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vendredi, 13 septembre 2013

Les romans vénéneux

roman feuilleton

Alceste Chapuys-Montlaville s'exprima sur les romans-feuilletons, à la Chambre des députés, le 13 juin 1843. Son discours moraliste ne manque pas d'honnêteté intellectuelle, notamment vis-à-vis de l'opposition politique.

Ce discours contre le roman populaire dégradant, ne fut pas isolé à cette époque et l'on peut lire La querelle du roman-feuilleton, de Lise Dumasy, ou encore l'article de la dormeuse blogue sur Frédéric Soulié, l'auteur à succès qu'on accusa d'avoir poussé ses lectrices au crime... par ses romans vénéneux.

 

"(...)

Nous ne le dissimulons pas, les âmes françaises tendent à s'amollir ; il est triste de le dire, mais, depuis quelque temps, on quitte les choses sérieuses pour les choses légères. Les œuvres d'une imagination sans règle et sans mesure, sont accueillies avec une ferveur marquée ; aussi l'avidité mercantile s'est-elle empressée de chercher par tous les moyens à les faire pénétrer dans les masses, afin de gagner de l'argent. La spéculation, messieurs, vous le savez, s'inquiète peu de la valeur morale des marchandises qu'elle vend, pourvu qu'elle ait un grand débit et qu'elle fasse bien ses affaires, peu lui importe si elle altère ou fortifie la santé publique. La spéculation est de par sa nature aveugle, insensible, elle vend de l'opium aux Chinois et des romans à la France.

Que voyons-nous, en effet, depuis quelque temps ? Une littérature nouvelle s'est emparée des esprits, on ne produit plus des ouvrages sérieux, honnêtes et utiles, on ne fait usage du talent qui vous a été donné par la Providence que pour composer des romans en feuilletons, dans lesquels abondent les tableaux les plus vifs, les expressions les plus passionnées, les situations les plus immorales, les principes les plus pervers.

Il semble qu'on se plaît à augmenter par de déplorables entraînements les dispositions de notre peuple à se laisser séduire et emporter par les élans de l'imagination, principal, brillant, mais dangereux attribut (quand il n'est pas réglé par le jugement) de notre nature française.

On en est arrivé à un point extrême où on ne respecte rien, ni la grammaire ni le bon goût littéraire, ni les mœurs ni la religion : même les secrets des ménages ont été répandus sur la place, non pas avec des noms supposés, mais avec des noms retournés, de sorte qu'il ne s'agissait que de rétablir les lettres dans leur ordre naturel, pour connaître les dates, les familles et les personnages.

On se moque agréablement et il faut le reconnaître, souvent avec une certaine grâce d'intelligence et une certaine fleur de langage, de tout ce qu'il y a de plus sacré et de plus religieux parmi les hommes et, chose inouïe, ce ne sont pas des jeunes gens et des littérateurs de pacotille qui se rendent coupables de ces faits, ce sont des hommes éminents par l'intelligence, déjà vieux d'âge et de renommée et qui n'ont pas à donner pour excuse leur inexpérience ou les difficultés de leur position.

Les effets de cette diffusion des mauvais romans et des pernicieuses doctrines se font sentir dans toutes les classes de la société. Il n'est pas une ville, pas un village, pas un salon, pas une taverne, où ils ne pénètrent et ne fassent de grands ravages dans les âmes.

Au lieu de vivre tout simplement suivant la vieille mode du genre humain sur le sol, au milieu des joies et des labeurs alternatifs de la vie réelle, on vit dans le monde idéal, on se berce d'illusions, on se repaît de chimères, chacun, après avoir bu à cette coupe parfumée, remplie des liqueurs les plus enivrantes, perd le sentiment et le goût de la réalité ; les effets de ce redoutable opium se révèlent bientôt. Alors on reçoit en songe les plus brillantes et les plus inconcevables fortunes, les fleurs, les femmes, les applaudissements, les richesses de toutes sortes pleuvent sur la tête du patient, qui prend en pitié sa situation réelle, qui se met à mépriser l'habit, l'outil, le cabinet, l'étude, la maison de son père, et n'aspire plus qu'à quitter son modeste patrimoine, pour aller se précipiter dans les hasards et dans les flammes des grandes villes, où il rencontre, pour achever sa perte, des fêtes que je ne qualifierai pas et des théâtres dont la licence est proverbiale.

Certes, ce n'est pas à l'opposition que le pays peut attribuer un pareil désordre, car non seulement elle gémit des causes qui le produisent, mais elle donne elle-même l'exemple de la retenue. L'organe le plus avancé de la cause démocratique, le National, et je le dis à son grand honneur, a toujours refusé d'admettre dans ses colonnes les romans de l'espèce dont je parle.

Quelle est au contraire la feuille qui a publié le roman le plus détestable, où les doctrines les plus saintes, les plus nécessaires à la société étaient foulées au pied, avec un cynisme révoltant ; c'est le journal officiel du gouvernement, c'est le Messager.

(…)"

roman feuilleton

 

jeudi, 12 septembre 2013

Ange - de l'abandon des chiens

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Les abandons de chiens ne sont pas rares et se ressemblent. Le chiot grandit parmi des êtres humains ; il apprend à aimer ces êtres bizarres qui se tiennent debout sur leurs pattes arrière. Un jour, les humains énervés par une bêtise décident d’en finir avec cet aboyeur gênant. Ils le portent à un refuge ou l’attachent à un arbre sur le bord de la route. Le cœur du chien s’emplit de tristesse.

La suite de l’histoire est incertaine. Certains chiens passent toute leur vie dans un chenil. D’autres sont tués. D’autres rencontrent de nouveaux humains qui essaient de les consoler.

Ce chien-là s’appelait Ange. Au bord d’une route, le père l’avait attaché à un poteau électrique, pendant que la mère distrayait les enfants pour qu’ils ne se s’aperçoivent de rien. La voiture était repartie en trombe, et Ange était resté attaché.

Pendant trente jours et trente nuits, les enfants demandèrent où leur ami avait disparu. On leur dit qu’il s’était enfui parce qu’il était tombé amoureux. Mais ils ne le crurent pas. On leur dit qu’il avait trouvé un copain. Mais ils ne le crurent pas. On leur dit que s’ils continuaient à demander, ils recevraient une bonne torgnole.

Ils le crurent.

Après avoir hurlé jusqu’au fond de la nuit, Ange s’écroula de fatigue au pied du poteau, dans le froid de la nuit automnale. Il s’endormit.

Au petit matin, il réussit à détacher la laisse du poteau. Il était seul, au bord de la route déserte : aucun humain, aucune bête ne passait aux alentours. Il s’élança en courant sur la route.

Il partit dans la direction qu’avait prit la voiture de sa famille bien aimée. Son corps, son cœur et son esprit s’accrochaient à cette idée : retrouver ses humains. Peu importait si leur cruauté lui donnait une douleur insupportable.

A bout de souffle, le corps meurtri, il courut sur le bord de l’autoroute depuis l’aube jusqu’au soir.

Au bout de cette course effrénée, il aperçut quelque chose de magnifique dans le ciel lointain. C’était le soleil, qui voulait se coucher, et s’installait confortablement sur l’horizon. Une tâche rouge traversa l’astre fatigué, comme un sourire, et Ange crut que le soleil l'invitait à venir dormir auprès de lui. Ému, il reprit une dernière fois son souffle, et courut vers ce grand frère jaune. L’horizon ressemblait à un lit, douillet et moelleux. Ange se dépêchait, et songeait que lorsqu’il serait au creux de ce lit, tout au bout du ciel, il pourrait boire un peu d’océan et manger des nuages. Il courut de plus en plus vite, chargé d’espoir.

Quand il vit qu’un grand chien attendait dans le soleil, et frétillait de la queue en le voyant venir, prêt à jouer, il sentit une joie chaude envahir son cœur. Cela lui donna des ailes, à lui qui courait depuis l’aube.

Heureux, dans un dernier élan, Ange plongea dans le soleil.

 

mercredi, 11 septembre 2013

Le petit presseur d’oranges

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Il était une fois un petit presseur d’oranges qui vivait dans un très lointain pays. On l’appelait le pays des nuits bleues. Oui, c’est ainsi que les étrangers et les marins, qui voyagent partout dans le monde sur les mers ou à cheval, appelaient ce pays ; car là-bas, le ciel de la nuit n’est pas noir, mais tout bleu, d’un bleu profond comme celui de l’océan.

Je ne pourrais pas vous dire comment s’appelait le petit presseur d’oranges. C’était un petit garçon, et toute la journée, de l’aube au soir, assis sur une natte tressée, il pressait des oranges. Lorsque la nuit tombait et que le ciel devenait bleu profond, son patron, un très méchant monsieur, lui lançait un gros morceau de pain sec, et lui disait :

- Couche-toi, et dors, maintenant.

Alors le petit garçon emmenait sa natte tressée au bout de la rue, près d’une poubelle, et il dévorait son morceau de pain dur avec avidité. Puis il s’enroulait en boule sur sa natte et s’endormait en rêvant.

Il faisait le même rêve toutes les nuits. C’était un rêve magique, un rêve qui le faisait sourire dans son sommeil, un rêve qui faisait frissonner ses narines et trembler sa bouche, un rêve fou, fou, fou…

Puis quand le jour chassait la nuit et que le bleu du ciel s’éclaircissait, le petit presseur d’oranges s’éveillait, et, la natte sous le bras, marchait vers le coin de la rue où déjà, son patron l’attendait. Il aimait beaucoup marcher. Il marchait deux fois par jour : le matin, pour aller travailler au coin de la rue. Et le soir, pour aller dormir à l’autre bout de la rue. A la nuit bleue tombante, il marchait le plus lentement possible, pour profiter au mieux de cette courte promenade. Mais à l’aube il lui fallait marcher vite, pour ne pas se faire gronder et traiter de paresseux par son patron.

- Tiens, petit morveux dégoûtant, lui disait celui-ci en lui lançant un gros morceau de pain sec. Mange ça, vite, et mets-toi au travail.

Alors le petit garçon se dépêchait d’avaler son morceau de pain, en mâchant du mieux qu’il pouvait, car il avait remarqué que plus on s’applique à mâcher, plus il se passe de temps avant que la faim vous tiraille à nouveau.

Puis il s’asseyait sur sa natte, et toute la journée, il pressait des oranges. Mais laissez-moi vous expliquer son métier.

Au pays des nuits bleues, les fruits poussent dans des arbres, sur le bord des routes et dans les mille vergers. Les mille vergers appartiennent au prince, et personne n’a le droit d’y aller. Si d’aventure vous vous aviseriez de pénétrer, ne serait-ce que de quelques pas, dans un des mille vergers du prince, alors les guerriers qui surveillent vous transperceraient le corps de leur sabre d’or. Ainsi, si jamais vous allez un jour au pays des nuits bleues, surtout, faites bien attention à vous tenir à l’écart des vergers et de leurs terribles gardes. Contentez-vous des fruits qui pendent au bord des mille routes et chemins de ce pays. Il n’y a qu’à tendre la main, et les fruits sont tellement murs et gorgés de jus qu’il suffit de les caresser pour qu’ils vous tombent entre les dents. C’est ce que font les sept mille habitants du pays des nuits bleues. Mais il y a beaucoup d’étrangers au pays des nuits bleues. Certains sont de passage pour quelques mois, d’autres pour quelques semaines, d’autres encore pour quelques jours. Certains viennent y faire du commerce, acheter des jolis objets pour les emmener dans leur pays, où ils les vendront dans leur boutique. Ou encore, ils viennent vendre au pays des nuits bleues des objets de leur propre pays. D’autres viennent pour se reposer et prendre des photos, car ils ont entendu dire partout, par beaucoup de gens, que le pays des nuits bleues est le plus beau pays du monde.

Et parmi tous ces étrangers, il en est un tout petit nombre qui se faufile dans la foule, dans leurs habits bizarres, et connaissent un peu la langue des habitants. Les habitants les trouvent étranges, et quand ils en voient un, ils se disent :

- Tiens, c’est un étranger !

Mais ils le laissent dormir à la belle étoile, sur le côté du chemin.

Pourtant, la plupart des étrangers peuplent les rues principales de la ville, et, comme ils ne vont pas jusqu’aux chemins sauvages, ils achètent les fruits aux marchants des rues animées.

Le patron du petit presseur d’oranges est un gros marchand qui fait beaucoup de blagues à ses clients. Voilà pourquoi les gens l’aiment bien et viennent acheter chez lui. Voilà pourquoi le petit garçon presse ses oranges toute la journée.

Très vite, il enlève la peau d’une orange, qu’il prend dans les gros cageots à côté de lui. Très vite, il presse l’orange, au-dessus d’un grand verre en verre, en la serrant très fort dans ses toutes petites mains. Puis une deuxième. Une troisième. Et enfin il tend le verre au client, qui s’éloigne sur la place en sirotant son jus tranquillement. Puis c’est au tour de la personne suivante. Puis celle d’après. Car les gens font la queue pour se payer leur petit rafraîchissement. Il fait si chaud au pays des nuits bleues ! Et les oranges sont tellement savoureuses ! C’est ainsi que le petit presseur d’oranges a pressé un nombre incalculable d’oranges, pour un nombre incalculable de clients. Des clients enfants, des clients vieillards, des familles entières ou alors des marins qui ne veulent plus boire d’alcool.

Vous comprenez pourquoi, quand vient le soir, le petit presseur d’oranges est si fatigué qu’il marche le plus lentement possible vers sa poubelle du coin de la rue, au pied de laquelle il n’a aucune peine à s’endormir. Mais vous ai-je déjà dit qu’au fond de son sommeil, il faisait le même rêve toutes les nuits ?

C’était un rêve magique, un rêve qui le faisait sourire dans son sommeil, un rêve qui faisait frissonner ses narines et trembler sa bouche, un rêve fou, fou, fou…

Mais laissez-moi vous expliquer son rêve.

Tout d’abord, il faut que vous sachiez que jamais, jamais au cours de sa vie le petit garçon n’avait mangé, ni même goûté ne serait-ce que d’une bouchée la moindre orange.

Chez sa vieille tante, il ne mangeait que soupes et quignons de pain. Et depuis qu’à la mort de sa tante, le patron l’avait récupéré pour son commerce, il ne mangeait plus que du pain.

Voilà pourquoi, dans son sommeil profond et bleu comme le ciel de minuit, le cœur du petit presseur d’orange vibrait comme les murs d’un temple où mille violons joueraient une symphonie fabuleuse : emporté par son désir le plus fou, le petit presseur d’orange rêvait, à chaque instant de la nuit, qu’il buvait, pour la première fois de sa vie, un verre de jus d’oranges.

Tout au long de la nuit,  il chevauchait ce rêve, sans trêve. Dans le bleu de la rue, si par hasard un fêtard tardif était passé par là sur le chemin de sa maison, et avait eu l’idée de regarder, au clair de la lune blanche, ce petit être qui dormait blotti contre la poubelle, il aurait vu le long filet de bave heureuse qui coulait du coin de sa bouche tandis qu’il rêvait au goût subtil du jus d’oranges.

Telle était la vie du petit presseur d’oranges, jusqu’au jour où, comment vous dire ? Je ne saurais dire s’il arriva une chose étrange au petit garçon, ou si c’est le petit garçon lui-même qui fit arriver quelque chose de très étrange.

Un jour, il se passa quelque chose au coin de la rue, alors qu’une queue abominable de clients se pressait pour se payer un verre de jus d’oranges, tandis que sur la place, le marché grouillait de monde. Un petit groupe de musicien, entre deux échoppes, jouait un air bien typique du pays des nuits bleues, et, joyeusement, les marchands criaient leurs prix et vantaient leurs objets.

Le petit presseur d’oranges, à bout de forces, leva les yeux sur les clients qui l’attendaient. Il levait rarement les yeux, car son patron prenait cela pour un signe de paresse. Voilà pourquoi celui-ci trouva inhabituel de voir son petit presseur d’oranges lever les yeux.

- Dis donc, gamin ! Presse, presse donc plus vite ! Tu ne vois pas que les gens attendent ?

Puis il se remit à blaguer, et à converser avec ses clients.

Mais quelque chose tournait plus vite que d’habitude dans la tête, ou dans le ventre, je ne sais pas, du petit garçon. Il remplissait un verre. Il venait de finir de presser la troisième orange, et comme d’habitude, s’apprêtait à le tendre au client. C’est alors qu’il s’aperçut qu’il restait de la place pour le jus d’une orange. Il décida alors qu’il allait confectionner le plus beau jus d’oranges de sa vie. Il prit la plus grosse orange qu’il trouva dans le cageot (c’était la première fois qu’il choisissait dans le tas), et la pressa de toutes ses forces au-dessus du verre. Le client, qui était un habitué, dit au patron :

- Eh, mon ami, quatre oranges c’est le même prix que trois, au moins ?

Le patron sursauta de surprise :

- Quoi !

Mais dans les yeux du petit garçon une lumière mêlée de larmes brillait, son dos se redressait, sa poitrine se gonflait, et il pressait, il pressait la quatrième orange tant qu’il pouvait. Bientôt le verre déborda.

- Mais qu’est ce qui te prend, crétin, idiot, espèce de ver de terre puant, j’m’en vais t’apprendre à travailler ! ! !

Mais le petit garçon n’entendait plus les hurlements de son patron. Il ne voyait plus la queue des clients, il n’entendait plus les cris des marchands, ni le chant des musiciens. Il hésitait, enivré par sa propre audace, mû par une sensation nouvelle d’intense bonheur. Il hésitait, et ce furent ses mains qui prirent la décision : lentement, elles levèrent le verre rempli à ras bord, à la verticale, et l’amenèrent jusqu’à ses lèvres tremblantes. Alors, le petit presseur d’oranges, qui avait pressé bien plus d’oranges qu’il serait possible d’en manger le long d’une vie humaine, enfouît sa bouche dans le verre, et, avec une lenteur étonnante, il laissa couler le jus dans sa bouche, dans sa gorge, le long de son visage, et jusque dans ses oreilles. Il avalait de grosses gorgées tout en se redressant, et quand le verre fut englouti, il était debout.

Alors il vit autour de lui les visages médusés des clients, et le terrible rictus de colère de son patron, qui n’en croyait pas ses yeux.

Mais le petit garçon se baissa pour ramasser sa natte, qu’il tint dans la même main que le verre. Et, sans une parole, il s’éloigna pour traverser la place. Il marchait sur la place, des fourmis dans les jambes, assourdi par sa propre décision. C’était la première fois depuis très, très longtemps qu’il marchait à cette heure-là de la journée. Le petit presseur d’oranges ne se retourna pas une seule fois.

C’était par une fin d’après-midi. Le ciel bleu clair s’assombrissait, et au creux de l’horizon les yeux du petit garçon voyaient le soleil se coucher dans un arc en ciel de couleurs. Marchant, il souriait à la vie, et aux mille et une oranges qu’il cueillerait au bord des routes et des chemins du pays des nuits bleues, et aux rêves qu’il ferait, couché sur les toits ou sur les branches des arbres, les yeux dans les étoiles du ciel bleu de minuit.

Edith de CL

11 septembre : billet anniversaire

L'année dernière, âme-soeur, tu sondais la question du mariage et du patronyme.

Mais l'année d'avant tu ouvrais le deuxième volet d'un triptyque dédié à Salluste.

salluste

lundi, 09 septembre 2013

La jalousie

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Nous avions bu beaucoup trop de rhum et tu m'interrogeais sur la jalousie professionnelle alors que le soleil tombait sur la ville de Saint-Brieuc. Depuis les larges fenêtres de ton sixième étage néo-breton, nous pouvions voir les toits et là-bas le viaduc qui surplombe le port. Le soleil se couchait sur la zone industrielle. Dans le centre-ville, on savait que la musique (néo-bretonne, bien sûr) naissait dans les bars. Et je ne savais que répondre, je l'ai éprouvée un peu, celle que tu éprouves, je l'ai éprouvée comme toi un certain temps. Pour ne pas mourir étouffée sous la haine, la douleur et la honte, on peut apprendre à nager dans les lacs de montagne de spiritualité ou bien apprendre à se battre dans la fosse aux lions. La prière m'était étrangère, à cette époque, reléguée aux sous-sols de mon âme, et je suis descendue dans la fosse aux lions, prête à gagner ou à mourir. Mais bientôt les combats, qui parfois me laissaient KO, parfois m'apportaient quelques points, me parurent sans ivresse. Les gains n'augmentaient pas le bonheur de mon cœur. Je n'étais pas moins sèche après avoir gagné qu'après avoir perdu. Et la fréquentation des meilleurs, des vainqueurs, m'a déçue. Alors je me suis demandée à nouveau qui j'étais et ce que je voulais. Je suis Moi et je ne veux pas être comme eux. Je veux suivre la route que mon rêve dessine quand j'oublie le trouble du panier de crabes. Aussi ai-je quitté les rings, leurs vestiaires où l'on pleure de chagrin, leurs podiums où l'on pleure de joie. J'ai voulu tracer une route personnelle au milieu d'arbres et de ruines, là où me trouvais ; bâtir en terrain non convoité. Mais les cailloux décourageaient mes coups de pioche, les autres ne comprenaient pas ce que je faisais, difficultés, dénigrements m'enserraient de leur souffle souillé, de leurs exhalaisons malsaines. Il n'y avait plus ni douleur, ni bonheur, ni rien d'autre qu'un découragement dénué de sentiments. La confiance, je ne me souvenais plus de sa saveur. Aucune émotion ne me soutenait. Je voyais les anciens amis, perdus de vue, arrivés en haut des échelles, goûter leur dû. Je voyais certains assis tristement au bord des caniveaux, tristes et déçus d'eux-mêmes. Je me disais que tant que je vivrais, il ne faudrait pas toucher à ce plat vénéneux : l'acceptation subie. C'est la mort des vivants.

Je t'écoutais parler et ne parvenais pas à t'expliquer tout cela. Combattre et agoniser, tel est notre destinée. Tu crois que ceux que tu regardes d'en bas méprisent ton être, tu crois qu'ils ont obtenu ce que tu as échoué à atteindre. Tu te trompes, car personne n'obtient rien d'autre que l'état de son cœur. Partout, nulle part, muni de tout, pourvu de rien, tu n'atteindras jamais autre chose que toi-même, horizon indépassable tant que tu n'as pas dompté la bête interne.

Ton visage crispé me disait au revoir à la gare, car nous n'avions pas su nous comprendre. Aucun de nous deux n'arrivait à bien respirer. Tu me disais au revoir en t'impatientant parce que le train n'arrivait pas et je souhaitais que tu repartes sans attendre que je montre les marches de la portière. Ta souffrance augmente avec le temps, car tu touilles sans cesse la grande casserole de tes plaies. Moi, je ne suis pas mieux mais je marche sur une autre route, et pour ne pas crever dans le fossé du désespoir, je bois souvent à la source qui étanche toutes les soifs et apaise tous les maux. Tu dis que le réel est partout et que la prière est fantasme. Je crois que tout n'est qu'illusion sauf la prière.

Ce soir d'automne de l'année 2011 s'éloigne et j'oublie certains aspects de ton visage et de ta voix. Je tente parfois d'imaginer le manque de confort dans lequel tu zones, et n'as-tu pas peur que tes traits reflètent un jour les émotions sinueuses et rampantes qui augmentent tandis que la jeunesse s'éteint ? Moi, le confort je crois que je le privilégie et qu'il me fait, tantôt me battre, tantôt renoncer. Je ne parle pas d'un confort cotonneux, mais d'espace intérieur pour que la respiration physique et imaginaire puisse se déployer en mon sein. Nous sommes enserrés dans des camisoles psychiques contre lesquelles il est dur de se battre, chaque geste peut les resserrer et dramatiser l'étouffement. Je me demande si les évangiles ne doivent pas se lire au présent ; si au cours du temps que nous passons sur cette terre, chaque péché nous plonge dans l'enfer, chaque résurrection, chaque redressement nous offre le paradis. Tant que nous avons besoin d'autre chose que de l'odeur du jour, nous sommes bons pour la casse.

(Ô Spartacus)

Si nous brisons toutes nos chaînes, que ferons-nous de notre liberté ?

chaîne, esclavage, liberté

dimanche, 08 septembre 2013

Ban public

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Le sommeil ne vient pas.

J'arpente dans ma tête

Cette salle des Pas

Perdus où je m'entête

 

À t'attendre, Geoffroy.

Quand ont sonné cinq heures

Au clocher du beffroi

J'ai senti que mon cœur

 

Se brisait. Le gardien

A fermé après moi.

Je suis partie sans rien,

Sans souvenir de toi.

 

Maintenant c'est la nuit.

Tu ne reviendras pas.

J'écoute tous les bruits,

Le sommeil ne vient pas.

 

Anne de La Roche Saint-André

(écrit dans le laps entre 1975 et 1978)

Anne de La Roche Saint-André, salle des pas perdus

Pères et mères, amants, frères et sœurs, amis enfants, voisins, si quelqu'un alentour a été emmené, menotté dans nos camps de Fleury, de la Centrale de Châteauroux ou de Rennes, ou dans tout autre prison de France et de Navarre, visitez Ban Public et vous trouverez peut-être de l'aide, une réponse, une adresse utile. Ou bien quelqu'un qui a besoin de vous. 

samedi, 07 septembre 2013

Axel Randers

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Photo prise par Axel Randers au Pont-Hus, dans les années 70

Axel est né en 1966. Il vit (et meurt de plus en plus, comme il le rappelle cruellement) à Zurich.

Je (Édith, qui rédige sa note biographique) l'avais rencontré quand j'étais petite fille, on m'avait laissée entrer dans le mystérieux salon et il était là, en visite, amené par un de ses copains.
Bien plus tard, dans la crypte du monastère où avait lieu l'étrange conférence sur la dynamique des fluides appliquée aux âmes canines et humaines, nous avons mis longtemps à se rendre compte que nous nous étions s'était déjà vus.
Il se rappelait de deux ou trois enfants, effectivement, qui couraient dans le vestibule.

Quelques articles d'Axel Randers, seul ou en collaboration, pour AlmaSoror :

Hétérosapiens ? Amour, sexe, filiation & liberté

Post-psychiatrique

Lettre d'amour de gauche

La nouvelle religion

Les deux hypocrisies

J'ai replongé

Lettre d'un Suisse à une Allemande qui étudie la colonisation française

La ville de perdition

Université d'antan, amis de demain

Petite brouette de survie

Echec de l'école ou réussite de la télévision ?

Liberté, égalité : au-delà du pride et du phobe

Mélange de paternités

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Rue du Hasard

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« Je n'ai jamais réussi à définir le féminisme.
Tout ce que je sais, c'est que les gens me traitent de féministe à chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec une prostituée ou un paillasson. »

Rebecca West (1892-1983)


Elle doit vraiment s'appeler la rue du Hasard, puisqu'à sept heures du soir j'y ai reconnu ton visage, sur lequel le temps avait laissé la trace de son passage.

Et ta voix peu à peu redevenait semblable à celle qui choisissait ses lunettes de soleil et ses bottines dans la rue de l'Annonciation.

Passy, années 2000 : tu marchais au bras d'un jeune homme si élégant que vous aviez l'air d'un petit couple de marquis des temps modernes. Les autres filles disaient "comme elle a de la chance !" et les garçons savaient que jamais ils n'auraient une fille comme toi, Héloïse.

Mais nous égrenions les prénoms du temps passé et je te répondais : oui, je le revois, il vit ici, oui, j'ai des nouvelles, elle fait cela. Et toi ? Toi, aux noms que je mentionnais, tu disais que tu ne sais plus rien d'eux.

Ce si beau jeune homme, que tu avais laissé un matin, seul dans son joli appartement du XVI°arrondissement où il révisait ses plaidoiries de la semaine à venir, je n'ai pas osé te le dire en apercevant la lueur inquiète valser dans ton regard : il s'est marié cet été, avec une autre belle, tout aussi belle que tu l'étais. Et dans le ventre d'Astrid un fœtus lentement se forme.

Mais je regardais dans cette rue du hasard tes mains crispées et tu me disais que non, tu ne retournais plus à Passy, chez tes parents.

Derrière toi, un homme tatoué faisait cling cling quand il bougeait, avec ses bagues, ses anneaux, ses colliers. Il portait dans ses bras sans amour un bébé endormi.

- Nous vivons rue Le Rouge et le Noir, là-bas. Et tu montrais une direction, vers le douzième et le vingtième arrondissement.

Nous nous quittâmes sans échanger de numéro. Tu marchais derrière lui, et en vous regardant disparaître au fond de la rue du Hasard dissipé, je me souvenais de tes bottines, de tes lunettes et de ton bras dans celui dont le nom t'a fait trembler.

Comment s'appelle ton destin ?

 

 

(Et si la musique de Schnittke qui accompagne ce billet vous a plu, c'est peut-être que vous ressemblez à Héloïse ou à J-F de Passy, ou à moi. Peut-être...)

 

jeudi, 05 septembre 2013

17 septembre : rendez-vous à la SGDL pour une soirée radiophonique

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écoutez-vous parfois, en conduisant, en dormant, en sirotant un café, des fictions radiophoniques ? Moi, j'ai commencé à les écouter après la lecture de La tia Julia y el escribidor (La tante Julia et le scribouillard), de Vargas Llosa : nous étions dans un train nord-péruvien, elle dormait, je lui ai pris son livre et l'ai lu... Quelque temps plus tard, j'écoutais mes premières radionovelas

La fiction radiophonique existe, bien que cette existence soit discrète ; elle procure parfois du plaisir, de la stimulation intellectuelle et auditive, elle est une autre façon d'aborder l'imaginaire. Non, ce n'est pas du théâtre. Non, ce n'est pas du conte. Cela ne ressemble à rien d'autre qu'à la fiction radiophonique, et la Société des Gens de Lettres, au sein de laquelle sévit la tenancière du blog AlmaSoror, vous invite à écouter Débruitage, de Christophe Deleu et François Teste, puis à poser des questions aux deux auteurs ensuite, si le cœur vous en dit.

Pour être certains que vous aurez une chaise, il faut envoyer un mail à la fée communicatrice de la SGDL, en lui disant que vous assisterez à cette soirée. Son mail est au bas du document ci-dessus.

N'hésitez pas : osez, venez, écoutez et savourez !

 

Edith

Sans peur et sans remède

 

mercredi, 04 septembre 2013

4 septembre : billet anniversaire

AlmaSoror, souviens-toi de tes 4 septembre.

2009 : souvenir d'un temps de foi européenne, comme en témoigne cette farfelue "Formation de la société européenne". Le texte date de 2006, 2009 est une republication.

2010 : Si vous saviez à quel point noire, noire, noire est la nuit lorsqu'elle se dépsychise.

2011 : Vous lûtes Richesse et misère de nos comptes en banques et de nos coeurs.

4 septembre, hyperadaptation, la formation de la société européenne, europe et éducation, dépsychisation, nuit, nuit noire, compte en banque, richesse, misère, coeur

mardi, 03 septembre 2013

(sans titre)

 


Ne ressens rien qui ne soit important pour ton âme.

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lundi, 02 septembre 2013

La rentrée d'Anatole

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Ce texte que tant d'entre nous récitâmes sur une estrade vieillotte et poussiéreuse, sous les yeux d'une institutrice acariâtre qui méprisait les bandes dessinées... Dehors, la rue, les cafés, le square et les chiens qui passent avec les vieilles dames. Loin, trop loin de la mer.

Ce texte que tant d'entre nous ne récitâmes pas sous le tableau de métal et de plastic, face au jeune prof en jean, mal rasé, qui faisait des fautes de syntaxe. Dehors, les barres, le périphérique, les kebabs, l'espace vert et les pitbulls attachés ensanglantés avec les jeunes garçons. Loin, si loin de la mer.

En France, à quelques années de distance, à quelques kilomètres de distance, quand nous étions enfants.

Je vais vous dire ce que me rappellent tous les ans, le ciel agité de l’automne, les premiers dîners à la lampe et les feuilles qui jaunissent dans les arbres qui frissonnent ; je vais vous dire ce que je vois quand je traverse le Luxembourg dans les premiers jours d’octobre, alors qu’il est un peu triste et plus beau que jamais ; car c’est le temps où les feuilles tombent une à une sur les blanches épaules des statues.
Ce que je vois alors dans ce jardin, c’est un petit bonhomme qui, les mains dans les poches et sa gibecière au dos, s’en va au collège en sautillant comme un moineau.
Ma pensée seule le voit ; car ce petit bonhomme est une ombre ; c’est l’ombre du moi que j’étais il y a vingt-cinq ans ; Vraiment, il m’intéresse, ce petit : quand il existait, je ne me souciais guère de lui ; mais, maintenant qu’il n’est plus, je l’aime bien.

Il y a vingt-cinq ans, à pareille époque, il traversait, avant huit heures, ce beau jardin pour aller en classe. Il avait le cœur un peu serré : c’était la rentrée.
Pourtant, il trottait, ses livres sur son dos, et sa toupie dans sa poche. L’idée de revoir ses camarades lui remettait de la joie au cœur. Il avait tant de choses à dire et à entendre !

C’est ainsi qu’il traversait le Luxembourg dans l’air frais du matin. Tout ce qu’il voyait alors, je le vois aujourd’hui.
C’est le même ciel et la même terre ; les choses ont leur âme d’autrefois, leur âme qui m’égaye et m’attriste, et me trouble ; lui seul n’est plus.

C’est pourquoi, à mesure que je vieillis, je m’intéresse de plus en plus à la rentrée des classes.

Anatole France

 

dimanche, 01 septembre 2013

Ton rêve, lorsque tu penses à celles, à ceux qui dormaient dans ses bras avant toi

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Damien :

Toutes ces femmes, toutes ces femmes, toutes ces femmes flottent autour de toi quand tu marches sur la place qui s'étend vers le Sud de la ville. Et tous ces chiens, ces chiens, ces chiens qui dorment de l'autre côté de ton regard, as-tu prononcé leurs noms ? Tu vieillis, tu vieillis, tu vieillis, autour de tes yeux et sur le bord des lèvres il est écrit que tu vieillis. Tu dors, tu dors un peu et je m'endors au fond de mes propres yeux - où sont l'écaille et le hasard fiévreux ? Le hasard qui nous avait tendu les mains, les bras, plus loin que le coin des gens heureux.

 

Électre :

Ressembler aux hommes et aux femmes qui m'avaient donné du feu, à Pornichet. Ils ressemblaient à un rêve et ils souriaient comme des frères. Ils avaient l'habit des princes et ils m'invitaient à aller avec eux. Ils me laissaient libres. Ils me laissaient partir si j'étais différente, pas assez libre, pas assez prête, pas assez d'accord.

Je suis partie et je le regrette. Je ne pense pas à ceux qu'ils avaient étreint avant. Je pense à ceux et celles qui ont eu la chance d'être étreints après. Après que je n'aie pas osé rester.

 

Marc :

L'influence de l'imaginaire sur la voix, sur la peau, sur la vue, l'ouïe, l'odorat ; sur la détente et l'énergie ; sur le rire, les gestes, sur la qualité des silences et sur celle des caresses : l'influence de cet imaginaire est trop grande pour que je me laisse aller à imaginer les autres hommes de sa vie.

 

Édith :

Je me dis qu'elles étaient belles, chaudes, denses, ensoleillées ou peut-être, parfois, nocturnes dans leurs voix ombrées, au fond de leurs films noirs, avec leurs mains expertes, et je bois du rhum.

 

Alexandre :

Je veux tout savoir et j'insiste pour tout entendre, tout comprendre, tout refaire comme ils avaient fait.

 

Délia :

Ne rien savoir. Ne rien penser. Agir. Tout lui faire oublier.

 

Laure :

Ce n'est pas un rêve, c'est un cauchemar.

 

K :

J'y peux rien. Moi aussi j'ai eu mes amours fauves.

 

Manuel :

Je les compte et je me compare !

 

Antoine :

Rien à foutre.

 

Florence C :

Je suis la seule, l'unique, la première et la dernière.

 

 (Sur une idée de K.)