lundi, 09 juillet 2012
La nuit latente de Renée Vivien
"J'attends le retour des cygnes sauvages".
Renée, tu avais construit ton nom et ton mythe, et tu es morte d'autoépuisement à trente-deux ans, laissant derrière toi un sillon de poèmes qu'il faudra apprendre à retenir par cœur, peu à peu. Tu aimais ce prénom, cette fleur et cette couleur : violette. Tu souffrais des trahisons, tu aspirais à une violence différente de celle à laquelle s'adonnent les viveurs du monde.
Ton sommeil venu si tôt est souvent troublé par des frères, par des sœurs, qui viennent faire trembler ta mémoire en osant réciter, comme une prière, tes poèmes, ou bien les dialogues de Svanhild.
Comme Milosz, le cher lituanien qui écrivait en français, tu as choisi notre langue pour dire ton cœur. Alors nous te devons mille ans d'amour, au moins mille ans.
La Nuit latente
Le soir, doux berger, développe
Son rustique solo...
Je mâche un brin d’héliotrope
Comme Fra Diavolo.
La nuit latente fume, et cuve
Des cendres, tel un noir Vésuve,
Voilant d’une vapeur d’étuve
La lune au blanc halo.
Je suis la fervente disciple
De la mer et du soir.
La luxure unique et multiple
Se mire à mon miroir...
Mon visage de clown me navre.
Je cherche ton lit de cadavre
Ainsi que le calme d’un havre,
O mon beau Désespoir !
Ah ! la froideur de tes mains jointes
Sous le marbre et le stuc
Et sous le poids des terres ointes
De parfum et de suc !
Mon âme, que l’angoisse exalte,
Vient, en pleurant, faire une halte
Devant ces parois de basalte
Aux bleus de viaduc.
Lorsque l’analyse compulse
Les nuits, gouffre béant,
Dans ma révolte se convulse
La fureur d’un géant.
Et, lasse de la beauté fourbe,
De la joie où l’esprit s’embourbe,
Je me détourne et je me courbe
Sur ton vitreux néant.
Renée Vivien
1877-1909
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