jeudi, 03 janvier 2013
Gange
C'est amusant d'aimer quelqu'un et de ne pas pouvoir dire "quelqu'un" en parlant d'elle, parce que tout le monde rirait beaucoup.
C'est étonnant de contempler un visage et de deviner que le mot "visage" paraitrait ridicule à la plupart des gens.
C'est stupéfiant de partager de grands moments d'enthousiasme et de tendresse, et de penser que les gens pensent que l'autre n'éprouve pas de sentiments.
C'est renversant d'éprouver un deuil profond, déchirant, et de savoir que les gens trouvent cela ridicule.
"Ce n'est qu'un chien !"
Tu n'était qu'une chienne. Tu n'étais que ma meilleure amie. Tu n'étais que mon autre soeur. C'est pourquoi, dix ans après, tu n'es que mon meilleur souvenir ! Merci à toi, belle étrangère. C'est vrai que tu étais canine, trop canine. Mais moi j'étais humaine, trop humaine. Et nous étions ensemble, très ensemble, sur cette route qu'on appelle la vie et qu'on quitte un beau jour, pour toujours.
Quand je ferme les yeux, au cours d'un dîner, dans un restaurant de la ville, un fantôme passe : tu cours dans le bois loin devant, tu me regardes pour vérifier que je te suis. Quand je rouvre les yeux, je fais semblant de penser à des choses "importantes".
Edith CL
(photo de Gange par Sara)
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mercredi, 02 janvier 2013
Et moi, j'écoutais, crevant d'ennui
Romain Rolland, dont l'épouse Macha (communiste athée élevée dans l'orthodoxie) est en train de se convertir au catholicisme, crie sa lassitude dans son journal personnel, alors que sa femme et ses hôtes, l'écrivain Alphone Bredenbeck de ChateaubrianT (qui n'a rien à voir avec ChateaubrianD) et sa compagne, sont plongés dans d'obscurs et béats entretiens religieux.
« Donc, Chateaubriant et son amie ont passé l'après-midi parlant de Dieu avec Macha, sans arrêt, cinq heures durant. Et moi, j'écoutais, crevant d'ennui, la tête malade, n'en pouvant plus de cette atmosphère d'absurdité et de rabâchage métaphysique, théologique, « mystagogique », où je suis forcé de mariner, comme un vieux concombre récalcitrant, depuis quatre à cinq mois ! Je ne puis plus tolérer une goutte de ces divagations infantiles, toutes jubilantes de leur certitude, dans le sans-forme. Je suis saturé jusqu'à l’écœurement. Je finirais par réagir, dans la peau ridée de Voltaire ricanant. Vive le bon sens ! S'il y a un Dieu, je suis bien sûr que c'est son plus bel attribut. Croient-ils lui rendre hommage avec ces montagnes d'obscurités accumulées, qu'ils se flattent ensuite de gravir ? Ne serait-il pas plus vraiment pieux et plus sain de dire : - « Il est trop grand. Je ne sais rien, - sinon que je l'aime et que j'espère en lui » ? Et puis, faire sa tâche quotidienne, simplement, en se confiant en lui, sans se mêler de ce qui le regarde... - C'est là, pour moi, la vraie piété. Tout le reste est orgueil et délire de l'esprit ».
Romain Rolland - Journal de Vézelay
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mardi, 25 décembre 2012
L'artiste comme le public tirent leur dignité de leur exigence
Photo d'une vitrine de boutique sablaise
Extraits des Entretiens sur la musique, de Wilhelm Furtwaengler (1947)
Ces entretiens furement menés par Walter Abendroth. Ils furent traduits en 1953 chez Albin Michel par J-G Prod'homme et F.G. C'est un exemplaire de cette édition que j'ai trouvé par terre, dans un carton de livre laissés là exprès, rue du Cherche-Midi, un jour d'août 2011.
Les Sables, entre mer et lac de Tanchet
A : Ne serait-ce pas le devoir de la critique que d'expliquer l'idée que se fait le public, et de soi-même, et de ses propres jugements ?
F : Elle ne le peut pas – quand bien même elle le voudrait et s'imaginerait le pouvoir. Car elle-même fait partie du public.
Si la réaction immédiate du public est souvent injuste, son jugement définitif est pourtant fondé. J'ai donné déjà la raison de ce paradoxe : c'est qu'il faut du temps pour entendre un artiste et répondre à son œuvre. Et il en faut d'autant plus que l'artiste sera plus original et l’œuvre profonde. Il est tout naturel que, de prime abord, le public oppose de la résistance à ce qu'il ignore. Et pourtant, il est absolument certain qu'à la longue il sera vaincu par la nouveauté – si toutefois elle est vraiment de qualité.
Tâchons donc de nous rendre compte de ce qui se passe entre l'artiste et le public. D'abord, l'un et l'autre ne deviennent vraiment « eux-mêmes » que dans leur rencontre, et par cette rencontre. Tant que l'artiste n'a pas dompté son public, tant qu'il n'a su en réveiller et aiguiller les inconscientes aspirations vers l’œuvre d'art, ce public – et au lieu de dire : « le public » on dirait aussi bien « le peuple » - ne prend ni conscience de soi-même, ni qualité de public, mais reste ce qu'il était tout d'abord : une foule quelconque, indéfinie.
Qu'en serait-il, par exemple, de toute notre « vie musicale » si – supposition paradoxale – Beethoven n'avait pas écrit ses symphonies ? Prédécesseurs et successeurs de Beethoven, et surtout Beethoven lui-même, ont, en fait, créé, par l'action de leurs œuvres, ce que nous avons depuis appelé « le public de concert ». Ce public-là est sans doute autre chose qu'une foule amorphe et passive. Depuis que des maîtres l'ont formé, il porte en lui une échelle de valeurs. Il a des exigences ; l'artiste y devra suffire. Et l'artiste, à son tour, a des exigences envers le public – exigences auxquelles le public ne demande qu'à répondre : car c'est d'elles qu'il tire sa véritable dignité. C'est qu'il y a public et public : il y a grande différence selon qu'une foule « devient un public » à l'occasion d'une course de chevaux ou d'un combat de boxe, ou à l'occasion d'une symphonie de Beethoven. La qualité – qui seule importe – de son « unanimité de public » ne sera pas, dans le cas sportif, le même que dans le cas musical.
Mais encore : Même lorsqu'il s'agit du seul domaine des événements artistiques, nous constatons des différences de cette sorte. Wagner appelle « Effekte » (effets extérieurs), les effets qui ne visent qu'à « frapper » la foule et qui peut-être l'emballeront momentanément, mais n'en feront pas une véritable communauté. L'Effekt, disait-il, est par définition « effet sans cause », - et c'était précisément à l'époque de Wagner, à l'époque de l'avènement des grands virtuoses, que les musiciens se mirent à rechercher ces « effets sans cause », et à s'en servir. Mais ainsi, pour la première fois, les rapports du public avec l'artiste devinrent le problème qu'ils sont aujourd'hui : c'est alors que commença, de l'un à l'autre, cette progressive aliénation qui, à présent, met en question toute notre « vie musicale ». Vouloir faire de l'effet à tout prix : ce fut là, dès l'époque de Wagner et de Liszt, le signe que l'on allait vers la désaffection. Et, par la surenchère de l'effet, on cherchait éperdument à garder un contact qui menaçait rupture, et à maintenir entre les musiciens sur l'estrade et les auditeurs la « vraie communauté ».
Mais voilà : transformer un public en « vraie communauté », ne fut-ce que momentanément, - il faut pour cela des œuvres qui sachent empoigner l'individu, non pas en tant qu'individu isolé, mais comme faisant partie d'un peuple, comme faisant partie de l'humanité, comme créature habitée par une étincelle divine. C'est seulement grâce à de telles œuvres qu'un public prend pleine conscience des forces latentes qu'il porte en lui ; et ce n'est que de ces œuvres-là qu'au plus profond d'eux-mêmes les hommes ont vraiment besoin, en dépit de leurs réactions superficielles, de leurs arbitraires entraînements et de leurs prédilections momentanées. Ce qui n'empêche pas que, dans la vie musicale de tous les jours, toutes les fois qu'il les rencontre, le public oppose la plus vive résistance à de telles œuvres, et ne s'abandonne que de mauvaise grâce. En quoi le public ressemble à une femme qui ne trouve son bonheur qu'à céder à la contrainte.
A : Voulez-vous dire par là que l'effet produit sur le public serait plutôt un argument contre une œuvre ?
F : Ce serait raisonner de façon hâtive et simpliste. Qui nierait, par exemple, la valeur des œuvres d'un Beethoven à cause de leur effet sur le public ? Au contraire, c'est précisément « le fait Beethoven » qui nous permet le mieux de comprendre ce qu'est l'effet authentique et « légitime ». C'est que les œuvres de Beethoven produisent leur effet absolument et exclusivement par ce qu'elles sont – par leur essence, non par leur façade. Et encore : si Beethoven a cette efficacité, c'est grâce à la clarté avec laquelle il exprime ce qu'il a à dire. Le maximum de clarté dans l'expression est, pour l'artiste, la manière – la seule bonne manière – de tenir compte de son public. Goethe l'a bien dit : « Si quelqu'un a quelque chose à dire, qu'il me le dise clair et net. Pour ce qui est des choses problématiques, celles que je porte en moi me suffisent ». Mais pour répondre à cette exigence, il faut que tout d'abord on ait vraiment quelque chose à dire ; et que l'on puisse oser se montrer sans apprêt ni voile, tel que l'on est – et cela n'est évidemment pas donné à tout le monde. Et tous ceux qui dans la vie, et même (et surtout) dans leur art, s'expriment de façon tarabiscotée, j'ai peur qu'ils n'aient, le plus souvent, de bonnes raisons pour éviter la manière simple et directe.
Il y a des œuvres qui font de l'effet parce qu'elles visent à en faire et s'y efforcent. Il en est d'autres qui, pour faire de l'effet, n'ont qu'à exister. Et c'est pourquoi l'action des unes à la longue s'exténue, alors que le Temps ne semble point entamer l'efficace des autres.
Wilhelm Furtwängler
1886-1954
(photo trouvée sur Internet)
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jeudi, 20 décembre 2012
Lettre de Loup
Chère Édith,
Un vieux roman allemand " L'Ami de Dieu de l'Oberland / Der Gottesfreund vom Oberland ", eut une influence malheureuse sur le destin de la Russie. L'ouvrage de la fin du moyen-âge, est dû à un marchand strasbourgeois, Rulman Merswin, (né vers 1307 - mort en 1382), tombé dans le mysticisme. Il avait créé une communauté pseudo-mystique nommée " l'Île verte", et correspondait ardemment avec Johannes Tauler, le théologien dominicain établi à Strasbourg. Rulman Merswin prétendait avoir rencontré en 1351 le personnage de son livre.
Le nom " Ami de Dieu " fut employé par divers personnes en référence à l'évangile de Jean 15:15, pour dire leur appartenance à un mouvement mystique durant le 14e. Comme je vous l'ai expliqué, l'ouvrage est présenté comme vrai par l'auteur, mais n'est en fait qu'un roman. Il se veut comme le récit des quatre premières années de la nouvelle vie du héros, personnage idéal collant à l'esprit du mouvement mystique des Amis de Dieu... Le personnage est le fils d'un marchant, et a pour interdiction de dire son nom et de révéler tout ce que Dieu a révélé en lui, sauf à un inconnu vivant dans l'Oberland. Il vit toutes sortes d'aventures pieuses, devient le guide spirituel d'un prince hongrois. La conclusion de ce roman est que le Ciel accorde sa grâce à certains souverains en leur envoyant un homme pieux, doté de clairvoyance, venant à leur secours dans les moments difficiles. Dans le roman on ne sait pas ce que devient l'homme de Dieu, car il poursuit sa vie en ermite, et l'auteur dit avoir perdu sa trace.
L'ouvrage fut retrouvé au XIXe siècle, et tous les princes allemands le lurent ; plusieurs historiens firent des recherches pour savoir s'il y avait de la véracité dans le texte. Quand Alix de Hesse, future impératrice Alexandre Feodorovna de Russie, eut l'ouvrage en main, il était acquit que c'était un roman, mais elle crut que c'était une vérité, car il la confirmait dans le pseudo-mysticisme.
NB : on a beaucoup dit que cela lui avait été lui avait transmis par sa mère, Alice de Grande-Bretagne, mais en fait sa mère n'était pas du tout une superstitieuse, elle était amie avec le théologien David Friedrich Strauss, l'auteur de "La vie de Jésus", qui fit valoir que la Bible ne pouvait pas être interprétée littéralement comme la parole de Dieu, ce qui avait fait scandale à l'époque. Le "mysticisme de l'Impératrice lui provenait certainement de l'entourage de sa famille paternelle - parmi les exemples de cette influence : l'Impératrice porta toute sa vie une bague avec une svastika, porte bonheur pangermanique. Arrivée en Russie, éblouie par les courants superstitieux qui parasitaient l’Église orthodoxe, elle passa des années à la recherche de ce guide, rencontrant régulièrement ce que l'on nomme en orthodoxie, les fous de Dieu, qui a cette époque étaient généralement des simples d'esprits. Elle rencontra finalement finalement Raspoutine, qui bénéficiait d'une réputation exagérée par son entourage. L'Impératrice avait des bouffées délirantes, elle interprétait la réalité à sa manière, et la force de Raspoutine a été d'arriver au bon moment, de dire à l'Impératrice ce qu'elle voulait entendre, et de l’influencer en la laissant croire qu’elle avait besoin de lui.
Loup Odoevsky-Maslov
(photos de Sara)
photos de Sara
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mardi, 18 décembre 2012
Monsieur Bovary
« Si j'étais un homme, je ferais ce que vous me dites. Mais les pauvres bêtes qui veulent montrer leur amour ne savent que se coucher par terre et mourir ».
La Bête, dans le film La Belle et la Bête, de Jean Cocteau
(Extrait de Madame Bovary, de Vincente Minnelli, 1950.
Musique de Miklós Rózsa. Vidéo trouvée sur YT, merci à l'internaute qui l'a postée !)
A l'intention de monsieur Charles Bovary, époux malheureux et médecin de province.
Monsieur Bovary
Personne encore n'a écrit votre histoire.
Aucun écrivain n'a vomi en portant vos douleurs dans son ventre. Mais je vous promets qu'un jour vous aussi aurez votre roman. Ce sera le roman d'un médecin de campagne, mari et père, englué dans une vie taillé sur mesure pour un cœur plus cynique que le sien.
Dans ce roman, vous ne vous appellerez plus monsieur Bovary, afin que personne ne vous reconnaisse. Mais vous, vous vous reconnaîtrez. Et ceux qui ont aperçu l'image de votre cœur derrière la description de votre épouse, vous reconnaîtront aussi sans l'ombre d'un doute.
Je vous promets que ce roman sera plus grand encore, plus beau que celui qu'on fit pour elle. Il sera taillé dans une langue française toujours aussi belle bien que métamorphosée par la modernité que vous sentiez poindre en votre temps. Et il fera le tour du monde pour conter votre cœur mis à nu aux millions de frères qui vous restent ici-bas, qui vous ressemblent, et que vous ne connaissez pas.
Je vous prie de croire, monsieur Bovary, en l'expression de ma sororale cordialité.
Edith de Cornulier-Lucinière
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lundi, 17 décembre 2012
Carte du Tendre
Mais on continue quand même.
La rue est belle, les poubelles aussi sont belles, tout peut être beau quand on a les yeux remplis de ciel. Ma musique, mon amour, tu m’entraînes loin des hommes, alors parfois je te hais. Puis je me souviens que si tu m’entraînes si loin des hommes, c’est pour m’emmener plus près des étoiles ».
"Mes amoureux ressemblent à des frères d'ailleurs. Ils ont des longues jambes, des longs bras, des voix graves et des visages qu'on ne distingue pas très bien. Seuls leurs yeux brillent. Ils ne mangent pas, ils ne dorment pas, ils marchent sous la pluie. Ils ne lisent plus rien car ils ont appris tous les livres par cœur, comme dans Fahrenheit. Ils m'entourent, marchent autour de moi, armée d'amants qui me protègent du monde réel et des coups bas. Ils n'ont pas de maisons, mais des vaisseaux spatiaux. Ils surfent dans le ciel. Ils aiment mes écritures et mes danses. Ils ressemblent à des Peter Pan d'un autre monde, d'un autre temps, un temps qui vient lentement, lentement, ils ont un temps d'avance.
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mardi, 04 décembre 2012
Une chanson, trois films
Black Sun : un documentaire de Gary Tarn sur Hugues de Montalembert, artiste français qui, à 35 ans, vivant à New York, rentre chez lui et trouve deux Noirs-Américains en pleine cambriole de son appartement. Il se rixe avec eux ; l'un d'eux lui balance de l'acide dans les yeux. Il pousse un hurlement de bête horrifiée : trop tard. Quelques heures plus tard, l'acide a fait le travail : il ne voit plus que la nuit, la nuit intérieure. Alors il sombre dans le désespoir.
Et puis il apprend à écouter, l'homme si visuel, et même à jouer de la musique.
Il retourne, seul, sans prévenir son entourage, en Indonésie, pays dont il aime les gens, dont il parle la langue. C'est la Renaissance d'un homme blessé dans sa passion, dans sa liberté.
(Au milieu des problèmes qui m'assaillent, des Que faire ?, de la rancoeur qui monte à propos de tant de gens, J'écoute « à la manic », du chanteur québécois Georges Dor, c'est beau, et je plonge dans l'univers d'Hugues de Montalembert qui a tellement plus de choses à pardonner...)
Le vent des amoureux (Bâdeh Saaba), c'était un film pour grandes personnes, le premier qu'Albert Lamorisse, cinéaste du Ballon Rouge, de Bim le petit âne, de Crin Blanc, réalisait. Un documentaire pour les coeurs d'adultes, pour un fois. Mais Albert Lamorisse est mort dans un accident d'hélicoptère, comme si le magicien des films d'enfant se refusait à voir son oeuvre adultine. Mehrdad Azarmi a fini de monter ce film iranien après la mort de son ami.
(Quelle oeuvre en cours sera achevée par un ami pour la gloire d'un pays bien-aimé ?)
Il faut s'élever au-dessus de la médocrité qui nous encercle, renoncer à tout ressentiment - le pire venin qui soit. S'échapper comme Wang Fou, dont Marguerite Yourcenar a raconté deux fois l'histoire, une première fois pour les adultes, une deuxième pour les enfants, et que René Laloux a animé :
Plus nos pardons sont grands, plus notre âme est légère. Peu importe les chaînes de ceux qui s'ébattent et se débattent dans les paniers de crabes. Fiers d'être en haut ? Honteux d'être en bas ? C'est pourtant toujours le même panier !
« Solitude... Je ne crois pas comme ils croient. Je ne vis pas comme ils vivent. Je n’aime pas comme ils aiment... Je mourrai comme ils meurent ».
Yourcenar, dans sa jeunesse
Edith CL
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mercredi, 28 novembre 2012
Honneur à Caroline
Voici un texte écrit samedi dernier, avant la fin (à l'avant veille exactement). Maintenant tu dors...
Chère Caroline,
Ces deux ou trois rues de Villejuif sont gravées dans ma mémoire... Villejuif... Où je te vis pour les dernières fois, changeante de jour en jour, mais toujours toi.
Toi qui était si différente, de moi, de nous, et que nous avons découverte année après année, que nous avons aimée, sans nous soucier de cet amour... Parce qu'il était normal, un amour de voisinage, un amour de copinage, un amour parsemé de joies autant que de rancœurs, d'admiration autant que d'incompréhensions, un amour qui coule de source, dont on reçoit les douces effluves sans les remarquer et dont on sent l'épine aux moments où tout tremble, où tout chute, où tout s'effondre.
En ce moment, là bas, tu respires à chaque souffle plus difficilement, chaque souffle peut être le dernier. Et moi je suis là dans cet endroit que tu connais si bien, et qui parle de toi : cet immeuble à mi-chemin entre les Invalides et Montparnasse, un lieu où tu grandis, élevas tes enfants, accompagnas tes parents, vécus ton drame et y reçus les soins de ta maladie. Un lieu qui résonne encore de tes rires et de tes coups de colère, de tes blagues et de tes phrases impérieuses. Un lieu où ta silhouette n'apparaîtra plus qu'en rêve.
J'ai découvert Villejuif à l'automne 2012, cette ville si proche, si lointaine où tu m'as fait vivre d'inoubliables moments. La vie nous a montré, une fois de plus, immeuble 62, chambre 210, qu'elle est inséparable de la mort, que nos moments d'insouciance sont fragiles comme une caresse, comme le vent qui traverse la ville, comme un nuage qui passe.
Mais je ferme les yeux et Villejuif s'éloigne et disparaît. Je remonte le temps et ton visage s'embellit, il rougit à nouveau et voilà qu'un sourire apparaît, qui se transforme en rire bon vivant ; à nouveau le sérieux te reprend : c'est pour expliquer à quelqu'un un passage de l'histoire de France, une règle d'orthographe. La table est pleine de mets et de bouteilles et les convives t'écoutent défendre ta vision du monde, toujours campée sur des connaissances et toujours vaillante face aux contradicteurs. Je peux remonter le temps et je mesure ainsi la somme d'échanges et de partage que nous avons eus et qui nous ont nourris en profondeur.
Nous avons beau tenter de l'oublier, de nous distraire, la vie sait où elle nous emmène inéluctablement. Aucun d'entre nous ne sortira de ce monde vivant ! Lorsque l'un d'entre nous s'en va, et surtout dans la force de l'âge, et encore plus lorsqu'il n'est qu'un enfant, nous oublions soudain nos rires, nos joies, nos habitudes, nos énervements et debout au bord du gouffre, nous nous demandons : comment est-ce possible ? Je l'aimais, nous l'aimions, elle nous aimait, rien n'était achevé. Pourquoi cette route de douleur et la mort pour récompense ?
Parce que... Parce que ? Le mystère est aussi grand que cet amour que nous éprouvions pour toi, que nous continuerons à arroser comme l'une des plus belles fleurs de notre jardin secret.
En regardant tes filles et tes petits-enfants pousser, grandir, vieillir et poursuivre la voie que tu leur as ouverte, la vie que tu leur as donnée ; en suivant chacun notre route personnelle ; en tombant, chacun notre tour, par hasard, par fatigue ou par maladie ; nous garderons vivant et vibrant ce que nous avons vécu par toi et avec toi.
Adieu et à tout à l'heure, pardon et merci, voilà ce que nous pouvons dire à celle que nous aimons, et qui nous précède au-delà...
J'écoute en t'imaginant partir cet Adagio de Secret Garden, qui restera à jamais lié à ton image dans ma mémoire.
J'ai prié pour ton cœur, pour ton corps, pour ton âme au son de cette mélopée douce et lancinante, qui va droit au cœur. Je n'aurai qu'à l'écouter pour que ma prière s'élève à nouveau vers toi et que ton visage m'apparaisse, tel qu'il était quand tu riais, tel qu'il était quand tu dansais sur l'herbe à la fête du 21 juin.
Te sachant au bord de mourir, j'écoutais cet adagio, mais chaque fois que je l'écouterai encore c'est une image de vie qui m’apparaîtra.
Honneur à Caroline É......., qui ne manqua pas d'honneur.
Samedi 24 novembre 2012 vers neuf heures du soir,
Edith de CL
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lundi, 26 novembre 2012
...où les ténèbres se font, là...
"Tout ce que l'entendement peut comprendre, tout ce que nos désirs peuvent désirer, ce n'est pas Dieu. Mais là où finissent l'entendement et les désirs, où les ténèbres se font, là commence la lumière de Dieu."
Maître Eckhart
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mardi, 20 novembre 2012
Peine de cœur
Papa habite dans une très grande maison loin derrière la ville, avec d’autres papas.
Comme nous, ils mangent à la cantine,
ils se disputent dans la cour de récréation.
Comme nous, ils n’aiment pas obéir, ils ont peur du noir.
Comme nous, ils rêvent de jouer à quelque chose.
Papa apprend à fabriquer des boites dans un atelier.
Son maître est gentil.
Il apprend à écrire dans un autre atelier. Sa maîtresse est nulle.
Comme moi, il voudrait voler dans le ciel avec les oiseaux.
Comme moi, il voudrait dormir dans le lit de maman.
Comme moi, il rêve de partir quelque part.
Papa s’ennuie dans la très grande maison loin derrière la ville.
Il s’ennuie du matin au soir au milieu du fer, des clous, des portes.
Le jour, son cœur est fermé.
La nuit, il entend son cœur frapper comme un tambour.
Comme moi, il ferme les yeux pour se souvenir de notre porte d’entrée.
Comme moi, il sent des larmes quand il imagine notre princesse avec sa robe bleue, avec son sourire rouge.
Comme moi, il attend de rentrer à la maison.
Papa a pris quatre ans, dont deux avec sursis.
Edith de CL
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dimanche, 18 novembre 2012
L'orgueil
Nous reproduisons ici, un extrait du Manuel de spiritualité composé par l'abbé Saudreau (1859-1946).
C'est la seconde fois que nous reproduisons un fragment de ce livre. Le premier passage enseignait que tous les métiers mènent au ciel ; celui-ci définit l'orgueil.
Nature de l’orgueil ; ses diverses formes.
" Chacun est tenté par sa propre concupiscence qui l’emporte et le séduit " dit l’apôtre saint Jacques (i, 14). Les attaques du démon, dont nous parlerons bientôt, seraient peu dangereuses, si nous n’avions au-dedans de nous des ennemis redoutables, nos passions. Ces inclinations au mal, déjà par elles-mêmes impétueuses et ardentes, trop souvent sont devenues plus tyranniques par les fautes commises, par les concessions qui leur ont été faites. On ramène assez ordinairement à trois divisions principales les mauvais penchants : l’orgueil, la sensualité, l’attachement aux biens de la terre.
L’orgueil est un amour désordonné de sa propre excellence. Saint Thomas, reproduisant un texte de saint Grégoire, enseigne que l’orgueil se manifeste de quatre manières différentes : ou nous nous attribuons à nous mêmes ce que nous avons de bon, ou, si nous reconnaissons que ce bien vient de Dieu, nous croyons qu’il était dû à nos mérites, ou nous nous vantons de posséder des qualités que nous n’avons pas, ou méprisant les autres nous désirons être estimés singulièrement pour les qualités que nous avons. (2.2, q.162, a.4)
Le principe de l’orgueil réside dans une complaisance exagérée en soi-même : on aime à penser aux qualités que l’on a ou que l’on croit avoir, on s’en réjouit, non pas comme d’un don de Dieu accordé à un indigne, mais comme d’un bien personnel, dont on s’attribue la gloire, que l’on est fier de posséder ; l’homme ainsi disposé se fait une idée exagérée de ses qualités et souvent s’attribue des qualités qu’il n’a pas : ainsi font ceux qui n’ont confiance que dans leur propre jugement ; ou il prend pour des qualités ce qui n’en est pas : ainsi font ceux qui sont fiers de posséder des richesses, de porter de brillantes toilettes.
La complaisance exagérée en soi-même entraîne naturellement la dépréciation du prochain : l’orgueilleux, à son insu, est sévère et injuste dans les jugements qu’il porte sur ses frères, il veut se croire supérieur, et cette disposition de sa volonté le porte inconsciemment à abaisser les autres, il pensera volontiers que seul il a raison et que les autres se trompent.
De la complaisance en soi naît la vaine gloire, appelée encore la vanité, qui est le désir déréglé de l’estime et des louanges. Tout désir de gloire est désordonné si l’on cherche sa gloire dans des choses fragiles et éphémères, si l’on fait reposer sa gloire dans le jugement des hommes, qui sont si sujets à l’erreur, si on désire l’estime et l’approbation pour autre chose que pour l’honneur de Dieu et le bien des âmes. (S. th., 2.2, q. 132, a. 1) Elles ont donc le vice de la vaine gloire ces personnes éprises d’elles-mêmes qui tiennent à occuper l’esprit des autres, à être l’objet de leur attention, à en être admirées, mêmes pour de futiles avantages ; de même celles qui ont une crainte excessive d’être oubliées, d’être comptées pour rien, qui ont horreur d’être méprisées, d’être raillées.
L’orgueil produit aussi l’ambition, qui est l’amour de l’autorité et des honneurs. Imposer sa volonté, recevoir des marques de respect, voilà à quoi aspirent les personnes autoritaires et les personnes ambitieuses.
Une autre forme plus cachée de l’orgueil est celle qui porte à la tristesse, au dépit, au découragement. Si la personne qui nourrit en elle-même un amour désordonné de sa propre excellence, est par tempérament portée aux noires pensées, elle sera frappée de ses défauts, comme d’autres sont épris de leurs qualités ; elle y pensera sans cesse, elle en concevra une tristesse amère, et elle sera très vite la proie de l’abattement et du découragement. Cette forme de l’orgueil est dangereuse, parce qu’elle simule l’humilité et parce qu’elle paralyse les âmes".
Autre fragment du Manuel de spiritualité proposé par AlmaSoror
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samedi, 10 novembre 2012
Pression atmosphérique : 55 degrés KZF dans les nuages
Il y a dans le silence du monde, une place pour ta guitare électrique, Pat Metheny.
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mercredi, 07 novembre 2012
"Wiwi, il s'appelle Wiwi et je chante comme lui...
"C'est un garçon pas comme les autres... Mais moi je l'aime c'est pas de ma faute... Même si je sais qu'il ne m'aimera jamais".
Wiwi est un grand artiste dont l'art consiste à faire éclater en plein jour les misères de nos vies d'adolescents pris en charge par la société du spectacle. De ses vidéos émanent une intensité rare et poignante. Il fait vibrer au plus profond de nous même la corde douloureuse de nos ratages personnels. Mais au même moment où nous sentons que nous allons nous effondrer, ses prestations désopilantes nous portent vers l'éclat de rire.
La fascination se poursuit à travers plusieurs vidéos. Si l'art consiste à "nous faire voir que nous n'avions pas vu ce que nous avons vu", comme l'écrivit Paul Valéry, alors l'ensemble des vidéos de Wiwi constitue une oeuvre en construction, pleine de sens, d'amour et de désespoir.
Wiwi égratigne "suspens" de Jeanne Mas par wiwibulle
Wiwi égratigne "Cold song" par wiwibulle
Wiwi égratigne "l'enfant aux cheveux blancs" de... par wiwibulle
Wiwi égratigne "qu'est ce qui t'as pris" de Jean... par wiwibulle
Wiwi égratigne "je veux pleurer comme Soraya" de... par wiwibulle
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mardi, 06 novembre 2012
La fugitive
Je suis la fugitive vêtue des parures de l'ampleur des normes. Bouffantes, mes manches de quotidienneté. Précieux, les petits boutons qui m'enserrent dans la prison partagée de nos censures.
L'ange s'avance et vous sentez sa présence, invisible, intangible, androgyne. Son nom ? Judicaël. Son âme ? La douleur. Son arme ? La splendeur. Son rêve ? La douceur. Son aile ? La voilure. Son île ? L'aventure. Son mal ? La biture. Son amie ?
Je suis Celle qu'il aime, malgré toutes mes turpitudes. Je suis Celle qu'il accompagne. Je suis Celle qu'il sauve, de jour, de nuit et de tous temps. Il est l'ange de mes routes, l'ange de mes insomnies. Il est l'ange de mes jambes brisées, l'ange de mes crises larvées, l'ange de mes voies abandonnées.
Et dans mon naufrage il me murmure qu'il m'aime quand même, quand bien même j'ai échoué.
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lundi, 05 novembre 2012
Jour de Sleipnir
à Vénéxiana Atlantica, malgré tout :
en dépit de la haine qui se dresse entre nous comme une vague insurfable,
en réponse à ton autobiographie, aux allusions incertaines.
Les oiseaux fantômes ont passé la frontière
Sous les ciels gris, plombés,
Écoute leurs chants sans sommeil
- Entends leurs cris désespérés.
On ne trouve plus d'amour dans les boutiques,
La musique ne s'écoule plus sous les portiques,
Je repense aux jours de notre été...
J'entendais ta guitare pleurer.
Comme des ombres maigres, les cyborgs ont passé
Le pont Saint-Isidore de Séville ;
La cathédrale de verre les a abrités
Le temps d'une prière sans quête, sans sébile.
Il n'y a plus de noir, les nuits sont imparfaites,
Les aubes semblent fatiguées par toutes les fêtes,
J'ai rêvé du temps où, sans m'inquiéter,
J'entendais ta guitare pleurer.
Les chevaux psychopompes ont ouvert une cohorte,
C'est Sleipnir qui marchait le premier.
L'âme est le cœur de l'homme, c'est le corps qui la porte,
Et le cœur n'est qu'une pompe à brasser.
Je n'écoute que les bûches qui crépitent.
Le soir s'étire, au jardin l'enfant s'agite...
Savais-je ce que tes mains voulaient plaider ?
J'entendais ta guitare pleurer.
Édith CL, début avril 2012
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