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mardi, 07 mai 2013

à contre-réel

lundi, 06 mai 2013

Oracle

 

Il pleut des cordes dans la cour arrière, dans la cour « pot bouille » et sur le jardin. L'averse inonde le boulevard. Grande eau pour un lavage de printemps dont ne restera nulle trace de scorie.

Je prends le pouvoir. D'où que je vienne, c'est moi qui décide qui je suis et où je vais. Vous n'avez plus aucune prise sur ma vie, je suis dorénavant maîtresse de mon destin et n'abdiquerai jamais.

Je n'ai plus besoin de sauf-conduits, de passe-droits, de protecteurs : ma volonté suffit. Je n'ai plus besoin de remèdes, d'aides, de soignants : je m'offre la santé.

Il faudra s'habituer à mes nouveaux atours : autorité, puissance, gloire. Il faudra s'habituer au nouveau timbre de ma voix : le timbre du sceptre qui se dresse sur le monde.

Mon royaume ? L'empire autarchique. Mon trésor ? La perpétuelle abondance. Mon pouvoir ? La création.

Entre mes mains palpite le monde que je suis venue vous offrir. Que je souffle sur ces graines frêles et le miracle surgira.

Édith

 

Biographie officielle (merci à katharina)

Inspiration :

Dédicace de Lawrence à S.A.

Plaidoyer de Cagliostro

 Sit tibi copia,
sit sapientia,
formaque detur ;
Inquinat omnia
sola superbia,
si comitetur.

dimanche, 05 mai 2013

Lignes de fuite

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à Hanno, fraternellement, en souvenir de l'invécu

I Frontière

Nous allons faire la fête. Prenez ces verres qui se tordent de n'être pas bus au bord des tables penchées sur l'herbe. Laissez là vos manteaux et vos cravates, nous n'en aurons plus besoin de l'autre côté de la rivière, sur la butte où les pas ne laissent pas de trace.

Pluie et rayons du soleil dansent dans l'après-midi du parc et les vins tournés dégoulinent sur les nappes de papier.

Jazz, jazz, tu n'es pas mort, tu coules commercialement des hauts-parleurs et tu emportes le petit groupe vers son errance. Déni des livrets A et des clés de voiture, oubli de tout ce qui nous distingue en ville.

Avançons sur les chemins à moitié balisés sans écraser les fleurs printanières écloses hier.

Vous retournerez sur vos pas peut-être, ce soir ou demain quand nous en aurons fini avec la fête émerveillée. Moi, je crois que je ne reviendrai pas. Je chercherai plus loin sur la rive une maison sous un ciel qui promet la vue des étoiles chaque soir de la vie.

Car désormais, chaque soir je veux voir, dans un ciel d'un noir pur, scintiller des étoiles.

  

II Vertige

Là-bas, caresses fondantes, délices au fond des baisers qui se fondent en ondulations nuageuses vers les sphères éreintées des étreintes trop puissantes. Ici, à genoux sur les prie-dieu, chapelets monocordes jusqu'au Salut par l'Esprit qui souffle où il veut.

Ne jugez pas, car toute voie qui peut être tracée n'est pas la voie. Si vous riez de ci ou de ça, vous êtes cuit.

 

III Infusion

Une vie qui serait un long dimanche après-midi ; le soleil coulerait en lampée de miel sur la partie sud des maisons. Les arbres frissonneraient au léger vent de l'Ouest. Et les vieilles chansons de la forêt, chantées là-bas par des dames vieilles, berceraient nos langueurs. Une guitare ? Peut-être. Mais surtout, la douceur vagabonde de l'oubli.

Edith

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Un dimanche à Avila

sainte thérèse d'avila

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Je pense, pour répondre à ta question d'hier, que si j'avais un fils je l'appellerais Judicaël ou Dieudonné, et une fille, Anne.
Je n'ai plus d'inquiétude sur la question d'avoir ou non un enfant... âgée de trente ans, je suis allée dans l'église Saint-Thomas d'Aquin, et j'ai "demandé" d'avoir un enfant à 32 ans. J'ai renouvelé solennellement cette demande intérieure auprès du cercueil de mon grand-père.
Le jour de mes 33 ans, alors que rien ne s'était passé, j'ai éprouvé un cuisant dépit. Je m'en suis voulue d'avoir été si crédule, si ridicule. Dans cette déréliction, soudain, m'est apparue comme gravée sur une pierre imaginaire la phrase de Sainte Thérèse d'Avila : 

« Il y a plus de larmes versées sur les prières exaucées que sur celles qui ne le sont pas ». 

(C'est cette phrase qui a inspiré le titre du roman de Truman Capote Answered Prayers).


Je suis donc retournée à Saint Thomas d'Aquin pour exprimer ma gratitude et ma confiance que ma prière était exaucée au mieux quoi qu'il arrive. Depuis, j'ai un poids en moins, une confiance absolue que le mieux m'arrive, m'est arrivé, m'arrivera sur le plan de la maternité.
Il faudrait que je parvienne à atteindre une telle sérénité sur d'autres sujets, tel la vie financière... Mais on ne décide peut-être pas consciemment des prières profondes que l'on lance, des réponses non moins profondes qui nous arrivent.

Du rêve ou du réel, va dire lequel féconde l'autre... Sans leurs noces mystiques rien n'a de valeur en ce monde.

samedi, 04 mai 2013

La route

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La nuit

La nuit, l'enfance s'efface complètement. Les diables sortent par la porte de derrière ; les fées se drapent de tulle rouge et les rangées de serviteurs proposent des verres de champagnes à nos mains tremblantes.

Tu t'appelles je ne sais pas encore comment. Tes lèvres frissonnent de peur, de tendresse ou de froid, peut-être, bien qu'il fasse chaud au creux du bar du Temps. Demain j'ai 35 ans mon amour, accompagne-moi sur cette pente raide où tant d'amis ont dégringolé pour ne plus jamais remonter à la surface verte des jeunesses.

L'aube

L'aube, l'oubli des veilles nous guette. Ton bras suspendu sur le vide s'arrête. Le long des jambes, sur la surface des ventres, se balance l'espoir frêle qu'un jour, dans mille jours, nos mains presseront la même cafetière avant le chant du coq.

Aube nouvelle dans notre vie où se chante la liturgie des ouragans. Vatican III, danse avec moi !

 

L'après-midi

Route des vacances, j'ai fait toutes tes stations d'essence, tellement plus tard, bien après l'époque des petits Lu. J'y ai retrouvé pourtant les sensations d'une épopée de mon enfance, ressurgie ainsi au croisement des quatre voies contradictoires. Mais est-ce vraiment le temps de songer à ces nécropoles perdues, est-ce vraiment le lieu d'évoquer ce chemin en sens inverse ?

Le soir

Quand tout l'amour, tout l'argent, toute la gloire nous entourent, qu'est-ce qui nous pousse à partir en haillons par un soir de décembre et descendre l'escalier de la ville qui mène au banc des clochards ?

L'appel du vide, l'appel de Dieu, l'appel du Diable.

 

Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva, Edith de Cornulier Lucinière, Robert Desnos, j'ai tant rêvé de toi, Frédéric Hunter

photos Mavra NN - vidéos chouravées poliment sur le web.

(La nuit d'Henri Tachan
Le Grand Meaulnes, de Jean-Gabriel Albicocco
Robert Desnos par Frédéric Hunter)

jeudi, 02 mai 2013

Rage

rage

 

à Sébastien Ithiopia...

 C'est le ressac infini de mes rages que vous entendez dans le soir tombant. Les bruits de la cuisine et ceux de la terrasse ne peuvent étouffer les vagues noires de l'amertume. L'alcool qui coule en rivières dans vos verres, le train là-bas qui revient et nous rapporte les deux de province, la musique qu'Elle vient de mettre sur la chaîne hifi performante et l'horloge qui chahute qu'il est 21h15 ne nous trompent pas. Plus rien ne dissimule le flot sombre, cracheur de rage.

(Quelqu'un s'enfuit pour écrire sur l'ordinateur du garage).

 C'est le retour infini de mes saccages que je maudis en veillant les fourneaux. Les paroles des voisins et les rires des enfants n'atteignent plus mon être au centre glacé comme un fjord. Vos bons mots, vos maux mal cachés, les noix et les chips qui circulent à travers les mains lavées pour le soir, la chanson qui invoque la mémoire des noyés ne nous apaisent pas. Vous savez que je suis partie trop loin pour être sage.

(Cet imbécile qui vient souvent tente d'embrasser la mystérieuse près du buffet).

 C'est le reflux infini du remord qui me ronge quand je me tourne vers vous. Mon sourire rouge artificiel ne piège plus vos croyances erronées. Nul ne brise la convenance morte. Seul, cet homme tendre à la joyeuse tristesse ment à tire larigot, et personne ne songe à le contredire. Il est des appartements où le mensonge a tous ses droits. Il est des terrasses que seule la joie criarde maquille encore. Il est des amas de naufragés déguisés en assemblée conviviale. Il est des ruines de rêve, ce soir, qui baignent la pièce et le jardin de leur odeur cendrée.

(- C'est Arnaud, là-bas ?

- Il arrose les fleurs avant la nuit complète.)

 Mon Dieu, ma Rage, pourquoi inondez-vous ainsi ma vie ? Vos vagues bientôt nous recouvriront tous. J'irai m’enfuir aux antipodes de la fête, recroquevillée sur la chaise de la salle de bains, face à la lune éclatante qui fait du naturisme de l'autre côté de la fenêtre.

(Nous n'avons pas encore repeint les persiennes du mur condamné).

 Quand reviendras-tu, mon mage ? Ta main de chaleur, ton épaule de douceur, ta voix de basse qui me prenait, me portait, m'emportait, vers le lit de mes souvenirs. Sans toi mes fêtes sont si vides, mes amis si flous, mes membres si froids, sans toi rien ne tient vraiment debout.

(Qui vient de changer la musique ?)

 Mais te voici, rhum. Te voilà, punch. Exilé de Marie-Galante, tu irrigues mes veines mieux que mon sang. Tu institues en moi le règne du Sourire Parfait. Tu m'habites, tu m'habilles et mes joues rosissent, le rouge à lèvres tombe, obsolète ; je me tourne vers autrui, je tends les mains, je lève les bras, je chante avec eux. L'océan se calme, les dernières vagues meurent dans tes gouttes ambrées. La rage évanouie, je peux commencer à danser.

 Edith

cuisine, rage

Zestes de jeunesse (Qui sont les charmeurs de serpents ?)

Gange, Edith de Cornulier, Edith Lucinière

Quelquefois je reste assise, j'imagine le ciel, j'essaie de faire éclater ces verrous qui maintiennent nos pensées dans des cadres sans envergure.
En pensée, je brise toutes les vitres pour que l'air entre et balaye les préjugés qui restent en dépot et encrassent mon être. Comme sont précieux les gens qui par leur regard ou une phrase nous apportent une délivrance.

Je ne comprends pas pourquoi c'est impossible de se noyer dans l'azur, de se dissoudre dans un ciel bleu et pur.

Ne ressemblons-nous pas parfois à des serpents envoûtés qui se tordent dans un panier en rêvant de fuir ! fuir ! fuir !

Qu'est-ce qui nous retient ? Le corps ? Des liens ? Qu'est-ce qui nous retient ?

Tout au bout des insomnies, qui sait si on finit par trouver la méthode du souffle psychédélique...

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mercredi, 01 mai 2013

Mascara

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«Ils ont découvert l'enfant en suivant les traces de l'ogre».
Raoul Vaneigem

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Paul, est-ce toi qui m'a appris à porter un masque ? J'ai mille masques, qui ne sont qu'un seul masque. Ce masque avec lequel je dis des choses drôles dans des dîners en ville, ce masque avec lequel je courais dans les manifs noires et rouges à la Bastille, ce masque que je portais pour oser pénétrer dans le local des Apaches.
C'est avec ce masque que j'entrerai dans la grande salle pour siéger majestueuse parmi mes pairs ; c'est avec ce masque que j'abattrai les barrières entre deux corps transis de se mêler.

Paul, je t'ai démasqué.

Anne, est-ce toi qui m'as appris à donner mes trésors aux enfants étrangers, à cacher mes butins sous la terre du côté de l'étang, à pleurer sur la plage des Sables un premier mai, à sauter par la fenêtre en croyant qu'un filet va surgir pour me sauver ?

Anne, je t'ai surpassée.

Mascara, masacarade. Vous étiez si étranges, tout le monde le dit. L'ange blond et la brune triste perdus dans ce monde pour lequel vous n'aviez pas été dressés. Frères et soeurs morts en bandoulière contre vos coeurs, rage de passer à l'épée le décor de vos enfances détraquées.

Satan et Chiquita, que reste-t-il de votre cavale ?

Une saltimbanque, une européenne, un mousquetaire : trois adultes qui se souviennent à peine. Des photos déchirées dans un jour de colère. Des vinyles et des bouquins.

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dimanche, 28 avril 2013

Lorenzo

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 J'avais peur, très peur en montant l'escalier de la rue du Bouloi.

J'avais traversé la ville, apparemment en sweatshirt, jean et basket ; en réalité enveloppée d'un long manteau de peur, dans une matière noire comme la mort, aux boutons rouges sang qui oppressaient ma poitrine, aux vastes pans qui enserraient mes jambes, interrogeant sans cesse ma mère qui se lassait de répondre à mes questions et m'intimait l'ordre, l'ordre étrange et impossible, de l'embrasser comme si de rien n'était.

À ma droite, ma petite sœur et ses longs cheveux blonds, son sourire désolé d'avoir quitté ses poupées, sa joie devant les scènes de rue du dimanche. Qui pouvait savoir qu'elle filerait un jour dans le Thalys, vers la Bruxelles européenne, un téléphone de femme d'affaire entre les mains ? Entre nous deux, le gros bébé aux boucles craquantes, aux joues rebondies entourant une grosse tétine que suçait sa bouche angélique, ne laissait pas deviner le lionceau facétieux qui couvait, encore moins le jeune lion impérieux et incontrôlable qui hanterait les nuits parisiennes de ses coups fourrés quelques années plus tard.

- Mais si ça se voit sur son visage ?

- Embrasse-le comme si de rien n'était.

Comme si de rien n'était. Je ne me souviens plus de l'étage auquel se trouvait l'appartement, combien de marches j'ai gravi. Mon cœur et mon pas ne faisaient qu'un. En haut, m'attendait un homme condamné à mort qui partait pour toujours.

Dans l'appartement où je suis née, et dont mon père était parti depuis déjà longtemps, je les entendais prononcer le mot effrayant, tous les amis de ma mère.

Cousins de l'Ouest, pleurant un suicide fraternel, une maison d'ancêtres vendue, cousins sous-diplômés traînant leurs noms à rallonge, leurs douceur malheureuse dans les rues du centre de Paris, les poches trop vides, des poches aux yeux.

Amis issus d'un monde ouvrier montés un peu dans l’implacable hiérarchie sociale ; trop peu habitués au ski à Mégève et aux brunchs de la rue Montorgueil, il préféraient venir frotter leurs tailleurs et costards trop récemment coupés aux vieux meubles en ruines du 13 boulevard du M., que de tenir la dragée haute chez les fringants bourgeois.

Fringants bourgeois aussi venaient jusqu'à nous, charmants, heureux, loufoques pendant les fêtes et sages au travail, trop beaux pour être honnêtes, trop honnêtes pour être beaux, trop sensibles pour être bourgeois, trop bourgeois pour dérailler, sympathiques par dessus tout et chaleureux à leurs heures, capables de vannes impitoyables et de rires merveilleux, mais toujours rattrapés par les exigences sociales au moment de franchir le Rubicon.

Cousins déchus, amis timides, idoles fringantes, toute cette faune passant et repassant à la maison, faisant des efforts pour ne pas succomber à cette panique d'avant les campagnes de sensibilisation.

J'avais entendu des gens en parler à l'école ; le journal Okapi que lisaient de jeunes voisins de mon âge, avait publié dans son courrier des lecteurs quelques lettres désespérés d'enfants hémophiles et « atteints », renvoyés de l'école ou interdits de s'asseoir à côté des autres enfants. La France d'avant les campagnes de sensibilisation se montrait parfois – souvent - sous ce jour cruel.

Le Sida, donc.

Le mystère de l'homme très brun se dévoilait. Celui qui demandait, candide, à ma mère intriguée : « Mais pourquoi, vous, femmes perdez-vous toute personnalité dès lors que vous vivez avec un homme ? » ; l'ami de l'oncle pas marié ; le peintre basané qui ne nous traitait jamais comme des enfants, mais comme de jeunes chats qu'on laisse passer entre les meubles et qu'on caresse de temps en temps. Le secret de celui dont nous mesurions l'étrange étrangeté nous était révélé. Il était homosexuel. Il avait le sida. Il retournerait mourir en Colombie.

Et nous allions le voir pour la dernière fois.

- Et si on voit vraiment qu'il est malade ?

- Embrasse-le comme si de rien n'était.

- Mais qu'est-ce qu'il va dire ?

- Il ne dira rien.

Les deux petits se disputèrent pour frapper à la porte en haut de l'escalier.

L'oncle ouvrit. Nous entrâmes.

Terne et morne à force d'être concentrée, j'embrassai quelques personnes oubliées depuis – dont une femme aux longs cheveux bouclés qui portait un bracelet afghan - et me plantai devant Lorenzo.

Il était archangélique et comme avant, il flottait dans de larges pantalons de soie beiges, bruns, tachetés de rouge carmin. Sa voix douce, dans laquelle flottait l'accent du castillan de Colombie, me salua et son regard plongea dans le mien.

- Il sait que je sais, pensai-je, les yeux plantés dans ses yeux, fixement.

En tendant mes joues et mes lèvres, j'embrassai à la fois la beauté et la mort.

Fière de ma victoire, je me tournai vers ma mère qui ne me regardait plus. Elle avait confiance en moi. Quelques minutes plus tard, dans une zone indistincte entre la cuisine et la salle à manger, je chuchotais à l'oreille de la dame au bracelet que j'avais déjà vue et dont je ne sais plus le nom : « Je l'ai embrassé comme si de rien n'était !» Elle me sourit et me pressa l'épaule.

Au moment de passer à table, Lorenzo s'asseyait là-bas, à côté du mur. Je fus prise d'un vertige. Je me précipitai pour me mettre à côté de lui avant qu'un autre prenne la place.

Je vérifiai s'il n'était pas agacé par mon audace. Ce vague sourire lointain et ses yeux d'étranger, il les inclina vers moi.

Le Christ a vaincu le monde et ceux qui ont touché sa plaie n'ont-ils pas leur part de gloire mystique ? Lorenzo le mourant planait au-dessus du monde et je siégeais à sa droite. Il me passait les plats et je frôlais sa main. Aucune parole ne fut échangée entre nous durant ce repas, juste des plats, des regards et des sourires.

Les adultes parlèrent longtemps après le déjeuner. Nous, les trois enfants, nous sombrions dans l'ennui. Je ne me souviens plus de l'au-revoir, du départ.

Il repartit dans son pays des Andes sauvages et des bidonvilles baignés de soleil, et ne revint jamais.

On nous appris sa mort lointaine, sa mort exotique, une mort impalpable. Il était devenu aveugle, un film avait été tourné sur sa vie.

Depuis ma mère et l'oncle ont cessé de se voir. Mais j'ai remonté l'escalier de la rue du Bouloi.

En entrant dans la chambre d'hôpital où l'amie (ne) pleurait (pas) son pied happé par un train, je savais que je montais l'escalier de la rue du Bouloi, et mon cœur et mon pas ne faisaient qu'un. En passant la frontière bolivienne, le dossier judiciaire d'un chef du Sentier lumineux de la région de Cuzco sous le bras, que parcoururent d'yeux soupçonneux des douaniers manifestement analphabètes, quand l'image des prisons boliviennes m'apparut à l'esprit et que je compris la folie que j'avais entreprise, je montais à nouveau l'escalier de la rue du Bouloi. À mes côtés, une compagne de voyage innocente babillait sur les produits détaxés sans savoir...

Aux côtés de C. agonisante, reconnaissant dans ses râles et au creux de ses yeux les signes de l'agonie finale que j'avais lus le matin même sur wikipédia, je tenais sa main déjà froide et je voyais l'escalier de la rue du Bouloi.

À d'autres moments encore, j'ai monté cet escalier et mon cœur et mon pas ne faisaient qu'un.

Quand j'ai rencontré sur ma route la beauté stupéfiante du monde, la profondeur abyssale de la solitude, la terreur panique de l'amour ou l'angoisse captivante de la mort, j'ai senti que ma main frôlait Lorenzo. La mort comme l'amour est un baiser. Comme la mort, l'amour est un brasier. Nous les attendons comme des enfants avides et nous les fuyons comme la peste.

La splendeur de la mort m'a été offerte par Lorenzo ; depuis, j'ai entrevu d'autres beautés vénéneuses. Il est des escaliers en haut desquels m'attendaient des initiations et que je n'ai pas gravis. Il est des caresses que j'ai fuies, de peur qu'elles laissent mon corps en ruines. Toutes les morts m'attendent, de l'autre côté desquelles les renaissances font si peur. Toutes les morts m'attendent encore.

 

28.4.13, Edith

 

Quelques requiems d'AlmaSoror :

Maryvonne, fille de la Révolution

Elle partie

Honneur à Caroline

Dans un bar de nuit banal

Amour d'un homme pour son petit garçon

Dialogues du septième sceau

Requiem pour la langue Bo

Il fallait...

26 mars 1962

Ma rencontre avec Anne-Pierre Lallande, chrétien, anarchiste, antispéciste

Les yeux, les tombeaux, l'esclave

 

jeudi, 25 avril 2013

Au confessionnal du cœur

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C’est en marchant dans les rues de la vieille ville laidement modernisée que soudain la fumée immense est apparue. J’ai cru asphyxier ; une bâtisse magnifique s’est élevée devant moi. Et je l’ai reconnue : la plus vieille abbaye de France, que les Révolutionnaires avaient saccagée, dans la joie et la fureur, détruisant au nom de la liberté et de la raison un des plus vieux trésors qui appartenaient au peuple. La voilà qui se reformait devant moi, l’abbaye, et les vitraux, et les pierres millénaires se régénéraient et se recréaient et, subjuguée par le miracle, j’entrai.

 

Les murs ouvragés en marbre et en métal sont l’œuvre des anciens Compagnons du Tour de France. La musique qui s’élève ? Non, ce n’est pas de l’harmonium. Peut-être est-ce un vieil orgue, accompagné d’une viole de gambe. Un clavecin essaie de suivre. L’orgue et le clavecin sont jumeaux, frères miroirs des deux sœurs humaines, la solitude et la liberté. Les frères chantent les sœurs, les sœurs dansent avant de disparaître aux yeux humains qui hantent les lieux. Moines de l’an mille apparaissent et s’effacent à mon passage. Leurs yeux sont creux. Ils sont trop morts. Pourquoi suis-je ici ? J’avance et mes pas résonnent, sourds et lourds, dans la nef. Je suis dans cet antre magnifique, remis debout par un miracle de l’abbé Hugues : je suis à la vieille abbaye de Cluny ! Les ruines se sont relevées, c’est la régénération de la chair architecturale – et les clameurs qui détruisirent rageusement la vieille bâtisse se sont tues. Leur écho est terrassé. Il ne reste plus que le silence humain, la musique divine et les pas des chercheurs de vérité.

 

Il faut traverser tant de lieux à l’intérieur de ce lieu ! Jardins et potagers, couloirs extérieurs et arcades, comme Cluny est grand ! J’entre enfin dans l’église. La voûte m’accable. L’air est lourd. Une vérité est proche. 

 

Je m’avance, et la lumière qui se balance, projetée sans doute par un ange, éclaire les dalles que je dois fouler. Je le pressens : je suis ici pour quelque chose. Mon cœur bat d’un autre rythme que le rythme vital : c’est le rythme du Purgatoire. J’arrive au Confessionnal du Cœur. 

 

Des portiers sont postés sous les colonnes qui mènent au confessionnal : au nombre de quatre, ils ont pour noms Charles Baudelaire et Aloysius Bertrand, Gérard de Nerval et Thomas De Quincey. Leurs toges dissimulent leurs pieds. Le premier, au visage raide et intelligent, porte une fleur. Un rictus saille son visage au moment où je passe devant lui. Le second, blessé par la splendeur d’un jour de malheur, arbore un visage triste ; on dirait qu’il ne me remarque pas ; pourtant il montre le troisième du doigt. Celui-ci soutient dans sa main une image de la Vierge, qui lui sourit avec bonté. Je marche devant eux et peux apercevoir la fixité des deux regards, celui de Nerval et celui de la Vierge. J’arrive devant la silhouette de Thomas De Quincey, coiffé d’une toque, et qui tient un flacon. Je passe mon chemin. La lumière éclaire une porte qui s’entrouvre et grince. Je sais que je dois passer. Derrière, une nouvelle petite porte s’ouvrira sur le confessionnal.
J’avance, et j’ai peur. Une dame est là. Alix, la fille d’un roi. Elle est abbesse. Elle sourit sans vigueur. Sa main gauche tient une clef. Ce que cette clef représente, je l’ignore. Mais un frisson me parcourt entièrement en contemplant l’objet de fer doré. Est-ce la clef du cœur ? Il faut entrer, passer la petite porte. J’ai mal, mais j’avance. Et je m’agenouille face à la grille enveloppée de pénombre, et une odeur d’encens se diffuse alentour. Des pas se font entendre, s’approchent ; l’autre partie de confessionnal est habitée, ça y est. La grille qui se soulève n’éclaire pas nos visages. J’ignore qui se trouve si près de moi. 

- J’ai vu l’église se recréer comme par miracle. Je suis entrée. Je ne sais pas me confesser. 

- Je vais vous laisser seule avec deux hommes qui vous cherchent. 

-  … 

 Incapable de répondre, je suis assaillie par la peur. Les pas du confesseur s’éloignent. Du silence noir où je me trouve, je perçois que la musique se remet à agir, tout là bas, au fond. 

Du bruit : la porte du confessionnal s’ouvre brutalement. Je me relève en sursaut. Devant moi, deux hommes se dressent. Du creux de mon ventre les fontaines s’enclenchent et les éclusent se lèvent, un bourdonnement se met en route. Les canalisations s’ouvrent et débordent entre mon cerveau et mon ventre, même mes vertèbres sont ébranlées. Un instant, j’oublie où je suis et je vois l’horreur de l’intérieur : la digestion des derniers repas recommence et s’emballe : plus rien ne tient nulle part. Mon sang veut sortir des veines et tout se broie ; des saccades, des cascades se créent aux articulations. La lymphe devient nymphe et attire les résidus. Un bourgeonnement fait revivre les vieilles infections ; l’oreille droite pullule ; les conduits débordent ; une voix préhistorique croasse « je t’aime », « je t’aime », « je t’aime », c’est la bête intérieure ! qui aime qui ? Le crapaud est noir et gluant et prend tout mon corps. Les grenouilles le mangent ; il reste. Des serpents ondulent et sifflent sur les artères. Et la machine s’arrête, mon regard est éjecté, projeté à l’extérieur. Rien n’a changé. Les deux hommes se dressent. C’est alors que mon cerveau vogue à la folie et c’est mon ventre animal qui parle, qui voit, qui analyse et qui sait tout avec sa langue sans mots. Il scrute les deux hommes.

Leurs visages parlent d’eux-mêmes.

L’un est ma mauvaise conscience. L’autre est mon orgueil. J’ai peur d’un viol.
Ils attendent. Ils se taisent. Leurs regards semblent me dire : lève toi. 

J’attends longtemps. Rien ne bouge. L’encens se répand toujours, et du fond de l’église me vient la belle musique des anges. Le clavecin et l’orgue jouant en cœur, la viole chantonnant sur leurs gammes étranges. Et au milieu de leur musique des voix de nulle part s’élèvent, comme pour m’encourager. Alors je me lève.
Et nous voilà trois, eux, grands, forts, raides, face à moi. Je fais un pas et j’attends. Là bas, la musique, c’est clair, sait que je me suis levée. Elle suit tous mes gestes. Elle suit toutes mes peurs. Elle m’entraîne dans des zones d’où je ne reviendrai pas. Elle est irrésistible. 

- Je n’ai tué personne, murmuré-je. 

Un sourd murmure traverse les murs de pierres de l’église.
 »Elle soutient qu’elle n’a tué personne ». Des ricanements s’élèvent. Sont-ce des assassinés qui rient ainsi ? Quel mystère affreux ! Pourquoi mon cerveau ne revient-il pas ? 

- Ne les écoute pas, murmure l’homme qui se tient à gauche, en armure, en face de moi. Et je sais : il est ma mauvaise conscience. 

- Nous t’avons déjà jugée, dit l’autre homme, d’une étonnante voix de ténor.
Et je devine ; je comprends. Il est mon orgueil.
- Alors pourquoi venir me parler ? Pourquoi ne pas me tuer immédiatement ?
Ma voix est faible, presque éteinte. J’ai tant vécu dans ce monde là bas ! J’ai tant vécu de scènes et de tracas, au milieu des papiers administratifs et des relations sociales, des repas et des rues, des trains et des voyages, des ennuis des travaux et des jours, pour être jugée, torturée, condamnée par deux hommes aux allures de titans ? 

Ils ne répondent pas. Ils sourient. Ils sont tellement forts qu’ils me narguent. Je les hais. Je les admire. J’aimerais qu’ils me protègent ; je sais qu’ils me tueront. 

- Allez-y, murmuré-je. 

Et des larmes coulent le long de mes joues. Tout était si insignifiant, là-bas, sur la terre humaine. Les mots, les voix, les gestes, les échanges, les longs après-midi qui passent, les objets qu’on achète et ceux qu’on met à la poubelle. 

Les larmes coulent pour tout ce que je n’ai pas vécu. Les larmes dévalent pour tout ce que j’ai fait et dit. Je regrette presque tout. J’aurais dû faire tout ce que je n’ai pas fait. J’aurais dû comprendre comment on vit et qui on est. Mais je ne comprenais rien. Je vivais comme une insensée, et j’avais l’air normale. Je vivais une vie normale, et c’était insensé. 

Ils ne bougent pas. Ils ricanent. Ils s’amusent de mes pleurs. Comment peuvent-ils être si méchants ? Oh, ils ne sont pas différents de beaucoup de jeunes gens de là bas. Leur habit est médiéval - le reste est intemporel. Ils narguent, ils violent, ils méprisent, ils prennent, donnent et reprennent. Ils aiment se faire servir. Ils aiment se faire offrir. Ils aiment ne pas aimer ceux qui les aiment. Ils aident parfois, et s’en vont sans s’en faire. Ils sont puissants, riches et méchants. 

Je me révolte à ce souvenir, je me révolte de leurs deux sourires qui profanent l’église.
- Où est le prêtre ! crié-je. Je suis venue pour le confessionnal du cœur. 

« Elle demande le prêtre ! » proclament des voix. « Elle demande le prêtre ! »
Les deux hommes rient et me regardent avec morgue. Le prêtre ne vient pas. 

- Il n’y a pas de prêtre, dit la mauvaise conscience de sa voix de basse. 

- J’en ai entendu un tout à l’heure, réponds-je. 

- C’était moi, dit l’orgueil. 

Je le regarde. Dans son œil brille la fierté d’être un éphèbe et un guerrier. 

Je comprends que je suis prise au piège. La vieille abbaye de Cluny n’existe pas : c’est un mirage hanté et je suis tombée dans le piège. Alors je joins mes mains. Comme tous les incroyants, comme tous les impies, j’ai la prière fervente tapie comme un tigre dans la forêt, qui attend l’heure d’assaillir pour une grande dévoration. Quelle prière dire ? Je ne connais que des mots profanes.

- Que veux-tu de nous ? Demande l’orgueil, impatient. 

- Moi ?

-Tu nous as invoqués, dit la mauvaise conscience. Nous sommes venus. Les musiciens jouent depuis déjà plusieurs heures et ils joueront jusqu’au bout. Mon frère et moi nous avons mis nos armures et nos casques ; les anges viennent chanter souvent. Qu’attends-tu ? Vas-tu nous laisser jouer sans but pendant toute la nuit ? 

- La nuit ?
- Elle est tombée, la nuit. Elle est là. Si c’est ça que tu attendais…

- Mais vous allez faire quoi ?

- C’est ce que tu vas nous dire. 

- Vous n’allez pas me tuer ?
- Nous pouvons te tuer. Si tel est ton désir. 

- Vous allez me violer ?

- Nous pouvons te violer. Si tel est ton désir. 

- Comment pourrais-je désirer cela ?
Ils éclatent de rire. Je m’agite. J’invente. Je tente :
- Et si je voulais vous tuer ?

- Nous nous ferons tuer par toi. Si tel est ton désir.
- Et vous violer ?
Une robe blanche surgit dans la sombreur du lieu. Elle avance, une fiole à la main. C’est Dame Guenièvre. Elle me montre le philtre. 

-J’ai cela pour toi. Appelle-moi si tu veux violer ces hommes. 

Je recule, horrifiée. Je ne veux plus voir cette affreuse Guenièvre.
- Et si je demandais de l’amour ?

- Nous pouvons te donner de l’amour. Si tel est ton désir.
- Et si je demandais des caresses, des sanglots, des pardons ?
- Nous te caresserons. Nous sangloterons. Nous te supplierons ton pardon. Si tel est ton désir. 

- Seriez-vous mes esclaves ?
Je me dresse, fière, et je nargue à mon tour. 

- Tu es seule avec toi-même, cœur blessé. Nous sommes tes créatures. 

- Je veux quelqu’un ! Où sont les gens ? Où puis-je trouver des gens ?

- Tu n’as jamais rencontré personne. Tu n’as jamais aimé personne. Personne ne t’a jamais aimée. Tu as joué avec tes créatures.

Alors je hurle. Parce qu’ils sont ulcérant. Ils me volent ma vie. Ils me tournent en bourrique.
- J’ai tellement souffert !

- Tu as souffert, parce que tu es triste et violente, comme tant de dramaturges. 

Serais-je une auteur ? Sommes-nous dans un théâtre ? Un éclair de pensée titille quelque chose, quelque part. Une question se forme :

- Est-ce que d’autres gens vivent en vrai ?

Les deux jeunes hommes rient. La musique appuie l’instant. Guenièvre s’assoit sur une chaise, fatiguée. 

Et c’est à ce moment que j’éclate en sanglots. Le drame est là. Je le cachais depuis toujours. Il est là et il me rend folle de douleur. Je m’effondre.
- Je n’ai jamais eu d’enfant ! Je n’ai pas eu d’enfant !
Je me recroqueville, je pleure, je ne peux plus rien que pleurer. Quel malheur affreux. Les sept douleurs de la mère éprouvée ne sont rien auprès de la mère réprouvée. Aurai-je une consolation ?

Un des hommes s’approche. C’est la mauvaise conscience. Il me relève la tête et m’indique un coin de la salle. L’orgueil se tourne pour que je puisse voir. Il est là. Il s’approche. On l’amène. Il est dans une petite aube blanche, assis dans un fauteuil roulant, que des anges invisibles poussent. Il est si beau que j’en suis stupéfiée. Son visage doux et rond, rose d’enfance, me regarde avec joie. Il s’approche et tend sa main potelée vers moi.
-Maman… Ma…man prononce-t-il dans une voix de bébé mal réveillé, malgrandi. Il a quatre ans.

- Excuse-moi, murmuré-je. Mais il ne comprend pas ce que je dis. Il sourit. Il attend. Je ne sais que faire. Il tourne sa langue, il mord sa lèvre. Est-il déçu ? 

- Il veut jouer, peut-être ? dit Guenièvre. L’enfant me montre un petit train qui traîne par terre. Je pousse le train. Je lui donne. Il est heureux. Il veut que je pousse encore le train.
Mais eux, derrière ? Je me tourne : cuirassés, agenouillés, ils contemplent l’enfant. 

Et la musique me fait tout oublier. Elle me tourne la tête. Quelques secondes, je ferme les yeux. Lorsque je les rouvre, plus personne n’est là. 

- Où êtes-vous ? Demandé-je.
Je me tourne et cherche des yeux. Ils sont absents. J’ai perdu mes beaux gardes. J’ai perdu mon amie Guenièvre. J’ai perdu mon enfant. 

Et je sors de l’abbaye. Les sieurs Charles Baudelaire, Aloysius Bertrand, Gérard de Nerval et Thomas De Quincey pleurent en me voyant.
- C’était beau, murmure Charles. 

- Je t’aime. Je connais tes poèmes, lui dis-je. 

Il fait un rictus avec son visage. C’est un sourire, bien sûr, qu’il me donne. Mais quelque chose remue, quelque chose souffle. La musique s’arrête net. 

- Retourne vite ! Retourne vite ! Murmurent-ils. Cluny va disparaître. Tu vas avoir de la poussière partout. 

Je sors en courant. Et dehors, je ris ! je ris ! je ris ! Ah, sieurs Charles, Aloysius, Gérard, Thomas ! Ah, impies ! Vous êtes les gardiens du Confessionnal, maintenant ! Oui, mais du confessionnal du cœur. Ah ! J’ai vu mes gardes, j’ai vu mon enfant ! J’ai senti ma digestion. Et j’éclate  de rire. Cluny d’aujourd’hui est rempli de jeunes voyous qui crachent et qui regardent mon décolleté. S’ils savaient à quel point ils n’existaient pas, comme ils seraient déçus ! 

 

 Edith  Lucinière

 



 

lundi, 15 avril 2013

Un soir sans étoile

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Tant de choses font tant de peine dans notre vie quotidienne. Et la voix de Magkor Sérivij psalmodie de vieilles douleurs poétiques, accompagnée par un orgue religieux. C'est un disque qui appartenait à mon père, qui avait appartenu à son propre père, hommes que je n'ai pas connus mais dont j'ai hanté la maison morte.

 

Vraiment, en enfance, je rêvais et souriais au monde qui s'offrait. Je pardonnais tout à tous, croyant quand quelque chose me semblait laid ou mal que c'était moi qui me trompais.

 

Comment rester pur, quand tant de regards torves se sont posés sur vous ?

 

Je meurs sans en avoir l'air, peu à peu, d'avoir trop vu les adultes mentir.

 

J'ai l'âge d'être mère mais je ne berce aucun enfant.

 

J'ai l'âge d'être forte et je mens à mon tour.

 

Esther Mar

 

 

«À force de tout voir, l’on finit par tout supporter. À force de tout supporter, l’on finit par tout tolérer. À force de tout tolérer, l’on finit par tout accepter. À force de tout accepter, on finit par tout approuver. »

Saint Augustin

 

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mardi, 09 avril 2013

Adélaïde

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Il y a douze ans maman entrait dans la mer. Elle marchait avec sa robe bleue dans les vagues glacées. Personne ne la vit s’enfoncer dans l’eau.

 

La veille au soir, elle avait appris, à la suite d’événements administratifs compliqués, que son époux, notre père, entretenait depuis le début de leur mariage des liaisons avec cinq femmes, et qu’il était le père du fils de l’une d’entre elle – un fils un peu plus jeune que moi.

 

Adélaïde et moi, nous découvrîmes tout cela en même temps : les liaisons de notre père, le fils caché, l’entrée de notre mère dans la mer.

 

J’ai été déchiré en mille morceaux par ce drame. Adélaïde est entrée au couvent. Carmélite, elle vit cloîtrée, ne sort jamais. J’ai un droit de visite restreint. Sa vie est prière. Elle prie pour maman et elle prie pour moi.
Nous avons refusé de revoir notre père, Adélaïde parce qu’elle était trop blessée, moi par fidélité à celles que j’aime. Il est si beau, si intelligent, si riche et si sympathique que si je l’avais revu ne serait-ce qu’une fois, je n’aurais pas pu rester fâché. Or, pouvais-je me laisser trahir la mémoire de ma mère, la douleur de ma sœur et mon propre chagrin de fils trompé ?

 

Mais il y a huit jours, le notaire, Maître Sistretaille m’a annoncé que notre père venait de mourir. A sa demande, je me suis rendu à son étude et j’y ai rencontré l’autre fils, Térence, qui porte le nom de famille de sa mère. Il n’osa pas me regarder. Pendant le rendez-vous, il répondait au notaire, signait ce qu’on lui disait sans rechigner et ne leva pas les yeux vers moi. Mais pour que nous puissions toucher notre dû amer rapidement, il fallait définir entre héritiers un accord amiable pour débloquer un fonds. Je pensai que le mieux était d’agir ainsi plutôt que d’entrer dans des déboires juridiques incessants, qui ne mèneraient à rien et n’auraient comme source unique l’horreur d’avoir été trahis chaque jour de notre enfance et de notre jeunesse.  

 

J’appelai Adélaïde et arrangeai une date, que Térence accepta. J’aurais voulu faire le voyage seul, mais un seul train traversait la France jusqu’au carmel où elle priait.
Ce fut le premier point commun : nous nous retrouvâmes au wagon-bar du train au même moment, pour la même bière. Térence était si discret que je n’osais le snober plus longtemps et lui proposai de boire la bière ensemble. Nous fîmes connaissance. Nous échangeâmes des renseignements de surface sur nos vies.

 

Je tiens une salle de jeux à Monaco. Je vis dans un monde louche et j’aime ça. Je vis avec Marlène, qui ne ressemble à aucune femme connue au cours de mon éducation. Elle est vulgaire, franche, brutale, plutôt généreuse et elle s’enivre avec mes clients au lieu de faire la comptabilité pour laquelle je la paye.

 

Térence est fonctionnaire de l’administration française, ce que j’aurais tendance à mépriser souverainement. Mais je n’avais pas le cœur au mépris. Il fait de la guitare dans un groupe de musique beith, composé de ses vieux copains du lycée. Il fait de la boxe le mardi soir.

 

Nos bières terminées, aucun de nous ne retourna à sa place, car la conversation coulait, limpide, comme l’eau douce des montagnes qui passe entre les rochers.

 

 

 

La petite ville nous accueillit par la pluie. Nous louâmes des vélos et nous rendîmes ainsi au couvent, comme je fais à chaque fois. A l’arrivée devant la porte, je n’avais toujours pas de frère, mais j’avais un camarade.

 

Une carmélite vint passer son visage entre les grilles de l’entrée.

 

- Nous venons voir Sœur Véronique du Renoncement.

 

- Qui êtes-vous ?

 

- Ses frères, dis-je. Et je tressaillis en prononçant le mot frère au pluriel. La sœur partit, ses talons claquèrent longtemps sur les dalles de l’allée intérieure du cloître. Nous attendîmes longtemps. Puis, derrière nous, la voix de ma sœur brisa le silence :

 

- Je n’ai qu’un frère.

 

Nous sursautâmes. Elle se tenait droite derrière nous, le visage tâché de rousseur posé au sommet de la longue robe marron de son ordre.

 

- Adélaïde ! Je la pris dans mes bras.

 

Elle observa mon visage, mes cheveux, passa la main sur ma joue et lâcha son verdict :

 

- Tu fumes trop, Charles, tu ne manges pas assez de légumes et tu ne repartiras pas sans que je t’aie coiffé correctement.

 

Elle ne s’occupa pas de Térence, qui l’observait avec de grands yeux passionnés. Elle nous emmena dans un petit bureau que la Mère avait à sa disposition, connaissant l’objet de notre visite.

 

Nous parlâmes affaires ainsi : je m’adressais à elle, puis à Térence, cherchant à trouver un accord entre nous trois, et chacun me répondait sans qu’ils se parlent entre eux. Nous signâmes un accord ; le silence s’installa.

 

Lorsque Térence se leva, comprenant qu’il fallait nous laisser, il me remercia en me serrant chaleureusement la main, puis il se tourna vers ma sœur :

 

- Depuis douze ans, je me sens mieux de savoir que vous savez, prononça-t-il avec difficulté. Chaque morceau de son corps et de sa voix, tendu vers nous, tentait de se faire aimer.

 

-         Il y a douze ans, Maman est entrée dans l’eau glacée à sept heures du soir, dit Adélaïde.

 

Térence baissa la tête. Alors, enfin, j’eus pitié de lui. Il était né coupable comme nous étions innocents. Il avait été initié aux bassesses du mensonge, de la cachotterie par notre père et sa mère dès sa plus tendre enfance. Il avait dû souffrir, lui aussi, bien que je ne sache pas dans quelles conditions on souffre quand on est illégitime, et il avait dû grandir dans la connaissance malsaine du péché comme nous avions grandi dans l’inconscience niaise de la bourgeoisie. Il avait honte de tout ce qu’il était, sachant qu’il était l’incarnation de ce qui avait brisé notre vie. Il prononça

 

-         Pardon, Adélaïde.

 

Il partit précipitamment.

 

- A tout à l’heure, à la gare, lui lançai-je. De dos, il acquiesça de la nuque.
Nous restâmes l’un en face de l’autre. Elle était raide et belle : pas une mèche ne dépassait de son voile marron. Depuis combien de temps n’avais-je pas vu les cheveux de ma sœur ?

 

- Il n’y est pour rien, murmurai-je.

 

- Je sais, répondit-elle. C’est sans doute une âme pure. Mais il ne peut ignorer que son existence est atroce pour nous.

 

- Il n’a pas choisi de vivre, dis-je.

 

- Moi non plus.

 

Elle alla chercher un peigne et me coiffa. Quelques sœurs, qui allaient et venaient dans le parloir, souriaient en blaguant sur les frères ébouriffés et les sœurs maternantes. Bientôt Adélaïde dut rejoindre ses compagnes pour assister à l’office et je soupirai en prenant congé d’elle. Comme la vie était fragmentée, officieuse, si différente de ce qu’elle avait été au temps des Noël familiaux, des grands mariages de l’été, des réceptions de nos parents et des cousinades endiablées durant les grandes vacances.

 

J’attendis Térence de longues heures. Il n’apparut pas à la gare. Je ne voulus pas prendre le train sans lui. S’était-il soulé la gueule dans un bistrot ? Avait-il fui pour ne pas subir le chemin du retour en ma compagnie ? Je le cherchai dans toute la petite ville et finis par échouer, épuisé, affamé, dans un des seuls restaurants ouverts. C’est là que j’entendis qu’un pauvre gars s’était jeté du haut de la falaise, à sept heures du soir.

 

 

 

 Edith de Cornulier-Lucinière

 

Un dimanche de Septembre 2010

 

 

 

samedi, 23 mars 2013

Ta demeure

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Sourires dans l'air du vestibule, flottent comme des poissons. Dialogues sur les lèvres.

 

- À cette jeune femme qu'il appréciait, il avait fait boire le calice de sa propre colère jusqu'à la lie.

- Où est le lieutenant Drogo ?

- La violence des femmes : morale stupide, passivité coupable, inifinie complaisance pour elles-mêmes et pour leur lâcheté insondable.

- Les maisons médiévales sont presque toutes détruites. Il en reste dans le quartier de Ciudad.

- Là-bas les percolateurs fonctionnent mieux, malgré le manque d'électricité.

- Tu viendras, tu verras.

- Non. Je ne l'ai jamais revu.

- Mais qui était Atlantica ?

 

Complexité des cœurs qui ne saisissent la beauté de ce qu'ils possèdent qu'une fois qu'ils l'ont perdu... Charme des distances qui enveloppent d'une douce fumée tous les détails qui enlaidissent la vie de tous les jours. Vos tandems sont indéfectibles !

Merci à Olympe Davidson pour son luth et ses murmures au début du printemps.

samedi, 16 mars 2013

Dans une lettre de 1926

 

« Marina, mon amie à l’âme sans fond, chaudière voisine de la mienne, logée à la même vapeur, dis-moi «vous», je t’en supplie, il ne faut pas que nous explosions ».

Lettre de Boris Pasternak à Marina Tsvetaieva

Marina Tsvetaieva,Boris Pasternak,amitié, tutoiement, vouvoiement, folie, sombrer dans la folie, suicide, kané, Fauve, fauvecorp,1926

 

dimanche, 10 mars 2013

5 à 7 début mars, par N Steene

« La pluie percussionne les toits, les trottoirs, les meubles urbains, une lumière d'orage descend sur la ville, en un instant la majorité des gens a disparu sous des auvents, dans des immeubles, et il ne reste que les chevaliers des tempêtes urbaines pour courir sous les gouttes froides. Je t'aime mais tu n'es plus là. Peu importe. La pluie lave tout, emporte tout, sous ses vibrations me voilà en apesanteur. Et j'écoute, j'écoute Chrysler, de Yellow, et j'écoute les Nuits fauves, de Fauve.
Se mêlent dans ma vie la nuit des sens et la musique du monde, la nuit du monde et la musique des sens. J'entends que peu à peu le soir tombe et abaisse ses barrières sur le flux des foules. J'attends en écoutant la pluie et leurs musiques, j'aspire à oublier ta voix, ton ombre, la charnelle présence qui était tienne, mienne, avant le fracas du téléphone. Tous les discours mourront dans le Poème. N'attachons plus d'importance aux idées, futiles comme un pot de nutella. Seul compte l'amour – de l'homme, de l'art, de l'eau.»

 

Nadège Steene