Sur Isaac (mardi, 01 janvier 2019)

Dans ta lettre, tu me parles d'Isaac :

« ce que j'en pense, de ce jeune homme, tellement plus jeune que moi (vingt ans de moins!), c'est qu'il est extraordinairement capable. Excellent violoniste, chanteur remportant des premiers ou seconds prix de chants lyrique, multilingue, voyageur autonome dans des contrées peu touristiques, sympathique, séduisant, beau, fort physiquement, bon cavalier, bon nageur, toujours adéquatement et élégamment habillé, que ce soit pour une exploration en montagne ou une soirée à l'opéra, audacieux, intégré à merveille dans la vie familiale, amicale, estudiantine et déjà professionnelle...

J'aurais adoré être comme lui, il représente la face réussie de tout ce que j'ai raté : études, reconnaissance par les autres, pratique des langues, musique de haut niveau, sport, voyage réel et constructif.

Je l'avoue à regret, j'ai la tentation médiocre de vouloir qu'il rate ou qu'il ne « donne » pas ce qu'il promet, pour pouvoir me satisfaire de mes propres échecs. C'est mal de ma part, et, quoi qu'il en soit ce n'est qu'une tentation, comme lorsqu'on ressent l'envie primaire de gifler un enfant ou d'insulter un contrôleur de train mais que la volonté s'oppose immédiatement, fermement, à cette voie douteuse. Je ne valide pas mes sentiments mesquins, mais rien se sert de les refouler. Autant les analyser pour les surmonter et les dépasser.

Je note toutefois, chez ce jeune homme, une sorte de morale hors de toute souffrance personnelle. Il exprime régulièrement de la compassion, que je crois réelle, mais c'est une compassion impersonnelle, pas un vécu douloureux partagé, comme s'il ne traversait jamais d'expérience sombre ou comme si ce n'était de toute manière pas acceptable ».

 

Je te réponds que les personnes ainsi très adaptées au monde tel qu'il est dans sa meilleure version, peuvent interpréter, utiliser, mais rarement apporter un regard neuf, d'où la frontière étrange qui se tisse entre eux et nous. Cette ligne qui nous sépare n'est pas due à leur mépris, ni à notre humiliation, ni à leurs formidables capacités, ni à l'évidente incapacité qui nous caractérise en comparaison. Elle est tracée par leur cuirasse de compétences, qui s'interpose entre eux et les coups durs de l'expérience.

Il est le fils prodige ; il voudrait être l'homme vrai. Il ne peut pas. Ou bien il est l'homme vrai autant que toi ou moi mais il nous domine trop pour que nous sachions voir sa vérité.

 

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.........................vrai...............................

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