mercredi, 18 avril 2018
Le plein et le vide
Des journées pleines de vide, il m'en faut pour t'aimer, éternité.
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lundi, 16 avril 2018
Tbilissi
Tu disais des poèmes aux quatre saisons. Tu n'es plus. Il faut bien que quelqu'un te succède à cette valse de mots.
Alors voici, après Le vieux majordome, le poème de l'hiver 2017 ; après Fazil, le poème du printemps 2017 ; après Dans la chambrée, le poème de l'été 2017 ; après Silentium, le poème de l'automne 2017, ; après Héroïne, le poème de l'hiver 2018...
Le poème du printemps 2018 :
Pavés trempés de Tbilissi et cette main dehors, froide et douce,
aux fraîcheurs tièdes du printemps, nous avancions,
nous devisions dans l'attente, chantant sans nous en rendre compte.
À des milliers de kilomètres de Tbilissi, le petit garçon attend les sauterelles.
Au bord du silence, patiente la nasse des deux étangs.
Des deux étangs émanent la tristesse de l'attente,
Dans l'attente, naissent les senteurs du printemps.
Du printemps frêle encore, après ce long hiver,
avant les torpeurs de l'été trop vert,
jaillissent les bulles du désir d'aimer, de partager ses sentiments.
Il ne connaît pas la méchanceté des villes, qui grondent leur impudeur jusqu'au ciel des éphémérides.
Ainsi finit le voyage d'hiver et ses chants de douceur obscurcis par le froid.
Dans dix ans, ce garçon sera l'homme qui s'éloigne,
au fond des rues qui partent de l'église Metekhi.
Les poings fermés, orphelin d'enfance et de parents,
Il sera le prince noir des coeurs des prostituées.
Pavés trempés de Tbilissi et cette main dehors, froide et douce,
aux fraîcheurs tièdes du printemps, nous avancerons,
nous deviserons dans l'attente, pleurant sans nous en rendre compte.
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vendredi, 13 avril 2018
Le sexe, la mort, l'argent
Lorsque le sexe tient le haut du pavé et s'étale au su et au vu de tous, la mort disparaît. Elle s'efface de la pensée des enfants des hommes, qui se gardent bien de se souvenir de son existence. Et lorsque, comme une voleuse de vie, elle surgit, immédiatement on l'escamote. Il n'est pas question de veiller un mort, d'exposer le corps, les mots utilisés pour parler aux petits sont empruntés à l'irrationnel et à l'imaginaire, afin de détourner la réalité.
Lorsque la mort s'invite dans la culture et se vit au su et au vu de tous, le sexe disparaît. Il s'efface de la conscience collective des enfants des hommes, qui se gardent bien d'évoquer sa puissance. Et lorsque ses effets s'avèrent manifestes, immédiatement on l'escamote. Il n'est pas question de parler de sexe, de dévoiler la nudité, les mots utilisés pour parler aux petits sont empruntés aux contes de fées et à la religion, afin de répudier la réalité.
Entre le sexe et la mort, quel rôle tient ce maître-esclave, l'argent ? Entre le sexe et la mort, il erre comme une âme en peine. Il est cette âme en peine de sens, cette âme en quête de visibilité. Il a soif d'étancher les vrais soifs. Il a soif de redevenir enfin ce qu'il est : un auxiliaire de lien.
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samedi, 31 mars 2018
Comme le silence du samedi saint, quand l'église se tait.
« Seul le silence est grand », aussi grand que la peur, aussi grand que la vie.
Comme le silence du samedi saint, quand l'église se tait. Après le procès, la cohue, le lynchage, l'assassinat, vient enfin le silence. Je te dis cela car nous sommes le samedi 31 mars 2018 quand j'écris ces lignes et que je rentre d'une promenade. J'ai enfin monté les marches de pierre en haut desquelles ton message m'attendait. C'était une lettre sans verbe, sans pain, sans vin. C'était notre rencontre, inachevée.
Dès ce jour, je veux consacrer ma vie à ta vie, tourner mon cœur de pierre vers ton cœur de chair. Dès ce jour, je veux pas à pas m'approcher de ta lumière.
La mort n'est jamais seule. Elle vient toujours pour quelqu'un. Elle vient toujours pour toi.
Ne t'inquiète pas. Je t'aime. Ton calvaire est très beau. Sur la colline du crâne, tu t'es agenouillé, tu as posé ton front contre la terre. Tu es entré en tentation. Comme c'était beau.
Tes amis n'ont pas su te veiller, mais tu leur as donné ton sourire en revenant vers eux. Partir, c'est revenir pour toujours.
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jeudi, 29 mars 2018
Introspection - photos prises par Sara
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mercredi, 28 mars 2018
Les miroirs fatigués d'un moi changeant
Dans un vent coulis
Se brisèrent
Nos antiroulis. Ainsi se poursuit le Trident dominical.
Au bord de la latitude du non-sens, loin de la latitude des sens.
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lundi, 26 mars 2018
Propagande de rue. Avenue Daumesnil, 75012. Mars 2018
Autres images vues dans la rue : Un monde parfait, l'intox au fil des jours
Il y a quelques années, c'était en 2009, dans la triste douceur de l'automne :
On peut lire aussi Les dictatures douces
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samedi, 17 mars 2018
Requiem pour la personne que je n'ai pas rencontrée
Introït
Laisse-moi reposer dans la lumière de ce jour sans fin, comme je te laisse errer dans ta nuit incomplète.
Tes deux visages ressemblent au mien, féminin et masculin.
Nous aurions marché, main dans la main, aux cris des enfants et des mouettes,
aux abords des écoles et sur les plages océanes.
Kyrie
Le maître du temps nous domine ; ton ombre se réfléchit sur le mur. Au maître des lieux nous devons la dîme ; mon ombre approche la tienne. Le seigneur des apôtres illumine ; ta silhouette échappe à la mienne.
Graduel
Je me penche sur ton corps, comme une mère sur son enfant, comme la sage-femme stérile sur l'enfant qu'elle a tiré du marasme d'une autre. Je me penche sur ton cœur, telle l'exégète du papyrus des Esséniens.
Trait
De nos faims insatiables, veuille la mort nous absoudre ! De nos désirs de chair, dame à la faux, fais des plaisirs de pierre. Toutes nos soifs étanchées n'auront jamais de suite ni de partage dans ton lit clairsemé.
Séquence
Jour des jours, jour de gloire et de paix, jour de suspense et de mystère, que ce jour où j'ai senti ton existence. Jour de la première attente, chaque jour qui suivit fut jour d'attente. Jour de la deuxième attente, jour de la troisième attente. Au jour de la centième attente, le climat de mon cœur avait connu tous les orages et toutes les pluies, tous les soleils aussi. Jour de toujours et de jamais, éternel jour qui précède un lendemain de chimère.
Offertoire
Maîtres ès psychiatrie et neurologie, qui déambulez dans la chambre blanche de l'hospice en bordure de ville, accordez-moi la suprême délivrance de l'oubli. Daignez mettre un terme à mon obsession, afin que ni mon cortex, ni ma raison ne retiennent plus la flamme de la personne qui ne sait où je suis. Vous qui maniez les armes chimiques au fond des tranchées de gliales, sachez poser sur mon cerveau le baume intègre qui me délivrera de l'amour des spectres. Tenez vos promesses, sur mes douleurs posez vos compresses, maîtres ès neurologie et psychiatrie.
Sanctus
Vive, vive, vive la molécule qui sauve les esprits de leur prison de pensées noires. Vive, vive, vive la molécule dérisoire !
Agnus dei
Homme en blouse blanche, qui possèdes le diplôme, graphes les ordonnances et piques les veines, obtempère ! Donne-moi le repos. De ma frayeur, de ma souleur, de ma langueur, purifie-moi.
Communion
Le rayonnement d'une lumière douce évoque le premier repas des hommes. Le rayonnement d'une lumière douce convoque l'innocence du nourrisson.
Absoute
Au-delà de moi, pour tous les autres, amants de sirènes absentes, amantes de fantômes imprenables, au-delà de moi j'invoque la liberté, la délivrance et la fraternité.
Subvenite
Prenez cette image à laquelle j'ai tant rêvé, prenez ce corps imaginal, prenez ces lèvres qui ne m'ont point baisée, prenez cette caresse qui ne m'a jamais effleurée. Que le songe amoureux qui me hantait s'élève dans les éthers nomades et parcourt toutes les distances ineffables.
In paradisum
Écoutez ce chant qui descend sur le cimetière. Écoutez ces pas qui accompagnent nos pas. Écoutez ces antiennes d'un chœur lointain. Écoutez : l'inconnu surgit en chacun.
Pie jesu
Sempiternelle, notre valse avec celui que nous aurions dû être, sempiternelle. Blanche, l'étreinte avec celui qu'on aurait pu aimer, une étreinte blanche.
Edith de CL 14-15 mars 2018
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vendredi, 16 mars 2018
Evasive idole
Avancer dans la vie, avancer vers le bonheur et vers la mort
La musique d'Evasion me donne envie de vivre et de créer.
une vie heureuse, est-ce lorsque en mourant un homme se dit, j'ai accompli ce que je voulais, je pars en ayant fait, dit, donné, vécu ce que je voulais
ou bien
est lorsque voyant la mort s'approcher tout près de lui, il demande pardon et dit merci et sourit à Celui qui vient peut-être lui prendre la main...
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jeudi, 15 mars 2018
Absconditus
Tu n'avais plus peur.
Tu partais dans tes rêves, grâce à une pilule. Certains de tes songes étaient bleus, d'autres de brume. Tu t'extasiais.
« Je suis ton fils », tu me disais. Je te souriais.
Chacun de ces matins des mois de septembre, octobre, novembre 1999 étaient des débuts de romans. Et nous disions adieu aux histoires, le soir, au couchant des lumières. L'appartement : un océan. La rue, le jardin, la route : des mondes clos.
Le clos de l'élégance (la prévenance de la fiction admise).
Je ne savais pas la profondeur – ni la fugacité – de mon bonheur. Tout s'est fini avec la dernière gorgée d'un café.
Tu m'avais dit : « Niort. Enfance ». J'avais haussé les épaules. Jamais tu n'avais foulé le sol de Niort de tes pieds, car Niort, une seule fois avec toi, toi âgé de deux mois, porté dans les bras de ma sœur.
Enfance. Distance. Réinvention.
« Je suis ton fils ». Je n'ai jamais répondu oui. Accepter ton désir, oui, mentir non. Ma sœur est morte un jour de pluie très certainement, dans une rue banale, du cœur.
Le cœur, muscle, pompe. Le sang, fleuve charrié. Fleuve charriant les poisons et la vie. Je n'ai jamais su prononcer : « non tu n'es pas mon fils ». Peur de ta peur. Neveu : mot moindre. Je t'aimais plus qu'un fils.
Schizophrénie. Alternance. Phase bleue, phase de brume. Nuits blanches versus jours noirs. Diagnostic élastique, perte de repères, absence de père, mer de l'absence, mère amère, mer morte. Cactus au milieu du salon. Salon dérangé. Pâtes froides, voix triste. Rire d'enfant qui ressemble au hululement d'un oiseau hybride, hibou né d'une chauve-souris. Lancinantes heures d'après-midi, longs couloirs harcelants de l'école (coups, habits moqués, isolement fabriqué), attentes sans fin des journées-maison, aspiration à une joie, intuition de son existence, joie, joyau su mais jamais touché. Comme un besoin intense, jamais apaisé. Espérance. Néant des résultats. Espérance. Ignorance du destin. Espérance trahie.
Dérive insidieuse, coulée dans le bloc du rêve, paralysie à force, effraction bizarre. Diagnostic.
Schizophrène dans une allée de frênes, sans chien ni but, sans rien que ton propre corps qui cherche à porter sa vie.
« Je suis ton fils ».
« Tu es mon naufragé ».
« Maman ? »
« Bois ton café ».
« Avec toi pour toujours ».
Je ne réponds rien. Je te souris. Mon frère depuis New York m'envoie un chèque minable qui ne paye qu'une bande dessinée et trois paquets de pilules. Tu baisses la tête quand j'écris trop longtemps, tu te rabougris quand je m'éloigne.
Êtes-vous sa mère ?
Je suis sa tante.
Ses parents ?
Morte.
Son âge ?
21 ans.
Le médecin dit que tu es gros, que tu manges trop. Le policier remplit les cases de sa fiche imprimée.
Il n'y a pas d'étoiles dans les villes. La nuit est superficielle.
La fenêtre ne s'ouvre pas sur la nature. Je n'ose te regarder quand tu es emporté dans la fourgonnette blanche, qui s'éloigne. Je sonde mon âme, je ne sens plus sa présence. Elle n'était qu'illusion, en fait il n'y a rien d'autre que les corps.
Les corps qui attendent : espérance.
Rien. Espérance vide. Espérance, silence. Espérance, rance. Rance. La joie ne vient jamais.
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mercredi, 14 mars 2018
Agrandir
Je souffre de voir tes yeux emplis de larmes, à cause d'une phrase que j'ai dite, ou écrite.
J'ai faim d'agrandir ton destin, mon destin. Le soleil coule à travers les stores rouges, sa lumière chaude baigne le salon. La poésie du jour réside entre les lignes de nos propos, entre les rais de lumières. Bientôt aura lieu l'anniversaire de mon père mort et l'entrée en lice du printemps.
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dimanche, 11 mars 2018
Harcèlement par les médias dans une gare. Personne n'a réagi.
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dimanche, 04 mars 2018
L'aurorale brisure
La cour grise accueille nos premiers regards, de quelles pensées sont chargés les tiens ?
Cette vie qui a lieu, cette vie réelle, ne ressemble pas à nos rêves. L'onirisme y est pourtant présent, dans les gouttes restantes de la pluie de l'aube, comme sur la cheminée qui accueille le couple de colombes, sur le toit voisin.
Je suis étonné de respirer dans cette ville autre, dans laquelle jamais je n'aurais cru vivre. Surpris de m'être détaché d'un passé désormais inaccessible.
Mon écriture ressemble aux eaux dormantes, qu'on dit mortes et qui grouillent de bactéries.
Les musiques, les vues, les idées de l'autre ville me reviennent en mémoire. Je ne communique avec toi qu'à propos des choses du présent. Nous ne partageons rien d'autre que la vie quotidienne : couple étrange, cohabitation de deux corps qui refusent de dévoiler leurs âmes. C'est triste pour le chien qui voudrait ressentir autour de lui les fluides d'un amour.
Pour aimer, il faut avoir brisé la carcasse d'amertume.
Le ciel ressemble à un lac gris emprisonné dans la montagne de nuages. Me reste-t-il trois jours, trois ans, trente ans à vivre ? Une recette de cuisine, un morceau de musique, une bande dessinée, un événement intrusif pourrait dévier le cours du temps monocorde.
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samedi, 03 mars 2018
"Par des matins brisés"
La plage des Sables, 2 mars 2018 vers 17h30
Où sont les gens qui vivent et qui bougent aujourd'hui ?
Pas à la télévision, ni dans les médias. Ni dans les institutions. Ni dans l'art « diffus par les canaux économiques ». Ni dans l'art « soutenu » par l’État. Ni dans les syndicats, ni dans les mouvements politiques. Sur Internet ? Dans des ZAD d'extrême gauche mouvantes ou des sphères d'extrême droite non constituées ?
Ne te trompe pas d'ennemi, ma fille. C'est pire que de se tromper d'ami, car tu mets toutes tes forces de combat contre des pantins. Alors qu'un amour qui se trompe reste un grand amour, une haine qui touche une mauvaise cible rendrait ta guerre impure et méprisable.
Aujourd'hui, ce n'est pas la liberté sexuelle ou amoureuse qui nécessite du courage et de la vérité : la liberté d'aimer est utile au capitalisme. Ce n'est pas la liberté de penser non plus, car elle est soluble, comme du sucre, dans la profusion d'idées qui circule dans le Capital. Ce n'est pas non plus l'intégrisme religieux : celui de l'islam sert à créer des nervis qui ne savent pas à quoi ils servent, celui du catholicisme sert à préserver des zones patrimoniales qui n'ont pas de force pour créer du neuf et de l'à-venir. La Petite Entreprise et le Refus de consommer sont deux bastions (qui croient dissembler, ce qui les fragilise). Mais une petite entreprise qui réussit devient Capital et une petite entreprise qui ne devient pas Capital risque sans cesse la mort par asphyxie ou l'assassinat par la loi. Quant au refus de consommer, il est trop marginal pour constituer un poids et ne fragilise que l'individu qui le pratique.
La double-vie est sans doute une solution à la fois de survie et de combat politique : s'adapter en apparence et se réserver des zones hors-champs, zones de culture, d'agriculture, de distillerie, de médecine, de religion, qui divergent radicalement de tout ce qui est officiel ou médiatique et qui n'est jamais appréhendé ni par l'administration, ni par l'argent, ni par les médias. Zones non vues, zones absentes des radars.
Il est difficile d'être solidaire aujourd'hui car tout ce qui est visible est récupéré par le capital ou par l'administration. Le capital et l'administration, malgré le désamour qui les unit, roulent ensemble vers le même but : la totalité du contrôle.
La solidarité commence en se levant le matin : ouvrir les yeux et ne pas croire au monde tel qu'il nous est montré, savoir que l'être est traqué par le capital et l'administration au moyen de la culture, de l'information et de la communication. Pas de nostalgie d'un passé mort, pas de fatalité devant un présent qui n'en est pas un. Vivre malgré le mépris profond dont on entoure ceux qui respirent encore d'une manière personnelle.
La parole (orale/écrite) est noyée dans le flot. Le geste noble est dénigré, tourné en dérision. L'action est vouée à nourrir le néant, avant même de naître elle est neutralisée.
L'essor du suicide s'explique parce que c'est la seule action qu'un individu non pervers peut commettre en étant sûr d'obtenir un résultat notable, réel, qui induit un changement (fut-il cessation). S'il restait un espace où la parole/le texte de l'être avait un résultat, les chiffres du suicide diminueraient. Face à des êtres humains rendus à leur puissance, même modeste, la banque et l'administration verraient leur territoire d'emprise se restreindre.
Tous les mots ont été adoubés par le capital avant même d'être prononcés. Ainsi a été torpillée la splendeur du poème. Censure suprême que la censure inutile des mots dégoupillés.
Bar-le-Duc : comment une bourgade chaleureuse et vibrante est devenue ville-zombie ? La télévision a remplacé le feu de cheminée autour duquel on s’assoit. Les parkings et les centres commerciaux aux abords de la ville ont rendu caduc le centre de la cité. Les élus administrent un système qui ne tourne plus que pour eux-mêmes, à l'échelle municipale, comme à l'échelle nationale, le pouvoir d'action s'est éclipsé sans faire de bruit. Nous faisons semblant de suivre des rites démocratiques mais le fleuve démocratique n'est plus qu'un amas de boue ; les gestes et les cris des matelots ne font illusion qu'à ceux qui sont trop petits pour apercevoir, par la passerelle, que l'eau du fleuve a été détournée. Semblant de régime, déprime insondable des citoyens qui sentent, sans mots, que la République s'est enfuie sans les prévenir.
Nous sommes pieds et poings liés par l'ignorance et par l'illusion. La vérité serait un désespoir libérateur. Quand tu comprends que tu es là, étendu sur ton lit, débile, incapable, non pas à cause d'une faiblesse de ta volonté, mais parce qu'on t'a empoisonné à ton insu et à dessein, alors, avant même la rage de la révolte, monte la délivrance du Savoir.
Conscience, tu demeures. Tu veilles. Une poussière immobile te recouvre. Un souffle intérieur pourrait reconnaître soudain ton existence.
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mardi, 27 février 2018
Textos d'un dimanche après-midi
« Il y a des soirs si beaux, en cette saison, dans ce pays, qu'ils vous tordent le cœur comme une serpillière. Et l'on ne sait pas si c'est à cause de tout ce qu'ils offrent, ou bien de tout ce qui nous manque à travers eux. Nous n'avons pas la jeunesse, nous n'avons pas l'amour, nous n'avons pas la gloire, nous n'avons pas l'argent, la vie bat mille fois plus fort ailleurs, avec ses corps exposés, ses désirs satisfaits peut-être, ses grandes affaires, ses rires, sa nervosité, ses grandes idées. Ici nous traversons la campagne dans le silence parfait du soir, parmi l'été déjà sur son déclin. De grandes maisons coites, sur des crêtes offertes, boivent l'immensité du ciel et la lumière apaisée, de toutes leurs hautes fenêtres grandes ouvertes. Est-ce que c'est vivre ? Est-ce que c'est être mort ? La voiture glisse si légèrement qu'on pourrait s'envoler avec elle. Déchirantes déchirées, on croirait s'enfoncer dans les limbes.
À la radio, Michel Dalberto, pour tout arranger, joue merveilleusement deux des dernières sonates de Schubert. »
Renaud Camus, IN Derniers jours, Journal de l'année 1997
Il y a quelques jours, un dimanche, un échange de textos entre un homme au repos dans le quartier de l'Opéra et une femme lézardant au soleil d'un dernier étage plus au Nord :
Bénédicte : Aimes-tu la ville de Marseille ?
Alexis : Beaucoup. Je me vois y vivre assez facilement.
Bénédicte : Moi aussi, de plus en plus. Même si c'est assez sale, pour ne pas dire cradissime. Mais le soleil, la chaleur et le relief qui descend sur la mer...
Alexis : Voilà. Et puis la saleté c'est aussi la vie, en un sens. On peut même y voir une forme d'esthétique. Naples est un peu sale mais je ne l'imagine pas plus belle si elle était récurée de fond en comble.
Bénédicte : La saleté comme preuve de vie, je ne sais pas. Jean-Nathanaël me disait la semaine dernière que Belleville était le dernier quartier vivant de Paris avec la Goutte d'Or. Or ce sont surtout les derniers quartiers crades. Le silence, la pureté, la grâce, l'évanescence, la symétrie, l'harmonie, ne sont en rien selon moi des synonymes de mort. Au contraire, ils sont ce qui me fait aimer la vie. La nature sauvage n'est ni sale ni toujours bruyante ou bigarrée. La vie palpite aussi dans le calme.
Alexis : Ne confonds-tu pas la vie cérébrale et la vie humaine ? Je fais souvent cette erreur aussi. L'humain ne vit ni dans une forêt sauvage, ni dans une oeuvre d'art. Mais peut-être ne sommes-nous pas de très bons humains toi et moi.
Bénédicte : Non, mais je me sens justement un animal et je trouve que certains membres de notre espèce se laissent aller à la crasse comme des animaux de ferme qui macèrent dans leur foin. Je préfère les chiens bien léchés de canapés ou les chevaux sauvages. J'avoue que Barbès me paraît constituer une nullité civilisationnelle que je ne confonds ni avec la pauvreté (un village péruvien très pauvre, c'est propre) ni avec l'urbanisme (Copenhague est propre) mais avec un laisser-aller culturel, langagier, physique et moral qui me déplait.
Alexis : Je comprends. Ce Quartier où vit Fabrice est ma limite aussi. C'est vraiment too much.
Bénédicte : Et puis le cerveau est tout aussi naturel que des selles. Pourquoi une rue remplie de crachats serait-elle plus vivante qu'une salle du château de Chantilly ?
Alexis : Parce qu'elle l'est. Déjà c'est une rue de Paris, pas une salle de musée. Je suis certain que tu peux trouver meilleur parallèle à ton propos. Le caractère vivant, au sens de la concentration d'humains dans un lieu, n'est pas incompatible avec la propreté mais c'est souvent le fait d'un contrôle extrême : Disneyland par exemple. Entre la vie de la foule de Disneyland et celle de Barbès, je préfère tout de même Barbès. Moins de contrôle, plus de liberté et donc de licence de saleté, etc.
Mais je ne vivrais ni dans l'un ni dans l'autre, je suis trop comme toi. Mon quartier de l'Opéra est vivant par exemple et pas trop sale mais c'est une foule de touristes et d'acheteurs. C'est une vie étrange, moins imprévisible et poétique que celle de Belleville, de Marseille ou de Naples. Parfois j'ai l'impression que c'est une fausse vie. Scénarisée.
Bénédicte : J'ai l'impression que tu confonds la vie et la multitude. Mon parallèle n'était certes pas bon. Mais le monde est-il plus vivant aujourd'hui que lorsque'il ne comptait que 20 millions d'habitants sur la planète ? Une cage de souris surpeuplée est-elle plus vivante qu'un terrier de mulots dans un champ ?
Oui, remarque, quantitativement il y a plus de vivants. Mais la surpopulation réduit aussi beaucoup l'envergure d'une vie.
La vie scénarisée est pour moi la vraie vie. C'est pourquoi j'aime les rites antiques. Notre beauté animale à nous, tient dans les rites et notre nullité, dans l'agglutinement informe.
Alexis : Pour moi la vie c'est la concentration humaine en effet. Le reste c'est une idée intellectualisée de la vie, quand je regarde une forêt ou l'océan je sais bien qu'ils sont pleins de vie au sens biologique du terme mais je ne me sens pas partie de cela dans ma chair. Quand je suis au milieu de mes semblables, même s'ils sont très différents de moi culturellement ou sociologiquement, je me sens dans la vie. La vie humaine. La vie des foules qui dorment sur elles-mêmes, Tokyo, Calcutta, Paris, Manhattan, quand tu n'es qu'une forme parmi la fourmilière, que tu es à la fois très seul et plein des autres. Que leur vie déborde sur toi, qu'elle te choque et t'agrippe parfois à contre-courant. Je sens alors la vie des hommes et des femmes.
C'est intéressant ce que tu dis sur la vie scénarisée et le rite.
Bénédicte : Incroyable ! Moi je ne me sens pleinement en vie que seule et en silence face à la ligne bleue des Vosges ou à l'océan Atlantique. Ou dans une église romane perdue dans la campagne. Sinon j'ai l'impression d'être dans une queue chez Carrefour. Seul le rite esthétique me permet de supporter la promiscuité car je peux encore rêver d'éternité. Dans la foule, je me sens sans âme, sans identité. Mon corps n'est plus qu'un bout de viande avec un numéro de sécurité sociale.
Alexis : C'est ça. Et pourtant quand tu es seule face à l'océan, tu es juste seule. Comme on le sera au tombeau.
Bénédicte : Une poule en batterie n'est pas seule dans un tombeau.
Alexis : Par définition. Je ne mange que de la volaille de Bresse.
Bénédicte : En fait, peut-être que tout dépend de la manière dont on se sent en relation avec les autres et avec le monde.
Alexis : Exactement. C'était où je voulais en venir.
Bénédicte : Faudrait savoir d'où ça vient.
Alexis : Comme toujours, des névroses personnelles et des expériences. Je pense.
Bénédicte : Oui. Voire des premiers jours passés sur cette terre, des premiers bruits, des premières visions.
Alexis : Et de cette chose étrange qu'on appelle les traits de caractère qui font que deux personnes qui ont vécu les mêmes choses n'y réagissent pas pareil.
Bénédicte : C'est vrai. Les traits de caractère qui sont uniques, comme les traits du visage.
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