dimanche, 08 juillet 2012
Ces bêtes qu’on abat : Des vaches dans le local d’abattage d’urgence
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
Vache qui ne peut se relever dans un transport et qui est elle-même couchée sur une autre qui est morte par suffocation.
Phot Jean-Luc Daub
Des vaches dans le local d’abattage d’urgence
Une année, j’ai visité dans la Manche un abattoir qui se démarquait par ses pratiques d’abattage. Je m’étais présenté à une responsable qui me laissa visiter les lieux seul. Elle me montra les bulletins et les articles qu’elle avait amassés concernant l’association dans le cadre de laquelle j’effectuais ces contrôles. Elle s’attendait à nous voir arriver un jour ou l’autre.
Après avoir conversé avec elle, je m’équipai de ma blouse, de mes bottes alimentaires et de mon casque. L’équipement était tout blanc, ce qui peut apparaître bizarre alors que les tâches de sang maculent le tablier de rouge. Mais c’est la norme, tout le monde est en blanc. L’abattoir n’était plus tout jeune, il était même vétuste et insalubre.
J’assistai aux abattages rituels des ovins. Un groupe de mouton était emmené dans le local d’abattage, le sacrificateur accrochait à un treuil une longue barre en fer. À l’aide d’une ficelle, il prenait une patte arrière d’un mouton et l’attachait à la barre. Il répétait l’opération en y attachant deux autres bêtes. Dans une panique compréhensible, les trois moutons tentaient de défaire le lien en tirant sur la patte attachée. L’employé actionna le treuil qui leva les trois moutons en l’air. La suspension des animaux vivants est pourtant interdite, plus encore si on en accroche trois en même temps ! Il poussa ensuite les trois moutons vers le poste de saignée. Là, le sacrificateur les égorgea un après l’autre.
J’assistai – et ce fut encore pire – à l’abattage rituel d’une vache. Le même employé alla chercher une vache dans la bouverie, il l’attacha par le cou au mur du local d’abattage. Puis, il fit descendre le treuil et enroula une chaîne autour d’une des pattes arrière de l’animal. Le sacrificateur actionna le treuil et suspendit la vache. Il détacha la tête qui, en se balançant, venait se cogner contre une paroi métallique. La bête se retrouva la tête en bas, suspendue par une patte. Il la poussa jusqu’au poste d’abattage puis, muni de son couteau, il l’égorgea en pleine conscience. Cette pratique est également interdite, l’abattoir aurait dû être équipé d’un box rotatif.
Bœuf en attente dans un box rotatif servant à l’abattage rituel, la mentonnière lui relève la tête.
Dans le local d’abattage d’urgence, deux vaches étaient couchées sur le sol dans l’incapacité de se mouvoir. En principe, elles auraient dû être tuées dès leur arrivée : ce genre de situation requiert ce que l’on appelle l’abattage d’urgence. De plus, puisqu’elles ne pouvaient pas marcher, elles n’auraient pas dû être déchargées à l’aide du câble métallique au bout d’un treuil, elles auraient dû être abattues dans le camion. L’une des vaches était encore attachée par le câble à une patte arrière. Manifestement, on ne se pressait pas pour leur donner la mort et mettre fin à leur souffrance certaine. Comme bien souvent, elles allaient être abattues en fin de journée, lorsque les autres tueries prendraient fin. C’était la pratique habituelle, le caractère d’urgence perdait tout son sens.
J’allais assister au déchargement, peu commun, d’une troisième vache. Un véhicule, une petite camionnette, faisait une marche arrière dans le local d’abattage d’urgence. Pour faire de la place, le chauffeur poussa, à l’aide de la camionnette, l’une des vaches qui gênait l’entrée. Il sortit de son véhicule, détacha celle qui était retenue par une patte, pour aller attacher celle qui était couchée dans la camionnette. Le chauffeur qui, par ses gestes précis montrait qu’il n’en était pas à son coup d’essai, ouvrit en grand les portières du véhicule. Il monta à bord et mis le moteur en marche. Il avait au préalable tendu le câble. Le chauffeur enclencha la première vitesse et démarra brusquement, de sorte que la vache retenue par le câble se retrouva expulsée du camion et se fracassa la tête sur le sol, car le véhicule était bien plus haut que le sol. Le chauffeur est ensuite parti sans se retourner pour voir dans quel état se trouvait l’animal. Toutes ces opérations se passaient sous les fenêtres du bureau des services vétérinaires. Je présume que les deux autres vaches avaient été déchargées de la même façon et que ce n’était pas la première fois qu’il agissait de la sorte. L’association pour laquelle je travaillais déposa une plainte et le chauffeur fut condamné à payer une amende (ce qui me fut reproché plusieurs années après sur un marché aux bestiaux où je me fis agresser, comme nous le verrons plus loin).
Une heure après, les trois vaches n’avaient toujours pas été abattues, deux d’entre elles gisaient, agonisantes. J’insistais auprès des responsables pour que l’abattage soit mis en œuvre et que les souffrances de ces bovins soient abrégées. Mais rien ne se passait. J’ai alors demandé à pouvoir téléphoner. Je tentai de joindre le Ministère de l’Agriculture pour les avertir de la situation. Ayant écouté la conversation, la responsable de l’abattoir en compagnie du directeur ordonna l’abattage immédiat des trois bovins. Ce qui fut fait. Je quittai cet abattoir écœuré et ne sachant pas si les méthodes employées pour les abattages allaient perdurer. Je n’ai pas eu l’occasion d’y retourner ayant tant à faire ailleurs, mais le Ministère de l’Agriculture avait, par un courrier, vivement réagi.
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