Rage (jeudi, 02 mai 2013)

rage

 

à Sébastien Ithiopia...

 C'est le ressac infini de mes rages que vous entendez dans le soir tombant. Les bruits de la cuisine et ceux de la terrasse ne peuvent étouffer les vagues noires de l'amertume. L'alcool qui coule en rivières dans vos verres, le train là-bas qui revient et nous rapporte les deux de province, la musique qu'Elle vient de mettre sur la chaîne hifi performante et l'horloge qui chahute qu'il est 21h15 ne nous trompent pas. Plus rien ne dissimule le flot sombre, cracheur de rage.

(Quelqu'un s'enfuit pour écrire sur l'ordinateur du garage).

 C'est le retour infini de mes saccages que je maudis en veillant les fourneaux. Les paroles des voisins et les rires des enfants n'atteignent plus mon être au centre glacé comme un fjord. Vos bons mots, vos maux mal cachés, les noix et les chips qui circulent à travers les mains lavées pour le soir, la chanson qui invoque la mémoire des noyés ne nous apaisent pas. Vous savez que je suis partie trop loin pour être sage.

(Cet imbécile qui vient souvent tente d'embrasser la mystérieuse près du buffet).

 C'est le reflux infini du remord qui me ronge quand je me tourne vers vous. Mon sourire rouge artificiel ne piège plus vos croyances erronées. Nul ne brise la convenance morte. Seul, cet homme tendre à la joyeuse tristesse ment à tire larigot, et personne ne songe à le contredire. Il est des appartements où le mensonge a tous ses droits. Il est des terrasses que seule la joie criarde maquille encore. Il est des amas de naufragés déguisés en assemblée conviviale. Il est des ruines de rêve, ce soir, qui baignent la pièce et le jardin de leur odeur cendrée.

(- C'est Arnaud, là-bas ?

- Il arrose les fleurs avant la nuit complète.)

 Mon Dieu, ma Rage, pourquoi inondez-vous ainsi ma vie ? Vos vagues bientôt nous recouvriront tous. J'irai m’enfuir aux antipodes de la fête, recroquevillée sur la chaise de la salle de bains, face à la lune éclatante qui fait du naturisme de l'autre côté de la fenêtre.

(Nous n'avons pas encore repeint les persiennes du mur condamné).

 Quand reviendras-tu, mon mage ? Ta main de chaleur, ton épaule de douceur, ta voix de basse qui me prenait, me portait, m'emportait, vers le lit de mes souvenirs. Sans toi mes fêtes sont si vides, mes amis si flous, mes membres si froids, sans toi rien ne tient vraiment debout.

(Qui vient de changer la musique ?)

 Mais te voici, rhum. Te voilà, punch. Exilé de Marie-Galante, tu irrigues mes veines mieux que mon sang. Tu institues en moi le règne du Sourire Parfait. Tu m'habites, tu m'habilles et mes joues rosissent, le rouge à lèvres tombe, obsolète ; je me tourne vers autrui, je tends les mains, je lève les bras, je chante avec eux. L'océan se calme, les dernières vagues meurent dans tes gouttes ambrées. La rage évanouie, je peux commencer à danser.

 Edith

cuisine, rage

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