mercredi, 30 août 2017
Langue de feu, esprit de sécheresse
Il eut fallu que la langue fut notre ramage charmant, notre plumage fier et sauvage, plutôt qu’un outil à saccager la nature et la vie, l’amour et la sexualité, la fraternité et la joie. Elle eut dû nous servir à traverser le temps, plutôt qu’à le compter, à baigner l’espace, plutôt qu’à le quadriller, à parader dans la jungle animale, plutôt qu’à nous en extirper. Nous aurions fait de nos textes des huttes pour l’esprit, de nos jouxtes des feux de joie, nous aurions été alors beaux, et libres, et sauvages, et notre langue aurait été aussi parlante, aussi puissante que le mutisme des autres bêtes. Et le monde serait resté beau, et les hommes acceptant d’être parfois ennemis seraient restés frères. Mais ceux qui ont connu cette langue-panache ont été foudroyés comme des bêtes puisqu’ils leur ressemblaient, puisqu’ils fraternisaient avec elles. Ils disaient vivre dans la tranquillité, n’être qu’une voix parmi les autres voix de la nature. Ils appelaient les poneys, les cerfs, les aigles et les arbres leurs frères. C’est pourquoi les autres hommes tentèrent, et parvinrent à écraser leur langue qui ne possédait pas les deux mots qui séparent l’homme des autres bêtes : humanité et animalité. Ils gisent dans des zoos humains aujourd’hui, aujourd’hui que l’humanisme règne dans les discours du monde entier. Le temps de vivre reviendra-t-il un jour ? Le chef Sokulls Smohalla ne voulait pas que les jeunes de sa tribu travaillent, parce que la sagesse vient des rêves et que les travailleurs ne rêvent plus. Alors pourquoi suis-je née dans un monde où le travail a détruit plus de la moitié de la planète, où les langues qui ne possèdent pas assez de mots destructeurs meurent saison après saison, où les espèces animales et végétales disparaissent, et où l’on qualifie d’assassin quiconque veut donner autant de valeur à son chien qu’à son frère ? Je ne comprends plus ce monde. Heureusement que je sais conduire, et que cette femme est folle, que l’océan n’est pas loin, que les routes sont dangereuses ! Heureusement que j’ai trop bu. Sans quoi il me semble que je traverserais à cet instant même une crise d’angoisse.
Sur AlmaSoror :
La langue peut-elle être officielle ?
Esprit, qui peut t'enchaîner ?
L'humanisme et les droits de l'homme au regard des langues quechua et tahitienne
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jeudi, 24 août 2017
Stances d'existence
Dans d'autres siècles, la mort avait sa place au soleil, on la côtoyait souvent d'une manière familière, tandis que le sexe était tabou (caché, atténué, dissimulé, menti). Sexe et mort ont inversé leurs pôles : la mort est exclue (cachée, atténuée, dissimulée, mentie), le sexe a pignon sur rue.
L'humain civilisé est aujourd'hui celui qui pleure, console, aime, palpite en public. Avant-hier, on montrait son humanité par la retenue de ses émotions, réservée à la sphère secrète. La discrétion à propos de la vie privée et des affects n'est de nos jours pas de mise : il faut être vu tel que l'on est affectivement, c'est d'ailleurs devenu une revendication politique, un droit réclamé : être visible ! La forme ultime de pouvoir et d'influence symbolique n'est pas, comme en d'autres temps, dans l'éloignement ; le prestige actuel naît de l'accessibilité. Le visage reconnu, accessible à la connaissance de chacun, est un visage supposé puissant tandis qu'un visage inconnu par le plus grand nombre est relégué à l'inexistence sociale.
Autres temps, autres mœurs. Ce qui ne varie guère, c'est la souffrance sociale engendrée par la compétition. Exister à ses propres yeux, pour ce que l'on est, c'est si difficile...
Je cherche ce visage qui ne ressemble à nul autre, que je n'ai jamais vu et qui parle immédiatement à un endroit inconnu de mon cœur. Je cherche une voix aux intonations inédites. Je cherche un ailleurs si proche qu'il en fait presque peur.
La jeune fille et la Mort, de Niklaus Manuel Deutsch, 1517
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mardi, 22 août 2017
Le piéton sobre
Un jour il y a quelques années, Paul de Cornulier s'amusa à broder sur le thème du Bateau ivre d'Arthur Rimbaud, une sorte de jeu avec les thèmes et les expressions du poème. Cela donna le Piéton sobre :
Entre deux bornes, moi je recherche des Guides,
Car je veux me sentir bridé par des haleurs .
Sans eux je suis perdu, incertain et languide,
Et souvent envahi par une horrible peur.
Colmatons avec soin les opaques frontières
En béton surarmé qui m'offrent protection,
M'imposent une vie tranquille et régulière,
Et protègent mon cœur contre les invasions.
Loin de ces nuits sans fond où s'endort et se cache
L'Or d'un brillant futur porté par les oiseaux,
La promesse rêvée d'un beau monde sans tache,
Loin des cieux archipels, et loin de toi, Rimbaud,
Je déambulerai sur la terre, dans l'Ordre,
Mes deux pieds tout blindés de semelles de cuir.
L'inconnu terrifiant ne pourra plus me mordre.
Si l'Aube exaltée vient, je suis prêt à la fuir.
J'écrirai sanglotant sur ces rêves idiots
S'il me demeure encore un brin de nostalgie.
Et je regretterai, hypocrite badaud,
Ma niaise illusion d'ineffables magies.
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vendredi, 18 août 2017
Vox lactea
Ta voix voilée, lunaire, s'écoule dans mon réseau de veines comme un rayon de lune qui purifie le passé et allume la blancheur des saisons de paix.
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jeudi, 17 août 2017
Messe des morts à quatre voix
J’ai lu Etunwan, de Thierry Murat. Sur le radiateur auprès du lit, elle a posé Les derniers géants, de François Place. Même thème, même beauté du style littéraire et des images. (Je me souviens de l'enfance, la civilisation et le monde sauvage). Les tours aux milliers de pâles lumières scintillent dans la nuit très bleue et la lune est cachée derrière une antenne. Urbs, urbis, et pourtant, j’éprouve des émotions que j’ai connues sous un tapis d’étoiles, à la campagne, la nuit, allongée dans un champ invisible. Comparaison et jalousie s’effacent devant la beauté inouïe, inattendue, de l’instant présent. Je reconnais la musique qu’écoute le mystérieux voisin de l’étage au-dessous, celui qu’on ne croise jamais. C’est la messe des morts à quatre voix de Marc-Antoine Charpentier.
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mercredi, 26 juillet 2017
La gambiste d'hier
Ton dernier regard fut semblable à la caresse d’un rayon de lune sur le mur du patio où chantait le crapaud. J’étais debout contre la porte et je savais que ce n’était pas à moi que ces yeux s’adressaient, mais à l’ensemble des êtres et des choses que tu quitterais bientôt. Au croassement tout proche, répondit un hululement lointain. Les chauves-souris effrayés par la chouette voletèrent, puis disparurent. Déjà tu ne savais plus si tu étais dans une ville au bord de l’Atlantique ou au pied d’une colline du centre de la France. Déjà tu ne répétais plus que ton nom, ton propre nom, ton nom tout prêt de s’effacer. Tu avais oublié quelle gambiste tu fus, brillante élève puis jeune professeure à l’école de musique baroque d’une cité de l’Est. Tu portais notre enfant, dont je n’espérais plus la naissance. Ce soir là, rien ne s’est brisé. Je t’aime toujours, je n’ai pas trop pleuré. La beauté du partage me nourrit encore et de temps en temps, à ceux qui m’accompagnent, je parle de toi.
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lundi, 24 juillet 2017
Et cum spiritu tuo
Dominus vobiscum. Je me détache de toute émotion pour que ma miséricorde soit pure. La demande d'une grâce doit-elle suivre un protocole précis ? Il me semble qu'il est encore et toujours midi, malgré que l'ordinateur indique 17h31. Midi, elle n'était pas encore là. Midi, dans le jardin mental du oui et du non. Juillet 2017 : deux châteaux en Haute-Marne. Celui des amis, celui de la comtesse aux yeux bleus. On y appuie sa tête sur le mur d'un théâtre secret, là où peut-être, au siècle des Lumières, Françoise de Graffigny posait son front fatigué. Elle était lasse, la bonne dame, des lubies de ses deux amis. Moi, je ne suis pas lasse des dites et des redites, jouez-moi tous les soirs la même pièce, car je rêve chaque fois un rêve différent. Enfui, le dîner de l'Orangerie, dissipé dans la nuit. Envolés, les convives, y compris nous-mêmes. Le chant orthodoxe à l'intérieur du studio où je ne pleure pas, le brouhaha du camion-poubelle qui nettoie la rue en bas. Qu'est-ce qui tangue comme un objet cassé, à moitié décroché, à l'intérieur de moi ? Mon cœur ? Un chant ? Ni bougies à allumer, ni cheminée où contempler l'âtre. Le monde moderne autour de moi. Pourvu qu'il meure bientôt. Pourvu que la poussière et la ruine recouvrent de leur beauté les éléments souffrants de notre individualité. Tu accomplis ton dernier voyage, à reculons, oubliant chaque jour une strophe du long poème, tâtonnant ton chemin, te laissant promener comme un poulet. Je t'accompagne, assise, patiente, priante, déterminée, aucun chapelet ne tourne dans mes mains. Je prie comme prient les épouvantails : debout tournoyant dans le vent.
Mais il n'y a pas de vent.
L'esprit parfois se fait sable.
L'esprit parfois se fait néant.
N'oublions pas ce que nous lûmes, ici-même, il y a presque dix ans.
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vendredi, 21 juillet 2017
Cathédrale de plastique et de béton
Le centre commercial : cathédrale des temps modernes dédiée au dieu Mammon, qui exauce toutes les prières de ceux dont la carte bancaire a accès à de grandes ressources et laisse les autres dans des torsions de désirs et de regrets. Titanesque centre où s'enfilent des boutiques proposant toutes des prix très bas pour des produits mirifiques. Immense arnaque qui noie nos cœurs, nos âmes, nos vies.
Nous le parcourions fascinées, ce lieu quotidien de tant de Français de tous âges et de toutes conditions et que nous ne fréquentons jamais, en bonnes bohèmes de Paris.
Parkings de plusieurs centaines de places sous des colonnes de nuages, panneaux indicateurs de circulation, panneaux publicitaires, services de lavage de voiture et de pompes à essence, cafétérias et autres « fast-foods » où se pressent des familles modestes, qui consomment entre deux achats. Amour pour les gens, leur splendeur cachée. Haine pour les patrons de la « grande distrib » et pour tous ceux qui créent ce monde dont je ne veux pas. Et pourtant, en parcourant ces labyrinthes : fascination ! Fascination pour l'abondance, pour le clinquant si kitsch, pour l'inhumanité totale de Mammon et de ses séductions de plastique entre des murs de béton.
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lundi, 17 juillet 2017
Tristesse balnéaire, béton désarmé, stations essence, séniors en culottes courtes
Je parcours ces longues allées de béton. Ni rues, ni routes. Entre les deux. Elles portent les noms d'obscurs anciens responsables politiques qui n'ont rien apporté au monde mais à qui la ville servile, la nation obséquieuse, rend hommage.
Je croise des personnes âgées de soixante ans et plus, marchant deux par deux, la plupart vêtus de shorts. L'expression « en culotte courte », jusque dans les années 1980, désignait les enfants, seuls à porter ces courtes tenues. Point d'enfant ici, ou si peu. Les familles emplies d'enfants ne connaissent pas les moyens financiers de vivre dans une ville qui borde l'Atlantique ! La ville appartient aux retraités, qui se promènent en culottes courtes, exhibant leurs jambes vieilles et bronzées. Ils marchent par deux mais une étude approfondie de la société de cette petite ville me permet de dire que la plupart ne sont pas de vieux couples, mariés depuis leur jeunesse. Ces couples qui peuplent notre ville se sont rencontrés il y a deux ou trois ans, dix ans tout au plus, sur des sites internet de rencontres amoureuses. Chacun des partenaires a connu auparavant au moins un premier mariage, eu des enfants devenus grands aujourd'hui.
Je marche le long des voitures incessantes, je marche le long des maisons laides. L'urbanisme de ce coin de Vendée ne suit aucune ligne esthétique, aucun point de vue solidaire, aucune cohérence historique : l'amas informe de maisons individuelles ou de résidences collectives se prolonge durant des kilomètres. Les points névralgiques de ces entrelacs de béton sans queue ni tête sont les stations essence et les centres commerciaux. Il y a un bourg animé au cœur de la ville, qui fut un port de pêche sémillant, antan. On s'y retrouve pour flâner l'après-midi, on dépense de l'argent dans des restaurants qui refusent les handicapés mentaux, et puis on rentre chez soi regarder la télévision. En short. À soixante-cinq ou soixante-dix ans. Avec son conjoint récent.
Saillies urbanistiques d'AlmaSoror :
Les multinationales de la Mort
Errants des mégapoles d'Europe
Une cabane au fond de la forêt
Entasser un maximum d'êtres humains
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L'ennui : un très vieil armagnac
Ne rien faire, sans se culpabiliser, sans chercher à trouver ce qu'on pourrait faire, mais ne rien faire du tout, pas la moindre occupation. Attendre sans attendre quelque chose - sans rien attendre. Goûter l'ennui comme si c'était un très vieil armagnac. Goûter le temps, sans se mesurer à lui. Le laisser nous rapetisser, le laisser avaler un gros moment de notre vie. Ne pas résister, s'abandonner au rien avec un délice grandissant.
L'Armagnac sur AlmaSoror :
Quatre livres près de la bouteille d'Armagnac
L'individu immobile rattrapé par les temps qui courent
L'ennui sur AlmaSoror :
Et moi j'écoutais, crevant d'ennui
9 janvier 2008, un hôtel aux Pays-Bas
Tentative de web-désintoxication
Le dimanche, l'hiver et la mort
Le poème ou l'image qui viendra
Quatre entrées en matière, quatre issues de secours
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dimanche, 16 juillet 2017
Rêverie médiévale
Je partage trois extraits d'un petit livre de Joan Evans, La civilisation en France au Moyen Âge, traduit de l'anglais par Mademoiselle E. Droz, et publié chez Payot en l'an de grâce 1930.
« L'esprit de Dominique et de François se faisait sentir d'une façon aussi naturelle que l'esprit de Cluny s'était reflété dans les premières croisades. Un changement complet d'attitude envers l'Orient fut rendu possible par le fait que les hordes mongoles comprenaient des gens de toutes les religions d'Orient, et même des chrétiens nestoriens. Innocent IV envoya des messagers franciscains et dominicains au Grand Kahn, et il y eut une entrevue à Karakoroum en présence de Yaroslav, grand-duc de Russie, des vassaux de Géorgie et du Caucase, du sultan Seljoucide d'Asie Mineure, de généraux mongols, de savants chinois et de lamas du Thibet.
En 1253, saint Louis envoya Rubruquis au Kahn de Tartarie, où il trouva non seulement un orfèvre parisien, mais aussi un moine nestorien qui parlait de partir en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Galice. Les pionniers furent des moines mendiants de ce genre, mais celui qui donna une force réelle au mouvement était un homme venu du « Camino francès » qui mène à Compostelle : Raymond Lull, fils d'un seigneur catalan qui avait participé à la conquête de Majorque sur les Musulmans. Après une jeunesse orageuse, il laissa ses biens à sa femme et se rendit au sanctuaire de Saint-Jacques où il acheta un esclave qui lui apprit l'arabe. Il persuada ensuite le roi de Majorque de fonder à Miramar un monastère où treize frères mineurs apprendraient cette langue. EN 1285, il commença ses voyages : à Rome, à Paris, en Tartarie, en Arménie, en Éthiopie, en Afrique et à Tunis, discutant partout avec les musulmans dans leur propre langue, jusqu'au jour où finalement il fut martyrisé dans le nord de l'Afrique.
C'est grâce à lui que le concile de Vienne, en 1311, décida de fonder dix écoles de langues orientales en Europe ».
(…)
« Saladin envoya, en 1192, à Henri de Champagne une tunique et un turban arabe, et Henri écrivait dans sa réponse : « Vous savez que vos robes et vos turbans sont loin d'être méprisés ici. Je porterai sûrement vos présents ».
(...)
« On émettait toutes sortes d'idées : en 1303, un juge ecclésiastique d'Aquitaine suggérait qu'un certain nombre de jeunes filles apprissent la médecine et la chirurgie, la grammaire, la logique et les éléments des mathématiques, afin de faire de bonnes épouses pour les princes de l'Orient ».
Joan Evans, IN La civilisation français au Moyen Âge
AlmaSoror avait déjà cité ce livre par deux fois : Une éducation en l'an mille quelque chose et Guibert de Nogent et la dépravation des femmes modernes
Quant à Raymond Lull, il était déjà apparu dans AlmaSoror, par l'amour, la prière et les larmes.
Enfin, Sara nous avait offert un petit bouquet de voyages féodaux.
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dimanche, 09 juillet 2017
Camp 1940
C'est un grand-père vendéen, se promenant au bord d'un étang d'algues et de boue, dans les allées que foulaient ses pères, ses tantes au siècle précédent, c'est un grand-père enclin aux fidélités inutiles, qui lisait ces Hosties noires et qui comprenait ce chant. Le chant des guerres perdues, des traditions compromises, des espérances fauchées, des passés enterrés.
Un chant de ruines et sur cette ruine je bâtirai mon château de poussière.
Peut-être.
Je recopie ce poème de Senghor, Camp 1940, tel qu'il est écrit dans l'édition originale de 1948, que je tiens de ce grand-père. Mots et ponctuation, tels qu'en ces pages déjà soixantenaires. Mais les commentateurs et les autres versions internet disent hargne au lieu de hargnerie, et pour les Rivières du Sud dans le dernier vers de la dernière strophe.
Camp 1940
À Abdoulaye Ly
Saccagé le jardin des fiançailles en un soir soudain de tornade,
Fauchés les lilas blancs, fané le parfum des muguets,
Parties les fiancées pour les Isles de brise et pour les Rivières du Sud.
Et un cri de désastre a traversé de part en part le pays frais des vins et des chansons
Comme un glaive de foudre dans son cœur, du Levant au Ponant.
C'est un vaste village de boue et de branchages, un village crucifié par deux fosses de pestilences,
Et haines et faims y fermentent dans la torpeur d'un été mortel.
C'est un grand village qu'encercle l'immobile hargnerie des barbelés,
Un grand village sous la tyrannie de quatre mitrailleuses ombrageuses.
Et les nobles guerriers mendient des bouts de cigarette,
Ils disputent les os aux chiens, ils se disputent chiens et chats de songe.
Mais seuls Ils ont gardé la candeur de leur rire et seuls la liberté de leur âme de feu.
Et le soir tombe, sanglot de sang qui libère la nuit.
Ils veillent les grands enfants roses, leurs grands enfants blonds, leurs grands enfants blancs
Qui se tournent et se retournent dans leur sommeil hanté des puces du souci et des poux de captivité.
Les contes des veillées noires les bercent, et les voix graves qui épousent les sentiers du silence,
Et les berceuses doucement, berceuses sans tam-tam et sans battements de mains noires
- Ce sera pour demain, à l'heure de la sieste, le mirage des épopées
Et la chevauchée du soleil sur les savanes blanches aux sables sans limites.
Et le vent est guitare dans les arbres, les barbelés sont plus mélodieux que des cordes de harpes,
Et les toits se penchent, écoutent, les étoiles sourient de leurs yeux sans sommeil
- Là-haut, là-haut, leur visage est bleu-noir.
L'air se fait tendre au village de boue et de branchages,
Et la terre se fait humaine comme les sentinelles, les chemins les invitent à la liberté.
Ils ne partiront pas. Ils ne déserteront les corvées ni leur devoir de joie.
Qui fera les travaux de honte si ce n'est ceux qui sont nés nobles?
Qui donc dansera le dimanche aux sons du tam-tam des gamelles?
Et ne sont-ils pas libres de la liberté du destin?
Saccagé le jardin des fiançailles en un soir soudain de tornade,
Fauchés les lilas blancs, fané le parfum des muguets,
Parties les fiancées pour les Isles de brise et par les Rivières du Sud.
Front-Stalag 230.
Léopold Sédar Senghor in Hosties noires, 1948
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jeudi, 06 juillet 2017
Le père-abbé
Chaque soir, pour atteindre la cuisine ou pour en revenir, je marche devant toi. J'ai honte de vaquer dans le monde alors que tu priais à l'écart de lui. Mais je devrais vous vouvoyer. Nous nous ressemblons malgré les très graves égarements que j'ose suivre vis-à-vis de la religion que vous avez respectée pas à pas. Moine plein de sagesse, connaissez-vous l'ennui ?
Moine plein de vieillesse, connaissez-vous l'addiction numérique et le libre choix de la sexualité ?
Vous confessiez, paraît-il, mes ancêtres. Je vous confesse que j'ai sacrifié à tout ce que la société séculaire et libérale m'a demandé, sans même m'en rendre compte, croyant par ces actes épars, affirmer ma liberté. Mais aussi, monsieur l'abbé, croyez bien que ceux qui parlent au nom de l'église ont des sourires si faux et des jugements si durs qu'il faut beaucoup d'avance morale pour savoir leur pardonner.
Père, mon père, et si vous m'aidiez à choisir ?
Toi à qui je ressemble malgré tout, poitevine un peu, aimant entonner des Super flumina et des rorate caeli quand tombe le soir sur la ville de province, tu voudrais bien m'accompagner quelque temps sur cette vie ? Les jours passent et me lassent, je ne parviens pas à les enchaîner au creux d'un projet.
Quand je longerai le couloir et que je passerai près de l'alcôve où tu sièges, désormais, je te dirai : "Aidez-moi".
Je n'aurai plus peur de ton profil de plâtre et de ta symbolique de corbeau trop noir ou de colombe trop blanche. Je te dirai : "je compte sur toi".
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mercredi, 05 juillet 2017
Intense sensation céruléenne
Intense sensation céruléenne, qui voile aux yeux du monde le noir miasmatique intérieur. La photographie éclate de bonheur. Ment-elle ?
L'image constitue une béatitude en elle-même, l'image surgit comme une joie contradictoire avec la réalité du jour.
Créer une image permet de transformer le tourbillon du moral en impeccable stase visuelle.
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mardi, 04 juillet 2017
La vie magique
Un jour que je déprimais, j’eus l’idée de me demander comment je raconterais ma vie si je possédais un compte sur un réseau social (ou plutôt, si j’étais dépossédée de moi-même par un réseau social au moyen d’un compte). Comment j’écrirais la beauté d’une existence pour donner une bonne image de mes jours et de mes nuits. Comment j’organiserais mon autopromotion. Mue par cette idée neuve et stimulante, je sortis quelque peu des miasmes moraux dans lesquels j’errais et je commençais à imaginer des statuts postés chaque jour sur une page internète que verraient des centaines de gens. Sans jamais mentir, simplement en racontant quelques événements choisis, d’une certaine manière.
Soudain, le ciel s’ensoleilla, mes jours s’éclairèrent, mes nuits se firent fascinantes. Oui, vraiment, qu’il est doux de pratiquer la musculation psychosociale. Le théâtre de la distinction sociale se mêle à l’intime dans notre époque mi-individualiste, mi-collectiviste. La gonflette, c’est chouette !
Règle : il faut donner à voir que notre vie se déroule comme un film de rêve, sans pour autant laisser l'impression qu'on cherche à prouver quoi que ce soit.
Extraits :
Allongée sur le sable, la tête sur ma veste, je regarde la silhouette de mon amour s'enfoncer dans l'eau plate, et reparaître.
...
Une Mélusine à l'Estacade, au bord de la mer, dans les derniers rayons du jour, avant de rentrer dîner face au film lituanien.
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Un peu d'Italie sur cette plage vendéenne, pizza et risotto face à la mer, pour réunifier l'Europe.
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Dans le train du soir qui roule vers la ville Atlantique, je demande La sœur, de Sandor Maraï. Et j'en redemande...
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Retrousser les manches et achever de démonter la cuisine que je souhaite recréer plus belle et plus élégante. Oui, j’aime le bricolage. Oui.
...
Toits de briques et les cheminées qui s’étendent jusqu’au père Lachaise, symphonie de nuages sur lit de mille couleurs. Cela fait quatre ans maintenant : la même fascination des ciels m’étreint chaque fois que tu m’invites à partager ta chambre.
...
Travail plus fluide que les jours précédents – heureusement ! Profitons-en, glissons de phrase en phrase, accompagnée par Industrial Silence, une musique de Madrigada inhumée dans de vieilles mémoires.
...
Mon regard oscille entre le canapé sur lequel mes parents sont assis et la tour Eiffel par la fenêtre. 32 ans de séparation et 28 ans de divorce n’empêchent pas Paul de réciter le Bateau ivre à Anne qui l’écoute en souriant.
...
Le privilège d’un concert créé exprès pour nous, sous la chère tapisserie d’Aubusson. Rock et baroque se mêlent, violon et guitare électrique s’entremêlent, les robes noires et les voix nous emportent…
Sentiment de gratitude dans cet hôtel de Massa, bonheur d’y passer encore quatre années grâce à la généreuse confiance de mes confrères et consœurs.
...
Ondine F, toujours aussi belle, aux profonds yeux bleus, à la voix chaude et rocailleuse, dans sa longue robe d’été. Quand l’amitié se mêle à la sophrologie, sous sa guidance experte, dans un petit nid à Ledru-Rollin, le voyage est encore plus intrigant.
...
Discussions professionnelles à bâtons rompus sur le droit d’auteur au café Basile ; puis, peut-être à cause des degrés contenues dans les pintes de bières bues, la futilité et l’amusement nous reprennent en longeant la rue de Grenelle.
...
Il y a plus de vingt ans. Tu en avais 17, j’en avais 16 et tu m’avais passé autour du cou, avec élégance, ton écharpe en laine de cachemire, parce que tu avais remarqué que je frissonnais. Merci Manu d’être encore là, si je ferme les yeux je revois ton appartement d’Helsinki à l’orée de l’hiver, ton appartement de Bruxelles (rue Vonck!) nous protégeant de la pluie, nos dîners d’amitié à Pornichet…
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Dîner sur l’herbe au bord du lac et funambulisme entre deux arbres, par un temps clément, vaguement enivrant, en amoureuses !
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Dans ce petit salon de la Chapelle, joyeux rires, bons mets et bière artisanale locale, avec une politologue désopilante et une militante à Aides qui ne manque pas d’aplomb face à certains élus confus.
...
Un frère, une mère, des soucis plus petits que les sourires, des mots tendres, des projets qui avancent malgré les escarpements. Merci à vous deux d’être là.
...
Esquisser un pas de danse au milieu des arbustes en fleurs dans le jardin de cet hôtel qui ressemble à une ambassade (il servit d’ailleurs d’ambassade il y a deux siècles…) Sourire à ces quelques visages, heureux du travail accompli ensemble ces dernières années.
...
AILLEURS :
On pourra lire une électro-lettre que je reçus un jour, oui, par ici...
On pourra parcourir cette réflexion sur le marquetingue personnel
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