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mercredi, 05 août 2009

Errants des mégapoles d'Europe

 

 

 

 

Lorsqu’on traduit les droits de l’homme dans les langues qui ne possèdent pas les mots de la philosophie grecque et chrétienne, les articles sont ramenés à leur plus simple expression. Chacun peut aller où il veut… chacun peut avoir une maison… L’ironie du grand texte nous prend à la gorge : en son nom, nous jetâmes sur la Serbie, sur l’Irak, des bombes. Mais dans nos cités, n’est-ce pas l’inégalité qui plonge les gens dans la misère et l’oppression qui les laisse sans ressource ?

Le roman des jungles urbaines

Comme les figures célèbres des romans - Jean Valjean, Oliver Twist et Rémi sans famille, Gervaise et les filles de De Quincey -, les peuples de l’abîme vivent dans l’inframonde de la cité, se disputent ses restes, se réchauffent loin du soleil social.
Mais, exaltés dans la fiction, on les conspue dans le réel. On force les enfants à finir le poulet, puis les berce avec l’histoire d’une gentille petite poule ; de même, on les écarte de cet homme aux habits miteux qui empeste sur le macadam, pour leur conter, avec des larmes dans la voix, l’histoire de Jean Valjean.
Il faut pourtant poser des yeux ouverts sur notre monde. Dans les rues des villes, des hères survivent au milieu de la grande consommation. Pour les humains brisés par les travaux, l’isolement et le manque, il n’y a pas de recours. Au XXème siècle, nous vîmes éclore des architectures qui parquaient les êtres dans des tours laides, vite insalubres, aux portes des villes. Mais voilà que fleurissent de nouveaux nomadismes.

Les gueux

Qui sont ces êtres qui, lorsque nous tirons les verrous sur la chaleur de notre foyer, continuent de hanter la nuit de la ville ?
Le paria vit hors du monde social ; il l’accepte, bien qu’il en souffre : c’est une condition de sa dignité morale. Il ne veut pas de la vie cadrée, sans choix, sans vérité, que le monde lui propose. L’exclu s’est trouvé déshérité, socialement, matériellement, financièrement. Il n’attise pas la pitié de la société ; il l’indiffère, ne correspondant ni à ses héros, ni à ses protégés. On assiste le défavorisé avec condescendance ; il en souffre, ou bien il est complaisant.
Ainsi la figure de l’exclu est double : celui qui refuse notre monde ; celui qui n’y accède pas. La société pose, comme condition pour donner l’asile à un être humain, qu’il accepte le contrat qu’elle lui propose. Mais ce contrat n’est-il pas biaisé, entre une énorme société organisée et l’individu qui naît en son sein ?

L’espace, la lumière et le mouvement

Où peuvent vivre les gueux, avec leurs chiens et leurs bagages, sans déranger l’ordre économique et social ? La rue n’est pas libre. Tout l’espace du monde est sous contrôle. Où vivre, où déployer son corps, où cueillir sa nourriture ? Des courageux se battent pour le droit des animaux à vivre leur animalité dans un monde dévoré par le « progrès ». Etendons cette lutte aux humains : qu’ils puissent aussi vivre leur animalité – le déploiement libre de leur corps et de leur cœur dans un espace ouvert.
La liberté de circuler, la liberté de vivre sous un toit, supposent mille papiers en règle. Les champs, les forêts, les océans ne sont plus libres.
Que signifie une liberté qui ne serait qu’un concept, un droit différé, un droit administré ? L’homme face à l’univers n’existe plus : il n’y a plus que l’homme face à la société et la société face à l’univers.

« Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entretuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
- Demande au mendiant. Il le sait ».
- Cela a un très beau nom, femme Narsès. Cela s'appelle l'Aurore ».
Jean Giraudoux, Electre

Sur les routes d’Europe

Quel est le sens d’une culture qui s’oppose à la nature ? Quelle est l’essence d’une liberté qui oppresse les désirs des hommes ? Qu’est-ce qu’une économie qui broie l’individu ? Les errants d’Europe interrogent le fond des droits que nous prônons, des devoirs que nous exigeons. Une Europe suradministrée, surcontrôlée, où les droits théoriques se traduisent par des procédures administratives, ne peut être un rêve – ne peut être un phare. A l’aurore de notre avenir commun, ne choisissons pas une survie matérielle réglée pour les obéissants, tandis que les autres sont relégués aux mondes d’outre-société.
Que le visionnaire et le pragmatique triomphent de l’idéaliste, du fataliste et du procédurier. Le rêve européen ne doit pas être administratif et gestionnaire. Il doit avoir aussi ses routes libres…

Edith de Cornulier-Lucinière, Les Sables d’Olonne, Juillet 2006

 

 

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