vendredi, 06 juillet 2012
Sir Jerry, de Mad H. Giraud
Nous recopions pour vous l'ouverture des étranges vacances de Sir Jerry, et une page du milieu du livre La périlleuse mission du Capitaine Jerry.
Très bien écrits, ces romans ont traîné dans beaucoup d'étagères adolescentes des années 50, 60, 70, avant de se dissoudre dans le silence. Mais le style littéraire, beau et original, la manière scénaristique de raconter qui procède d'un ton constamment elliptique, la succession d'atmosphère peintes avec une grande finesse, les illustrations de Manon Iessel restent au fond des mémoires comme des souvenirs qui imprègnent et reviennent sans prévenir au détour d'une phrase, d'une odeur, d'un paysage.
Certains passages paraissent, idéologiquement, si vieillis et si contraires à ce que nous chérissons que la lecture en devient presque audacieuse, entre la transgression et la trahison.
Ces textes sont, justement, d'autant plus dérangeants pour notre société que l'auteur, en pleine seconde guerre mondiale, écrit des livres vantant la Résistance de Londres et qu'elle loue la haute culture indienne. Ses attaques sur les "singes" indiens, sa description infernale des juifs intelligents et cupides, son implacable sens des distinctions de classes et de castes en paraissent d'autant plus gênantes qu'on ne peut pas la jeter dans la poubelle de "ceux qui ont choisi le mauvais camp".
Ceux-là même, qui se veulent fidèles à "ceux qui ont choisi le mauvais camp" ne lui rendent pas l'hommage de la garder sur les étagères, cette mystérieuse Mad H Giraud, puisque, résistante et antisémite, colonialiste et admiratrice des civilisations asservies, attachée aux principes rigides de la vieille France (et de la vieille Angleterre) et profondément libératrice et responsabilisante à l'égard des enfants, elle trône dans les néants où l'on envoie ceux qu'aucune famille culturelle ne peut récupérer sans mettre en danger son confort intellectuel.
Allons donc ! Laisserions la littérature, et surtout la littérature enfantine, nous faire croire que les bons ont des défauts, que les méchants ont des qualités ? C'est cette pénible idée que l'on trouve dans les aventures de Sir Jerry.
Les étranges vacances de Sir Jerry
Chapitre Premier
Dans lequel on retrouve quelques amis
L'avion blanc planait dans le ciel bleu. Il se rapprochait peu à peu de la terre, dessinant en l'air d'agréables figures qui montraient assez qu'il était piloté de main de maître.
Sur le sol, à quelque distance, tout un petit monde s'agitait, courant et criant, maintenu hors du champ d'atterrissage par une simple promesse qui valait toutes les barrières.
- Le voici ! Le voici ! C'est à moi ! C'est à moi !
- C'est à nous, tu veux dire, reprit une voix.
- Ce sera : à aucun, déclara une jeune personne. On a dit que les baptêmes de l'air cesseraient à quatre heures et demie. Il est quatre heures et demie.
On entendit quelques protestations, quelques regrets, mais aucun des enfants qui étaient là ne proposa d'essayer de gagner une demi-heure.
Une heure était une heure et une promesse se tenait sans défaillir.
Le pilote et ses deux passagers avaient débarqué : on accourut devant eux.
- Ce sera pour demain ! dit le premier, prévoyant la question des enfants. Et je commencerai par les petits. Maintenant, il faut rentrer. Tante Belle nous attend pour goûter.
- Oncle Dick, ce sera d'abord Nell et moi, n'est-ce pas ? C'est nous qui sommes les plus petits.
- Oui, mais tu es un garçon, Ned. Peut-être voudras-tu, poliment, céder ton tour à Mérouji et Anicette.
Ned fit une grimage. Il n'avait pas très envie d'être si poli que cela !
Ces demoiselles ne le lui demandèrent pas.
- Ned et Nell seraient trop impatients, dit Mérouji. Nous ne voulons pas de politesse ni de tour de faveur.
- Et peut-être pourrons-nous alors rester un peu plus longtemps, conclut Anicette, pratique.
- C'est magnifique ! criaient les deux passagers. On voudrait ne jamais redescendre.
- Ce serait bien agréable de faire un grand voyage, dit pensivement Patrice, l'aîné des garçons.
- Quel dommage que le Voleur-Fidèle ne puisse pas nous prendre tous, oncle Dick !
- Il faudrait un dirigeable, mon vieux, répliqua l'oncle Dick, pour vous prendre tous.
Le goûter était préparé dans le jardin de Belle-Maison. Le vieux maître d'hôtel, Thomas, apportait la grande bouilloire d'argent au moment où l'oncle Dick - Lord Armster - apparaissaient avec ses neveux.
Tante Belle, la charmante jeune tante que tout le monde chérissait, descendait les marches du perron en courant. Elle agitait une lettre entre ses doigts, comme elle aurait brandi un étendard victorieux.
- Sir Jerry arrive ! cria-t-elle. Il sera là demain.
- Papa ! Papa ! cria Mérouji. Quel bonheur !
La petite fille, d'un bond léger, s'en vint sauter au cou de Lady Armster :
- Oh ! tante Belle, quel bonheur ! Être ici auprès de vous tous avec papa !
- ça, dit son frère Jerry, ce sera les plus belles vacances de notre vie !
Il parlait posément, mais avec tant de conviction et d'émotion contenue que l'on devinait toute la joie de ce grand garçon de quinze ans.
La périlleuse mission du capitaine Jerry
Chapitre IX La vieille Ketty
(extrait)
Ce fut un jeu pour le capitaine Jerry d'arriver jusqu'à la lucarne de façon à regarder ce qui se passait à l'intérieur de la maison. Il aperçut d'un coup d'oeil rapide la salle unique qui formait toute l'habitation de la vieille Ketty. La vieille Ketty elle-même, la véritable vieille Ketty, était là, dans un coin. Assise devant une table couverte de gâteaux les plus divers, elle prouvait au capitaine Jerry que, contrairement à ce qu'on pensait, elle était corruptible et que sa gourmandise offrait un moyen très sûr d'ouvrir une porte que l'on pouvait penser bien fermée sur une pauvre folle.
Elle mangeait avec lenteur, savourant chaque bouchée d'un air de profonde satisfaction. Son observateur invisible ne s'attarda pas à ce spectacle attristant, mais il eut le temps de constater que la vieille Ketty, par prudence, sans doute, avait été attachée à sa chaise. Ainsi, elle ne pouvait bouger ni rejoindre au dehors, son "double", révélant par sa présence la supercherie qui, jusque là, avait arrêté les prédécesseurs du capitaine Jerry.
Celui-ci, pourtant, cherchait du regard, dans la pièce, des traces du passage de ceux qui devaient avoir une raison toute spéciale pour envahir la maison de la vieille Ketty et s'assurer son involontaire complicité. Et celui qui, empruntant la personnalité de la pauvre folle, veillait à la porte, avait sans doute aussi un motif pour cela.
Et, brusquement, le capitaine Jerry aperçut raison et motif. Dans un angle de la pièce, le lit de la vieille Ketty, sordide grabat, avait été déplacé, et l'on pouvait, de la lucarne, voir que ce lit, en temps habituel, dissimulait une trappe en ce moment découverte.
Quelle quantité impressionnante de gâteaux et de bonbons avait-il fallu à la vieille Ketty pour qu'elle laissât travailler chez elle ceux que poursuivait le capitaine Jerry !
Pauvre folle qui ne savait rien de ce que l'on tramait chez elle, contre son pays, et se laissait acheter, inconsciente, cette complicité ignorante.
Légèrement, le capitaine Jerry se laissa retomber à terre et secoua sa vareuse un peu salie par le contact du mur.
Et, délibérément, il revint à la porte de la maison et entra.
La vieille Ketty poussa une sorte de grognement, mais le capitaine Jerry avait tiré de sa poche un petit flacon de whisky. Il en versa un doigt dans le verre vide qui se trouvait sur la table et le tendit à la vieille femme qui s'en empara avec avidité.
Tandis qu'elle buvait, le capitaine Jerry se dirigea vers la trappe qui avait été un peu rabattue de façon à couvrir à moitié l'ouverture par laquelle il allait poursuivre ses ennemis.
Mad H Giraud
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