mercredi, 28 novembre 2012
Honneur à Caroline
Voici un texte écrit samedi dernier, avant la fin (à l'avant veille exactement). Maintenant tu dors...
Chère Caroline,
Ces deux ou trois rues de Villejuif sont gravées dans ma mémoire... Villejuif... Où je te vis pour les dernières fois, changeante de jour en jour, mais toujours toi.
Toi qui était si différente, de moi, de nous, et que nous avons découverte année après année, que nous avons aimée, sans nous soucier de cet amour... Parce qu'il était normal, un amour de voisinage, un amour de copinage, un amour parsemé de joies autant que de rancœurs, d'admiration autant que d'incompréhensions, un amour qui coule de source, dont on reçoit les douces effluves sans les remarquer et dont on sent l'épine aux moments où tout tremble, où tout chute, où tout s'effondre.
En ce moment, là bas, tu respires à chaque souffle plus difficilement, chaque souffle peut être le dernier. Et moi je suis là dans cet endroit que tu connais si bien, et qui parle de toi : cet immeuble à mi-chemin entre les Invalides et Montparnasse, un lieu où tu grandis, élevas tes enfants, accompagnas tes parents, vécus ton drame et y reçus les soins de ta maladie. Un lieu qui résonne encore de tes rires et de tes coups de colère, de tes blagues et de tes phrases impérieuses. Un lieu où ta silhouette n'apparaîtra plus qu'en rêve.
J'ai découvert Villejuif à l'automne 2012, cette ville si proche, si lointaine où tu m'as fait vivre d'inoubliables moments. La vie nous a montré, une fois de plus, immeuble 62, chambre 210, qu'elle est inséparable de la mort, que nos moments d'insouciance sont fragiles comme une caresse, comme le vent qui traverse la ville, comme un nuage qui passe.
Mais je ferme les yeux et Villejuif s'éloigne et disparaît. Je remonte le temps et ton visage s'embellit, il rougit à nouveau et voilà qu'un sourire apparaît, qui se transforme en rire bon vivant ; à nouveau le sérieux te reprend : c'est pour expliquer à quelqu'un un passage de l'histoire de France, une règle d'orthographe. La table est pleine de mets et de bouteilles et les convives t'écoutent défendre ta vision du monde, toujours campée sur des connaissances et toujours vaillante face aux contradicteurs. Je peux remonter le temps et je mesure ainsi la somme d'échanges et de partage que nous avons eus et qui nous ont nourris en profondeur.
Nous avons beau tenter de l'oublier, de nous distraire, la vie sait où elle nous emmène inéluctablement. Aucun d'entre nous ne sortira de ce monde vivant ! Lorsque l'un d'entre nous s'en va, et surtout dans la force de l'âge, et encore plus lorsqu'il n'est qu'un enfant, nous oublions soudain nos rires, nos joies, nos habitudes, nos énervements et debout au bord du gouffre, nous nous demandons : comment est-ce possible ? Je l'aimais, nous l'aimions, elle nous aimait, rien n'était achevé. Pourquoi cette route de douleur et la mort pour récompense ?
Parce que... Parce que ? Le mystère est aussi grand que cet amour que nous éprouvions pour toi, que nous continuerons à arroser comme l'une des plus belles fleurs de notre jardin secret.
En regardant tes filles et tes petits-enfants pousser, grandir, vieillir et poursuivre la voie que tu leur as ouverte, la vie que tu leur as donnée ; en suivant chacun notre route personnelle ; en tombant, chacun notre tour, par hasard, par fatigue ou par maladie ; nous garderons vivant et vibrant ce que nous avons vécu par toi et avec toi.
Adieu et à tout à l'heure, pardon et merci, voilà ce que nous pouvons dire à celle que nous aimons, et qui nous précède au-delà...
J'écoute en t'imaginant partir cet Adagio de Secret Garden, qui restera à jamais lié à ton image dans ma mémoire.
J'ai prié pour ton cœur, pour ton corps, pour ton âme au son de cette mélopée douce et lancinante, qui va droit au cœur. Je n'aurai qu'à l'écouter pour que ma prière s'élève à nouveau vers toi et que ton visage m'apparaisse, tel qu'il était quand tu riais, tel qu'il était quand tu dansais sur l'herbe à la fête du 21 juin.
Te sachant au bord de mourir, j'écoutais cet adagio, mais chaque fois que je l'écouterai encore c'est une image de vie qui m’apparaîtra.
Honneur à Caroline É......., qui ne manqua pas d'honneur.
Samedi 24 novembre 2012 vers neuf heures du soir,
Edith de CL
Publié dans L'oiseau, Sleipnir | Lien permanent | Commentaires (4) | | Facebook | Imprimer |
Commentaires
Très beau texte, Edith, au quel je rajoute quelques phrases - énigmatiques - du texte de l'Evangile lu à la messe d'enterrement de Caroline : "... Un grand tourbillon de vent s'éleva, et les vagues entraient avec tant de violence dans la barque, qu'elle s'emplissait déjà d'eau. Jésus cependant était sur la poupe, où il dormait sur un oreiller, et ils le réveillèrent en lui disant : Maître, ne vous mettez-vous point en peine de ce que nous périssons ? S'étant éveillé, il parla au vent avec menaces, et dit à la mer : Tais-toi, calme-toi. Et le vent cessa, et il se fit un grand calme." (Marc,IV,37,39 ; traduction Lemaître de Sacy)
Si les disciples du Christ de tous les temps y croyaient vraiment qu'il calme la tempête d'un geste, d'un mot, comme la vie serait plus facile !
Écrit par : sara | jeudi, 29 novembre 2012
MarcMc 4:35- Ce jour-là, le soir venu, il leur dit : " Passons sur l'autre rive. "
Mc 4:36- Et laissant la foule, ils l'emmènent, comme il était, dans la barque ; et il y avait d'autres barques avec lui.
Mc 4:37- Survient alors une forte bourrasque, et les vagues se jetaient dans la barque, de sorte que déjà elle se remplissait.
Mc 4:38- Et lui était à la poupe, dormant sur le coussin. Ils le réveillent et lui disent : " Maître, tu ne te soucies pas de ce que nous périssons ? "
Mc 4:39- S'étant réveillé, il menaça le vent et dit à la mer : " Silence ! Tais-toi ! " Et le vent tomba et il se fit un grand calme.
Mc 4:40- Puis il leur dit : " Pourquoi avez-vous peur ainsi ? N'avez-vous pas encore de foi ? "
Mc 4:41- Alors ils furent saisis d'une grande crainte et ils se disaient les uns aux autres : " Qui est-il donc celui-là, que même le vent et la mer lui obéissent ? "
Écrit par : La tempête | samedi, 01 décembre 2012
Pendant la tempête
La barque est petite et la mer immense ;
La vague nous jette au ciel en courroux,
Le ciel nous renvoie au flot en démence :
Près du mât rompu prions à genoux !
De nous à la tombe, il n'est qu'une planche.
Peut-être ce soir, dans un lit amer,
Sous un froid linceul fait d'écume blanche,
Irons-nous dormir, veillés par l'éclair !
Fleur du paradis, sainte Notre-Dame,
Si bonne aux marins en péril de mort,
Apaise le vent, fais taire la lame,
Et pousse du doigt notre esquif au port.
Nous te donnerons, si tu nous délivres,
Une belle robe en papier d'argent,
Un cierge à festons pesant quatre livres,
Et, pour ton Jésus, un petit saint Jean.
Théophile Gautier
Écrit par : Pendant la tempête, de Théophile Gautier | samedi, 01 décembre 2012
Honneur à celle qui n'est plus corporellement, qui est toujours pourtant, je le sais.
Écrit par : E | mardi, 24 décembre 2013
Les commentaires sont fermés.