sophocle, Virgile ?

 

Kevin Mozloviet

mercredi, 10 janvier 2018

Ravins de soufre

Terakaft résonne dans l'appartement, une seule lampe allumée, une seule, toute petite, corps de boulier, abat-jour rouge. La bouteille de Côtes de Bordeaux du domaine de Lavialle me fait marrer avec son bouchon de traviole, mais c'est peut-être parce que je l'ai consciencieusement finie. Il y a une tour Eiffel à droite qui rayonne un halo bleu toutes les cinq minutes, un drôle de mur blanc un peu gondolé à gauche, un reste de riz au lait de chèvre sur ma langue et une prière au bord de mon cœur. Des appels amicaux ont rythmé ces jours et les nuits reviennent comme des vagues blanches de vide. J'ai vu la nuit orange aux lueurs enneigées (caresses allant aux peaux des seins avec verdeur), la stabilisation des racines jaunies et la mort verte et bleue des cristaux enchanteurs.

Ah ah ! Tu savais dire les mots en rafales et tu meurs sans rien croire, comme un lynx endormi, blessure déjà pourrie à la patte démise, poumons récalcitrants depuis l'enfance soumise.

 

Deux heures ont passé. Calme profond des cœurs troués. Une sonate au clair de lune est tombée dans le silence de la nuit. Mon neveu crie quand on le couche et babille quand on l'embrasse, à l'orée d'un petit village où paissent encore des chèvres (quelques unes), non loin de la très grande ville.

Reste auprès de moi, toi, même si tu n'existes pas, ne me quitte pas. J'ai besoin de ton image pour exister. J'ai besoin de cette voix que tu chantes en moi pour me réchauffer l'âme dans cet océan de lait caillé. J'ai besoin de ta carrure de bouvier des Flandres pour m'accompagner sur ce fleuve qu'on appelait jadis l'Achéron.

 

Ô ! que mon rire éclate ! Ô sur la terre amère !

 

Tu étais riche et tu es nu, vidé de ton sang. C'est elle qui t'a sucé, la petite sangsue, les plus grands arbres abdiquent parfois devant des mauvaises herbes. Et tu dansais à l'intérieur de toi, immobile, dans les fêtes foraines. Et tu souriais à l'ange de Fatima.

 

Mais je divague. Rien n'a bougé, pas une ligne de mon front, pas une ligne de mire, pas une ligne du livre. Rien n'a changé à la surface de la mer. C'est la saison du cœur : il pleut des ivresses sur les prés fauchés.

Une bibliothèque Cornulier - Hommage aux Indiens d'Amérique

 (La bibliothèque dont on vous parle fut créée, trente ans durant, dans un appartement au fond d’une cour du 13 boulevard du Montparnasse, avant de devenir une bibliothèque éparpillée).

Hommage aux Indiens d'Amérique, amérindiens, Ernesto Cardenal, Jacques Jay, Orphée - La différence, poésie, Nicaragua, espagnol du Nicaragua, Paul de Cornulier

Titre : Hommage aux Indiens d'Amérique

Auteur : Ernesto Cardenal

 

Traducteur de l'espagnol du Nicaragua : Jacques Jay

Editeur : Orphée - La Différence

Genre : Poésie

Eléments de signalement : l'édition, bilingue, présente les textes en espagnol et dans la traduction française

Date de parution : 1970

Date de cette édition : 1989

Pays de l'auteur : Nicaragua

Nombre de pages : 120

Format : petit

Censure : non

 

Arrivée dans la bibliothèque : Offert par Paul de Cornulier le 11 mai 2001

 

Première phrase :

"De noche leas lechuzas vuelan entre las estelas..."

De nuit les chouettes volent entre les stèles

Première phrase de la page 30 :

"A la caida del Imperio
el indio se sento en cuclillas
como un monton de cenizas
y no ha hecho nada sin pensar..."

A la chute de l'Empire
l'Indien s'est assis accroupi
comme un tas de cendres
et il n'a rien fait que penser...

Dernière phrase : 

"Supervigila la labrada de las estelas,
diseña los nuevos templos,
entrega las tabletas con los eclipses."

Il surveille la taille des stèles,
dessine les nouveaux temples,
Il remet les tablettes avec les éclipses.

Page de garde :

"Ernesto Cardenal. Né en 1925, prêtre, homme politique nicaraguayen, il est le chantre de l'histoire tragique indienne dans une oeuvre qu'il veut "extérioriste".
L'un de ses livres devint vite célèbre, Homenaje a los indios americanos (1970). Ces chants évoquent - incluant parfois textes sacrés, mots originaux, ou longues citations dans la langue castillane de la conquête - le funèbre destin des peuples précolombiens du Nord ou des Andes, en appelant à la révolte contre les nouvelles colonisations du profit."

 Une bibliothèque Cornulier : les titres

 

mercredi, 03 janvier 2018

Une bibliothèque Cornulier - Au Maroc

(La bibliothèque dont on vous parle fut créée, trente ans durant, dans un appartement au fond d’une cour du 13 boulevard du Montparnasse, avant de devenir une bibliothèque éparpillée).

Au Maroc, Pierre Loti, Hélène Lammermoor, Islam, Europe, Don Juanisme, exotisme

(Pierre Loti)

Titre : Au Maroc

Auteur : Pierre Loti

Editeur : Calmann-Lévy (rue Auber)

Genre : Lotisme !

Date de parution : 1890

Date de cette édition Ce n'est pas écrit sur le livre...

Pays de l'auteur : France

Nombre de pages : 358

 

Dédicace :

à Monsieur J. Patenotre, Ministre de France au Maroc

Hommage d'affectueuse reconnaissance

P.L.

Arrivée dans la bibliothèque : je l'ignore...

Au Maroc, Pierre Loti, Hélène Lammermoor, Islam, Europe, Don Juanisme, exotisme, Eugène Delacroix
Maroc, par Eugène Delacroix

Première phrase : 

"Des côtes sud de l'Espagne, d'Algésiras, de Gibraltar, on aperçoit là-bas, sur l'autre rive de la mer, Tanger la Blanche."

Première phrase de la page 100 : 

"Et la terre s'émiette sous les sabots de leurs chevaux, on en voit sauter de tous côtés des parcelles noires qui semblent de la mitraille...

Faut-il qu'ils aient détroussé des voyageurs, pour pouvoir s'offrir un tel luxe !"

Dernières phrases : "O Moghreb sombre, reste, bien longtemps encore, muré, impénétrable aux choses nouvelles, tourne bien le dos à l'Europe et immobilise-toi dans les choses passées. Dors bien longtemps et continue ton vieux rêve, afin qu'au moins il y ait un dernier pays où les hommes fassent leur prière...

Et qu'Allah conserve au sultan ses territoires insoumis et ses solitudes tapissées de fleurs, ses déserts d'asphodèles et d'iris, pour y exercer dans l'espace libre l'agilité de ses cavaliers et les jarrets de ses chevaux ; pour y guerroyer comme jadis les palatins, et y moissonner des têtes rebelles. Qu'Allah conserve au peuple arabe ses songes mystiques, son immuabilité dédaigneuse et ses haillons gris ! Qu'il conserve aux musettes bédouines leur voix triste qui fait frémir, aux vieilles mosquées l'inviolable mystère, - et le suaire des chaux blanches, aux ruines......................................................................."

COMMENTAIRE

Pierre Loti est paradoxal : grand défricheur des contrées exotiques et farouche ennemi du monde moderne. Comme Don Juan qui préfère les femmes vierges et couche avec elles une par une il préfère les contrées exotiques et les déflore une par une.

Voir à ce sujet l'article d'Hélène Lammermoor

 

Une bibliothèque Cornulier - Les titres

 

samedi, 30 décembre 2017

... fragment d'un voyage d'Aragon...

...

Et comme elle ne voit qu'un rêve et ses raisons d'y rattacher

Des phrases de verveine avec le velours du souvenir

Je ne vis ni le marché de cruches et de maïs 

Croulant de melons et d'aubergines aux rampes des églises

Ni les jambes qui se délassent ni les chevaux qui s'abreuvent

Ni les bras nus des filles curieuses derrière les jalousies

Ni le montreur de marmotte avec son orgue à manivelle

Mais seulement cette femme d'alpaga qu'habite

Un chant de source amer et doux silencieuse et ridée

...

Louis Aragon, fragment du Voyage d'Italie, 1960

Poème en hommage à Marceline Desbordes-Valmore

jeudi, 28 décembre 2017

Magnificat anima mea dominum

Mon âme magnifie l’immensité de Son amour et se transforme dans un jaillissement de joie. Mon âme se souvient de Sa promesse et l’espérance me pousse à danser au milieu des arbres, dans les rues, dans les pièces des maisons. Mon âme prend confiance dans Sa justice qui viendra apaiser les meurtrissures et fortifier les résolutions. Mon âme chante sans cesse, inondée de lumière. Comme ta mort est belle, mon père ! Comme vos vies sont scintillantes, mes frères ! Comme vous souriez, femmes et filles que j’aime. Je m’abreuve au lait tendre de la vie, je souris à la mort et à son miel infini. Comme un faon fou de bonheur gambade entre le bosquet et l’étang, chaque parcelle de mon cœur pétille de douceur dans un élan vif qui n'a pas de fin. 

mercredi, 27 décembre 2017

Un chant pour toi qui dort ad infinitum

 

Merci, Paul ! Pardonne-moi mes offenses comme je t'ai pardonné les tiennes. Ton éternité commence aujourd'hui. Qu'elle soit belle et féconde ! Il paraît que « l'amour ne passera jamais ».

 

Pour Paul de Cornulier-Lucinière, 22 mars 1947 - 27 décembre 2017

Une bibliothèque Cornulier : La belle et la bête

(La bibliothèque dont on vous parle fut créée, trente ans durant, dans un appartement au fond d’une cour du 13 boulevard du Montparnasse, avant de devenir une bibliothèque éparpillée).

 

Titre : La Belle et la Bête

Auteur : Madame de Villeneuve

Editeur : Martine Reid, pour la collection Femmes de lettres, de Folio

Prix : 2 euros

Genre : conte littéraire

Date de parution : 1740

Date de cette édition 2010

Pays de l'auteur : France

Nombre de pages : 135

Format : poche

Avertissement :

"De tous les ouvrages, ceux qui devraient le plus épargner au public la peine de lire une préface, et à l'auteur celle de la faire, ce sont sans doute les romans, puisque la plupart sont dictés par la vanité, dans le même temps que l'on mendie une honteuse indulgence ; mais mon sexe a toujours eu des privilèges particuliers, c'est dire assez que je suis femme, et je souhaite que l'on ne s'en aperçoive pas trop à la longueur d'un livre, composé avec plus de rapidité que de justesse. Il est honteux d'avouer ainsi ses fautes, je crois qu'il aurait mieux valu ne pas les publier. Mais le moyen de supprimer l'envie de se faire imprimer ? Et d'ailleurs lira qui voudra : c'est encore plus l'affaire du lecteur que la mienne. Ainsi loin de lui faire de très humbles excuses, je le menace de six contes pour le moins aussi étendus que celui-ci, dont le succès, bon ou mauvais, est seul capable de m'engager à les rendre publics, ou à les laisser dans le Cabinet". 

Arrivée dans la bibliothèque : 2010, offert par Martine Reid. 

 

Première phrase : "Dans un pays fort éloigné de celui-ci, l'on voit une grande ville, où le commerce florissant entretient l'abondance". 

Première phrase de la page 30 : "La Bête reprenait l'avantage, l'Inconnu disparaissait à son tour". 

Dernière phrase : "On en envoya des relations par tout l'univers, afin qu'il y fût éternellement parlé des aventures prodigieuses de la Belle et de la Bête". 

Extrait de la préface de Martine Reid :

 "La Belle et la Bête évoque plus volontiers sans doute les somptueuses images du film de Jean Cocteau datant de 1946 (et la figure léonine de Jean Marais), ou le dessin animé produit par les studios Walt Disney en 1991, que le conte de Mme de Villeneuve publié en 1740, au début du règne de Louis XV.

La version de l'histoire que les uns et les autres ont choisi d'adapter n'est d'ailleurs pas la sienne, mais celle de Mme Leprince de Beaumont.

(...)

Veuve à vingt-six ans, bientôt ruinée, longtemps compagne de l'un des plus grands dramaturges du temps, Crébillon père, Gabrielle de Villeneuve a laissé à ses contemporains le souvenir d'une femme de grande taille, peu jolie, "le nez le plus long et les yeux les plus malignement ardents que j'ai vus de ma vie", si l'on en croit Louis-Sébastien Mercier. Venue tard à la littérature, elle est pourtant l'auteur d'une douzaine d'ouvrages généralement signés de la seule initiale de son patronyme, ce qui a compliqué les questions d'attribution. Choisissant tantôt la forme du conte, tantôt celle du roman, elle a laissé une oeuvre de fiction qui, pour avoir sombré dans l'oublie comme bien des oeuvres des femmes de cette époque, n'en mérite pas moins l'intérêt.

Dans La Belle et la Bête, Gabrielle de Villeneuve ne se contente pas d'exploiter le vieux motif de la métamorphose par amour. Elle mêle aux thèmes habituels du genre, parmi lesquelles la présence de fées et leurs rivalités incessantes, des références à la pastorale et au roman précieux, genres en vogue au XVII°siècle".

 

Une bibliothèque Cornulier - Les titres

lundi, 25 décembre 2017

Ta musique, ma disparue

Bilitis, tu me reviens... à l'heure où pourtant tout est fermé, comme mort, un 25 décembre comme les autres, où à l'intérieur des foyers on mange ou on digère, tandis que des ombres pressées osent traverser les rues désertes. Ta voix presque noyée apparaît à l'horizon du paysage sonore, elle chante à nouveau ces mélodies sans paroles que tu déployais dans nos après-midi d'été. Mais je suis entourée d'hiver. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas connu de femmes, et les hommes, eux aussi, s'enfouissent à leur tour dans le passé. Je connais encore les livres, je bois encore des verres de vins pour oublier le jour quand la nuit m'appartient.

Bilitis, quand tu reviens, c'est que l'ethanol permet à nouveau d'entrevoir la beauté d'un amour. Même au pays de solitude, même au bord du grand silence des mots, quelques gorgées prolongées te rappellent à mon existence. Je revois l'étrangeté d'un corps qu'entoure une serviette de bain, j'entends comme l'étouffé d'un vêtement qu'on pose et qui glisse de la chaise. Combien en avions-nous connu, de ces matins banals que je laissais passer comme des bateaux dans un lointain inexprimable.

Bilitis, si tu reviens, tu me trouveras changée. J'ai vieilli, cela fait si longtemps que nos angélus ont cessé de sonner. Au lieu de cheveux châtains, les voilà voilés de blanc. Au lieu d'une peau de pêche, un teint jauni, des cernes sous les yeux. Seul mon coeur est resté de feu. Dans le souvenir de ta flamme, dans l'évocation de tes lames, dans le repentir de mes larmes, dans le désespoir de ma chair, mon coeur demeure incandescent.

samedi, 23 décembre 2017

La recherche de l'absolu et son inversion contemporaine

Voici, ci-dessous, un amusement : d'abord, le texte que je me suis piquée d'écrire en imitant et en inversant l'incipit de la Recherche de l'absolu, de Balzac. Puis, à sa suite, le passage de Balzac que j'ai obligeamment plagié.

I L'absolu d'une recherche, Incipit

Il y a à Compiègne, dans la rue de Paris, un appartement dont l’espace, l’aménagement et les détails ont, au contraire des autres appartements de l’immeuble, perdu la caractéristique des vieux appartements bourgeois, si intelligemment adaptés aux évolutions des mœurs de cette classe sociale ; mais ne le décrivons pas sans expliquer pourquoi il est important de former le lecteur autant au contexte qu’à l’histoire, malgré le refus grandissant de lecteurs avides de sentiments et avares de pensée qui voudraient subir un coup de foudre littéraire sans en déguster les amers labeurs, le labyrinthe des échafaudages, la gestation intrinsèque.

Un roman devrait donc tenir tout seul avec des sentiments ? Les éléments d’une histoire d’êtres humains, éléments intérieurs ou sociétaux, dépendent du contexte social et politique, c’est pourquoi mieux qu’un poème d’amour, le stylo et le parchemin qui l’ont écrit permettent à l’historien de restituer l’époque. La sociologie est aux sentiments ce que la biologie est aux sensations. Un problème de foie détraque tout une personnalité, un déménagement pour cause économique dérègle toute une famille. Cause et conséquence se succèdent logiquement. Sans cause, pas d’effet, sans structure, pas de décoration.

Le voyeur professionnel s’amuse à recréer les temps passés. C’est pour ça qu’on aime se balader en songe dans une vieille architecture, quand le roman ne déforme pas les faits. On se recréée un monde mort. Et pour le lecteur, à quoi ressemble mieux un monde mort qu’au lendemain qui l’attend ? Parler des choses trépassées, c’est décrire ce qui va venir. En plus de ce miroir de l’avenir, les lieux passés parlent à chaque cœur, soit d’un ancien rêve depuis longtemps abandonné, soit d’un rêve vivace qui trépigne au fond de soi. Le présent te déçoit, tu scrutes l’avenir en quête d’une espérance et tu vis d’un rêve qui te nourrit. Et tu sais, c’est pour ça que la ville de Compiègne raconte aussi bien la tendresse nostalgique présente en chacun de nous. Non ?

Si. Le monde regorge de villes, et celle-ci ressemble à toutes les villes en encore plus ressemblante. On y ressent la société, l’exclusion, la famille, la richesse qui endort l’instinct et ce vide sans étrange ; surtout, dans ses rues coulent les rêves sensuels et les désirs de plaisirs interdits qu’on couve en se rendant à l’école, au bureau, et qu’on ne réalisera jamais. Même toi qui baise, qui lutte, qui adore, qui hait, tu te sens fasciné par ces rues propres où la bourgeoisie se meut sans crainte de paraître fade, sûre qu’elle est de sa perpétuelle capacité à dompter ses faiblesses. Les gens préfèrent souvent la crasse des quartiers pauvres et la majesté des quartiers richissimes. Les gens ne prennent pas la peine d’admirer ce qui point si discrètement dans la bourgeoisie cossue et discrète. Pour vous attirer, gens de peu de patience, dans les charmes cachés, je devrais les exagérer, comme Michel Ange déforme ses corps pour qu’ils soient vraiment vus, comme Tolstoï exacerbe ses personnages pour qu’ils soient vraiment compris. Seuls les cyniques, comme toi ou moi, détestent forcer le trait et savent distinguer à travers les sagesses et les fadeurs le feu de la vie qui roule comme une invisible vague de calme et de beauté au-dessus des pourritures.

Les habitants de Compiègne, sobres, polis, calculateurs et cultivés, accèdent à un bonheur plus grand que les rois qui règnent et que la pègre qui s’encanaille.

Edith

 

II La recherche de l'absolu, Incipit

Il existe à Douai dans la rue de Paris une maison dont la physionomie, les dispositions intérieures et les détails ont, plus que ceux d’aucun autre logis, gardé le caractère des vieilles constructions flamandes, si naïvement appropriées aux mœurs patriarcales de ce bon pays ; mais avant de la décrire, peut-être faut-il établir dans l’intérêt des écrivains la nécessité de ces préparations didactiques contre lesquelles protestent certaines personnes ignorantes et voraces qui voudraient des émotions sans en subir les principes générateurs, la fleur sans la graine, l’enfant sans la gestation.

L’Art serait-il donc tenu d’être plus fort que ne l’est la Nature ? Les événements de la vie humaine, soit publique, soit privée, sont si intimement liés à l’architecture, que la plupart des observateurs peuvent reconstruire les nations ou les individus dans toute la vérité de leurs habitudes, d’après les restes de leurs monuments publics ou par l’examen de leurs reliques domestiques. L’archéologie est à la nature sociale ce que l’anatomie comparée est à la nature organisée. Une mosaïque révèle toute une société, comme un squelette d’ichthyosaure sous-entend toute une création. De part et d’autre, tout se déduit, tout s’enchaîne. La cause fait deviner un effet, comme chaque effet permet de remonter à une cause.

Le savant ressuscite ainsi jusqu’aux verrues des vieux âges. De là vient sans doute le prodigieux intérêt qu’inspire une description architecturale quand la fantaisie de l’écrivain n’en dénature point les éléments ; chacun ne peut-il pas la rattacher au passé par de sévères déductions ; et, pour l’homme, le passé ressemble singulièrement à l’avenir : lui raconter ce qui fut, n’est-ce pas presque toujours lui dire ce qui sera ? Enfin, il est rare que la peinture des lieux où la vie s’écoule ne rappelle à chacun ou ses vœux trahis ou ses espérances en fleur. La comparaison entre un présent qui trompe les vouloirs secrets et l’avenir qui peut les réaliser est une source inépuisable de mélancolie ou de satisfactions douces. Aussi est-il presque impossible de ne pas être pris d’une espèce d’attendrissement à la peinture de la vie flamande, quand les accessoires en sont bien rendus. Pourquoi ?

Peut-être est-ce, parmi les différentes existences, celle qui finit le mieux les incertitudes de l’homme. Elle ne va pas sans toutes les fêtes, sans tous les liens de la famille, sans une grasse aisance qui atteste la continuité du bien-être, sans un repos qui ressemble à de la béatitude ; mais elle exprime surtout le calme et la monotonie d’un bonheur naïvement sensuel où la jouissance étouffe le désir en le prévenant toujours. Quelque prix que l’homme passionné puisse attacher aux tumultes des sentiments, il ne voit jamais sans émotion les images de cette nature sociale où les battements du cœur sont si bien réglés que les gens superficiels l’accusent de froideur. La foule préfère généralement la force anormale qui déborde à la force égale qui persiste. La foule n’a ni le temps ni la patience de constater l’immense pouvoir caché sous une apparence uniforme. Aussi, pour frapper cette foule emportée par le courant de la vie, la passion de même que le grand artiste n’a-t-elle d’autre ressource que d’aller au-delà du but, comme ont fait Michel-Ange, Bianca Capello, Mlle de La Vallière, Beethoven et Paganini. Les grands calculateurs seuls pensent qu’il ne faut jamais dépasser le but, et n’ont de respect que pour la virtualité empreinte dans un parfait accomplissement qui met en toute œuvre ce calme profond dont le charme saisit les hommes supérieurs.

Or, la vie adoptée par ce peuple essentiellement économe remplit bien les conditions de félicité que rêvent les masses pour la vie citoyenne et bourgeoise.

Honoré de Balzac