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mercredi, 05 octobre 2016

Ancienne prière, prière vive

En ces temps où le Dieu des chrétiens a été enterré vivant sous des strates d'athéisme, on n'a pas toujours le cran de bigoter en se signant face à une église vide ou en récitant le Notre-Père avant d'entamer en compagnie un repas sans gluten dans un restaurant cher du onzième arrondissement de Paris.

Une tactique judicieuse consiste à le réciter en langage crypté. Les connaisseurs pardonnent, les béotiens se convertissent illico.

Voici par exemple :

 

Notre daron qui crèches au ciel,

que ton blase soit sanctifié,

que ton règne aboule,

que ton zirdé soit fait sur la basse comme aux Champs-Elysées.

Abèque aujourd'hui notre artie quotidien,

Scuse nos offenses, comme nous remettons l'ardoise à ceusses qui nous ont traités,

Ne nous asticote pas avec la tentation,

Et démaque nous du Mal.

 

mercredi, 28 septembre 2016

Quatre gros livres près de la bouteille d'Armagnac

J'ai acheté il y a quelques années, dans une brocante des Sables d'Olonne, les quatre tomes des Mémoires du Chancelier Prince de Bülow, diplomate allemand, traduits par Henri Bloch. Ces mémoires s'écoulent de 1849 à 1819. Dans le second tome, le Prince y décrit un rassemblement patriotique organisé par les pouvoirs publics français au début de la guerre de 1914-18. Des ecclésiastiques de plusieurs confessions chrétiennes, de confession musulmane et de confession juive mènent en quelque sorte le bal. Décrivant cela, le prince regrette ensuite que les Allemands ne soient pas capables d'union entre catholiques et protestants même lors des combats au front.

Voici la description de la scène française :

« Pendant la Grande Guerre, on organisa à Paris une grande fête au Trocadéro. L'archevêque de Paris, un pasteur de l’Église réformée, un autre, luthérien, un rabbin et un iman prononcèrent des allocutions. Le public applaudit ces discours patriotiques ; tous les cinq vinrent devant la rampe ; l'archevêque au milieu tenait dans sa main droite celle du luthérien, dans sa gauche celle du calviniste, ce dernier avait pris le rabbin par la main et le luthérien, le musulman. Le public se leva et entonna la Marseillaise, ce chant de la guerre de la Révolution. Les ecclésiastiques sur l'estrade mêlèrent leurs voix à l'hymne ».

 

Cela n'a pas beaucoup de rapport, encore qu'il s'agisse des mêmes Mémoires, que cela rappelle la guerre... Un passage du premier tome m'avait déchiré le cœur. Car il faut le lire en sachant que le prince ignorait tout de ce qui se passerait des décennies plus tard... Un poème y est cité, l'air de rien, alors que le prince relate un déplacement de Guillaume II à Nuremberg.

 

« De Würzbourg on partit le 2 septembre 1897, jour de Sedan, pour Nuremberg.

Si quelqu'un doit connaître l'Allemagne,
Si quelqu'un doit aimer l'Allemagne,
On lui nommera Nuremberg, ville remplie des nobles arts.

Guillaume II avait un plaisir particulier à séjourner dans cette superbe ville ».

Je cherche l'auteur de ce poème, que j'aimerais connaître en entier. Une amie qui avait visité Nuremberg il y a quelques années me disait que les constructions du troisième Reich, gigantesques et magnifiques, y étaient à l'aube de la ruine, lieux maudits de cette ville désormais maudite, et que des fous romantiques les hantaient de leurs regards brûlants de rage.

 

Descendre l'escalier du passé jusqu'aux caves de nos mémoires perdues, par la lecture de textes d'époques, secondaires, oubliés, c'est s'autoriser à retrouver le fil d'une histoire interrompue par l'orage et la sidération intellectuelle qui l'a suivi.

lundi, 26 septembre 2016

L'hôtel de Massa, siège de la Société des Gens de Lettres

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Photo Sara

 

Puisque cette année, je suis responsable du patrimoine de l'hôtel de Massa et de la Société des Gens de Lettres, j'ai participé à l'accueil du public lors des Journées du Patrimoine, le 17 septembre. Je relate ici l'histoire de notre Société et de l'hôtel de Massa, à ma manière, bien que le contenu soit strictement inspiré par le fascicule bien plus complet, rédigé par Jean Claude Bologne, mon prédécesseur, et Cristina Campodonico, la prêtresse de l'action culturelle massaïote, pour aider les conférenciers improvisés.

 

L'hôtel de Massa, des Champs Élysées au Faubourg Saint-Jacques

L'hôtel de Massa porte le nom de ses derniers propriétaires, qui habitaient l'hôtel dans la première partie du XXème siècle : les ducs de Massa. Ce titre de duc de Massa a été créé par Napoléon pour remercier un compagnon de route, Claude-Ambroise Régnier, qui a participé au coup d’État du 18 brumaire. Ce premier duc de Massa est d'ailleurs enterré au Panthéon. Aujourd'hui, ce titre ducal a disparu.

L'hôtel de Massa fait partie de ces nombreuses « folies » qui ont poussé à la fin du XVIIIème et au début du XIXème siècle. Folie signifie « feuillée », endroit de verdure, mais se prend également au sens propre, puisque ces petits châteaux élégants entourés de jardins ravissants causaient des dépenses effrénées à seule fin d'abriter des plaisirs tantôt mondains... tantôt clandestins.

 

C'est l'architecte Le Boursier qui a bâti celle folie-ci, pour le compte de Thiroux de Montsauge, seigneur de la Bretêche Saint-Nom de Champillot, de sa profession administrateur des Postes. Et figurez-vous que cet hôtel, construit par Le Boursier entre les années 1778 et 1784, a été édifié, tel que vous le voyez aujourd'hui... sur les Champs-Élysées ! Précisément au croisement de la route du Roule et de ce qui s'appelait alors le chemin des Champs-Elysées. À l'emplacement exact où, aujourd'hui, se croisent la rue de La Boétie et l'avenue des Champs Elysées. Ce qui aujourd’hui s'appelle l'avenue des Champs-Elysées était alors la campagne. Notre hôtel fut l'un des premiers édifiés, suivis par six autres en 1790.

On dit d'ailleurs que l'administrateur des postes n'y résidait guère, et qu'il était plutôt habité par une demoiselle Contat, actrice de la Comédie Française et maîtresse du frère de Louis XVI, qui deviendra, sous la Restauration, le très rigide Charles X.

Pendant la Révolution, l'hôtel est laissé à l'abandon, puis déclaré bien national. Napoléon en fait la résidence du comte Marescalchi, ambassadeur d'Italie à Paris, mais souvenons-nous que Bonaparte était président du gouvernement italien ! Sous l’empire, l'hôtel connaît une ère de fêtes brillantes qui rassemble le tout-Paris riche et célèbre.

Les propriétaires se succédent ; l'hôtel a abrité plusieurs ambassades. L'ambassade d'Italie, entre 1804-1814 ; l'ambassade d'Autriche, entre 1814-1826 ; l'ambassade de Belgique, entre 1842-1848.

Alors qu'il est devenu la propriété des ducs de Massa, éclate la guerre franco-allemande de 1870. La France vaincue a perdu l'Alsace et la Lorraine et l'hôtel voit défiler l'armée allemande à ses fenêtres, sur l'avenue des Champs-Élysées. La légende dit alors que le duc de Massa a fermé les volets de l'hôtel, jurant de ne pas les rouvrir avant qu'ait sonné la revanche.

De fait, l'hôtel est très peu habité. Il ne sert qu'à recevoir de brillantes fêtes, deux ou trois fois l'an. À la date symbolique du 14 juillet 1919, au lendemain de la première guerre mondiale, l'Alsace et la Lorraine sont revenues à la France ; le cousin du duc qui avait fermé les volets les rouvre.

 

Paris s'est agrandi. Le chemin des Champs Élysées n'est plus une voie champêtre à l'extérieur de Paris, mais une avenue commerçante à l'intérieur de la capitale. Une avenue commerçante qui attire les investisseurs. Deux d'entre eux rêvent d'ouvrir, sur cette avenue, un grand complexe commercial à l'image de ceux qui fleurissent déjà aux États-Unis d'Amérique. Ces deux investisseurs s'appellent Théophile Bader et André Levi. Le premier est président des Galeries Lafayette ; le second, promoteur immobilier. Ils souhaitent racheter l'hôtel, le détruire pour édifier leur immense complexe. Mais la Commission du Vieux Paris s'insurge et l'hôtel est classé Monument Historique en 1926.

On ne peut plus le détruire ; mais les investisseurs ne veulent pas renoncer à leur projet. Ils sont justement très amis avec le ministre de l'éducation nationale ( et futur président du Conseil des ministres) Édouard Herriot. Celui-ci, membre de la Société des Gens de Lettres, propose que l'hôtel soit dévolu à la société d'auteurs, à l'étroit dans un appartement de la Chaussée d'Antin. Il suffirait de le démolir pierre par pierre et de le reconstruire à l'identique ailleurs...

Formidable idée, qui plaît beaucoup aux auteurs qui justement cherchent une maison pour abriter leurs travaux... Las ! Les auteurs ne sont pas riches, l'achat de l'hôtel, son déplacement, sa reconstruction sont au-dessus des moyens de notre Société. Qu'à cela ne tienne ! Nos investisseurs, eux, sont riches, ils aiment les arts et les lettres, et voudraient bien que leur affaire des Champs Élysées avance. Ils offrent donc la démolition et la reconstruction de l'hôtel. L’État ne peut rester insensible à cet élan de générosité ; à son tour, il met à disposition un bout du très grand jardin de l'Observatoire de Paris.

L’État offre en outre les transformations intérieures de l'hôtel, nécessaire à sa destination future. Désormais Massa ne sera plus un lieu de bals masqués et d'amours clandestines, mais la maison où les auteurs administrent leurs droits et la solidarité qui les lie. En échange de cette aide à l'aménagement intérieur, l’État demande à ce que l'hôtel lui appartienne : la Société des Gens de Lettres bénéficie d'un bail emphytéotique, c'est à dire de 99 ans, en échange d'un franc symbolique que nous payâmes en 1927. Notre bail arrivera à terme en 2026 et nous espérons qu'il sera renouvelé !

Le chantier a duré plus d'un an et ce déplacement a largement occupé la presse parisienne et nationale durant toute cette période.

Les Galeries Lafayette nous avaient donc offert le transport, par six camions de cinq tonnes, des pierres numérotées soigneusement. 65 ouvriers et 4 chefs pour la démolition, 43 ouvriers et 5 chefs pour la reconstruction.

Nous étions donc presque installés dans notre nouvel hôtel, dont la première pierre fut inaugurée le 16 juillet 1927, lors d'une cérémonie officielle, en présence d'une foule d'invités. Comment remercier les Galeries ? En se fournissant en meubles chez eux, bien sûr. Et c'est l'écrivain Pierre Benoît, dont on trouve encore les romans en librairie (L'Atlantide, Mademoiselle de La Ferté, Konigsmark), qui a choisi un ensemble de 110 pièces Art Déco, aujourd'hui répertoriées aux Monuments Historiques.


La Société des Gens de Lettres

Quel long combat pour que les écrivains touchent le fruit de leur travail ! Un combat qui, comme celui de tous les travailleurs, n'est jamais gagné. Longtemps, ce furent les libraires, qui étaient aussi éditeurs, qui empochèrent de l'argent sur les ventes des ouvrages, tandis que les écrivains ne recevaient qu'un forfait au moment de la vente de leur texte au libraire.

En 1764, les libraires lancèrent l'idée de la propriété intellectuelle, mais... en s'arrogeant la propriété intellectuelle d’œuvres qu'il n'avaient pas écrites, mais qu'ils imprimaient et diffusaient ! Ainsi, ceux qui eurent l'idée de propriété intellectuelle pour les œuvres, n'en étaient que les commerçants.

Or, le 30 décembre 1791, dans la tourmente révolutionnaire, l'idée de propriété intellectuelle réapparaît, mais au profit des auteurs des œuvres. L'auteur de théâtre Beaumarchais renchérit et réclame la création d'une Société qui récolterait les droits touchés par les entrées de théâtre et les redistribuerait aux auteurs. Cette Société, La Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques, verra le jour en 1829 et reste aujourd'hui la plus ancienne société de perception de droits d'auteur.

Au mois de juillet 1793, la Convention proclame réellement le droit d'auteur ainsi : « la propriété littéraire appartient aux auteurs d'écrits en tout genre ». C'est le début de la liberté pour les auteurs, qui vont commencer à vivre de leur œuvre sans devoir se mettre sous la protection d'un mécène.

Mais que de temps pour que la réalité suive le droit !

Les romanciers, au XIXème siècle, touchaient leurs droits d'auteur sur les feuilletons publiés dans les journaux parisiens, mais tous les journaux de province reproduisaient ces feuilletons sans s'acquitter d'aucun droit, pour la joie des lecteurs et la misère des auteurs. C'est pour remédier à cette situation que Balzac, auteur feuilletonniste, a l'idée d'une société de perception et de redistribution des droits pour les journaux de province. Son ami Desnoyers concrétise cette idée deux ans plus tard, en 1838.

1838. C'est notre date de naissance. Dans l'appartement de Desnoyers, rue de la Michodière, des auteurs approuvent l'idée de créer cette société. Le 16 avril 1838, 95 hommes de lettres répondent à l'appel et participent à la première assemblée générale de la Société. Un comité directeur est élu, pour diriger la société dont la mission est claire : la défense des intérêts moraux et matériels de ses membres, le secours aux écrivains nécessiteux. Parmi les membres fondateurs, Balzac, mais aussi Hugo, Sand, Arago, Lammenais... (Il faut rappeler que si une seule phrase de Victor Hugo est sans cesse citée, sortie de son contexte, par les opposants au droit d'auteur et les militants de la gratuité numérique, l'écrivain-titan fut un fervent combattant en faveur de la propriété intellectuelle). Plus de cent-cinquante ans plus tard, le comité directeur de la SGDL continue de se réunir chaque mois. Les buts de la Société sont restés les mêmes. Nous défendons les intérêts moraux et matériels des auteurs auprès des pouvoirs publics, et nous venons en aide, via notre Commission des Affaires Sociales, aux auteurs nécessiteux.

Depuis 1983, toutefois, nous ne sommes plus une Société de perception et de répartition. Les éditeurs payent directement les auteurs et la SGDL se concentre sur ses missions juridiques, culturelles et sociales.

 

Pour connaître en profondeur notre histoire et celle de Massa, on peut lire la très jolie Histoire de l'hôtel de Massa illustrée de Jean Claude Bologne. Elle est en vente à l'accueil de Massa, ou par téléphone.

Le site de la SGDL

 

 

dimanche, 25 septembre 2016

Suspension II

 

La vie ne s'écoule pas exactement comme on l'aurait voulu ni comme on veut bien le raconter. Pourtant, il y a des bières face à la mer et des moments d'intense rencontre. Mais l'âme a soif et « les désirs réalisés augmentent la soif comme le sel ». Les rêves remisés au tiroir assèchent la joie. Les disputes intérieures courent dans notre esprit, mettant un mur d'insensibilité entre notre corps et le monde. Nous nous protégeons des autres agressivement avant qu'ils ne nous agressent, ou bien nous nous ouvrons à eux béatement, alors, ils nous agressent. Jalousie, comparaison, espérance, déception, surnagent dans la mare. C'est dans la boue du fond que dorment l'amour, l'échange, la gratitude et la tranquillité. Mais voici que l'après-midi qui commence est très calme. C'est l'occasion de rester sage, assis sur la balançoire enivrante du moment présent. Le soleil persiste, mais si la pluie venait lui succéder, il faudrait aimer la pluie. Une douce chaleur se diffuse, mais si le froid tombait, il faudrait désirer le froid. Parce que la vie et la mort sont si proches, je les apprivoise toutes les deux, loin des soucis courants, ou bien au creux de leur flux incessant.

 

jeudi, 01 septembre 2016

Orage calme

L'odeur de la pipe ! Cet appartement ressemble à une névrose.

Beauté de l'emplacement, des fenêtres, des tomettes ; la folie dort dans les placards surchargés d'une bouffe que personne ne mange, elle plane et stagne dans les senteurs du tabac froid de la pipe, enfin elle s'étiole quelque peu quand on ouvre les fenêtres, que le vent pénètre les mètres cubes et dissipe la névrose par des mouvements légers d'air, comme une délivrance qui oserait naitre en ce nid haut perché.

Surgit la musique de Smokey Robinson, A Quiet Storm.

Puis tout se tait.

La nuit s'écoule à la vitesse d'un escargot qui traverse un grand champ. Pour cadrer le temps : "Je ne regrette rien de ma jeunesse", d'Akira Kurosawa. Le film défile, suivi par deux yeux éberlués de fatigue et d'admiration.

Certitude, confiance. Une robe suspendue à un cintre, près de la fenêtre, danse dans l'obscurité. Calculer, ne plus subir. Ouvrir un livre de Jacques Benoist-Méchin : "Rien n'est plus accablant, pour une âme qui se sent appelée à un grand destin, que ces moments où tout s'enlise dans un marécage bourbeux, où aucune pente ne se dessine, où la vie elle-même cherche en vain sa direction".

Du calme, mon âme. Ce n'est que la nuit qui passe, la nuit qui rit, la nuit en impulsion.

 

mardi, 23 août 2016

Cantique de ce soir

 

Ce soir, je n'ai ni l'humeur à rire, ni l'humeur à pleurer. Hier, pas d'église. Juste un cimetière, l'ombre tutélaire de Joachim du Bellay sur les cèdres angevins. Une amie dont les larmes coulent, des messieurs possédant des maisons en Bretagne qui posent des questions fatigantes. Des questions qui rappellent que l'on n'a pas suivi la voie droite. Et le train, ses pannes, sa lenteur. Et le retour au bercail maritime.

Ce soir, une balade au bout du lac crépusculaire. Un cantique murmuré face aux deux étendues d'eaux, dans les lumières de la nuit. « Savoir reconnaître Ton pas ».

Savoir que l'athéisme est un horizon inaccessible à mon cœur. Je marche vers lui, mais sur cette route, n'est-ce pas Toi qui me guide ?

Quand par la purification, j'aurai nettoyé toutes les scories de mon cœur, alors, peut-être que je resterai assise, le soir, sur le pas d'une porte, à sourire aux gens qui passent, comme un soleil parmi d'autres. « Devenir Veilleur ».

À chacun son quart de veille. Un jour, ce sera mon tour. Je serai prête.

 

 

dimanche, 21 août 2016

La croix de Belledonne

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Phot.

 

METTRE L'AMOUR AU SOMMET

lundi, 15 août 2016

Suspension

 

Un petite table demi-lune en bois brun, un sac à main bleu turquoise, un ordinateur portable ouvert à mes pensées profondes, dans un studio du douzième arrondissement de Paris ; mais c'est à la montagne que je pense, au chalet que je voudrais retrouver. À la musique de Terje Rypdal en boucle, au souvenir de ma chienne bien-aimée, partie depuis longtemps de l'autre côté du monde, par un weekend triste de novembre. Aux repas du crépuscule à contempler les nuages d'en haut, au désir de ne plus jamais redescendre, à ces bières grand cru qui accompagnaient les fromages du cru.

Mais c'est d'un studio du douzième arrondissement que j'écris. Comme si nos rêves trop frêles ressentaient trop de crainte de se réaliser. Ne veulent-il jamais devenir réalité ? Je me demande ce que pensent les rêves alors que la même musique de Terje Rypdal masque les bruits de la rue – le camion-poubelle de couleur verte, les livreurs énervés par la circulation, une nounou qui hurle au téléphone dans une langue d'ailleurs en poussant un enfant blond au regard perdu...

Entre ciel bleu et terre parisienne, ou plutôt, entre ozone pollué et béton armé, j'ose croire que mon état n'est que passager. Qu'un jour du futur, à nouveau de grands chiens qui marchent auprès de moi, à nouveau les sommets enneigés au grand soleil d'hiver, à nouveau une bière à l'apéritif dans mon chandail chaud, en sachant que le ciel de la nuit sera chargé d'étoiles constellées.

 

jeudi, 11 août 2016

Luctisonus

 

Lugubre est ton concert a capella, chouette effraie. C'est celui que je veux entendre les mille derniers jours de ma vie, avant de rendre l'âme au vent, le corps au limon, ma voix au silence.

C'est ton hululement à l'orée des ifs obscurs que je veux pour dernières agapes sonores, et qu'à la fin de l'été, les grenouilles de l'étang le perturbent de leurs coassements, et qu'au seuil de septembre, le crapaud te réponde au bord du puits.

Il y aura des vignes descendant vers le ruisseau, une cabane à outil que la fouine investit, des enfants qui s'aventurent jusqu'aux portes de la chambre, attentifs et inquiets.

Je n'écrirai plus de poèmes, à l'étage l'ordinateur couvert de poussière aura cessé de bruire depuis longtemps. Je ne prendrai plus le train pour les dîners, les musées, les appels de la ville, retirée dans mon désert de boue, de flaques et de mousse, enveloppée dans un manteau de dépouillement.

Il y aura mon rire dans les regards des chiens, leurs gambades qui font fuir les chevreuils majestueux. Par les claires soirées de lune, un vol de canards au-dessus de la vallée.

Il y aura sa main à côté de la mienne, vieillies nos mains tremblantes et la bouteille de vieux vin sur la cheminée, qui attend patiemment le douzième jour d'avril pour s'ouvrir et livrer sa saveur trop longtemps enfermée.

Il y aura le souvenirs des mères, et des pères, imparfaits, qu'on craignait, qu'on aimait. Leur ombre tutélaires sur nos démarches, leurs sentences dans nos vieilles mémoires, leurs regards de lumière et d'ombre passés un peu au fond de nos yeux.

Il y aura, comme un goût de jeunesse enfuie, le souvenir des conflits, des réconciliations.

Entre le passage d'un chiffon sur une armoire et l'heure qui tourne à l'horloge paysanne, nos dons pour ceux qui nous survivent et se battent sur les routes du monde, nos prières, nos transmissions.

Je n'ai pas peur du noir qui te prendra, qui me prendra, un soir ou l'autre, à l'aube de l'hiver ou dans la saison chaude. Je n'ai pas peur du dernier regard, je n'ai pas peur du dernier souffle.

Il y aura ton cri luctisonus, chouette effraie, un sourire qui dit au revoir, une paix secrète qui descend l'escalier, le seuil de la mort.

Il y aura la naissance, qui clôt toute vie.

 

 

lundi, 08 août 2016

Donzac (Gironde)

 

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Zénith

Le silence et la vigne règnent sur les vallons dorés.

Une buse plane au-dessus de la parcelle de Brissette.

Un feu se distingue sur les hauteurs de Crâne.

Liane, en attendant ton raisin, tu t'enroules autour du fil,

Entortillement répété sur chaque pied -

Sarments chauds, serments-prisons.

Une camionnette traverse le champ labouré ;

Depuis deux siècles, le petit pâtre et son pipeau n'existent plus.



Nadir

Dans la nuit sur la vigne bourdonnent les grillons.

Les souriceaux pleurent leur mère dévorée par l'oiseau de proie.

La cendre au lieu-dit Crâne refroidit sous la Petite Ourse.

Liane, tu respires, tu bruisses dans le vent,

Enroulée aux fils du vigneron -

Feuilles fragiles, sarments éphémères.

Le tracteur dort dans la grange ;

Le descendant du petit pâtre envoie un mail à New York depuis son ordinateur.

 

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samedi, 06 août 2016

Les grillons

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Le chant des grillons monte peu à peu. Un jour il finira par tout recouvrir : les voix des gens et les cris des tourterelles, la maison et les prés, le bois de Saint-Charlot. Je mourrai emportée par le chant des grillons, mon corps sans vie deviendra bourdonnement, il n'y aura plus que le ciel, la terre et des milliards de grillons ici-bas.

Le craquèlement des sarments

C'était dans la souffrance d'une matinée de soleil. Les vignes immobiles recueillaient la lumière dans leurs feuilles ouvertes. Un sarment quelquefois craquelait dans la chaleur. Le ciel bleu et blanc s'étirait de vallon en vallon, caressant les parcelles inéquitablement. Le silence régnait sur ces terres. Même les oiseaux se taisaient.

Je fermai les yeux pour convoquer la mémoire de la ville, de ses bourdonnements, de ses cris, de son agitation perpétuelle. Je n'y parvins pas. Comme ses habitants, même ceux dont j'avais été le plus proche, la ville s'était presque effacée de mes souvenirs. Je n'avais plus de biographie. Mon corps seul vivait, au milieu de ce monde lent de la campagne profonde, en désaccord avec lui-même comme avec le paysage.

Combien d'années me restait-il encore à exister ? Cette question se mêlait aux senteurs des deux tilleuls qui bruissaient à midi devant la maison.

 

mercredi, 03 août 2016

Fragment d'un rivage

« À cette heure là, Maremma est comme morte ; ce n'est pas une ville qui dort, c'est une ville dont le cœur a cessé de battre, une ville saccagée. Si on regarde par la baie, la lagune est comme une croûte de sel, et on croit voir une mer de la lune. On dirait que la planète s'est refroidie pendant qu'on dormait, qu'on s'est levé au cœur d'une nuit au-delà des âges. On croit voir ce qui sera un jour, continua-t-elle dans une exaltation illuminée, quand il n'y aura plus de Maremma, plus d'Orsenna, plus même leurs ruines, plus rien que la lagune et le sable, et le vent du désert sous les étoiles. On dirait qu'on a traversé les siècles tout seul, et qu'on respire plus largement, plus solennellement, de ce que se sont éteintes des millions d'haleines pourries. Il n'y a jamais eu de nuits, Aldo, où tu as rêvé que la terre tournait soudain pour toi seul ? »

Julien Gracq, IN Le rivage des Syrtes

 

dimanche, 31 juillet 2016

Nocturne express

 

à Erika Noulste que j'ai quittée,

à Max Farmsen que j'ai laissé partir.

Aux amours mortes, qui nourrissent d'amertume nos parfaites solitudes.

 

Il ne faut plus penser au cargo mort. Tu n'es plus près de moi, posant ta main sur mon épaule quand sonne minuit. Tu n'es plus celui qui chante un vieil air de Bourgogne pour répondre aux grenouilles des trois mares. Il ne faut plus penser à l'amour mort.

Il faut rêver encore, malgré le jour gris qui se lèvera à grand peine au terme de cette nuit où brillent, à travers la brume, les Ourses, la grande et la petite. Du salon du second étage, me parvient la musique du miserere d'Allegri, celle que doit écouter le vieil oncle, le menton sur sa main, le coude sur son genou, presque endormi dans la grande bergère tapissée, comme il fait tous les soirs, à cette heure tardive. Il faut rêver encore aux rives bleues du Bosphore.

Nous ne sommes que deux au château. Plus de cousins, plus d'amis : c'est septembre. Plus de jeux, plus de cris. J'ai presque oublié la musique des villes et le son des routes qui y mènent. Je ne quitte plus le Manoir des trois mares. Il ne faut plus bouger. L'ennemi s'approche, les ministres tendent la main au nouveau maître pour de l'argent. Nous ne sommes plus que deux au château, les livres interdits dorment sous les marches de l'escalier, les deux fusils de l'oncle sont apprêtés, je lis un manuel militaire du temps jadis pour apprendre à tirer.

 

lundi, 18 juillet 2016

Confidences de ce soir

Je suis née d'une mère folle qui regarde le film India Song en transe, durant des heures, en admirant les miroirs et les silences. J'ai vu les enfants goélands tenter leurs ailes dans des patios bleus aux saisons chaudes. J'ai compris mon destin en entendant des voix. À force de lecture et d'écriture, j'ai oublié les étangs, leurs grenouilles, leurs lentilles vertes.