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dimanche, 01 juillet 2018

Au pays frais des vins et des chansons

« Vous n'étiez pas un Français bien assimilé. Vous étiez un étranger venimeux pour la nation, la République vous était une étrangère aberrante. Aux murs de votre chambre, les condamnations à mort de vos ancêtres « au nom du Peuple Français et de la nation ». Sur le bois de rose de votre table de nuit, Les Hosties Noires, de Léopold Sédar Senghor.

Vous connaissiez les détails des habitudes des oiseaux : pigeons, hirondelles, rapaces, corneilles et martinets. Le matin, vous prononciez vos prières en les observant par la fenêtre. À Nantes, vous récitiez l'Angélus que sonnait Saint-Clément au loin en regardant les colombes du jardin des Plantes. À la Garnache, par les grandes fenêtres, le silence mordillé par les grillons à l'heure où vous disiez les vêpres, en compagnie de votre épouse, afin d'accompagner votre fils qui les chantait au même moment, avec ses frères, à la Trappe en Normandie.

Israël Joshua Singer et Alfred de Vigny sur la console en marbre du salon, sous le portrait gravé de madame Élisabeth.

Assises sous le christ sculpté par le fondateur des Monfortains, vos petites-filles, oubliant les joies et les peines de l'école parisienne, avalaient les Vacances de la comtesse de Ségur et les Aventures d'Alice détective privé. On entendait le souffle du hêtre sous la caresse du vent. Une grande horloge comtoise en noyer sonnait toutes les heures et le tictac de son balancier ne cessait jamais dans la salle à manger adjacente, dont nous n'avions pas le droit d'ouvrir l'armoire. L'oncle Bertrand chantait la Légion étrangère et les Paras en peignant paresseusement les volets.

Qui étions-nous ? Un peuple mort composé d'êtres humains bien vivants, une famille en exil au lieu où elle avait toujours vécu. Nous n'étions pas dans le besoin, vous n'étiez pas dans le déni, vous étiez juste en désaccord très profond et très calme avec chacun des fondements de l’État, depuis deux siècles ».

 

Sur AlmaSoror :

Camp 1940, de Léopold Sédar 

Croisés et décroisés

L'aberration de valeurs chrétiennes

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Du désert

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De Pierre à Anne-Elisabeth

Isteamar de l'intérieur

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samedi, 30 juin 2018

Locus obscurior

J'aimerais être la dernière locutrice d'une langue et languir de la peur et du désir de mourir. Toute-Puissance et totale impuissance de la femme-langue des fins dernières, avant terme.

Écouter, un dernier été, les grouillements et les chants des grenouilles au bord d'un étang teinté d'éternité. Moustiques de la tiédeur, ronds des carpes. Des moines passent de l'autre côté de l'eau morte, dans leur vêtement marron, habit d'énigme qui les distingue du reste des hommes, triviaux.

(Une vieille dame récite un poème en yiddish dans un château de bohème, entourée de jeunes visages qui se détournent du sens, quelque part dans une région de l'Est de l'Europe. Un homme âgé, sur un chemin aux alentours de Ferreñafe au Pérou, invoque son père en langue quechua).

Quel est ce secret qui me donne envie de vivre pour toujours et de mourir tout de suite ? Un secret enfoui dans le langage, sans nul doute. Au fond d'une langue latine qui a perdu le fil de l'espoir.

Indicible, la beauté de ma douleur. Intangible, ce matin où la sépulture s'est formée dans mon coeur-vivant. Les grenouilles rassurent cette impression d'être dans un coin de France qui ressemble à l'ancienne maison du vrai nom.

vendredi, 15 juin 2018

Rêve de libellules

Sois celle que tu veux être et tout rentrera dans l’ordre et dans l’harmonie.

Les musiques qui te plaisent aujourd'hui, tu les trouveras fades demain. Où trouver l'éternité ? Renouvelle ton regard et laisse voleter autour de toi les libellules de la futilité. 

 

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Sur AlmaSoror

Le poème ou l'image qui viendra

Sol occidens

Le pouvoir de la kora

Nostalgie du soir

jeudi, 14 juin 2018

Une histoire vraie

Tu rêvais de ta tante qui avait séjourné, en secret, à Lucerne, en compagnie de Boris de Schoelzer ; je rêvais de toi. Scriabine joué par ta nièce berçait nos silences. Sur la terrasse, le vent chuchotait et mes regards allaient du mont Pilate à la surface du lac, contemplant sans pensée les ponts de bois, les toits, les horlogers de la rue d'en bas, les hirondelles sur les cheminées, les martinets à ventre blanc posés sur les hautes branches des trois hêtres au tronc gris. Ce climat matinal me donnait l'impression de vivre et d'attendre, sensations enivrées de l'instant magique, inquiétude sourde de ta visible absence mentale et de la lenteur lourde de tes gestes.

La danse des cygnes qui me semblait un signe, mais ton énigmatique allure de spectre.

J'aimais cet homme que tu étais entrain de devenir. Tes cheveux bruns et gris, coupés courts, remuaient doucement dans le foehn. Je retenais mon souffle. Ton violon raffiné posé dans son écrin sur la grande table de noyer, la porte cloutée à l'étage, l'ordinateur dans la chambre médiévale. Ta folie orthodoxe me donnait envie de te suivre partout où tu allais, elle te poussait à partir toujours plus loin des gens qui s'attachaient à toi. Et je t'imaginais enfant, aux côtés de ta mère géorgienne flûtiste et de ton père suisse, banquier, s'admirant et se méprisant l'un l'autre pour la rigueur protestante du mari et la sensibilité fiévreuse de l'épouse. J'imaginais ta sœur, la perte de ta sœur, je tentais de prendre la température de ton cœur, qui battait sans sentir mon impérieux appel.

Ce fut le dernier matin. Nous nous sommes croisés deux fois depuis, alors que vingt ans se sont écoulés : à Marmande et à New York. Je t'ai peut-être aperçu au centre de musique baroque de Versailles, mais je n'ai pas eu le courage de m'approcher de cette silhouette voûtée.

dimanche, 10 juin 2018

au jour le jour, images téléphonées

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Sur Latitude, la trace visuelle des jours qui fuient.

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Mes photos sont souvent ratées, toujours prises avec mon téléphone portable. Je ne les retouche pas, je les laisse parler de ce que je crois vivre.

C'est ici que, dans un dévergondage de compétition sociale, je me vante visuellement de mes expériences. Regardez comme ma vie est belle, oh oui, whisky le soir devant un coucher de soleil urbain en écoutant la guitare de Ry Cooder se promener dans les étendues du Texas. Ou simplement une vague, ne t'inquiète pas si tu t'ennuies dans le métro la boule au ventre en allant au boulot, je viens de la surfer, cette vague bleue de la baie dont je tairai le nom. Sur ces autoportraits je suis une dissidente politique, une écrivain libre, une voyageuse à la parole errante, j'ai des livres, des amitiés, des rendez-vous, et tellement de temps libre - à la mode et irrécupérable. La preuve par images, rien de mieux.
Mais si tu crois un jour que tu m'aimes, reviens de temps en temps poser ton regard sur le vide entre les photos. Tu entendras ma voix, la vraie, sombre, bien plus sombre que celle qui résonne quand j'éclate de rire.

samedi, 09 juin 2018

Liquéfaction

Devant l'écran d'ordinateur, toi, devant l'écran d'ordinateur, moi, chacune à quelques mètres de distance, sur des chaises, nous tournant le dos. Les fauteuils sont vides. Dans la bibliothèque, les livres dorment. Par les stores, le crépuscule dissout peu à peu les lumières. Nous ne voyons pas les ombres qui se tordent sur les meubles et le tapis. Liquéfaction de la relation, de la soirée, de la vie.

Deux boussoles attendent sur la table de nuit : Julien l'apostat (ses lettres) et Vladimir Grossman (Vie et destin). Mais... les boussoles de papier paraissent des dieux morts à l'ère des écrans avaleurs du Temps.

 

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Comme un souffle trop fragile

Marketingue

vendredi, 08 juin 2018

"J'ai trempé ma foi dans l'enfer" Vassili Grossman

samedi, 02 juin 2018

Des désirs secrets

Une purification, malgré la lourdeur des mots, la banalité des intentions. Un voyage qui se créée malgré l'absence d'harmonie. Des halages, des pauses, la chanson de Johnny Guitar qui rappelle des étés, des bières dans des bars, des attentes trop chaudes. Des halages, des pauses, des désirs secrets. Des non-dits, des impensés, des tentatives de voir clair. J'entends quelquefois mon autre voix surgir du temps passé, revenir un instant, au creux du temps présent.

Et les nuages, par le vasistas, dans les ciel très haut. Des halages, des pauses, des éphémérides. Une femme rousse à qui je n'ai jamais, jamais osé dire la vérité. Une guitare et un garçon qui ne s'appelle pas Johnny. Plutôt Kévin. Je le trouve beau. Nous nous regardons à peine. Comme une rencontre manquée.

C'était avant mes premiers cheveux blancs. C'était quand il restait encore le temps. Le temps de choisir d'autres voies. Le temps d'aimer par d'autres moyens. C'était encore le temps du processus biologique, c'était le temps des insouciances (courses, nuits blanches à la montagne Sainte-Victoire puis grasses matinées jusqu'au zénith, bouteilles du Var et de la Catalogne, nectars ensoleillés). Je regarde cette femme qui a cinquante-quatre ans je crois et qui semble sûre d'elle, mais l'est-elle ? Je ne sais si je l'aime ou la crains, je ne m'en détache pas encore. Elle ressemble un peu à ce que je voudrais être et pense tout ce que je déteste. Et des halages, des pauses, des plaisirs discrets. Avant d'ouvrir le portail à la Mort, cette beauté fatale qui exige un baiser rouge pour vous prendre avec elle pour toujours.

jeudi, 31 mai 2018

Banale exctraction du jour

J'ai descendu dans mon jardin pour y cueillir du romarin et une vague de tristesse est montée dans mon cœur, sans doute à cause d'un vent venu d'ailleurs. Je me suis allongée au divan des nuages et j'ai laissé venir l'intrication des tristesses, ma tristesse musicale, ma tristesse universitaire et ma tristesse cinématographique. Un paysage sonore défilait devant mes yeux, c'était comme une pensée qui naît au bord d'un monde à demi-dévoilé.

Je suis restée longtemps autour des herbes folles et médicinales, sans accorder d'attention aux grenouilles de la mare ni au choucas des tours qui traçait des cercles au-dessus du chêne rouge d'Amérique (quercus rubra).

Il ne me reste plus qu'à rentrer préparer la ratatouille, sous le signe de la quatrième tristesse, celle qui me sépare des hommes, à cause de leur voix grave, de leur carrure et de leur étrangeté.

mercredi, 30 mai 2018

Lecture par un après-midi trop chaud

Torpeur sur l'appartement plein de lumière dans lequel je viens de lire un article de Cécile Rastoin/Soeur Cécile de J-A

« La pensée moderne se caractérise par une conscience aiguë de l’historicité des normes et leur remise en cause, la difficulté à penser des frontières et la fascination de l’hybridité, une exigence d’égalité universelle et le refus de la violence exercée au nom de normes. Ces caractéristiques ont paradoxalement leurs racines dans la tradition biblique, comme nous l’avons constaté : l’interprétation des normes au-delà de la lettre à chaque génération, le refus du modèle païen d’humanité à étages (ou castes) et la mission d’une fraternité universelle, au nom d’un père unique. Mais ces caractéristiques ont peu à peu subverti nos réalités les plus familières jusqu’à la racine, elles ont rongé de l’intérieur nos certitudes faciles et nous ont extraits de tout confort de pensée. Notre société de confort est devenue la plus inconfortable intellectuellement qui soit ! La difficulté à penser les frontières et la fascination de l’hybridité semblent, nous l’avons vu, causées par les progrès de l’observation scientifique et les analyses déconstructionnistes. Peut-on y répondre en les intégrant ? »

L'article est lisible ici : What's the trouble ?

... et me change de ma relecture d'hier, dans un autre genre, tout aussi troublant, d'un vieil article d'Yves Bonnardel sur les Cahiers antispécistes : Pour un monde sans respect

 

Ailleurs sur AlmaSoror : Adélaïde

lundi, 28 mai 2018

Gwerzioù

Je cherche une langue pour exprimer mes peurs et que la sonorité de leurs mots les dissolve dans la lumière. Je marche sur une route sans panneaux indicateurs et à chaque carrefour, je vais où sont les fleurs. Il y avait un château dans mon enfance lointaine, et près des écuries, les crapauds croassaient quand le serein tombait. Il y avait un château de famille qui dort encore au bord de la rivière rapide, si loin de nous.

Par les persiennes fermées de ce matin tiède, m'apparaissent des éclats d'un avenir incertain. Je n'ai pas encore trouvé le lieu où poser mes valises, où adopter un chien.

Ceux qui sont nés sans patrie, ceux qui ont quitté la leur, ajoutent à nos vieilles antiennes des sons venus d'un dissonnant ailleurs. Ils écrivent sur les murs pour oublier qu'ils n'entendent pas leur voix.

Emmurée dans la mémoire d'un mur de pierre jaune claire, où croassent les crapauds et volètent les libellules, je cherche une langue ancienne où réfugier mon cœur, que la musique des mots le berce sous les étoiles.

 

K M-L

 

Sur AlmaSoror :

Insomnie bretonne à Paris

Occident de Jean Bouchenoire

Digestion, par Romain Rolland

Beauté des affiches

dimanche, 20 mai 2018

Au seuil du deuil crépusculaire

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Ce jour là, je m'en souviens. Il y avait cette lumière, ma lecture de Jan Zabrana et la chanson Kukushka de Kino (Кино). Je m'étais photographiée au téléphone, on voyait ma tête dans la glace et l'ombre de ma silhouette sur le mur.

 

Sur AlmaSoror : Deuil d'une illusion

dimanche, 13 mai 2018

Geminae

Derrière ma politesse, cette sempiternelle gentillesse qu'on ne m'envie pas, tu n'as pas deviné à quel point je suis sans pitié. Je te regarde tomber avec un sourire intérieur. Toi, tu me méprises parce que tu te crois ferme et tu me trouves trop douce, trop faible, trop affectueuse. Tu ne sais pas que chacun de tes coups de canifs a creusé ma puissante indifférence à ton sort. Sûre de ta force, sûre de ton droit, sûre de ta raison, tu agis avec la croyance que tu marches droit sur un chemin rationnel. Je t'observe et, sans rien dire, j'évalue ton approche inconsciente du gouffre. Tu m'envoies des signaux de dédain, soudain tu me tends une main que tu retires aussitôt, tu souris d'une manière fausse, tes reproches sont ineptes, tes solutions bancales, tes idées patraques. Tu penses que je suis à demi-incapable et cela t'agace. Tu as décidé de te détacher de moi, croyant te délester d'un poids. Tu marches à ta perte. Je ne te pousserai jamais dans le vide, je t'ai trop aimée. Mais suis-je encore capable de te crier : attention ! Au moment où tu percutes la falaise ?

 

Sur AlmaSoror :

La quête du courage

Clair-obscur à Alma-Ata

1999

Tu jouais des ondes Martinot, Luc critiquait le remembrement de la France et nous nous adonnions à des jeux noirs et blancs au fond d'une maison de Montreuil-sous-Bois, sans bois ni abeilles, que du béton et des chansons qui depuis sont mortes.

Amour, jeunesse, joie et tristesse, je trônais au centre des étoiles, lune en l'air au milieu du ciel, lune en vierge d'un soir, lune mollement offerte au hamac suspendu entre ciel pollué et pots de coquelicots.

Digitales, deviennent nos caresses depuis que le vent du progrès a chassé la vieillesse.

Et nous prenions parfois la voiture jusqu'à Guitrancourt. Goûters d'anniversaires des enfants des copains : pornographie de décorations roses, de princesses, de dinosaures, de cadeaux en plastique et de bonbons acidulés. Papas buvant des bières, mamans s'observant par en dessous tout en se souriant d'un air complice. Petites filles roses corsetées dans leurs obligations d'être amoureuses et de colorier sans déborder, garçonnets en quête de prairies et de ballons qu'on leur interdisait pour cause de pluie.

Le soir, retour à Montreuil-sous-Bois, vodka Belvédère pour moi et vodka zubrowka « herbe de bison » pour Luc et toi. Tu jouais des ondes Martinot, Luc déchiffrait des algorithmes pour le développement économique de la diagonale du vide et nous nous adonnions à des jeux indicibles dans la chambre noire et blanche d'une maison construite en 1920, retapée en 1960, rafraîchie en 1982 par tes parents un an avant leur mort sur le Périphérique.

mardi, 08 mai 2018

Ce qui pourrait avoir lieu

 

Ce qui pourrait avoir lieu est né au bord de tes lèvres hier quelques secondes avant midi. Ce que tu pourrais devenir s'inscrit quelquefois entre tes deux sourcils. Ce que je pourrais vivre m'appelle du tréfonds de mes profondeurs et crie dans la nuit. Ce que nous pourrions partager glisse sur une vague qui ne nous rejoindra jamais.

 

Sur AlmaSoror : Désir de mort