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samedi, 09 janvier 2010

Voeux, Aveux

vendredi, 08 janvier 2010

La marche des villageois

 

 

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Et la musique s'élève et nous entoure tous. Vous marchez autour de moi. Le  village ressemble aux autres jours, sans la pluie, sans le morne du quotidien. Le cortège nous rend somptueux. Notre marche de groupe, solennelle, fait de chacun de nous un morceau de héros.

Ma personnalité imparfaite s'efface et la batterie des coeurs ensemble implose mes rêves. Il n'y a plus de moi, de toi, il n'y a plus que nous qui marchons sur la route des fleurs et de l'espoir. Notre espoir nous appelle, notre confiance nous porte, notre peur est finie pour toujours.

Les tambours et les cors chantonnent des valses berçantes et dynamisantes. Bercés, nos coeurs coulent d'amour. Dynamisés, nos jambes courent au tempo des lendemains qui chantent. Les enfants marchent avec nous : plus de femmes, plus d'hommes, plus d'âges : toutes les barrières sont mortes et la vie et sa liberté immense ont pris toute la place. Aux carrefours des chemins la musique reprend de plus belle et c'est toujours la plus grande route qui appelle. Nous marchons sans penser, le village est loin derrière nous maintenant et nous ne pensons qu'aux nuages qui nous précèdent.

Nous partons à la guerre.

 

 

José Vengeance Dos Guerreros, le lundi 4 janvier MMX, Paris le soir glacial.

jeudi, 07 janvier 2010

Bonne année

 

 

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Une nouvelle année commence, symbole chronologique dans la nuit désordonnée du temps qui passe.
À nous, à tous, bonne année.
Que les chagrins d'amour s'apaisent et que les solitudes se trouvent. Que les rencontres se fassent douces, griffes rentrées, yeux grand ouverts. Que l'obligation haineuse, hargneuse de "gagner sa vie" ne bouffe pas toute la moelle de la liberté. Que la danse se manifeste en nos corps, au jour le jour, dès l'aurore au lever et jusqu'aux dernières heures du soir, quand les masques tombent et qu'on retrouve un peu de ruines de paix dans l'avant sommeil. Que l'espoir de trouver quelqu'un, quelque chose, une émotion à faire vibrer, nous tienne et soit réalisé, enfin. Que nous passions cette année, sentinelles sans uniforme, enfants sans soutien, dans la paix du coeur. Que nos générosités trouvent l'espace qui leur manque pour se déployer. Que nos armes tombent. Que nos frontières s'écartent - mais que notre fierté et notre honneur restent là, fermement plantées - ces deux drapeaux qui tiendront jusqu'au bout de nos destins, et même au-delà, souvenirs de nos combats, de nos luttes, de nos efforts pour marcher debout dans la grande catastrophe de la vie. La beauté est à l'origine du monde ; l'héroïque joie de vivre  la recrée à chaque tentative d'aimer.

Bonne année.

mercredi, 06 janvier 2010

...comme il est facile de juger, et difficile de vivre...

 

"On frémit..... quand on sait comme il est facile de juger, et difficile de vivre,
et comme c’est rapide, un jugement, et comme c’est long, une vie". 

Montherlant

 

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photo Sara pour VillaBar

 

 

À propos de la pièce La guerre civile

"Les serpents littéraires, biographiques et anecdotiques qui suivent les hommes sortant un peu de l’ordinaire n’ont pas effacé les traces de Pompée. Après deux mille ans, il vit encore, plein de bruits et d’actes, et comme soutenu par les jugements malveillants qu’on porte sur lui. On frémit (c’est une façon de parler, car personne ne frémit) en voyant exécuté en quatre lignes, dans les dictionnaires, l’effort de toute une vie, quand on sait comme il est facile de juger, et difficile de vivre, et comme c’est rapide, un jugement, et comme c’est long, une vie. Les historiens qui, les pieds dans des pantoufles, entre leur radiateur et leur frigidaire, et n’ayant d’autre adversaire à vaincre que la feuille de papier blanc sur laquelle ils écrivent n’impore quoi en toute impunité, les historiens ont beau jeu à traiter avec désinvolture les personnes qui ont remué ce que remua Pompée pendant trente-cinq ans, dans le chaos sanglant qu’était alors l’empire romain (étant réservé le problème de la vanité de l’action, sur lequel j’ai dit mon sentiment bien des fois). Pour moi, mon objet ici n’a pas été de juger cet homme : on ne juge que sur dossier, et les arrangeurs ne font pas un dossier. Je n’ai voulu que rêver un peu sur un immense retournement de fortune, et en sortir quelques circonstances dorées par la mélancolie de l’Histoire".

 

Henry de Montherlant, 1958

 

mardi, 05 janvier 2010

L'amour, la prière, les larmes

 

 

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Phot Sara

 

 

« Je vois les chevaliers traverser les mers vers la Terre Sainte croyant la prendre par les armes, et s’exténuant sans arriver à leurs fins. Alors je pense qu’il faudrait faire cette conquête comme tu la fis, Seigneur, avec tes apôtres : par l’amour, la prière et les larmes ».

 

Raymond Lull

(Vers 1311)

 

lundi, 04 janvier 2010

Le courage et l'amour

 

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« Il m’ont tout ôté, hors mon cœur, qui me restera toujours pour vous aimer ».



Marie-Antoinette

 

dimanche, 03 janvier 2010

Jules Vallès : saisissant portrait par René Lalou

"Son état normal est l'insurrection".

J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946, L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages sur certains auteurs. 
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".
Un beau et intéressant portrait de Jules Vallès, l'auteur d'une symphonie révoltée en trois tomes, et le représentant de cette classe d'"hommes souterrains" décrits par tant d'auteurs du XIXème siècle. Trop cultivés pour leur milieu d'origine, pas assez bourgeois pour rejoindre les classes aisées qui dominent la société, ils errent et leur intelligence est leur plus grande gloire et leur plus grand fardeau.

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photo d'un ami de B par Sara

 

On courrait à un échec certain en appliquant à JULES VALLÈS les mesures ordinaires de la critique littéraire : et pourtant nul roman social n'a dépassé la poignante intensité de la trilogie de Jacques Vingtras. Trop autobiographique pour être rangé parmi les romanciers descriptifs, trop partial pour prendre rang entre les historiens, Vallès ressuscite son époque avec une puissance fougueuse qui ne se laisse point réduire à la verve du pamphlétaire. Là où il essaie d'être objectif, qu'il peigne les réfractaires, les irréguliers de Paris, les victimes du livre ou "l'horreur et la désolation" de la rue à Londres avec l'inhumaine hospitalité du workhouse, l'intérêt languit. Mais qui lit la symphonie révoltée que forment l'Enfant, le Bachelier et l'Insurgé ressent, devant cette confession, la même impression de liberté que devant une création de l'imagination : qu'importe que le romancier ait pris pour matière sa propre vie s'il a réussi volontairement ou non, sa transmutation en oeuvre d'art ?

 

D'un art moins révolutionnaire, peut-être, que Vallès n'aurait entendu nous le faire croire : "J'ai fait mon style de pièces et de morceaux, écrit-il, que l'on dirait ramassés à coups de crochets, dans des endroits malpropres et navrants." En littérature aussi il tenait à sa réputation d'insurgé, et affirmait qu'on lui pardonnerait plus facilement d'avoir été membre de la Commune que d'avoir renvoyé Homère aux Quinze-Vingts. On pourrait sourire de ses prétentions et s'amuser à relever les passages où il se jette dans l'argot pour échapper à ses souvenirs classiques si l'on ne comprenait que lui-même n'est pas dupe, qu'il cherche moins ici à se glorifier d'une originalité qu'à panser une des plus cruelles blessures de son orgueil. Car toute son oeuvre est dominée par deux haines. Il déteste la société, "la gueuse", qui "affame les instruits et les courageux quand ils ne veulent pas être ses laquais", qui foule aux pieds les droits de l'homme. Mais il maudit plus encore la fausse éducation qui ne respecte pas les droits de l'enfant, qui l'empêcha de devenir un honnête ouvrier pour le transformer en un bachelier impropre à tout et qui crève de faim. Son oeuvre est l'explosion de ses colères, une vengeance ; tout, même ses procédés d'écrivain, l'enrage, qui le détourne de son but essentiel : "Ils ont imaginé une bohème de lâches, je vais leur en montrer une de désespérés et de menaçants".

Dans les limites où il s'enfermait farouchement il a réussi : son tableau vit prodigieusement. Non qu'il décrive jamais : même lorsqu'il relate des journées historiques, le 2 Décembre ou la Commune, il peint moins par une confession hallucinée de sentiments exaltés. Son état normal est l'insurrection. De là, ses grands cris sauvages, tel ce commentaire du "les gueux sont des gens heureux" de l'inoffensif Béranger : "il ne faut pas dire cela aux gueux ! s'ils le croient, il ne se révolteront pas, ils prendront le bâton, la besace et non le fusil". De là, cette fiévreuse âpreté qui stigmatise les déchéanes de Vingtras dans sa lutte contre la misère. De là encore, certains paroxysmes d'inhumanité et "la belle cruauté" de son duel avec Legrand. De là enfin, l'allure épique du récit lorsque, par la conférence, par l'article, par le livre, par l'action directe, il charge de toute la puissance de sa haine, contre la société ennemie.

Mais cette colère même lui prête une étrange lucidité. Il triomphe dans la satire concrète : ses portraits, depuis les professeurs de collège jusqu'aux maîtres de la presse et aux chefs révolutionnaires, sont dessinés à l'emporte-pièce, avec un pittoresque relief ; un instinct lui montre aussitôt le détail ridicule sur lequel sa verve s'exercera. Ses souvenirs d'enfance, avec les inoubliables figures de la mère paysanne et du père que le professorat obscur a abêti, sont d'un Poil de Carotte moins stylisé, et infiniment plus complexe. Il a le don d'un humour sec qui procède par étalage de fleurs de rhétorique suivis de soudains rappels aux réalité de la vie, par coq-à-l'âne volontaire. Cette ironie, mécanique et grimaçante, qui n'est jamais une détente, il la retourne contre lui-même. Elle lui tient lieu d'esprit critique ; après avoir évoqué l'enthousiasme révolutionnaire, la foi en ce qu'un Georges Sorel nommerait "le mythe de 93", il s'interroge d'un brusque soubresaut : "Il m'arrive souvent de me demander aussi si je n'ai pas quitté une cuistrerie pour une autre, et si après les classiques de l'Université, il n'y a pas les classiques de la Révolution - avec des proviseurs rouges et un bachot jacobin !"

L'intime désespoir qui emplit les douze cents pages de Jacques Vingtras a sa source dans cette souffrance : malgré tout son amour et toute sa haine, Vallès n'appartient pas au peuple et son oeuvre, trop large ou trop étroite, ne deviendra jamais véritablement populaire ; il est passé par la pension Legnagna, a été une bête à concours, tout comme l'Étienne Mayran de Taine. Vallès est un révolté, un réfractaire, non point un ouvrier. Si cruellement qu'il ait blessé ses contemporains, il n'a pu assouvir sur eux sa rancune ; et ce sont ses orgueilleuses misères qu'il apportait à "la grande fédération des douleurs". 

René Lalou

samedi, 02 janvier 2010

Une correspondance étonnante

 

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Alain P et Edith de C par Sara

 

 

Y a-t-il “plus de points” dans un carré que dans un segment de droite ? Nous allons voir qu’il n’en est rien.

 

Car nous sommes le 2 janvier et il est temps de relire cet article mathématique de Laurent Moonens.
Voici le document pédéhaif :

Une correspondance étonnante

 

 

 

En savoir plus sur Laurent Moonens

 

vendredi, 01 janvier 2010

La guerre Civile, Scène VI

 

 

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photo Sara pour VillaBar

 

 

Caton, Brutus.

 

Brutus, entrant.

Tu ne dors pas ?

 

Caton

Le malheur de mon pays m'empêche de dormir.

 

Brutus

Dans la nuit, je viens de croiser deux ombres...

 

Caton

Le Meurtre et le Suicide, qui se promènent sans cesse parmi nous, et quelquefois, au passage, nous serrent doucement le bout des doigts.

 

Brutus

Non, Pompée et Lentulus, sur le seuil du prétoire. La nuit et des baraquements les ont empêchés de me reconnaître. Pompée disait : "L'attaque de demain est une absurdité. Nos recrues sont des civils déguisés en militaires". Lentulus lui a demandé : "Alors, pourquoi cette attaque ?" Pompée a répondu, avec son à-propos habituel : "Il faut bien faire quelque chose". LE concert des grenouilles a couvert la suite.

 

Caton

Ne dis cela à personne, et surtout à personne du commandement.

 

Brutus

J'ai voulu t'avertir : il vaut mieux être prévenu.

 

Caton

Mais enfin, que pense-t-il de la situation ? Avec lui on ne sait jamais rien.

 

Brutus

C'est qu'il ne pense rien. Il fait celui qui pense, et ne pense pas. Il attend l'événement, et se décide au hasard. On parle de sa politique. Sa politique est n'importe quoi. Il nous a fallu trente-cinq ans pour découvrir cela, et pour en découvrir la cause : c'est qu'il n'est pas intelligent.

 

Caton

Lent, secret et perfide comme ces lagunes de Dyrrachium, où bouge un imperceptible courant, venu d'une mer immobile.

 

Brutus

À propos de nos lagunes, si la fièvre de Pompée est une blague, la mienne est une réalité. N'attends pas de moi que je me couvre de gloire demain.

 

Caton

Tout t'est permis, nous savons cela. Profites-en, mon cher Brutus. Quant à moi, je n'ai pas la fièvre.

 

Brutus

Tant mieux pour toi. Salut. Bon sommeil, quand même.

 

Caton

Et ton abrégé de l'Histoire de Polybe ?

 

Brutus

J'y ai travaillé toute la journée.

 

Caton

La veille d'une bataille.

 

 

Brutus

Délit caractérisé de liberté d'esprit !

 

 

 

 

Henry de Montherlant

mercredi, 30 décembre 2009

Deux lettres de dépit

 

Ainsi toujours aimante et déçue, ou trahie,
Mes plus doux sentiments se fanent tour à tour ;
Et l’amitié coûte à la vie
Autant de larmes que l’amour.

Marceline Desbordes-Valmore

 

Elles étaient dépitées. Elles l'écrivaient dans leurs lettres. Ce dépit épistolaire témoigne de l'ancienneté de la dépression nerveuse, qui porta des noms plus jolis que celui-ci.

 

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Madame de Sévigné à sa fille, le 16 mars 1672

Vous me demandez, ma chère enfant, si j’aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisans ; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort ; je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle, que si je pouvois retourner en arrière, je ne demanderois pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse : je suis embarquée dans la vie sans mon consentement ; il faut que j’en sorte, cela m’assomme et comment en sortirai-je ? Par où ? Par quelle porte ? quand sera-ce ? en quelle disposition ? souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée ? aurai-je un transport au cerveau ? mourrai-je d’un accident ? comment serai-je avec Dieu ? qu’aurai-je à lui présenter ? la crainte, la nécessité feront-elles mon retour vers lui ? n’aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur ? que puis-je espérer ? suis-je digne du paradis ? suis-je digne de l’enfer ? quelle alternative ! quel embarras ! Rien n’est si fou que de mettre son salut dans l’incertitude ; mais rien n’est si naturel, et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre. Je m’abîme dans ces pensées et je trouve la mort si terrible que je hais plus la vie parce qu’elle m’y mène, que par les épines qui s’y rencontrent. Vous me direz que je veux vivre éternellement. Point du tout, mais si on m’avoit demandé mon avis, j’aurois bien aimé mourir entre les bras de ma nourrice : cela m’auroit ôté bien des ennuis et m’auroit donné le ciel bien sûrement et bien aisément.


Marquise du Deffand, lundi 20 octobre 1766
à monsieur Horace Walpole


J’admirais hier soir la nombreuse compagnie qui était chez moi ; hommes et femmes me paraissaient des machine à ressort, qui allaient, venaient, parlaient, riaient sans penser, sans réfléchir, sans sentir : chacun jouait son rôle par habitude : Madame la duchesse d’Aiguillon crevait de rire, Madame de Forcalquier dédaignait tout, Madame de La Vallière jabotait sur tout. Les hommes ne jouaient pas de meilleur rôle, et moi j’étais abîmée dans les réflexions les plus noires : je pensais que j’avas passé ma vie dans les illusions, que je m’étais creusé moi-même tous les abîmes dans lesquels j’étais tombée ; que mes jugemens avaient été faux et téméraires, et toujours trop précipités, et qu’enfin je n’avais parfaitement bien connu personne ; que je n’en avais pas été connue non plus, et que peut-être je ne me connaissais pas moi-même. On désire un appui, on se laisse charmer par l’espérance de l’avoir trouvé : c’est un songe que les circonstances dissipent et qui font l’effet du réveil. (…)

 

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Les deux photos (la dépitée à la cerise, la dépitée souriante) sont extraits de la série de Sara "La dépitée"

 

mardi, 29 décembre 2009

Venise

 

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Peinture : "Italie", par Sara

 

 

À Venise qui choit dans la lagune 
J'ai oublié mes rêves américains 
J'ai pleuré à minuit sous la lune 
En froissant de longs doigts dans mes mains


J'ai eu peur de ces êtres qui passent 
Et vous marquent la peau de leurs dents 
J'ai toujours fui les nuits où l'on chasse 
Un fantôme à étreindre un moment



Pourtant, loin des immenses déserts 
Que traversent des villes géantes, 
J'ai aimé sous un vieux lampadaire 
Un garçon vénitien de vingt ans



Et je traîne la mémoire ardente 
De ville en port, de forêt en dune, 
Le souvenir d'un halo de lune 
D'un frisson dont renaissent mes trente ans 



À Venise qui choit dans la lagune 
J'ai oublié mes rêves américains 
J'ai frémi à minuit sous la lune 
En froissant de longs doigts dans mes mains


Édith de Cornulier-Lucinière

lundi, 28 décembre 2009

Pierre Loti par René Lalou

... diluer un instant dans le rêve sa propre angoisse.

 

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peinture de Sara. Collection B. B.

 

 

J'ai trouvé le tome I de ce livre dans les affaires de mon grand-père. Publiée en 1946, L'histoire de la littérature française et contemporaine (1870 à nos jours) , de René Lalou, comporte d'assez beaux passages sur certains auteurs. 
En voici un, que je recopie à l'usage de ceux qui trouvent amusant de lire un critique du milieu du XXème siècle sur la littérature "contemporaine".


Pierre Loti et l'exotisme

"Rien ne m'est arrivé que je n'aie obscurément prévu dès mes premières années", écrit Pierre LOTI au début du Pélerin d'Angkor ; tout enfant, dans son petit musée de Saintonge, il avait prévu que, malgré la résistance de sa famille, il entrerait dans la marine et visiterait les plus beaux pays du monde , il avait aussi prévu que sa foi protestante ferait place peu à peu à une sorte de panthéisme vague dominé par la terreur de la mort ; s'il n'ajoute point qu'il avait prévu son oeuvre littéraire, cela tient uniquement à ce qu'elle n'est qu'un épisode, un effort de plus pour sauver sa vie du néant engloutisseur. 

C'est ce sentiment personnel qui inspire ses livres, - beaucoup plus que les circonstances qui déterminèrent leur composition ; il les enchaîne par un lien d'unité auprès duquel leurs différences superficielles ne comptent pas. On a beaucoup parlé de désenchantement à propos de Loti et on l'a comparé de ce fait à Chateaubriand , ressemblance dans l'attitude qui ne doit point aveugler sur leur différence fondamentale. Chateaubriand a orgueilleusement "bâillé sa vie" parce que son mérite n'y recevait point les consécrations auxquelles il jugeait avoir droit ; Loti a obtenu tous les succès qu'il convoitait ; la terre a comblé sa curiosité et sa sensualité. Il a connu la joie de découvrir des pays fermés, de les révéler aux hommes ; il a éprouvé la volupté plus raffinée de voir leur charme diminué par la civilisation, d'avoir été le dernier à jouir de leur vierge beauté. Rien ne lui aura manqué, pas même le prophétique plaisir de prophétiser la décadence finale : "Il viendra un temps où la terre sera bien ennuyeuse à habiter, quand on l'aura rendue pareille d'un bout à l'autre, et qu'on ne pourra même plus essayer de voyager pour se distraire un peu"...

Et cependant, toutes ces distractions offertes ne l'auront pu distraire, lui, de l'ennemi qu'il portait en sa conscience. La hantise du déroulement inexorable de la vie avec l'inévitable vieillesse et la mort au terme de tout, ce savoir amer qui a chez lui l'intensité d'une sensation physique, poursuit Loti jusque dans les ivresses de l'amour et la contemplation des plus somptueux paysages. "J'en suis venu, écrivait-il, avant la quarantième année, à chanter mon mal et à le crier aux passants quelconques, pour appeler à moi la sympathie des inconnus les plus lointains ; et appeler avec plus d'angoisse à mesure que je pressens davantage la finale poussière... Et qui sait ? en avançant dans la vie, j'en viendrai peut-être à écrire d'encore plus intimes choses qu'à présent on ne m'arracherait pas, - et cela pour essayer de prolonger, au delà de ma propre durée, tout ce que j'ai été, tout ce que j'ai pleuré, tout ce que j'ai aimé". Du Roman d'un enfant à Prime Jeunesse, à quels aveux Loti ne s'est-il pas péniblement résigné pour assurer dans la mémoire de ses lecteurs quelques années de vie, d'abord à ce qu'il tenait pour le meilleur de ses souvenirs, puis peu à peu, farouchement, à tout lui-même !

(Nous assistons à une semblable course contre la mort dans les Feuillets d'André GIDE, autre écrivain d'origine protestante et torturé, lui aussi, par "l'amour qui n'ose pas dire son nom".)


La critique n'abdique pas son jugement en lui donnant raison et en convenant qu'en effet il n'a jamais fait autre chose. Mais ce caractère d'épaves sauvées de l'universel naufrage s'applique surtout aux ouvrages proprement autobiographiques. Dans les romans l'art intervient : Loti tente, au moins, de sortir de lui-même. Sans doute ne faut-il point exagérer cette évasion ; les personnages qu'il choisit sont en général des simples : nulle finesse psychologique n'est requise pour la peinture de Ramuntcho ou de mon frère Yves ; l'éloignement enveloppe Rarahu et madame Chrysanthème dans un décor magnifique qui leur tient aisément lieu d'âme ; l'apparente complexité des Désenchantées est une culture occidentale qui s'ajoute à leur sensibilité passionnée sans la pénétrer profondément encore ; même dans Pêcheur d'Islande, le livre de Loti qui ressemble le plus aux romans du modèle conventionnel, les héros sont des types généraux abstraits, dirait-on, s'il n'y avait pas chez Loti une imagination visuelle absolument rebelle à toute abstraction. Car les fêtes du regard et les courtes haltes de passion sensuelle lui ont seules procuré les minutes exaltées où, anéanti dans la sensation présente, il oubliait la menace sur sa tête de l'autre, du définitif anéantissement. 

L'exotisme de Loti n'est donc pas un caprice d'artiste mais une nécessité pour l'homme qu'il fut, l'unique baume à son ennui et à sa peur. Or, par une conséquence assez naturelle, l'exotisme lui a valu aussi ses plus grands succès littéraires : incapable d'une construction intellectuelle personnelle, son regard embrasse d'un coup l'ensemble d'un paysage ; sa description, épousant avec une merveilleuse souplesse les contours de son objet, en présente une image si fidèle  qu'elle restitue aux yeux les plus fermés le spectacle entier avec l'harmonie interne qui lui donne sa raison d'être. Un exemple illustrera cette passivité recréatrice du Loti peintre : "Cependant la lune s'abaisse lentement, et sa lumière bleue se ternit ; maintenant elle est plus près des eaux et y dessine une grande lueur allongée qui traîne. Elle devient plus jaune, éclairant à peine, comme une lampe qui meurt. Lentement elle se met à grandir, à grandir, démesurée, et puis elle devient rouge, se déforme, s'enfonce, étrange, effrayante. On ne sait plus ce qu'on voit : à l'horizon, c'est un grand feu terne, sanglant. C'est trop grand pour être la lune". 

"La notion du réel est perdue", écrit-il un peu plus loin.
Il s'en épouvante et s'en réjouit à la fois. Non qu'il soit incapable de descriptions précises ; elles foisonnent dans Au Maroc ou dans Vers Ispahan. Non qu'il soit même incapable de la rigoureuse minutie indispensable à la croisade de virulente satire qu'il a entreprise dans L'Inde (sans les Anglais) et la Mort de Philoe. Mais son procédé favori, sa tendance la plus instinctive, consiste à s'abîmer dans le spectacle qu'il contemple jusqu'à en être débordé, à ne plus le peindre qu'empli de leurs deux émotions mêlées. Cette phrase : "Lentement elle se met à grandir, à grandir, démesurée, et puis elle devient rouge, se déforme, s'enfonce, étrange, effrayante", résume tout le style de Loti : répétition des mots, accumulation des verbes imagés, des adjectifs d'impression subjective, tout converge à créer une atmosphère de mystère inexplicable. Aussi excelle-t-il à évoquer le vague, à représenter une réalité par la négation d'une autre réalité : "C'était une lumière pâle, pâle, qui ne ressemblait à rien ; elle traînait sur les choses comme des reflets de soleil mort. Autour d'eux, tout de suite, commençait un vide immense, qui n'était d'aucune couleur, et en dehors des planches de leur navire, tout semblait diaphane, impalpable, chimérique". 

Là est le secret de son pouvoir d'imagination : il peint les choses dans un rêve éveillé où elles surgissent et s'évanouissent magiquement ; il décrit en ayant l'air de capituler devant la réalité ; dans l'incantation de cette prose, les termes les plus abstraits dépouillent leur valeur intellectuelle et n'agissent plus que par leur force affective : "Cette nuit-là, c'était l'immensité présentée sous ses aspects les plus étonnamment simples, en teintes neutres, donnant seulement des impressions de profondeur. Cet horizon, qui n'indiquait aucune région précise de la terre, ni même aucun âge géologique, avait dû être tant de fois pareil depuis l'origine des siècles, qu'en regardant il semblait vraiment qu'on ne vît rien, - rien que l'éternité des choses qui sont et qui ne peuvent se dispenser d'être."
"Être" et "sembler", ces verbes élémentaires reviennent perpétuellement dans les livres de Loti : symboliquement, car, faibles pour précisément décrire, nuls autres n'égalent leur aptitude infinie à suggérer. Or, suggérer est bien le but unique d'un artiste qui, exaspéré par l'omniprésence du danger mortel, ose à peine affirmer sa suprême espérance : "La souveraine Pitié, j'incline de plus en plus à y croire et à lui tendre les bras, parce que j'ai trop souffert, sous tous les ciels, au milieu des enchantements ou de l'horreur, trop vu souffrir, trop vu pleurer, et trop vu prier". Et cette obstinée évocation de tant de ciels, de tant d'enchantements ou d'horreurs n'aura été pour Loti, en définitive, qu'une manière d'opium à endormir la souffrance humaine et diluer un instant dans le rêve sa propre angoisse.

dimanche, 27 décembre 2009

Les quartiers populaires

 

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Jardin du Luxembourg, par Sara

 

 

Bourgeois, vous n'aimez pas les riches : vous préférez les pauvres, car vous êtes infiniment de gauche. Alors vous dites, "pouah, les quartiers riches sont morts ! je préfère les quartiers populaires". Et vous vendez vos appartements des longues avenues du septième arrondissement, et vous achetez des "surfaces originales" là où les poubelles débordent, où les gens crachent sur le trottoir, où les enseignes multicolores sont écrites dans toutes les langues. 
Mais votre gloire d'être peuple, qui en paye le prix ? Eux.

Ceux qui partent, refoulés toujours plus loin, vers le périphérique, puis de l'autre côté du périphérique, puis plus loin encore dans les banlieues ; ceux que vos euros patentés chassent des immeubles que vous restaurez pour votre plus grand confort.  Depuis cinquante ans, combien de familles, combien de vieux, combien d'ouvriers, d'employés avez-vous bouté hors de Paris, sans vous en rendre compte, en colonisant leurs parcelles de "terres" urbaines durement louées, en y confectionnant de luxueuses salles de bains et cuisines, en disant : "pouah ! les quartiers riches me dégoûtent. Ils sont trop propres. Je veux la zone, je veux le peuple, je veux la racaille !"

Et Paris devient de plus en plus cher et ceux qui s'y maintenaient encore doivent fuir les loyers que votre simple présence élève, pour s'exiler hors les enceintes de LEUR ville.


Vous aimez les quartiers populaires - mais vous embourgeoisez tout ce que vous touchez. Vous qui n'aimez pas les riches, vous qui passez vos vacances d'hiver au ski, vos vacances d'été à la mer.


$€£ Édith de CL $€£

samedi, 26 décembre 2009

Citadelle

 

PAR Antoine de Saint-Éxupéry
"De l'homme, je ne demande pas quelle est la valeur de ses lois, mais bien quel est son pouvoir créateur".
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Photo Sara

 

 

"Et je m'en fus parmi mon peuple songeant à l'échange qui n'est plus possible lorsque rien de stable ne dure à travers les générations, et au temps qui coule alors, inutile, comme un sablier. Et je songeais : cette demeure n'est point assez vaste et l'oeuvre contre laquelle il s'échange n'est point assez durable encore. Et je songeais aux pharaons qui se firent bâtir de grands mausolées indestructibles et anguleux qui avancent dans l'océan du temps qui les use lentement en poussière. Je songeais aux grands sables vierges des caravanes dont quelquefois émergent un temple d'autrefois, à demi sombré et comme démâté déjà par l'invisible tempête bleue, voguant encore à demi, mais condamné. Et je songeais : il n'est point assez durable, ce temple avec sa charge de dorures et d'objets précieux qui ont coûté de longues vies humaines, avec ce miel enfermé de tant de générations, avec ses filigranes d'or, ces dorures sacerdotales contre lesquelles de vieux artisans se sont lentement échangés et ces nappes brodées sur lesquelles des vieilles tout au long de leur vie se sont lentement brûlé les yeux, et, une fois racornies, toussotantes, ébranlées déjà par la mort, ont laissé d'elles cette traîne royale. Cette prairie qui se déroule. Et ceux qui l'aperçoivent aujourd'hui se disent : "Qu'elle est belle, cette broderie ! Qu'elle est donc belle..." Et je découvre que ces vieilles ont filé leur soie dans leur métamorphose. Ne se sachant point aussi merveilleuses. 
Mais il faut bâtir le grand caisson pour recevoir ce qui restera d'eux. Et le véhicule pour l'emporter. Car, moi, je respecte d'abord ce qui dure plus que les hommes. Et sauve ainsi le sens de leurs échanges. Et constitue le grand tabernacle auquel ils confient tout d'eux-mêmes.
Ainsi je les retrouve encore, ces lents navires dans le désert"

 

Antoine de Saint-ÉXUPÉRY

Citadelle, sur Une bibliothèque au 13

vendredi, 25 décembre 2009

grivoiserie

 

Le mot et la chose

 

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Coquetel hard par Sara

 

 

Madame, quel est votre mot,
Et sur le mot et sur la chose ?
On vous a dit souvent le mot,
On vous a fait souvent la chose.
Ainsi, de la chose et du mot
Vous pouvez dire quelque chose.
Et je gagerais que le mot
Vous plaît beaucoup moins que la chose.
Pour moi, voici quel est mon mot,
Et sur le mot, et sur la chose :
J'avouerai que j'aime le mot,
J'avouerai que j'aime la chose.
Mais, c'est la chose avec le mot,
Mais, c'est le mot avec la chose,
Autrement, la chose et le mot
A mes yeux, seraient peu de chose.
Je crois même, en faveur du mot,
Pouvoir ajouter quelque chose ;
Une chose qui donne au mot
Tout l'avantage sur la chose :
C'est qu'on peut dire encore le mot,
Alors qu'on ne fait plus la chose.
Et pour peu que vaille le mot,
Mon Dieu, c'est toujours quelque chose !
De là, je conclus que le mot
Doit être mis avant la chose.
Qu'il ne faut ajouter au mot
Qu'autant que l'on peut quelque chose.
Et pour quelque jour où le mot
Viendra seul, hélas, sans la chose,
Il faut se réserver le mot
Pour se consoler de la chose.
Pour vous, je crois qu'avec le mot,
Vous voyez toujours autre chose.
Vous dites si gaiement le mot,
Vous méritez si bien la chose,
Que pour vous, la chose et le mot
Doivent être la même chose.
Et vous n'avez pas dit le mot
Qu'on est déjà prêt à la chose,
Mais quand je vous dis que le mot
Doit être mis avant la chose,
Vous devez me croire à ce mot,
Bien peu connaisseur en la chose.
Eh bien, voici mon dernier mot,
Et sur le mot et sur la chose :
Madame, passez-moi le mot
Et je vous passerai la chose.


Abbé de l'Attaignant (il vécut à cheval entre le XVII et le XVIIIème siècle)