vendredi, 26 février 2010
In Memoriam Gange
Ma chère Gange est partie en novembre 2002 voir ailleurs si on y était. Pour le dire plus brutalement : novembre 2002 est le mois de sa mort. Dès les jours suivants, on nous demandait : "et vous allez prendre un autre chien ?"
Il y a quelques jours, ce fut le tour de Lune de quitter ce monde, laissant Catherine, son humaine, et Têtue, sa fille, seules face à face dans la douleur partagée. La grande Lune qui hanta l'appartement du 13, boulevard M. quelques jours et qui faisait si peur aux voisins.
Perdre un être cher : qu'il soit homme ou chien, une seule chose change : le regard d'autrui. Le degré de légitimité qu'il accorde à notre peine.
Et c'est au fond assez amusant de savoir que les gens mettent des notes aux tristesses des autres.
"Everybody got this broken feeling
Like their father or their dog just died"
Leonard Cohen in Everybody knows
Mais je sais que nous sommes un poisson
Toi et moi quelque part nous nageons dans l'océan
Tu es je ne sais où, je suis toujours ici
Mais au fond nous sommes un poisson
Ton départ a tout effacé, sauf ta présence.
Tes cendres frémissent dans leur boite,
Sur le piano.
Et je ris lors des grands dîners,
Je ris derrière mon masque.
Car je sais que nous sommes un poisson.
Tu as quitté ton corps,
Dans la mort.
Et j'ai quitté le mien, (l'air de rien)
Pour te suivre.
Voilà comment nous sommes devenues poisson.
Comme toujours, silencieuses,
Et comme toujours, amoureuses
De cet océan seul et immense,
Salé et sans souci
Qui nous noie inlassablement.
Seules certaines musiques
Endiablées mais lentes
Seules quelques musiques
Lancinantes
Laissent le poisson
Coloré
Nager dans l'air chaud du salon
Certains yeux nous voient
Je le vois
Certains yeux nous voient
Faire phe phe phe
Dans les vagues de fumée
Et sans drogue
Soeur de coeur
Sans alcool ni opium
Rien que le souvenir
De ton regard sans fond
Coeur de soeur
Pour rejoindre les fonds
Bas fonds
Tréfonds
De l'océan universel
Dans lequel
Toi et moi,
Le poisson,
Nous nageons.
Oui je sais que nous sommes un poisson
Toi et moi quelque part nous nageons dans le néant
Tu es je ne sais où, je suis je ne sais qui
Et c'est fou, nous sommes un poisson...
Au fond de mes yeux astrologues
Mon amour soeur
De mon ventre océanographe
Mon amour chienne
De mon coeur astrophysicien
Mon amour Gange
Au creux de mes mains géographes
La planète, petite comme une bulle
Ronde comme une pastille dans un tube
Danse
Et l'univers immense et nébuleux
Mène la transe
C'est ainsi que je sais
Que je sens
Que toi que moi que nous
Sommes Une
Nageant
Dans l'océan
Qu'importe que je parle à d'autres gens ?
Que je sois quelque part, à quelque moment ?
Puisque le temps n'est qu'un mirage
Et l'espace invisible...
Si le réel n'est que la vérité,
Nous ne faisons qu'une
Et nous faisons phe phe phe
Ton départ a tout effacé
Sauf mon absence
Et les cendres de mes cigarettes
Près du piano.
Et je ris lors des grands dîners
Je ris derrière mon casque.
Car je crois que nous sommes un poisson.
Certains yeux nous voient
Je le vois
Certains yeux nous voient
Faire phe phe phe
Dans l'écume-fumée.
Edith de Cornulier-Lucinière
Publié dans Le corps | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | Imprimer |
Les commentaires sont fermés.