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mercredi, 20 septembre 2017

Délirium très mince II

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Qui a pu nous plonger, tous, dans l’illusion de la séparation ? Le temps !

Nous avons des rides et que nous allons mourir parce que le temps tel un miroir nous renvoie cette image. Mais c’est lui ! C’est lui qui est vieux. C’est lui qui est laid. C’est lui qui meurt à chaque instant, et nous demeurons vifs et puissants. Le temps jaloux s’ingénie à nous faire croire que nous sommes vieillissants à son image. Pauvre temps. Tu ne nous berneras plus longtemps ! Nous ferons tomber ton masque et tu t’enfuiras seul.

Si nous expérimentons le temps, alors lui aussi nous expérimente. Rien ne se passe qui n’est pas réciproque. Nous sommes noyés dans la danse du temps, du mouvement et de l’espace. Les horloges croient emprisonner, posséder, émaner le temps. Pourtant, la nature intime du temps est à trouver au plus profond de l’expérience.

 

On peut lire Delirium très mince I par ici.

samedi, 09 septembre 2017

Extrait du journal de Kevin Motz-Loviet

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Extrait du journal de Baude Fastoul (entrée du 23 septembre 2012) de Kevin Motz-Loviet. La confrérie de Baude Fastoul, créée en 2012, se dévoile par ici.

 

« Je me suis éveillé tôt ce matin, ou plutôt pas trop tard pour quelqu'un qui s'était couché tard, après une soirée arrosée chez Florence Nimorfman et Servan Rassoir, au bout de la rue Godefroy Cavaignac. Éveillé tôt, mais resté deux ou trois heures au lit sans le courage de me lever. Je me sentais mal à cause d'hier soir : ces mondanités me pèsent, la brutalité de Florence, la passivité de Servan, m'ont déprimé. Sensation d'avoir raté ma vie, qui est ma « gueule de bois » à moi, si fréquente les lendemains des dîners en ville.

Aussi ne suis-je pas sorti de la journée, malgré le beau temps et mon amour de l'automne. Je dors en ce moment dans la pièce qui me sert de bureau parce que Judicaël est à Paris et peut rentrer dormir à tout moment, autant lui laisser mon grand lit ; par ailleurs, des travaux sur le toit nécessitent des échafaudages juste devant la fenêtre de ma chambre.

J'ai vu Élisabeth, Sergiane et Judicaël au cours de cette journée, qui m'a apporté quelques satisfactions 

Après le dîner, Élisabeth et moi écoutâmes le Miserere d'Allegri en priant pour Véronique des Echasses, notre voisine et amie, qui meurt doucement d'un cancer, croyons-nous, bien que « doucement » soit le contraire d'un adjectif approprié. Je dis « croyons-nous » parce que la famille ne se rend peut-être pas compte, ou ne le veut pas, de l'état de gravité du mal. Ce moment de méditation partagé avec Élisabeth m'a fait un bien profond. La musique du Miserere est d'une beauté profonde et l'enregistrement que j'ai trouvé est inspiré : parfait techniquement, cependant la technique n'est là que pour servir la musique et la beauté du recueillement.

Ce soir, une grande pluie m'a remplie de vie, j'en ai filmé un peu de cette averse, dans la petite cour avec mon caméscope, et la bougie qui vacillait dans sa « petite maison » sur la table de jardin emplissait la nuit pluvieuse de beauté et de rêve. Mais je bougeais beaucoup je crois en tenant la caméra.

Je me souviens de ma jeunesse. Je me sentais très malheureux alors mais avec des moments d'exaltation, de rêve, d'enthousiasme, et même de colère pure, que je ne connais peut-être plus. La vision des enfants hier soir (la petite Luna et la petite Philippine) et la fierté des couples parentaux ou tout simplement mon mal-être m'ont donné la nostalgie.

J'ai beaucoup soupiré d'un air las, et commencé des débuts de dépression que j'arrêtais net par un effort de volonté, du fait de l'atmosphère d'hier soir...

Pourtant, en rentrant du dîner d'hier en métro avec Ernesto Ökraf, cet homme profond et mystérieux m'a initié à l'astrologie, que j'avais toujours considérée de très loin, sans préjugé ni attirance... Et maintenant je veux ouvrir cette porte ».

 

Sur AlmaSoror, un autre extrait du journal de Kevin M-L.

Et puis encore un autre extrait.

vendredi, 01 septembre 2017

Septembre

Septembre, poème de Georges Chennevière (1884-1927)

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La ville tout doucement crie.

Ô murmures le long des rues.

Une femme lave du linge

Dans une cour qui s'assombrit.

 

C'est déjà la nuit de sept heures,

Celle qu'on avait oubliée,

Qui s'avançaient depuis des mois

Sous les beaux soirs qu'elle rongeait.

 

Mais qu'importe le flux de l'ombre !

Je t'adore, charme rompu.

La fin du jour s'emplit de cris

Qui se gonflent comme des muscles.

 

La ville dans le noir des plaines

Brille de sa lumière à soi,

Et mes yeux gardent le trésor

De toutes les fleurs de l'été.

 

Des visages nouveaux s'allument

Aux devantures des boutiques,

Le moindre regard que l'on croise

Est si doux qu'il serre le cœur.

 

Georges Chennevières

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mercredi, 30 août 2017

Langue de feu, esprit de sécheresse

Il eut fallu que la langue fut notre ramage charmant, notre plumage fier et sauvage, plutôt qu’un outil à saccager la nature et la vie, l’amour et la sexualité, la fraternité et la joie. Elle eut dû nous servir à traverser le temps, plutôt qu’à le compter, à baigner l’espace, plutôt qu’à le quadriller, à parader dans la jungle animale, plutôt qu’à nous en extirper. Nous aurions fait de nos textes des huttes pour l’esprit, de nos jouxtes des feux de joie, nous aurions été alors beaux, et libres, et sauvages, et notre langue aurait été aussi parlante, aussi puissante que le mutisme des autres bêtes. Et le monde serait resté beau, et les hommes acceptant d’être parfois ennemis seraient restés frères. Mais ceux qui ont connu cette langue-panache ont été foudroyés comme des bêtes puisqu’ils leur ressemblaient, puisqu’ils fraternisaient avec elles. Ils disaient vivre dans la tranquillité, n’être qu’une voix parmi les autres voix de la nature. Ils appelaient les poneys, les cerfs, les aigles et les arbres leurs frères. C’est pourquoi les autres hommes tentèrent, et parvinrent à écraser leur langue qui ne possédait pas les deux mots qui séparent l’homme des autres bêtes : humanité et animalité. Ils gisent dans des zoos humains aujourd’hui, aujourd’hui que l’humanisme règne dans les discours du monde entier. Le temps de vivre reviendra-t-il un jour ? Le chef Sokulls Smohalla ne voulait pas que les jeunes de sa tribu travaillent, parce que la sagesse vient des rêves et que les travailleurs ne rêvent plus. Alors pourquoi suis-je née dans un monde où le travail a détruit plus de la moitié de la planète, où les langues qui ne possèdent pas assez de mots destructeurs meurent saison après saison, où les espèces animales et végétales disparaissent, et où l’on qualifie d’assassin quiconque veut donner autant de valeur à son chien qu’à son frère ? Je ne comprends plus ce monde. Heureusement que je sais conduire, et que cette femme est folle, que l’océan n’est pas loin, que les routes sont dangereuses ! Heureusement que j’ai trop bu. Sans quoi il me semble que je traverserais à cet instant même une crise d’angoisse.

 

Sur AlmaSoror :

La langue peut-elle être officielle ?

Ne me quitte pas, ma langue

La langue mise à l'écrit

Dette vitale

Lubitel Tszalaï

Le roman de la conversion

Esprit, qui peut t'enchaîner ?

Saul dans la ville atlante

L'humanisme et les droits de l'homme au regard des langues quechua et tahitienne

Valentine Morning Interview

A la vesprée mathématique

Identité (appartenance)

Occident

Sens et mystique des sens

jeudi, 24 août 2017

Stances d'existence

Dans d'autres siècles, la mort avait sa place au soleil, on la côtoyait souvent d'une manière familière, tandis que le sexe était tabou (caché, atténué, dissimulé, menti). Sexe et mort ont inversé leurs pôles : la mort est exclue (cachée, atténuée, dissimulée, mentie), le sexe a pignon sur rue.

L'humain civilisé est aujourd'hui celui qui pleure, console, aime, palpite en public. Avant-hier, on montrait son humanité par la retenue de ses émotions, réservée à la sphère secrète. La discrétion à propos de la vie privée et des affects n'est de nos jours pas de mise : il faut être vu tel que l'on est affectivement, c'est d'ailleurs devenu une revendication politique, un droit réclamé : être visible ! La forme ultime de pouvoir et d'influence symbolique n'est pas, comme en d'autres temps, dans l'éloignement ; le prestige actuel naît de l'accessibilité. Le visage reconnu, accessible à la connaissance de chacun, est un visage supposé puissant tandis qu'un visage inconnu par le plus grand nombre est relégué à l'inexistence sociale.

Autres temps, autres mœurs. Ce qui ne varie guère, c'est la souffrance sociale engendrée par la compétition. Exister à ses propres yeux, pour ce que l'on est, c'est si difficile...

Je cherche ce visage qui ne ressemble à nul autre, que je n'ai jamais vu et qui parle immédiatement à un endroit inconnu de mon cœur. Je cherche une voix aux intonations inédites. Je cherche un ailleurs si proche qu'il en fait presque peur.

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La jeune fille et la Mort, de Niklaus Manuel Deutsch, 1517

 

 

Sur AlmaSoror :

Nos vaillances sociales

mardi, 22 août 2017

Le piéton sobre

Un jour il y a quelques années, Paul de Cornulier s'amusa à broder sur le thème du Bateau ivre d'Arthur Rimbaud, une sorte de jeu avec les thèmes et les expressions du poème. Cela donna le Piéton sobre :

 

Entre deux bornes, moi je recherche des Guides,
Car je veux me sentir bridé par des haleurs .
Sans eux je suis perdu, incertain et languide,
Et souvent envahi par une horrible peur.

Colmatons avec soin les opaques frontières
En béton surarmé qui m'offrent protection,
M'imposent une vie tranquille et régulière,
Et protègent mon cœur contre les invasions.

Loin de ces nuits sans fond où s'endort et se cache
L'Or d'un brillant futur porté par les oiseaux,
La promesse rêvée d'un beau monde sans tache,
Loin des cieux archipels, et loin de toi, Rimbaud,

Je déambulerai sur la terre, dans l'Ordre,
Mes deux pieds tout blindés de semelles de cuir.
L'inconnu terrifiant ne pourra plus me mordre.
Si l'Aube exaltée vient, je suis prêt à la fuir.

J'écrirai sanglotant sur ces rêves idiots
S'il me demeure encore un brin de nostalgie.
Et je regretterai, hypocrite badaud,
Ma niaise illusion d'ineffables magies.

 

Sur AlmaSoror :

Quelle fortification...

vendredi, 18 août 2017

Vox lactea

Ta voix voilée, lunaire, s'écoule dans mon réseau de veines comme un rayon de lune qui purifie le passé et allume la blancheur des saisons de paix. 

jeudi, 17 août 2017

Messe des morts à quatre voix

J’ai lu Etunwan, de Thierry Murat. Sur le radiateur auprès du lit, elle a posé Les derniers géants, de François Place. Même thème, même beauté du style littéraire et des images. (Je me souviens de l'enfance, la civilisation et le monde sauvage). Les tours aux milliers de pâles lumières scintillent dans la nuit très bleue et la lune est cachée derrière une antenne. Urbs, urbis, et pourtant, j’éprouve des émotions que j’ai connues sous un tapis d’étoiles, à la campagne, la nuit, allongée dans un champ invisible. Comparaison et jalousie s’effacent devant la beauté inouïe, inattendue, de l’instant présent. Je reconnais la musique qu’écoute le mystérieux voisin de l’étage au-dessous, celui qu’on ne croise jamais. C’est la messe des morts à quatre voix de Marc-Antoine Charpentier.

mercredi, 26 juillet 2017

La gambiste d'hier

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Phot Sara

Ton dernier regard fut semblable à la caresse d’un rayon de lune sur le mur du patio où chantait le crapaud. J’étais debout contre la porte et je savais que ce n’était pas à moi que ces yeux s’adressaient, mais à l’ensemble des êtres et des choses que tu quitterais bientôt. Au croassement tout proche, répondit un hululement lointain. Les chauves-souris effrayés par la chouette voletèrent, puis disparurent. Déjà tu ne savais plus si tu étais dans une ville au bord de l’Atlantique ou au pied d’une colline du centre de la France. Déjà tu ne répétais plus que ton nom, ton propre nom, ton nom tout prêt de s’effacer. Tu avais oublié quelle gambiste tu fus, brillante élève puis jeune professeure à l’école de musique baroque d’une cité de l’Est. Tu portais notre enfant, dont je n’espérais plus la naissance. Ce soir là, rien ne s’est brisé. Je t’aime toujours, je n’ai pas trop pleuré. La beauté du partage me nourrit encore et de temps en temps, à ceux qui m’accompagnent, je parle de toi.

lundi, 24 juillet 2017

Et cum spiritu tuo

 

Dominus vobiscum. Je me détache de toute émotion pour que ma miséricorde soit pure. La demande d'une grâce doit-elle suivre un protocole précis ? Il me semble qu'il est encore et toujours midi, malgré que l'ordinateur indique 17h31. Midi, elle n'était pas encore là. Midi, dans le jardin mental du oui et du non. Juillet 2017 : deux châteaux en Haute-Marne. Celui des amis, celui de la comtesse aux yeux bleus. On y appuie sa tête sur le mur d'un théâtre secret, là où peut-être, au siècle des Lumières, Françoise de Graffigny posait son front fatigué. Elle était lasse, la bonne dame, des lubies de ses deux amis. Moi, je ne suis pas lasse des dites et des redites, jouez-moi tous les soirs la même pièce, car je rêve chaque fois un rêve différent. Enfui, le dîner de l'Orangerie, dissipé dans la nuit. Envolés, les convives, y compris nous-mêmes. Le chant orthodoxe à l'intérieur du studio où je ne pleure pas, le brouhaha du camion-poubelle qui nettoie la rue en bas. Qu'est-ce qui tangue comme un objet cassé, à moitié décroché, à l'intérieur de moi ? Mon cœur ? Un chant ? Ni bougies à allumer, ni cheminée où contempler l'âtre. Le monde moderne autour de moi. Pourvu qu'il meure bientôt. Pourvu que la poussière et la ruine recouvrent de leur beauté les éléments souffrants de notre individualité. Tu accomplis ton dernier voyage, à reculons, oubliant chaque jour une strophe du long poème, tâtonnant ton chemin, te laissant promener comme un poulet. Je t'accompagne, assise, patiente, priante, déterminée, aucun chapelet ne tourne dans mes mains. Je prie comme prient les épouvantails : debout tournoyant dans le vent. 

Mais il n'y a pas de vent. 

L'esprit parfois se fait sable. 

L'esprit parfois se fait néant. 

N'oublions pas ce que nous lûmes, ici-même, il y a presque dix ans

vendredi, 21 juillet 2017

Cathédrale de plastique et de béton

Le centre commercial : cathédrale des temps modernes dédiée au dieu Mammon, qui exauce toutes les prières de ceux dont la carte bancaire a accès à de grandes ressources et laisse les autres dans des torsions de désirs et de regrets. Titanesque centre où s'enfilent des boutiques proposant toutes des prix très bas pour des produits mirifiques. Immense arnaque qui noie nos cœurs, nos âmes, nos vies.

Nous le parcourions fascinées, ce lieu quotidien de tant de Français de tous âges et de toutes conditions et que nous ne fréquentons jamais, en bonnes bohèmes de Paris.

Parkings de plusieurs centaines de places sous des colonnes de nuages, panneaux indicateurs de circulation, panneaux publicitaires, services de lavage de voiture et de pompes à essence, cafétérias et autres « fast-foods » où se pressent des familles modestes, qui consomment entre deux achats. Amour pour les gens, leur splendeur cachée. Haine pour les patrons de la « grande distrib » et pour tous ceux qui créent ce monde dont je ne veux pas. Et pourtant, en parcourant ces labyrinthes : fascination ! Fascination pour l'abondance, pour le clinquant si kitsch, pour l'inhumanité totale de Mammon et de ses séductions de plastique entre des murs de béton.

lundi, 17 juillet 2017

Tristesse balnéaire, béton désarmé, stations essence, séniors en culottes courtes

Je parcours ces longues allées de béton. Ni rues, ni routes. Entre les deux. Elles portent les noms d'obscurs anciens responsables politiques qui n'ont rien apporté au monde mais à qui la ville servile, la nation obséquieuse, rend hommage.

Je croise des personnes âgées de soixante ans et plus, marchant deux par deux, la plupart vêtus de shorts. L'expression « en culotte courte », jusque dans les années 1980, désignait les enfants, seuls à porter ces courtes tenues. Point d'enfant ici, ou si peu. Les familles emplies d'enfants ne connaissent pas les moyens financiers de vivre dans une ville qui borde l'Atlantique ! La ville appartient aux retraités, qui se promènent en culottes courtes, exhibant leurs jambes vieilles et bronzées. Ils marchent par deux mais une étude approfondie de la société de cette petite ville me permet de dire que la plupart ne sont pas de vieux couples, mariés depuis leur jeunesse. Ces couples qui peuplent notre ville se sont rencontrés il y a deux ou trois ans, dix ans tout au plus, sur des sites internet de rencontres amoureuses. Chacun des partenaires a connu auparavant au moins un premier mariage, eu des enfants devenus grands aujourd'hui.

Je marche le long des voitures incessantes, je marche le long des maisons laides. L'urbanisme de ce coin de Vendée ne suit aucune ligne esthétique, aucun point de vue solidaire, aucune cohérence historique : l'amas informe de maisons individuelles ou de résidences collectives se prolonge durant des kilomètres. Les points névralgiques de ces entrelacs de béton sans queue ni tête sont les stations essence et les centres commerciaux. Il y a un bourg animé au cœur de la ville, qui fut un port de pêche sémillant, antan. On s'y retrouve pour flâner l'après-midi, on dépense de l'argent dans des restaurants qui refusent les handicapés mentaux, et puis on rentre chez soi regarder la télévision. En short. À soixante-cinq ou soixante-dix ans. Avec son conjoint récent.

 

Saillies urbanistiques d'AlmaSoror :

La première porte de garage

Couple

La ville qui vient

Les stations service

Les multinationales de la Mort

Errants des mégapoles d'Europe

Le règne de la pluie

Une cabane au fond de la forêt

Entasser un maximum d'êtres humains

L'absence de valeurs chrétiennes

Nos papas les états-uniens

L'ennui : un très vieil armagnac

Ne rien faire, sans se culpabiliser, sans chercher à trouver ce qu'on pourrait faire, mais ne rien faire du tout, pas la moindre occupation. Attendre sans attendre quelque chose - sans rien attendre. Goûter l'ennui comme si c'était un très vieil armagnac. Goûter le temps, sans se mesurer à lui. Le laisser nous rapetisser, le laisser avaler un gros moment de notre vie. Ne pas résister, s'abandonner au rien avec un délice grandissant.

 

L'Armagnac sur AlmaSoror :

Nostalgie à l'Armagnac

Quatre livres près de la bouteille d'Armagnac

L'individu immobile rattrapé par les temps qui courent

La diète

Stabat Memoria

Visite nocturne

 

L'ennui sur AlmaSoror :

Le temps, l'ennui, la mort

Et moi j'écoutais, crevant d'ennui

La lente heure du thé

La paix du jour

Peine de cœur

Sonnet sans titre

Les veillées des chaumières

Devinette

Chambres, salons

Entre deux sentiments

Le bel ange du mal

9 janvier 2008, un hôtel aux Pays-Bas

Tentative de web-désintoxication

Le dimanche, l'hiver et la mort

Mur

Hommage à Miles Y

Le poème ou l'image qui viendra

Deux lettres de dépit

Courir le monde

Le règne de la pluie

Groove d'écriture et de blog

Adieu ma concubine

Musiques d'un exil provincial

Quatre entrées en matière, quatre issues de secours

La tourelle du hibou

La vie misérable des coches en élevage intensif

Au confessionnal du coeur

dimanche, 16 juillet 2017

Rêverie médiévale

Je partage trois extraits d'un petit livre de Joan Evans, La civilisation en France au Moyen Âge, traduit de l'anglais par Mademoiselle E. Droz, et publié chez Payot en l'an de grâce 1930.

« L'esprit de Dominique et de François se faisait sentir d'une façon aussi naturelle que l'esprit de Cluny s'était reflété dans les premières croisades. Un changement complet d'attitude envers l'Orient fut rendu possible par le fait que les hordes mongoles comprenaient des gens de toutes les religions d'Orient, et même des chrétiens nestoriens. Innocent IV envoya des messagers franciscains et dominicains au Grand Kahn, et il y eut une entrevue à Karakoroum en présence de Yaroslav, grand-duc de Russie, des vassaux de Géorgie et du Caucase, du sultan Seljoucide d'Asie Mineure, de généraux mongols, de savants chinois et de lamas du Thibet.

En 1253, saint Louis envoya Rubruquis au Kahn de Tartarie, où il trouva non seulement un orfèvre parisien, mais aussi un moine nestorien qui parlait de partir en pèlerinage à Saint-Jacques-de-Galice. Les pionniers furent des moines mendiants de ce genre, mais celui qui donna une force réelle au mouvement était un homme venu du « Camino francès » qui mène à Compostelle : Raymond Lull, fils d'un seigneur catalan qui avait participé à la conquête de Majorque sur les Musulmans. Après une jeunesse orageuse, il laissa ses biens à sa femme et se rendit au sanctuaire de Saint-Jacques où il acheta un esclave qui lui apprit l'arabe. Il persuada ensuite le roi de Majorque de fonder à Miramar un monastère où treize frères mineurs apprendraient cette langue. EN 1285, il commença ses voyages : à Rome, à Paris, en Tartarie, en Arménie, en Éthiopie, en Afrique et à Tunis, discutant partout avec les musulmans dans leur propre langue, jusqu'au jour où finalement il fut martyrisé dans le nord de l'Afrique.

C'est grâce à lui que le concile de Vienne, en 1311, décida de fonder dix écoles de langues orientales en Europe ».

 

(…)

 

« Saladin envoya, en 1192, à Henri de Champagne une tunique et un turban arabe, et Henri écrivait dans sa réponse : « Vous savez que vos robes et vos turbans sont loin d'être méprisés ici. Je porterai sûrement vos présents ».

(...)

« On émettait toutes sortes d'idées : en 1303, un juge ecclésiastique d'Aquitaine suggérait qu'un certain nombre de jeunes filles apprissent la médecine et la chirurgie, la grammaire, la logique et les éléments des mathématiques, afin de faire de bonnes épouses pour les princes de l'Orient ».

Joan Evans, IN La civilisation français au Moyen Âge

 

AlmaSoror avait déjà cité ce livre par deux fois : Une éducation en l'an mille quelque chose et Guibert de Nogent et la dépravation des femmes modernes

Quant à Raymond Lull, il était déjà apparu dans AlmaSoror, par l'amour, la prière et les larmes.

Enfin, Sara nous avait offert un petit bouquet de voyages féodaux.

 

dimanche, 09 juillet 2017

Camp 1940

C'est un grand-père vendéen, se promenant au bord d'un étang d'algues et de boue, dans les allées que foulaient ses pères, ses tantes au siècle précédent, c'est un grand-père enclin aux fidélités inutiles, qui lisait ces Hosties noires et qui comprenait ce chant. Le chant des guerres perdues, des traditions compromises, des espérances fauchées, des passés enterrés.

Un chant de ruines et sur cette ruine je bâtirai mon château de poussière.

Peut-être.

Je recopie ce poème de Senghor, Camp 1940, tel qu'il est écrit dans l'édition originale de 1948, que je tiens de ce grand-père. Mots et ponctuation, tels qu'en ces pages déjà soixantenaires. Mais les commentateurs et les autres versions internet disent hargne au lieu de hargnerie, et pour les Rivières du Sud dans le dernier vers de la dernière strophe.

Camp 1940

À Abdoulaye Ly

Saccagé le jardin des fiançailles en un soir soudain de tornade,
Fauchés les lilas blancs, fané le parfum des muguets,
Parties les fiancées pour les Isles de brise et pour les Rivières du Sud.
Et un cri de désastre a traversé de part en part le pays frais des vins et des chansons
Comme un glaive de foudre dans son cœur, du Levant au Ponant.

C'est un vaste village de boue et de branchages, un village crucifié par deux fosses de pestilences,
Et haines et faims y fermentent dans la torpeur d'un été mortel.
C'est un grand village qu'encercle l'immobile hargnerie des barbelés,
Un grand village sous la tyrannie de quatre mitrailleuses ombrageuses.
Et les nobles guerriers mendient des bouts de cigarette,
Ils disputent les os aux chiens, ils se disputent chiens et chats de songe.
Mais seuls Ils ont gardé la candeur de leur rire et seuls la liberté de leur âme de feu.
Et le soir tombe, sanglot de sang qui libère la nuit.
Ils veillent les grands enfants roses, leurs grands enfants blonds, leurs grands enfants blancs
Qui se tournent et se retournent dans leur sommeil hanté des puces du souci et des poux de captivité.
Les contes des veillées noires les bercent, et les voix graves qui épousent les sentiers du silence,
Et les berceuses doucement, berceuses sans tam-tam et sans battements de mains noires
- Ce sera pour demain, à l'heure de la sieste, le mirage des épopées
Et la chevauchée du soleil sur les savanes blanches aux sables sans limites.
Et le vent est guitare dans les arbres, les barbelés sont plus mélodieux que des cordes de harpes,
Et les toits se penchent, écoutent, les étoiles sourient de leurs yeux sans sommeil
- Là-haut, là-haut, leur visage est bleu-noir.
L'air se fait tendre au village de boue et de branchages,
Et la terre se fait humaine comme les sentinelles, les chemins les invitent à la liberté.
Ils ne partiront pas. Ils ne déserteront les corvées ni leur devoir de joie.
Qui fera les travaux de honte si ce n'est ceux qui sont nés nobles?
Qui donc dansera le dimanche aux sons du tam-tam des gamelles?
Et ne sont-ils pas libres de la liberté du destin?

Saccagé le jardin des fiançailles en un soir soudain de tornade,
Fauchés les lilas blancs, fané le parfum des muguets,
Parties les fiancées pour les Isles de brise et par les Rivières du Sud.

Front-Stalag 230.

Léopold Sédar Senghor in Hosties noires, 1948