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vendredi, 15 novembre 2013

Une bibliothèque Cornulier : Le pays où l'on n'arrive jamais

(La bibliothèque dont on vous parle fut créée, trente ans durant, dans un appartement au fond d’une cour du 13 boulevard du Montparnasse, avant de devenir une bibliothèque éparpillée).

 

Titre : Le pays où l'on n'arrive jamais

Auteur : André Dhôtel

Illustrations : Michel Gourlier

Éditions Mame

Date 1959

Provenance : acheté à Villes-sur-Auzon, en août 2011, au Cagibi, sur la place, par Édith. Le libraire jouait aux boules sur la place. Nous nous perdions et nous retrouvions dans sa librairie fascinante, petite et si encombrée. Pour payer, nous l'appelâmes : il laissa ses boules, vint encaisser nos chèques, s'en repartit jouer. 

Première phrase : "Il y a dans le même pays plusieurs mondes véritablement". 

Première phrase de la page 30 : "Il n'apercevait pas le chemin de la scierie, mais les prairies vallonnées qui descendaient vers une lisière lointaine".

Dernière phrase : "Mais quelles que soient les aventures nouvelles qui nous attendent en compagnie d'un cheval pie traversé par la foudre, JAMAIS NOUS NE QUITTERONS LE GRAND PAYS". 

Cri silencieux du cœur : Un livre qui m'avait fait rêver à la sortie de l'enfance. Je devais avoir dix ans. Je n'ose plus le relire, comme ces livres qu'on a trop aimés.

 

Une bibliothèque Cornulier : les titres

 

jeudi, 14 novembre 2013

Extrait II du journal de Baude Fastoul de Kevin de M-L

 journal, baude fastoul, confrérie

16 novembre 2012

Je découvre l'histoire de Lizzie van Zyl, qui me fait comprendre à quel point Anglais et Américains ont créé les horreurs dont ils accusent les autres en permanence. Faut-il plonger dans le vertige face à l'horreur des souffrances qu'on inflige aux enfants, aux animaux, aux êtres ? Ou bien fermer les écoutilles et vivre la meilleure vie possible sans se laisser abattre par l'enfer qui nous frôle ? Christ, qu'en dis-tu ? Comment interpréter tes actes ?

La morale est-elle possible ? Ou bien le monde n'est-il qu'une suite de souffrances répétées ? Faut-il « se battre » pour une amélioration du monde ? Ou bien simplement prier et purifier son propre cœur ?

Enfants qui êtes nés pour subir les sévices d'êtres pour lesquels vous n'étiez qu'amour et générosité, bêtes qui ne comprenez pas qu'on vous transforme en chairs souffrantes et affolées, êtres de toutes sortes, abattus dans leur vol, puis mourant lentement au sol, dans l'incompréhension et le mépris... Quel est votre message ? Existez-vous ? Ne sommes-nous, les uns les autres, que les images de notre propre cauchemar ? Quel pouvoir avons-nous sur notre propre vie, sur la vie de celui qui est à côté de nous ? Est-il réellement possible de sauver quelqu'un ? Et si cette question existe, alors est-il réellement possible d'assassiner quelqu'un ? Cet éternel pourquoi devant la misère la plus poignante, a-t-il un sens ?

Quel est ce bouge que nous appelons « réalité » ? Et cette phrase qu'une étrange Édith Morning écrivit un jour : "Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".

Vérité, as-tu une consistance quelconque, quelque part ?

 

Kevin de Motz-Loviet

 

En savoir plus sur la Confrérie de Baude Fastoul

AlmaSoror avait déjà publié un premier extrait du journal de Kevin.

 

 

 

mercredi, 13 novembre 2013

Contes pour l'âge de raison

Le presseur d'orange

Visite nocturne

Mémoires d'une gangster

Peine de cœur

L'Olonnois

Pavillon sans quartier

mardi, 12 novembre 2013

12 novembre : billet anniversaire

12/09/12 : entre dans le journal de Léonard de Vinci

12/09/10 : Poétique d'Armel Guerne

12/09/09 : L'intégrale pour présenter quelques fonctions usuelles

Leonard de Vinci, Armel Guerne, Laurent Moonens, Fonctions usuelles, intégrale

lundi, 11 novembre 2013

La paix du jour

13, boulevard du montparnassePhot Edith

Un jour férié, indécis, au cours duquel alternent des rayons de soleil jaunes et des halos de blancheur. L'asphalte parisien accueille mes chaussures usées de l'arpenter, un air de piano britannique trotte en mon esprit. Je n'en reviens pas d'être vivante aujourd'hui, pour un temps si court, dans lequel pourtant s'immisce quelquefois l'ennui. Construire ma vie, une grande difficulté à mes yeux incertains. Tant qu'on est là, pourquoi ne pas essayer ? Entre deux souffles, entre deux morts, entre deux eaux, suivre le fil des saisons en tâchant de respirer à leur rythme.

rue de bagnolet

phot Lau

dimanche, 10 novembre 2013

Paysage

 Patrick Biau revient avec un nouveau sonnet sur AlmaSoror en ce mois de novembre. Nous avions déjà, de lui, publié Soleil noir foncé.

 

 

Le cadre est vertical. En haut, sur un bon quart,

occupant tout le large, un ciel d'un bleu marine

emprunte à l'océan ; un soleil de citrine

manœuvre dans ses flots comme un brûlant drakkar

 

guidé par une escorte : un corbeau est de quart.

En dessous, l'arbre est rare, et un ruisseau burine

à l'eau-forte, en crawlant de sa fureur taurine,

un mitan entre prés et moissons en jacquard.

 

Plus bas encor, posés sur leurs clous d'or sans tête,

des rollmops dorés font d'un fakir un esthète,

c'est pour l'heure, à gros traits, ce que crie la rumeur


à travers l'écheveau d'une haie maladroite.

Manque une ultime touche : en marge, en noir, à droite

de la composition, paraphe

                                                                   Le Rimeur.

 



 

Patrick Biau est l'auteur d'un livre et d'un site sur le chansonnier Jules Jouy

... ainsi que d'un recueil de poèmes

 

 

samedi, 09 novembre 2013

Édith de CL

Vous trouverez ici quelques éléments sur la tenancière d'AlmaSoror, parmi lesquelles une biographie d'elle, écrite par Katharina Flunch-Barrows à l'époque où elles pouvaient se parler sans se déchirer ; un certain nombre de pièces à conviction concernant le procès qui l'oppose, depuis de nombreuses années maintenant, à la productrice artistique, diva, écrivain et personnalité bipolaire Venexiana Atlantica ; des adresses pour la contacter ; enfin, des liens vers des cours et conférences qu'elle donna ici ou là. 

Il va de soi que les informations contenues ici sont reproductibles, à condition toutefois de citer la source almasororale.

Merci de votre visite.

 

Contact 

Sur le Web...
électro-adresse : almasoror.plateforme AT gmail.com

En Esprit...
code télépathique : 4 respirations - 1 inspiration longue - visualisation d'un nuage cumulus - une expiration double -visualisation d'un setter anglais courant dans une forêt de Vendée - 4 respirations - la croix celtique et l'hermine stylisée - 1 inspiration libre - visualisation du ciel vu du ciel - une expiration libre - visualisation de l'image qui vous apparait. Prononcer : Édith

Dans le ciel...
On peut me joindre à mon adresse satellitaire :
KLF-77Z. 2B « Édith »
Canal 49ème Parallèle
New York II
Ciel Ouest
Fuseau Horaire 660


Sur la terre...
Ou bien, si vous préférez me contacter sur la Terre, je possède une boite à l'hôpital post-psychiatrique Apsyaï où je séjourne régulièrement :

Édith de CL
Pavillon sans quartier
Hôpital d'Apsyaï
Atoll Te ria ria nao loa
Polynésie française autonome

Edith de Cornulier-Lucinière

Biographie

On peut lire une biographie rédigée par son amie Katharina Flunch-Barrows en cliquant sur ce lien :

Edith, biographie, titres et distinctions, par K F-B

Son intense et harassante biographie amoureuse se lit par là...


Procès en cours

Le procès qui m'oppose à Vénéxiana Atlantica depuis de nombreuses années me harasse plus que je ne voudrais l'exprimer. Ses lâchetés, ses mesquineries à répétition ont éprouvé l'idée que je me faisais de la confiance et de l'amitié. Ces deux mots sont-ils des écrans de fumée dissimulant un néant noir comme la mort, blanc comme le vide ?
Murée dans une ouate de silence, privé de mes repères depuis le début de cette lutte, mon cœur est déboussolé. Je n'ai plus de cap. Je n'ai plus de Cap de bonne espérance.

J'ai assez ouï de bêtises sur cette histoire navrante ; je ne sais que trop bien que celle qui fut mon amie ne cesse de harceler mon image et ma personne dans l'esprit de tous ceux qui la croisent. C'est pourquoi je relate ici les étapes de notre procès et je mets en disponibilité tous les documents utiles à ceux qui voudront se faire une opinion personnelle. Je les remercie par avance pour leur démarche, pour leur tentative d'exister libre, de ne pas rester "sous influence".

Édith, 24 janvier 2012



Nouvelles

Contes du purgatoire

Contes de notre monde

Contes d'outre-monde

Hymnes de sable et de sel

Contes pour l'âge de raison


Traductions

Prières pour la ville atlante, de Hanno Buddenbrook

Le châtiment, de Hanno Buddenbrook (avec Hélène Lammermoor)


Cours & Conférences

Je rends disponible ici les divers cours que j'ai conçu et donné dans diverses écoles et universités.

Une histoire du cinéma euro-américain des années 2030
Cycle de cours donné à la FaTransLiDaDat
Vidéo disponible : entretien avec Stella Mar


Profession : Auteur

Un article sur le statut social de l'auteur (daté de septembre 2013)

Une enfance littéraire française
Cycle de conférences donné au Cours de Civilisation française de la Sorbonne, 2011-2012
Séance : L'enfance, la civilisation et le monde sauvage

Un café littéraire à Smyrne
Conférence donnée à Izmir lors d'un café littéraire au Centre Culturel Français (2009)

La traduction de l'humanisme
Cours réalisé en tant qu'assistante du père Roberto Inti Q'uspha Nuñez à l'Université secrète d'Arequipa

Disponible en français sur l'Encyclopédie de l'Agora :
Quechua : l'humanisme au miroir d'une langue andine

Edith de Cornulier-Lucinière


Entretien avec Hugues et Dylan Gabriélis

vendredi, 08 novembre 2013

SDF (Sans Domicile Fixe)

sdf français

Photographie prise vers sept heures du soir, en octobre 2013, sur le boulevard Edgar Quinet.

Un passant me regarde appuyer sur mon téléphone et me dit :

- Les Français tombent comme des mouches.

jeudi, 07 novembre 2013

La Noire Idole

Laurent Tailhade (Tarbes, 1854 - Combs-la-Ville, 1919) fut un poète, écrivain, anarchiste qui usa de nombreux pseudonymes, tels : Azède, El Cachetero, Dom Junipérien, Lorenzaccio, Patte-Pelue, Renzi, Tybalt. Fils et petits-fils de juges, il semble avoir pris le contrepied de la profession familiale, et s'être fait profession de juger les juges et tous les autres hommes - clercs, militaires, policiers, financiers - qui croient pouvoir décider à la place des autres de ce qui doit leur arriver. 
L'anarchiste virulent possédait un style de toute beauté, comme il apparaît dans son texte La noire idole - au titre inspiré par l'expression de l'écrivain anglais Thomas De Quincey.
Voici, plus bas, un extrait (tiré de Wikisource) de cette noire idole, dont le nom scientifique est : morphine.

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La Noire Idole

Étude sur la Morphinomanie

 

 

 

« … capa que cobre todos los humanos pensamientos, manjar que quita la hambre, agua que ahuyenta la sed, fuego que caliente el frío, frío que templa el ardor, y finalmente moneda general con que todas las cosas se compran, balanza y peso que iguala al pastor con el rey y al simple con el discreto ».
Don Quijote, Part. II, Cap 68.

 

 

 

PARIS

LIBRAIRIE LÉON VANIER, ÉDITEUR

A. MESSEIN, Succr

19, QUAI SAINT-MICHEL, 19

MCMVII

 

 

Les personnes étrangères aux études médicales : hommes de lettres ou du monde, romanciers, chroniqueurs, simples gobe-mouches qui parlent, écrivent, discourent sur le propos de la morphine et de la morphinomanie, ignorent, la plupart du temps, le premier mot de leur sujet. Ils préconisent avec un aplomb qui déconcerte, des lieux communs aussi vagues qu’erronés. Bon nombre de docteurs ne sont guère plus instruits que le public sur les arcanes du voluptueux et sinistre poison. Les plus avisés décernent leur clientèle au spécialiste ; d’autres, moins éclairés ou moins délicats,proposent des traitements infructueux et chimériques. Optimistes à l’excès, d’aucuns, regardent la morphinomanie comme une « mauvaise habitude », comparable à celle des cartes ou du tabac. Ils prétendent la guérir par des procédés aimables ou de spécieuses diversions : promenades, théâtre, injections d’eau claire et tout ce qui s’en suit. D’autres enfin, cyniques faiseurs de dupes, exploitent, sous couleur de la traiter, cette « maladie expérimentale » qui, à moins d’une cure efficace et rationnelle, permise aux thérapeutes seuls outillés pour cet objet, n’a d’autre aboutissant que le désespoir, la vésanie ou la mort.

 

 

Opium de l’Occident, la morphine est à peu près au suc de pavot, ingéré en pastilles ou fumé dans des pipes, ce que les brûlants alcools de grains ou de fruits : gin, hasselt, kirsch, genièvre ou schiedam, sont à la bière, au vin non frelatés. L’ivresse immédiate, foudroyante, ne permet pas à l’adepte un moment de répit. De prime abord, la possession est complète, comme chez ces démonopathes dont les juges ecclésiastiques ou civils : Boguet, Remigius, Lancre, del Rio ont, à leur insu, étudié la névrose. Une force inconnue et despotique s’empare de la victime, agit à sa place, dédouble en quelque manière sa personnalité. Au Moi raisonnant et social, un autre Moi se substitue en qui toute idée, en qui tout sentiment est aboli par l’appétit égoïste de la piqûre béatifiante.

Comment les peuples indo-européens, à qui leur activité permet de conquérir le monde et d’exproprier « les races incompétentes », se laissent-ils envoûter par ce morne sortilège, destructeur de la force et de la volonté, au moment précis où l’universelle concurrence impose à l’homme de vouloir et d’entreprendre sans une minute d’hésitation ni de repos ? Les actions les plus actives semblent renchérir sur ce goût. À Londres, le samedi au soir, les apothicaires débitent de l’extrait thébaïque et despilules d’opium brut, tout comme les bars versent du gin ou du whisky.

On entre dans la morphine par deux chemins inégalement semés de fleurs. Les uns, dans le but légitime d’accoiter leurs souffrances, ont recours aux vertus du terrible stupéfiant ; d’autres y cherchent impudemment une sensation de plaisir, un bien-être que le docteur Ball a qualifié, le premier, d’euphorie. Mais, quelle que soit la porte ouverte sur cet enfer, par la thérapeutique ou l’appétit des sensations nouvelles, pareille est la damnation. « La Noire Idole », comme Quincey appelait sa carafe de laudanum, ne lâche pas sans d’incroyables efforts les dévots qu’elle a conquis.

 

 

Quel est donc ce philtre magique, cet élixir de mort qui vend si cher ses prétendus bienfaits ? Sans remonter à Dioscoride, au médecin Andromachus, calmant les crisesépileptiques de Néron à grand renfort de thériaque, à Galien qui soignait les maladies nerveuses de Julia Mæsa, de Julia Domna et de leurs courtisans, les propriétés soporatives de l’opium furent connues et largement utilisées par les morticoles d’autrefois.

Contrairement à la doctrine du Malade imaginaire, l’opium ne fait pas dormir, ou, du moins, ne fait dormir qu’à très longue échéance. Il provoque tout d’abord une chaude ébriété ; il confère au patient l’oubli momentané des plus cruelles douleurs. C’est un « remède désangoissant », ainsi que l’appelle à bon droit le docteur Dubuisson.

 

Dans les premières années du XIXe siècle, le chimiste Sertüner isola, parmi d’autres alcalis organiques, un alcaloïde à la fois sédatif et convulsivant, que l’opium de Smyrne, de l’Inde ou d’Égypte renferme dans la proportion moyenne de 10 %.

L’empoisonneur Castaing utilisa, peu après (1823), la découverte du chimiste. Il « réalisa » son ami Ballet comme Lapommerais devait « réaliser », quarante et un ans plus tard, Mme de Paw, sa maîtresse, au moyen de la digitaline récemment acquise à la pharmacopée par Homolle et Quévenne. Hippolyte Ballet et Mme de Paw avaient commis l’erreur de souscrire une assurance sur la vie à leurs vénéneux compagnons. Castaing, après avoir attiré sa victime à Saint-Cloud (qui paraissait alors une villégiature suffisamment rustique), lui donna le boucon à l’auberge de la Tête noire. C’était, dans du vin chaud, une solution fortement chargée d’acétate de morphine. Ballet trouva le vin si amer qu’il n’en but qu’une gorgée, attribuant ce mauvais goût au zeste du citron. La nuit fut mauvaise. Castaing, le jour suivant, administra une potion au malade qui rendit superflue toute médication ultérieure. Le pauvre garçon en mourut après quelques instants.

 

 

À vrai dire, ce n’est pas la morphine elle-même, peu soluble dans l’eau, qu’utilisent médecins et toxicomanes, mais bien un sel de morphine, le chlorhydrate, qui merveilleusement se prête à cet emploi. Dissous, filtré, bouilli, décanté, mis à l’abri des poussières dans un flacon élégant de cristal, voici le philtre irrésistible qui permet au premier butor venu de cambrioler aisément la forteresse du Bonheur ! Ajoutez l’instrument bien en main auquel un orthopédiste lyonnais servit de parrain, vers 1860 et que, pendant la guerre de 1870, importèrent en France les praticiens de l’armée allemande : l’outillage sera complet. Le postulant des paradis artificiels peut consommer d’emblée ses fiançailles avec la Mort.

Une piqûre légère, point méchante, cuisante à peine pour les maladroits. Et soudain le charme opère. Une onde vous enveloppe, « un océan de délices », comme d’un sang plus vif et rajeuni. C’est « la lune de miel », ainsi que veut bien (après nous) dire le professeur Brouardel (Opium, Morphine et Cocaïne, J.-B. Baillière, éditeur). Dans cette période élévatoire, dans la crise initiale que provoque l’usage du terrible excitant, les idées affluent, les œuvres s’ébauchent, la parole surabonde, l’ivresse emporte l’hésitation et la timidité. La mémoire se colore et s’amplifie. Une eurythmie clairvoyante harmonise la pensée. Les chagrins sont en fuite et les sens abolis. Dans la plénitude heureuse de sa force et de sa joie, l’homme se sent devenir dieu.

Cette béatitude n’a rien de turbulent. La joie un peu vulgaire et communicative que déchaîne, après boire, l’usage des liqueurs fermentées ne ressemble en aucune façon au recueillement voluptueux suggéré par la morphine. Elle exalte au plus haut point l’opinion favorable que le sujet a de lui-même. Exempt des servitudes physiques, réduit à l’état de pur esprit, il contemple avec une dédaigneuse indulgence les espècesqui l’environnent. Il plane au-dessus des réalités quotidiennes. Il n’éprouve nul besoin de communiquer avec le troupeau congrégé à ses pieds. L’orgueil est le moins bavard de tous nos sentiments.

 

 

Une erreur fort commune est de croire que la morphine suscite des rêves, procure des visions, ajoute, en un mot, aux richesses intellectuelles de ses familiers. Son pouvoir est à la fois plus grandiose et moins extraordinaire. Elle porte en soi une énergie révélatrice qui montre à l’homme des coins insoupçonnés de mémoire et d’imagination, éclaire à ses propres yeux les dessous, les recoins obscurs de sa personnalité, avive, comme les caractères d’un palimpseste, tels souvenirs, telles images, tels émois presque effacés. Elle « interprète » à l’initié les moindres conjonctures, lui développe ses propres imaginations en des épiloguessavoureux. C’est le flambeau de Psyché qui s’allume au plus profond de l’être et fait palpiter à sa lumière le chatoiement des trésors ensevelis.

Bientôt, cependant, les brumes irisées, les flottantes gazes, les vapeurs de kief épaississent leur rideau. Le brouillard qui prêtait à l’existence le charme des contours indéterminés devient un mur impénétrable, un cachot d’où le prisonnier ne s’évadera qu’au prix d’exécrables douleurs.

En peu de temps, le malade perd mémoire, volonté, sommeil, tous les appétits. Il vit, incapable d’action, dans une somnolence énervée, il rêvasse à des actes qu’il n’accomplira point. Lorsque sous l’impulsion d’une dose insolite, il rentre un instant dans la vie ambiante, c’est pour intégrer des gestes baroques ou délictueux. Si déchu qu’il soit, le buveur de vin ou d’absinthe est susceptible encore d’une activité passagère, tandis que le morphinomane, prisonnier d’un besoin vital, indispensable au même titre que le besoin de respirer, demeure à jamais exclu del’action humaine. Pour tout dire, l’alcoolique est un impulsif, le morphinomane, un inhibé.

La suite se lit sur Wikisource...

On peut en outre lire un amusant article sur l'étrange Laurent Tailhade par ici.

lundi, 04 novembre 2013

Des thèmes, quelques œuvres

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J'évoquerai, par ce frais matin de novembre, quelques thèmes littéraires ou cinématographiques : la diplomatie ; la ville, le crime et la folie ; et enfin la dissolution. J'invoquerai deux ou trois œuvres qui peignent, dessinent, filment ou chantent ces thèmes. Je donnerai à lire un fragment du docteur Étienne de Greef.
Sébastien Saint-Kevin

La diplomatie est le premier thème que je souhaite évoquer. Le film coloré India Song et la bande dessinée noire et blanche Corps diplomatique font de la diplomatie, française pour le premier, internationale pour le second, un décor de choix.

Le film et sa musique nous emportent au cœur de l'homme qui traverse la mort pour tirer sur des lépreux et crier son amour à une femme.
Cette femme, Anne-Marie Stretter, est un miroir vide dans le reflet duquel de grands hommes minces se noient avec langueur, jour après jour, sous la chaleur de Calcutta.

Mais à Genève, quelques décennies plus tard, Corps Diplomatique met en scène Léocadie Lulla, diplomate à la CNUCED. La neige, le lac Léman, une amie mannequin, un ami professeur d'histoire-géographie et, bien sûr, les méchants en costards, cravatés, riches et manipulateurs.

 

La ville, le crime et la folie hantent nos cœurs ravagés par la modernité du monde. Née dans les années 60, la vie bétonnée entrave la libre expérience de nos neurones, bloque la circulation sanguine, et, plus grave, installe le désespoir, ou du moins la désespérance, au creux de nos estomacs.

Oh mon désœuvrement ! Je t'ai noyé dans les pages des Âmes criminelles, que le médecin Étienne de Greef écrivit de sa belge plume acérée. Vous verrez au bas de ce billet ce qu'il dit de l'honnête homme, ce « je » fragile.

Mais ce n'est plus dans la Belgique gauloise, c'est dans la rouge Afrique du Sud qu'Alan Paton situe son roman de la ville corruptrice. Pleure Ô pays bien-aimé se passe à Johannesburg, la ville maudite où les bons pères de famille, noirs et blancs, contemplent ensemble le triste fruit de leurs haines.

Loin des rages de l'Afrique, loin de l'Europe détraquée, parmi les cocotiers et les arbres à pain qui bruissent au-dessus des lagons, dans les campagnes peuplées de moutons, dans les fermes où l'on dévore les romans d'amour importés du monde civilisé, dans les villes à l'architecture qui ne ressemble à nulle autre, Un ange à ma table, filmé par Jane Campion, évoque la rousseur des femmes, la blancheur des lobotomies, la noirceur des institutions. Sous l'impalpable lumière de la Nouvelle-Zélande, l'écriture est le chemin, la nudité et la vie.

C'est lui qui a, non le dernier mot, mais le cercle le plus parfait : Lain Sinclair a écrit London Orbital, le tracé d'une promenade périphérique, autour de Londres, ville du peuple de l'abîme et des financiers de la City. Supermarchés, hangars, rails, stations service, terrains vagues et zones squattées forment le décor informe et protéiforme d'une errance dans les paysages post-naturels. Quelques oiseaux attendent leur heure, postés sur des fils électriques.

 

Si la diplomatie est l'hypocrisie qui plane au-dessus de la ville hantée par le crime et la folie, il ne nous reste plus que la dissolution, dans l'amour, dans le vide ou dans la mort. La dissolution, comme ultime aspiration à la vie retrouvée.

Jean de La Ville de Mirmonts a conté la dissolution de l'employé dans sa vie quotidienne le long des pages du roman Les dimanches de Jean Dezert.

Monique Martin (alias Gabrielle Vincent) raconte au fusain la rencontre ultime, éternelle, qui met un point final à l'abandon dans Un jour, un chien.

Et l'homme du groupe de rock britannique Radiohead s'inspire d'un bouquin anarchiste américain pour flotter dans le vide sidéral : How to disappear compeletely and never be found ?

Paris, le 4 novembre 2013
Sébastien Saint-Kevin

 

Extrait des Âmes criminelles, d’Étienne de Greef :

"L'idée selon laquelle l'honnête homme est celui, qui, pouvant choisir de devenir criminel, choisit de rester honnête et selon laquelle le criminel est celui qui, devant la même alternative, choisit de devenir criminel est une de ces idées simplistes que l'expérience dément tous les jours. Nous ne sommes réellement libres que dans une zone restreinte qui varie d'un peuple à l'autre, d'une génération à l'autre, d'une région à l'autre. L'homme moralement parfait est une abstraction ; un honnête homme est un sujet qui se trouve constamment en équilibre instable ; il est toujours en train de perdre son honnêteté, il est toujours en train de la retrouver. L'existence de ces oscillations est normale ; l'homme perçoit son balancement vers l'acte répréhensible et s'il se juge sincèrement et objectivement il imagine en lui des propensions criminelles bien plus grandes qu'elles ne le sont réellement. Le juré s'imagine facilement à la place de l'accusé et le comprend assez pour éprouver le besoin de s'absoudre en l'acquittant ; ce n'est que dans le cas où il possède assez de sens moral pour s'être rendu compte de sa propre honnêteté qu'il peut conserver assez d'objectivité. Il y a aussi le juré qui se défend contre des tentations si puissantes qu'elles réclament de sa part une sorte d'acharnement dans la résistance ; aux prises avec Asmodée, le juré se défend dans un état de transe aveugle sous le signe du tremblement anxieux et condamne atrocement la faute à laquelle il ne peut accorder la moindre [11] marque de faveur sans s'exposer à un vertige mortel. Les fautes les plus réprouvées correspondent aux tendances les plus puissantes et les plus précairement refoulées. À l'exaltation avec laquelle un homme s'insurge contre un péché, vous mesurez l'étendue de ses difficultés ; il est le seul à ne pas savoir ce que tout le monde lit en lui. Même le cinéma américain connaît ce vieux thème ; c'est dire qu'il est éternel.

À vrai dire l'étude réelle du crime ne suscite guère de travaux. Beaucoup de gens s'en occupent, mais avec les idées du profane ; et si les livres relatant les causes célèbres sont les ouvrages de criminologie les plus vendus, c'est beaucoup moins par ce qu'ils apportent de nouveau au lecteur que par la fascination qu'exerce sur lui, cette image de son propre inconscient, qu'il reconnaît dans les autres, sans se reconnaître lui-même".

Étienne de Greef, les âmes criminelles - 1949

 

4 novembre : billet anniversaire

AlmaSoror, où en étiez-vous le 4 novembre de l'année dernière ?

En crise de larmes.

Le 4 novembre de l'année d'avant ?

En pause.

En 2010 ?

Que dalle.

En 2009 ?

En vol libre.

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dimanche, 03 novembre 2013

Champ d'honneur

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« Tu es mort au-dessus de l'Oural, au pays où tu rêvais d'être né.
Dans ton avion Bicéphale, sans personne à tes côtés ».

vendredi, 01 novembre 2013

Etoffes de pierre

Egypte de France.jpg

Je l'avais retrouvée dans la rue d'Aboukir, elle m'avait emmenée manger un sandwich au chèvre, au miel et au pesto, accompagné d'un coca cola et suivi d'un fromage blanc aux marrons. Et puis nous avions erré quelques temps dans un passage des Grands Boulevards, je ne sais plus lequel. J'étais repartie en portant dans mon sac quelques livres achetés dans une librairie d'ouvrages anciens. Il faisait frais ; pas encore froid. On était au début du mois d'octobre. Paris ne me fascinait plus depuis longtemps : trop gris, trop sale, trop brutal. Pourtant, quelque chose de l'atmosphère de ce jour m'est resté - quelque chose de nostalgique.

J'ai attendu un peu avant d'ouvrir l'Art religieux du XII au XVIII°siècle, d’Émile Mâle.

 

En voici un extrait :

"A chaque instant les monuments romans nous émeuvent par d'étranges symboles chargés de siècles. Un tailloir du cloître de Moissac est décoré d'une suite d'aigles à deux têtes ; le même aigle à deux têtes reparaît, sur un montant, au portail de l'église de Civray (Vienne) et sur un chapiteau de l'église Saint-Maurice de Vienne. Nous voici emportés par l'imagination jusqu'au berceau du monde, jusqu'à l'antique Chaldée. C'est qu'en effet un très ancien cylindre chaldéen nous montre, pour la première fois, l'aigle à deux têtes, et on y a vu le blason d'une des villes les plus antiques de la Chaldée, Sirpoula. C'est un grand aigle, une sorte d'oiseau rok des Mille et une nuits, qui pose chacune de ses serres sur le dos d'un lion. Dans l'art du vieil Orient, l'aigle est l'oiseau noble qui accompagne le roi, qui dompte le lion, qui aide l'Hercule chaldéen dans sa lutte contre les monstres. Cette image avait pour les peuples de l'Asie une signification religieuse et une vertu, car nous la retrouvons, bien des siècles après, chez les Hittites. Ce grand peuple des Hittites, que connaît la Bible, à qui Salomon demanda plusieurs de ses femmes, occupa longtemps la Syrie et les plateaux de l'Asie Mineure. Il reçut son art de la vallée du Tigre et de l'Euphrate, et les rudes monuments qu'il a laissés en Cappadoce reportent sans cesse la pensée vers la Chaldée. C'est en Cappadoce, sur les rochers de Ptérium, que l'on voit sculpté l'aigle à deux têtes avec une proie sous chacune de ses serres. L'aigle à deux têtes ne disparut pas de ces régions, car on le voit encore aujourd'hui sur les tours musulmanes de Diarbékir, l'antique Amida. Les Turcs Seldjoucides le sculptèrent sur la porte de Konia, leur capitale, et semblent l'avoir mis de bonne heure sur leurs étendards. - Comment se vieux symbole de l'Orient est-il venu jusqu'à nous ?

Par les tissus, comme d'ordinaire. Une étoffe de Sens (qui n'est plus qu'un lambeau) est ornée d'aigles à deux têtes dessinés en jaune sur un fond de pourpre violette ; c'est une étoffe byzantine du IX° ou du X° siècle, qui reproduit sans aucun doute un ancien modèle sassanide. Un suaire célèbre de Périgueux est décoré de la même manière. La Mésopotamie gardait fidèlement la même image, car, au XIII° siècle, on voit reparaître l'aigle à deux têtes sur une étoffe de Bagdad : là, l'aigle bicéphale est enfermé dans un écusson, et l'on croirait voir le blason des empereurs d'Allemagne. C'est de l'Orient, en effet, on n'en saurait douter, qu'est venu ce blason ; il fut emprunté aux tissus orientaux et peut-être aux étendards musulmans. Chose étonnante, les Turcs purent voir à Lépante, sur les vaisseaux de don Juan d'Autriche, l'aigle à deux têtes qui avait jadis orné leurs drapeau ; mais le vieil aigle de la Chaldée, qui les avait jadis fait vaincre, se tournait maintenant contre eux. On voit quelle part a prise l'antique Chaldée non seulement à la création de l'art décoratif, mais à la création de l'art héraldique du moyen âge...

Il ne saurait être question maintenant de chercher le sens symbolique des lions affrontés, des oiseaux aux cous entrelacés, des aigles à deux têtes, qui ont tant préoccupé nos devanciers. Saint Bernard avait cent fois raison ; il est devenu évident que les monstres des chapiteaux - à quelques exceptions près -, n'ont aucun sens. Ils n'étaient pas destinés à instruire, mais à plaire. Saint Bernard jugeait ces fantaisies puériles et risibles : qu'eut-il dit, s'il eût su, comme nous le savons aujourd'hui, que ces monstres étaient le legs des vieux paganismes de l'Asie, et qu'ils mettaient sous les yeux du chrétien des génies, des démons, des idoles ? Il eût sans doute tonné, comme le prophète, contre les faux dieux.

Pour nous qui savons mieux l'histoire, nous ne jugeons pas risibles, comme le grand docteur, les monstres de nos chapiteaux. Ils nous paraissent, au contraire, merveilleusement poétiques, chargés, comme ils le sont, des rêves de quatre ou cinq peuples qui se les transmirent les uns aux autres pendant des milliers d'années. Ils introduisent dans l'église romane la Chaldée et l'Assyrie, la Perse des Achéménides et la Perse des Sassanides, l'Orient grec et l'Orient arabe. Toute l'Asie apporte ses présents au christianisme, comme jadis les Mages à l'Enfant".

Extrait de l'Art religieux du XII° au XVIII° siècle, d’Émile Mâle

Sur la lecture des arts religieux, AlmaSoror avait publié ce beau commentaire d'Albert Pomme de Mirimonde, sur une vanité...

mercredi, 30 octobre 2013

Une enfance littéraire française : Invitation au voyage II

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Gustave Doré - gravure pour Le petit poucet.

 

Voici la deuxième partie de la synthèse de la conférence, intitulée Une enfance littéraire française, que je donne aux étudiants du Cours de Civilisation Française de la Sorbonne.

La première partie, qui aborde le Moyen-Âge, le Grand Siècle et le Siècle des Lumières, est lisible à cet endroit.

J'avais déjà, sur AlmaSoror, donné l'essence de celle de mes conférences intitulée L'enfance, la civilisation et le monde sauvage.

Quant au blog de mon cours, encore en construction, il se consulte à cette adresse...

 

Le XIX°siècle

 

Gravroche : l'enfance fait une entrée fracassante en littérature.

Au XIXème siècle, l'enfance entre en littérature par deux portes à la fois. Par la première, les personnages d'enfants surgissent dans les romans ; par la seconde, des écrivains s’attellent à confectionner des romans spécialement pour les enfants.

Victor Hugo, dans son roman Les Misérables, créée les personnages enfantins de Gavroche et Cosette. C'est en découvrant le tableau de son contemporain, le peintre Eugène Delacroix, La liberté guidant le peuple, qu'il est absorbé par la figure du garçon révolté ; il médite ce personnage, qui deviendra Gavroche. On peut donc voir aujourd'hui, au Musée du Louvre, l'enfant peint qui inspira le premier héros enfantin de la littérature « adulte » française.

Gavroche, jeune révolutionnaire, participe aux fameuses barricades qui égrènent le XIX°siècle, jusqu'à l'écrasement total de la Commune de Paris. Celle, précisément, à laquelle il participe, a lieu en 1832. Gavroche, âgé de 12 ans, représente la fleur de Paris : son gamin des rues, fils de la ville et du peuple, gouailleur, courageux, parfois menteur et voleur, qui possède plus d'honneur que les rois et moins de biens que les gueux.

« Paris a un enfant et la forêt a un oiseau ; l'oiseau s'appelle le moineau ; l'enfant s'appelle le gamin.» Ce gamin peint par l'immense fresquiste littéraire du XIX°siècle,Gavroche, a pris son indépendance : il est sorti du roman de Victor Hugo pour devenir un personnage de la mythologie populaire. 

La mort héroïque de l'enfant Gavroche est l'un des passages les plus célèbres de la littérature universelle. Il a douze ans ; on est en 1832. A l’emplacement actuel de la rue Rambuteau, l'armée et le peuple de Paris s'affrontent autour d'une barricade. Il n'y a plus de balles dans le clan des insurgés. Qu'à cela ne tienne ! Le polisson Gavroche brave les balles des militaires pour aller ramasser les balles perdus qui traînent sur les pavés. En chantant.

Et sa chanson a fait le tour du monde, elle est chantée aujourd'hui par les chorales des écoles, elle rappelle le bon vieux temps où Voltaire et Rousseau se disputaient, l'un préférant la liberté, l'autre l'égalité, l'un vantant la culture, l'autre la nature.

On est laid à Nanterre,
C'est la faute à Voltaire,
Et bête à Palaiseau,
C'est la faute à Rousseau.

Je ne suis pas notaire,
C'est la faute à Voltaire,
Je suis petit oiseau,
C'est la faute à Rousseau.

Joie est mon caractère,
C'est la faute à Voltaire,
Misère est mon trousseau,
C'est la faute à Rousseau.

Je suis tombé par terre,
C'est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C'est la faute à...

Gavroche ne finit pas la chanson, en dépit d'efforts démesurés pour donner une dernière fois de la voix. En effet, une balle vient de l'atteindre en plein cœur. Il dit adieu à la vie, et entre dans la mythologie populaire où il restera vénéré pour toujours comme un petit dieu facétieux et vivificateur.

 

Naissance des romans pour enfants : la comtesse de Ségur

En même temps que les enfants font irruption dans la littérature, naissent les premiers romans composés exprès pour eux.

La comtesse de Ségur connaît un grand succès, lorsqu'elle publie les livres qu'elle s'est mise à écrire pour les enfants de ses enfants. La grand-mère de Camille, Madeleine, Jacques, et tous les personnages présents dans ses romans, devient la grand-mère symbolique de milliers, de millions de petits lecteurs français. Elle est rapidement imitée, notamment par d'autres femmes, mais aucune n'atteint sa gloire et surtout, sa longévité. Peut-être est-ce dû au paradoxe de cette femme, qui parvient à être à la fois éminemment moraliste et totalement déjantée. Ainsi, elle ne manque pas de répéter, livre après livre, les poncifs moraux de l'époque, mais, pour les illustrer, elle se plonge avec délice dans la description d'enfants pas sages : nous suivons leurs états d'âme funestes, leurs bêtises inqualifiables, avec une gourmandise insatiable. La comtesse de Ségur nous entraîne sur la route du péché en faisant semblant de prôner le bien. De ce paradoxe, elle tire son universalité. Car, à lire les ouvrages de ses imitatrices, chapelet de contes dans lesquels le noir est très noir et le blanc, très blanc, on ne peut que s'ennuyer ; ce qui charmait l'air du temps laisse de marbre nos cœurs post-chrétiens, nos âmes mortelles, nos esprits citoyens égalitaristes, nos corps que nous faisons durer le plus longtemps possible.
Mais si nous plongeons dans les romans de la comtesse de Ségur, derrière la façade de ses leçons de morale, nous glissons dans la pratique fascinante et très profonde des 7 péchés capitaux. La violence, le trouble, l'hypocrisie, la déception et la tendresse, la mortification et les grands espoirs, y sont peints avec beaucoup d'amour, de tolérance et de vérité. La comtesse de Ségur est une grande psychanalyste, une alchimiste, une anarchiste déguisée en grand-mère conservatrice.
Elle est tellement intense que les éditeurs d'aujourd'hui ne manquent pas de la censurer. Ainsi, les éditions de La Martinière ont cru bon, dans l'édition de 2011, passer à la trappe les chapitres de Pauvre Blaise traitant de sa première communion.
Car, pour nos anciens moralistes, ce qui n'était pas très catholique allait au diable... Mais pour les nouveaux, ce qui est catholique est voué aux gémonies. Censure, censure, nous te modifions, nous t'inversons, nous te renversons, nous faisons semblant de te détester, mais qui peut se passer de toi ? Ni les blancs, ni les bleus, ni les rouges ; aucun monarchiste, aucun républicain, aucun communiste n'échappe à la tentation que tu leur tends, de reconfigurer le monde en fonction de nos esprits trop petits pour être honnêtes.

Née dans une famille de la haute aristocratie russe (c'est son père, le comte Rostopchine, que l'on soupçonne d'avoir incendié Moscou, pour que la mère des villes de la sainte Russie ne tombe pas entre les gros bras du parvenu Napoléon), élevée par une mère aux passions sadomasochistes bizarres, elle est devenue française (et catholique romaine) en épousant Eugène de Ségur, qu'elle n'aima point (« Si j'avais su à quel point vous aviez les yeux jaunes, Eugène, jamais je ne vous aurais épousé »). Mais elle aima les enfants qu'il lui donna, et encore les petits-enfants que ceux-ci lui donnèrent, et qui firent d'elle une des plus grandes écrivains françaises et la pionnière de la littérature enfantine.

C'est un peu triste, d'ailleurs, l'histoire des fameuses petites filles, Camille et Madeleine, héroïnes du roman Les petites filles modèles. Car ces jeunes filles sages comme des images, devenues grandes, connurent l'amertume de la vraie vie. Camille épousa un gougnafier, un sale mec, vraiment, qui dépensa son fric (pour lequel il l'avait trompée et épousée), la violait, baisait avec des femmes devant elle, et elle mourut rapidement d'humiliation et de chagrin. Elle laissait un pauvre garçon, Paul, de santé fragile et très malheureux, qui mourut à la fin de l'adolescence. Quant à Madeleine, effarée par l'histoire de sa sœur, elle demeura célibataire. Les deux sœurs, aujourd'hui, sont enterrées côte à côte, pleurant ensemble, peut-être, la mort de l'enfance, la déception de grandir et la folie des éducations qui rendent bébête - et vulnérable.

On doit à la comtesse de Ségur la première autobiographie écrite en français par un animal : les Mémoires d'un âne, dans laquelle Cadichon expose aux humains (et aux autres ânes, peut-être), les grandeurs et les misères de sa condition. Ce célèbre âne-écrivain possède aujourd'hui sa rue, à Aube, village proche du château normand où la comtesse écrivait ; sur la place de la mairie, il a en outre une statue, qui le représente portant l'une des petites filles modèles sur son joli dos.


Agrandir le plan

 

La comtesse a rendu hommage à sa patrie russe, dans deux beaux ouvrages, L'auberge de l'ange gardien et Le général Dourakine. Un hommage aussi mitigé et paradoxal que tous les messages qu'elle tenta de faire passer.

 

Sans famille : chef d’œuvre romanesque

Mais le premier écrivain qui use du code romanesque de la littérature générale pour composer une œuvre enfantine peine de grâce et de rebondissements, dans un style littéraire qui n'a rien à envier aux romans que l'époque donne aux grandes personnes, c'est Hector Malot.

Père d'une petite fille nommée Lucille, à laquelle il dédie son chef d’œuvre, Malot créée, avec Sans famille, une œuvre romanesque à la fois ancrée dans son époque et capable de défier le temps.
Ce roman, très littéraire, raconte l'histoire d'un enfant trouvé, Rémi. Rémi est vendu à un musicien ambulant italien, nommé Vitalis. Ils parcourent les routes de France avec leurs animaux, en faisant des spectacles dans les villages ; après de nombreuses péripéties, Rémi finit par retrouver sa vraie famille.

Paru en 1878, ce roman, lu par des générations de francophones, fit l'objet d'une adaptation par le cinéaste de dessin animé Osamu Dezaki, sous la forme d'une série pour la télévision, dans les années 1977-78, soit cent ans après sa publication.

Entrez dans ce roman et vous n'en sortirez pas avant d'avoir laissé chaque phrase adoucir votre cœur :

Je suis un enfant trouvé.

Mais jusqu’à huit ans j’ai cru que, comme tous les autres enfants, j’avais une mère, car lorsque je pleurais, il y avait une femme qui me serrait si doucement dans ses bras, en me berçant, que mes larmes s’arrêtaient de couler.

Jamais je ne me couchais dans mon lit, sans qu’une femme vînt m’embrasser, et, quand le vent de décembre collait la neige contre les vitres blanchies, elle me prenait les pieds entre ses deux mains et elle restait à me les réchauffer en me chantant une chanson, dont je retrouve encore dans ma mémoire l’air, et quelques paroles.

Quand je gardais notre vache le long des chemins herbus ou dans les brandes, et que j’étais surpris par une pluie d’orage, elle accourait au-devant de moi et me forçait à m’abriter sous son jupon de laine relevé qu’elle me ramenait sur la tête et sur les épaules.

Enfin quand j’avais une querelle avec un de mes camarades, elle me faisait conter mes chagrins, et presque toujours elle trouvait de bonnes paroles pour me consoler ou me donner raison.

Par tout cela et par bien d’autres choses encore, par la façon dont elle me parlait, par la façon dont elle me regardait, par ses caresses, par la douceur qu’elle mettait dans ses gronderies, je croyais qu’elle était ma mère.

 

Gustave Doré, l'illustrateur

Parallèlement à cette double apparition de l'enfance dans les romans pour grandes personnes, et des livres pour enfants dans les librairies, le XIX°siècle voit la naissance de l'illustration à destination de la jeunesse.

Ici, il faut saluer le suprême artiste que fut Gustave Doré.

Né à Strasbourg en 1832 et mort à Paris, rue Saint-Dominique, il était graveur. Son père polyechnicien, brillant ingénieur, voulait qu'il fasse des hautes études, mais sa mère admirait ses beaux dessins d'enfant.

En effet, à 5 ans il dessine tout ce qui se passe autour de lui et dès l'âge de 8 ans il compose ses premières histoires dessinées, ce qui est très original pour son époque où les livres illustrés sont rares.

Il étudie la gravure et devient vite célèbre dans le monde. Il travaille entre Paris et Londres, où il possède une galerie qui a pignon sur vue.

En 1881, il est un dessinateur très célèbre et sa galerie londonienne a vu passer plus de 2 millions de visiteurs en 24 ans ! Mais sa mère meurt ; il ne le supporte pas. Il invite ses amis à dîner, se lève à la fin du repas, prononce une oraison funèbre en l'honneur de sa mère. Quelques jours plus tard, il meurt d'une crise cardiaque.

Honneur à ce fils aimant, qui nous offrit les plus belles illustrations de la Bible, des Fables de La Fontaine et des Contes de Perrault réalisées à ce jour.

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 C'était la deuxième partie de ma conférence du 24 octobre. La première partie est disponible ici.

Un épisode ultérieur du cours se situe par là bas.

mardi, 29 octobre 2013

29 octobre : billet anniversaire

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AlmaSoror, te souviens-tu du 29 octobre 2012 ?

J'ai chanté le charme et la liberté de Gamal Abdel Nasser en 1953.

En 2009, je me souviens que je tentais justement de me souvenir de moi.