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mardi, 24 février 2015

La quête du courage

 

La lecture des sinistres et troubles expériences de Stanley Milgram fait froid dans le dos en dépit du chaud chandail qu'on porte en ces jours hivernaux. Le visionnage du documentaire de Carmen Castillo sur la Flaca Alejandra, cette femme chilienne qui, retournée sous la torture par ses bourreaux, passa une partie de sa vie à trahir ses anciens camarades de lutte, complète notre vision sombre des comportements auxquels les personnes les mieux intentionnées au monde sont susceptibles de s'adonner, dès lors que la pression – physique ou mentale – devient trop forte.

Comme le dit une ancienne camarade de la Flaca, qui, contrairement à elle, n'a pas trahi malgré la torture, il est faux qu'il y a, d'un côté les gens courageux, qui tiennent, et de l'autre, les lâches, qui succombent. Malgré son courage face à la torture, le refus de condamner son ancienne camarade traîtresse a valu à cette femme des ennemis haineux. Des parangons de vertu qui n'ont jamais été torturés se détournent d'une héroïne parce qu'elle ne les rejoint pas dans leur condamnation morale ! Pourtant, si une femme qui a subi la torture et a tenu bon face à ses bourreaux affirme qu'elle ne doit pas son courage à sa haute éthique, mais à sa constitution intérieure, nous devrions l'écouter... Cette femme sait que si elle a tenu bon, et que l'autre a trahi, c'est que chacune a agi au mieux pour elle-même au plus profond de la souffrance. Peut-être que chacune a choisi la survie de la parcelle d'elle-même à laquelle elle avait accès. Face à une tension insoutenable, la réaction provient, non pas du choix présent de la personne, mais de conditionnements intimes venus depuis la nuit des temps de son identité, peut-être la toute petite enfance, peut-être encore plus tôt dans la constitution de notre intégrité.

De même que, comme l'affirme le Comité invisible dans Son Insurrection qui vient, « être pacifiste sans pouvoir faire feu n'est que la théorisation d'une impuissance », de même juger le courage ou la traîtrise d'un être sans être passé par ce qu'il a vécu revient à se revêtir d'une morale inepte et hasardeuse.

Les courages sont nombreux et ne se ressemblent pas. La lucidité est un courage qui peut coexister avec la couardise ; et l'héroïsme du sacrifice peut cohabiter avec une incapacité à regarder en face la vérité. Certains héros d'un jour sont incapables de faire face aux multiples engagements et efforts que la vie quotidienne exige de nous. Une personne qui tient ferme son secret face à la torture pourrait n'avoir aucun courage politique. Le courage du quotidien consiste à vaillamment faire face à la peine de chaque jour ; le courage moral, à agir selon ce que l'on croit bien et bon, quelle qu'en soit les conséquences pour son confort. Le courage physique, à endurer la douleur sans se transformer en guenille déshumanisée ; le courage intellectuel, à regarder la vérité même si elle fait s'écrouler ce qu'on aime comme un château de cartes ; le courage politique, à se dresser avec vigilance contre les abus de pouvoir et les dégoulinades émotionnelles collectives. Qui peut prétendre les allier tous, à tous les instants, dans toutes les situations ? Qui peut savoir ce qui motive ces multiples courages ? Qui pourrait sans ridicule énoncer une hiérarchie de ces courages et distribuer des bons points aux uns et aux autres ?

Le doute est immense, la fatalité nous cerne. Pourtant, le courage est un sujet crucial qu'aucun de nous ne peut enfermer dans le placard des choses obsolètes.

Dans la vie professionnelle, les discours et les actes s'opposent sous nos yeux sans que les personnes que nous contemplons ne semblent s'en apercevoir. L'on trébuche de surprise face aux attitudes si iniques, si banales et si quotidiennes que l'on décèle, mais soi-même, on ne se voit jamais en entier...

Il faudrait une recette pour tenir debout et ferme sous les pressions destructrices. Au fond de quel grimoire, au fond de quel chaudron dort-elle !

 

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