La recherche de l'absolu et son inversion contemporaine (samedi, 23 décembre 2017)

Voici, ci-dessous, un amusement : d'abord, le texte que je me suis piquée d'écrire en imitant et en inversant l'incipit de la Recherche de l'absolu, de Balzac. Puis, à sa suite, le passage de Balzac que j'ai obligeamment plagié.

I L'absolu d'une recherche, Incipit

Il y a à Compiègne, dans la rue de Paris, un appartement dont l’espace, l’aménagement et les détails ont, au contraire des autres appartements de l’immeuble, perdu la caractéristique des vieux appartements bourgeois, si intelligemment adaptés aux évolutions des mœurs de cette classe sociale ; mais ne le décrivons pas sans expliquer pourquoi il est important de former le lecteur autant au contexte qu’à l’histoire, malgré le refus grandissant de lecteurs avides de sentiments et avares de pensée qui voudraient subir un coup de foudre littéraire sans en déguster les amers labeurs, le labyrinthe des échafaudages, la gestation intrinsèque.

Un roman devrait donc tenir tout seul avec des sentiments ? Les éléments d’une histoire d’êtres humains, éléments intérieurs ou sociétaux, dépendent du contexte social et politique, c’est pourquoi mieux qu’un poème d’amour, le stylo et le parchemin qui l’ont écrit permettent à l’historien de restituer l’époque. La sociologie est aux sentiments ce que la biologie est aux sensations. Un problème de foie détraque tout une personnalité, un déménagement pour cause économique dérègle toute une famille. Cause et conséquence se succèdent logiquement. Sans cause, pas d’effet, sans structure, pas de décoration.

Le voyeur professionnel s’amuse à recréer les temps passés. C’est pour ça qu’on aime se balader en songe dans une vieille architecture, quand le roman ne déforme pas les faits. On se recréée un monde mort. Et pour le lecteur, à quoi ressemble mieux un monde mort qu’au lendemain qui l’attend ? Parler des choses trépassées, c’est décrire ce qui va venir. En plus de ce miroir de l’avenir, les lieux passés parlent à chaque cœur, soit d’un ancien rêve depuis longtemps abandonné, soit d’un rêve vivace qui trépigne au fond de soi. Le présent te déçoit, tu scrutes l’avenir en quête d’une espérance et tu vis d’un rêve qui te nourrit. Et tu sais, c’est pour ça que la ville de Compiègne raconte aussi bien la tendresse nostalgique présente en chacun de nous. Non ?

Si. Le monde regorge de villes, et celle-ci ressemble à toutes les villes en encore plus ressemblante. On y ressent la société, l’exclusion, la famille, la richesse qui endort l’instinct et ce vide sans étrange ; surtout, dans ses rues coulent les rêves sensuels et les désirs de plaisirs interdits qu’on couve en se rendant à l’école, au bureau, et qu’on ne réalisera jamais. Même toi qui baise, qui lutte, qui adore, qui hait, tu te sens fasciné par ces rues propres où la bourgeoisie se meut sans crainte de paraître fade, sûre qu’elle est de sa perpétuelle capacité à dompter ses faiblesses. Les gens préfèrent souvent la crasse des quartiers pauvres et la majesté des quartiers richissimes. Les gens ne prennent pas la peine d’admirer ce qui point si discrètement dans la bourgeoisie cossue et discrète. Pour vous attirer, gens de peu de patience, dans les charmes cachés, je devrais les exagérer, comme Michel Ange déforme ses corps pour qu’ils soient vraiment vus, comme Tolstoï exacerbe ses personnages pour qu’ils soient vraiment compris. Seuls les cyniques, comme toi ou moi, détestent forcer le trait et savent distinguer à travers les sagesses et les fadeurs le feu de la vie qui roule comme une invisible vague de calme et de beauté au-dessus des pourritures.

Les habitants de Compiègne, sobres, polis, calculateurs et cultivés, accèdent à un bonheur plus grand que les rois qui règnent et que la pègre qui s’encanaille.

Edith

 

II La recherche de l'absolu, Incipit

Il existe à Douai dans la rue de Paris une maison dont la physionomie, les dispositions intérieures et les détails ont, plus que ceux d’aucun autre logis, gardé le caractère des vieilles constructions flamandes, si naïvement appropriées aux mœurs patriarcales de ce bon pays ; mais avant de la décrire, peut-être faut-il établir dans l’intérêt des écrivains la nécessité de ces préparations didactiques contre lesquelles protestent certaines personnes ignorantes et voraces qui voudraient des émotions sans en subir les principes générateurs, la fleur sans la graine, l’enfant sans la gestation.

L’Art serait-il donc tenu d’être plus fort que ne l’est la Nature ? Les événements de la vie humaine, soit publique, soit privée, sont si intimement liés à l’architecture, que la plupart des observateurs peuvent reconstruire les nations ou les individus dans toute la vérité de leurs habitudes, d’après les restes de leurs monuments publics ou par l’examen de leurs reliques domestiques. L’archéologie est à la nature sociale ce que l’anatomie comparée est à la nature organisée. Une mosaïque révèle toute une société, comme un squelette d’ichthyosaure sous-entend toute une création. De part et d’autre, tout se déduit, tout s’enchaîne. La cause fait deviner un effet, comme chaque effet permet de remonter à une cause.

Le savant ressuscite ainsi jusqu’aux verrues des vieux âges. De là vient sans doute le prodigieux intérêt qu’inspire une description architecturale quand la fantaisie de l’écrivain n’en dénature point les éléments ; chacun ne peut-il pas la rattacher au passé par de sévères déductions ; et, pour l’homme, le passé ressemble singulièrement à l’avenir : lui raconter ce qui fut, n’est-ce pas presque toujours lui dire ce qui sera ? Enfin, il est rare que la peinture des lieux où la vie s’écoule ne rappelle à chacun ou ses vœux trahis ou ses espérances en fleur. La comparaison entre un présent qui trompe les vouloirs secrets et l’avenir qui peut les réaliser est une source inépuisable de mélancolie ou de satisfactions douces. Aussi est-il presque impossible de ne pas être pris d’une espèce d’attendrissement à la peinture de la vie flamande, quand les accessoires en sont bien rendus. Pourquoi ?

Peut-être est-ce, parmi les différentes existences, celle qui finit le mieux les incertitudes de l’homme. Elle ne va pas sans toutes les fêtes, sans tous les liens de la famille, sans une grasse aisance qui atteste la continuité du bien-être, sans un repos qui ressemble à de la béatitude ; mais elle exprime surtout le calme et la monotonie d’un bonheur naïvement sensuel où la jouissance étouffe le désir en le prévenant toujours. Quelque prix que l’homme passionné puisse attacher aux tumultes des sentiments, il ne voit jamais sans émotion les images de cette nature sociale où les battements du cœur sont si bien réglés que les gens superficiels l’accusent de froideur. La foule préfère généralement la force anormale qui déborde à la force égale qui persiste. La foule n’a ni le temps ni la patience de constater l’immense pouvoir caché sous une apparence uniforme. Aussi, pour frapper cette foule emportée par le courant de la vie, la passion de même que le grand artiste n’a-t-elle d’autre ressource que d’aller au-delà du but, comme ont fait Michel-Ange, Bianca Capello, Mlle de La Vallière, Beethoven et Paganini. Les grands calculateurs seuls pensent qu’il ne faut jamais dépasser le but, et n’ont de respect que pour la virtualité empreinte dans un parfait accomplissement qui met en toute œuvre ce calme profond dont le charme saisit les hommes supérieurs.

Or, la vie adoptée par ce peuple essentiellement économe remplit bien les conditions de félicité que rêvent les masses pour la vie citoyenne et bourgeoise.

Honoré de Balzac

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