lundi, 13 août 2012
Soror Renée Vivien
« La plus jeune sœur vint à moi comme l'incarnation de ma pensée la plus belle. Sa robe était du même violet que le soir. Cette femme m'évoquait la fragilité de la nacre et la tristesse altière des cygnes noirs au sillage obscur. Répondant à mon silence, elle murmura :
« J'ai cherché dans cette ombre non point la paix, comme l'Exilé frappant aux portes du monastère, mais l'Infini. »
Et je vis que son visage ressemblait au divin visage de la Solitude. »
Renée Vivien, in Les sœurs du silence
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dimanche, 12 août 2012
Ces bêtes qu’on abat : Un employé rapide
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
Un employé rapide
Dans le département du Morbihan, et dans un abattoir de bovins, je fus surpris de la rapidité d’exécution des tâches d’étourdissement et de saignée de l’employé en place au poste d’abattage. En effet, il s’écoulait moins d’une minute entre l’étourdissement et la saignée des animaux. Le tueur qui chargeait son pistolet à tige perforante avant la mise dans le piège des animaux était rapide et efficace. Il étourdissait les bovins, ouvrait la porte latérale, pour l’évacuation hors du piège des animaux, les suspendait dans la foulée et les égorgeait aussitôt. Le treuil muni d’un palan pour la suspension des bovins après étourdissement était descendu sur le sol avant chaque étourdissement et non après. C’est très important. Cela paraît logique, mais ce n’est pourtant pas toujours ainsi que les choses se passent. Cela permet d’écourter le temps entre l’étourdissement et le début de la saignée. Certains tueurs descendent le treuil, alors qu’ils viennent d’effectuer l’étourdissement, ils perdent ainsi beaucoup de temps avant la saignée, qui doit pourtant intervenir le plus rapidement possible, car l’étourdissement n’est pas la mise à mort. Par exemple, la société Mc Key, organisme de certification et de contrôle du groupe Mc Donald, demande dans son cahier des charges « bien-être animal » qu’il ne se passe pas plus d’une minute entre l’étourdissement et le début de la saignée. Cette demande est très intéressante, car elle exige de procéder rapidement à la saignée pour les établissements qui produisent pour cette société.
Position du pistolet à tige perforante sur le crâne d’un bovin.
Phot Jean-Luc Daub
Il me faut toutefois mettre un bémol, parce que l’employé suivant, sur la chaîne d’abattage, procédait à la découpe en la commençant avant la fin de la saignée complète, c’est-à-dire avant la fin de l’écoulement total du sang. La mort de l’animal est effective après qu’il s’est vidé de son sang. L’employé, avec son couteau, parfilait autour des yeux, découpait les oreilles, ainsi que le museau et puis la tête, alors que les bovins n’étaient pas encore morts !
La responsable qualité avec qui j’eus un entretien me dit qu’elle allait faire intercaler une bête supplémentaire sur le stock tampon ce qui permettrait d’attendre un peu plus longtemps après la saignée et avant de procéder à la découpe. Le directeur m’a certifié qu’il s’assurerait que ce délai serait dorénavant respecté.
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jeudi, 09 août 2012
Le recrutement des hommes qui ont choisi le métier de juger
L'avocat Isorni s'exprimait ainsi sur les juges.
"Aucune réforme n'aboutit là où n'aboutirait qu'une réforme de la nature humaine. Le recrutement des hommes qui ont choisi le métier de juger fait qu'ils sont en général honnêtes, timides et dociles. Il les faudrait audacieux et révoltés. Mais s'ils étaient audacieux et révoltés, ils n'entreraient pas dans la magistrature. (...) Aucune loi ne donne de l'indépendance à une nature qui s'incline, aucun règlement ne durcit une colonne vertébrale prête à se courber, aucune circulaire n'ouvre des yeux,qui désirent rester clos. (...) Il faudrait une réforme telle que ce serait d'autres personnes qui ambitionneraient de devenir magistrats, une réforme qui ferait que ceux qui revendiquent la mission de juger ne soient plus des citoyens à la recherche d'une vie tranquille et d'une retraite décente. Il n'en est qu'une : assurer aux juges une totale liberté, c'est-à-dire une totale indépendance."
Jacques Isorni
Cité par Gilles Antonowicz, dans sa biographie "Isorni, L'avocat de tous les combats"
AlmaSoror avait déjà mentionné la phrase de Tolstoï, "Là où il y a jugement, il y a injustice..."
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mardi, 07 août 2012
de l'autre côté d'hier
Phot. Sara
La cathédrale de Bourges effleurée, un taxi bizarre, l'ave maria remixé, c'était un jour d'été d'un autre monde, il y a mille ans, hier ou avant-hier.
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lundi, 06 août 2012
Quelle fortification de poussière et de sable sépare nos deux mondes ?
Tout le jour, surfer sur la vague de la vie, glisser sur ses ondes. Finesse, rythme, enchaînement guident ma vie. Finesse des silences, rythme de croisière, enchaînement des rires et des danses.
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dimanche, 05 août 2012
Ces bêtes qu’on abat : Vaches mourantes
Vache faible et épuisée couchée dans un camion sur un marché à bestiaux.
Phot Jean-Luc Daub
Vaches mourantes
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
Dans les Vosges, je visitais un abattoir moderne. Lorsque j’arrivai vers le local d’abattage d’urgence, je fus surpris de voir pas moins de dix vaches qui gisaient sur le sol jusque dans la cour. Aucune n’avait la capacité de marcher (elles ne risquaient donc pas de se sauver de l’abattoir). Je me demandais dans quelles conditions elles avaient été chargées et déchargées (au treuil bien évidemment). Certaines étaient agonisantes. Elles auraient dû être abattues dès leur arrivée. C’est le but de l’abattage d’urgence. L’abattoir avait pour habitude d’attendre la fin des abattages, donc la fin de journée, pour s’occuper de celles qui avaient été traînées dans le local d’abattage d’urgence, pour ne pas souiller la chaîne, comme disent les professionnels. Un grossiste effectuait des ramassages spéciaux, afin de faire du commerce avec les bêtes accidentées ou malades, très recherchées pour les steaks hachés.
Bien que la réglementation protège les animaux qui ne peuvent pas se déplacer d’eux- mêmes, en les déclarant inaptes au transport, des bovins sont encore fréquemment déplacés, alors qu’ils auraient dû bénéficier de la mesure d’abattage d’urgence à la ferme. Dans un abattoir que j’ai visité deux fois en l’espace de quelques mois, j’ai pu constater la première fois une génisse morte devant le local d’abattage d’urgence. J’ai observé son crâne : aucune trace d’impact du pistolet à tige perforante n’était visible. Elle avait vraisemblablement été déchargée et déposée encore vivante devant le local d’abattage d’urgence et a fini par mourir. La deuxième fois nous étions attendus, une collègue et moi, aurendez-vous, nous nous sommes dirigés vers ce même local avant de rencontrer nos interlocuteurs. Une vache mourante gisait sur le sol. Nous avons réclamé son euthanasie immédiate. Le vétérinaire appela alors le tueur (selon le terme professionnel consacré) qui n'arriva sur le site qu'après un deuxième coup fil. Malgré un état d’extrême faiblesse empêchant la vache de réaliser le moindremouvement, et malgré les meuglements de l'animal, le vétérinaire considéra que la vache ne souffrait pas. Aucun procès-verbal ne fut dressé au transporteur pour cette vache, qui, selon le vétérinaire, était debout au moment de son chargement dans le camion qui transportait un lot de bovins en provenance de la Manche. La Manche n’étant pas très loin, l’animal était de toute évidence déjà mal en point lors de son départ. Dans tous les cas, vu son état et son immobilité, elle n’aurait pas dû être déchargée au treuil, mais, aurait dû être tuée dans le camion. Le vétérinaire nous dit dresser, malgré tout, des PV pour des animaux malades inaptes aux transports. Six bovins en très mauvais état avaient été déchargés le vendredi précédent (des vaches de réforme). Un seul animal avait fait l'objet d'une saisie totale. À la question : « Pourquoi vous ne les abattez pas dans le camion, puisque les textes réglementaires précisent clairement que les animaux couchés doivent être abattus à bord du camion lorsqu'il n'est pas possible de les transporter sur une plaque roulante sans leur infliger de souffrances supplémentaires ? », le vétérinaire nous répondit que la valeur marchande de l'animal serait perdue. Inaptes au transport, certains bovins devraient même être tués à la ferme.
Vache agonisante devant un local d’abattage d’urgence d’un abattoir. Elle devrait être abattue de suite, mais elle sera laissée souffrante…
Phot Jean-Luc Daub
J’ai appris, grâce aux confidences d’un vétérinaire d’un autre endroit, que beaucoup de bovins déclarés inaptes au transport sont encore envoyés à l’abattoir alors qu’ils devraient être euthanasiés sur le lieu d’élevage. Le vétérinaire de l’abattoir nous rétorqua que nous faisions de l’anthropomorphisme lorsque nous lui dîmes que vu l’état dans lequel elle se trouvait, la vache devait beaucoup souffrir. Il nous a alors rétorqué que si elle souffrait, elle l’aurait déjà dit ! Ma collègue réagit intelligemment en lui faisant remarquer : « Là, c’est vous qui faites de l’anthropomorphisme ! »
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mercredi, 01 août 2012
La Résurrection des villes mortes : Ur ! Raffinement des sacrifices humains
Voici un extrait tiré de La résurrection des villes mortes, de Marcel Brion.
Où les serviteurs des rois descendent vaillamment dans la tombe aux côté de la dépouille de leur maître, une fiole de poison à la main.
"Les ruines d'Ur se trouvent dans une plaine à douze milles environ au sud de l'Euphrate, qui, jadis, coulait juste sous les murailles de la ville. À cette époque, la plaine était d'une remarquable fertilité et, à l'endroit où nous apercevons aujourd'hui le désert, s'étendaient les cultures qui faisaient la richesse d'Ur. Dès 1853, Taylor, consul d'Angleterre à Basrah, commença des fouilles dans l'immense masse de débris qui révélaient la présence d'une cité importante, mais comme les ruines d'Ur n'avaient pas donné ce qu'on cherchait à cette époque, c'est-à-dire des oeuvres d'art, surtout des sculptures, on abandonna bientôt cette masse de briques dont on ne reconnaissait pas l'importance. Taylor y avait découvert pourtant des documents précieux, car ils permirent d'identifier le site avec l'antique Ur des Chaldéens, les cylindres dits de Nabonide.
En 1920, une expédition de reconnaissance, dirigée par le docteur Campbell Thompson, vint examiner le tell et, sur le rapport qu'elle fit, le docteur H.R. Hall entreprit les fouilles que continua activement, à partir de 1922, sir Leonard Woolley, pour le compte du British Museum et de l'Université de Pennsylvania.
On ne pouvait souhaiter un directeur de travaux plus compétent et plus consciencieux que sir Léonard Woolley ; à peine l'éminent archéologue eut-il reconnu, en effet, la richesse du site qu'il arrêta les travaux, craignant d'endommager des ruines précieuses en les faisant fouiller par des ouvriers indigènes mal préparés à ce travail. C'est grâce à cette précaution que l'excavation des tombes put être conduite plus tard avec le soin, la précision et la minutie auxquels nous sommes redevables des trésors artistiques et des inappréciables renseignements historiques fournis par les ruines d'Ur.
(...)
La tombe adjacente était celle de sa femme, la reine Shubad.
Il semble que celle-ci ait voulu emmener toute sa cour avec elle dans l'au-delà, car dix dames d'honneur l'accompagnaient, avec cinq soldats, et les conducteurs qui dirigeaient le traîneau conduit par deux ânes sauvages. Les objets enterrés avec Shubad sont d'une richesse et d'une beauté que l'on ne peut imaginer, même d'après les descriptions les plus enthousiastes ; il faut voir à Londres, à Philadelphie et à Bagdad, ce mobilier funéraire pour comprendre quel haut degré d'art, de culture et de civilisation avaient atteint les Sumériens au III°millénaire. La cruauté des sacrifices humains ne contredit pas, en effet, le goût exquis qui préside à la fabrication de ces harpes, de ces chars, de ces lampes, de ces vases dont la richesse matérielle n'est rien comparée à l'art prodigieux des orfèvres et des joailliers. La coiffure de Shubad, qui a été si souvent reproduite, est une merveille de fantaisie et de délicatesse.
Et d'autres tombes encore apparurent, celle d'un souverain non identifié, qui était entouré, lui, par des cadavres de six hommes et de soixante-huit femmes, dont l'une n'avait pas encore eu le temps de mettre son diadème d'argent que l'on trouva dans une poche de sa robe.
On se demande comment tous ces serviteurs et ces soldats sont morts, car les cadavres sont disposés dans un ordre parfait au fond du puits et qu'aucun ne porte trace de mort violente. Sit Leonard Woolley tire argument de ce que chacun de ces mort tient un petit gobelet de cuivre pour supposer que ce gobelet contenait un poison. On imagine alors le cortège funèbre descendant dans la tombe, derrière le corps du roi, se plaçant selon un protocole autour de la dépouille sacrée, puis buvant le poison qui permettra d'escorter le maître dans le royaume des ombres".
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lundi, 30 juillet 2012
Le monde, cet hôpital...
"Vous autres de France, en généreux hurluberlus, vous êtes toujours les premiers à manifester contre toutes les injustices, d'Espagne ou de Russie, sans savoir au juste de quoi il s'agit. Je vous aime pour cela. Mais croyez-vous que vous avanciez les choses ? Vous vous y jetez en brouillons, et le résultat est nul, - quand il n'est pas pire... Et vois, jamais votre art n'a été plus fade qu'en ce temps où vos artistes prétendent se mêler à l'action universelle. Étrange, que tant de petits-maîtres dilettantes et roués s'érigent en apôtres ! Ils feraient beaucoup de verser à leur peuple un vin moins frelaté".
Un extrait de Jean-Christophe, de Romain Rolland
Christophe et Olivier se lancent à corps perdus dans les luttes sociales, après qu'une famille ouvrière de leurs voisinage - les parents et cinq enfants - s'est suicidée de misère.
Nous sommes à peu près en 1910. Le roman a été publié en 1912.
[La souffrance] "remplissait le monde. Le monde, cet hôpital... Ô douleurs, agonies ! Tortures de chair blessée, pantelante, qui pourrit vivante ! Supplices silencieux des coeurs que le chagrin consume ! Enfants privés de tendresse, filles privées d'espoir, femmes séduites et trahies, hommes déçus dans leurs amitiés, leurs amours et leur foi, lamentable cortège des malheureux que la vie a meurtris ! Le plus atroce n'est pas la misère et la maladie ; c'est la cruauté des hommes les uns envers les autres. Àpeine Olivier eut-il levé la trappe qui fermait l'enfer humain que monta vers lui la clameur de tous les opprimés : prolétaires exploités, peuples persécutés, l'Arménie massacrée, la Finlande étouffée, la Pologne écartelée, la Russie martyrisée, l'Afrique livrée en curée aux loups européens, les misérables de tout le genre humain. Il en fut suffoqué ; il l'entendait partout, il ne pouvait plus concevoir qu'on pensât à autre chose. Il en parlait sans cesse à Christophe. Christophe, troublé, disait :
- Tais-toi ! Laisse-moi travailler.
Et comme il avait peine à reprendre son équilibre, il s'irritait, jurait :
- Au diable ! Ma journée est perdue ! Te voilà bien avancé.
Olivier s'excusait.
- Mon petit, disait Christophe, il ne faut pas toujours regarder dans le gouffre. On ne peut plus vivre.
- Il faut tendre la main à ceux qui sont dans le gouffre.
- Sans doute. Mais comment ? En nous y jetant aussi ? Car c'est cela que tu veux. Tu as une propension à ne plus voir dans la vie que ce qu'elle a de triste. Que le bon Dieu te bénisse ! Ce pessimisme est charitable, assurément ; mais il est déprimant. Veux-tu faire du bonheur ? D'abord, sois heureux !
- Heureux ! Comment peut-on avoir le coeur de l'être, quand on voit tant de souffrances ? Il ne peut y avoir de bonheur qu'à tâcher de les diminuer.
- Fort bien. Mais ce n'est pas en allant me battre à tort et à travers que j'aiderai les malheureux. Un mauvais soldat de pus, ce n'est guère. Mais je puis consoler par mon art, répandre la force et la joie. Sais-tu combien de misérables ont été soutenus dans leurs peines par la beauté d'une chanson ailée ? À chacun son métier ! Vous autres de France, en généreux hurluberlus, vous êtes toujours les premiers à manifester contre toutes les injustices, d'Espagne ou de Russie, sans savoir au juste de quoi il s'agit. Je vous aime pour cela. Mais croyez-vous que vous avanciez les choses ? Vous vous y jetez en brouillons, et le résultat est nul, - quand il n'est pas pire... Et vois, jamais votre art n'a été plus fade qu'en ce temps où vos artistes prétendent se mêler à l'action universelle. Étrange, que tant de petits-maîtres dilettantes et roués s'érigent en apôtres ! Ils feraient beaucoup de verser à leur peuple un vin moins frelaté. - Mon premier devoir, c'est de faire ce que je fais, et de vous fabriquer une musique saine, qui vous redonne du sang et mette en vous le soleil.
Pour répandre le soleil sur les autres, il faut l'avoir en soi. Olivier en manquait. Comme les meilleurs d'aujourd'hui, il n'était pas assez fort pour rayonner la force à lui tout seul. Il ne l'aurait pu qu'en s'unissant avec d'autres. Mais avec qui s'unir ? Libre d'esprit et religieux de coeur, il était rejeté de tous les partis politiques et religieux".
Romain Rolland, in Jean-CHristophe
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dimanche, 29 juillet 2012
Ces bêtes qu’on abat : Pince électrique jusque dans la bouche
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
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Pince électrique jusque dans la bouche
Dans le Nord de la France, j’assistai aux abattages des ovins (moutons). Une trentaine de moutons furent abattus de manière rituelle. Renseignements pris, j’appris que les moutons étaient en fait destinés à la consommation non religieuse. Ils auraient dû être abattus de façon classique, c’est-à-dire avec un étourdissement préalable, de façon à leur éviter des souffrances dues à l’égorgement. Les moutons étaient en fait abattus de manière rituelle (c’est-à-dire sans être étourdis avant l’égorgement) parce que les boyaux étaient récupérés par des boucheries hallal pour faire des merguez. Il est fréquent, et cela pose un véritable problème, que des moutons destinés à la consommation classique soient abattus rituellement. Cette pratique tend à se généraliser. Et dans ce milieu, nul ne peut l’ignorer.
Dans le département d’Ille-et-Vilaine, par un froid glacial, j’assistai à l’abattage des porcs. Ils étaient tout simplement suspendus vivants avant d’être étourdis à l’aide d’une pince électrique. L’employé, qui ne pensait pas mal faire, s’appliquait à pratiquer l’étourdissement tout en me regardant.
Dans un autre abattoir de France, la responsable nous fit savoir que l’abattage rituel des veaux se déroulait à côté du box rotatif prévu pour l’abattage des gros bovins. Les veaux seraient couchés sur le sol, puis égorgés. Les employés, auxquels je posais des questions à ce sujet, me dirent que les veaux étaient égorgés dans ce box rotatif, pourtant uniquement agréé pour les gros bovins. Les employés se serviraient de cordes pour maintenir les veaux en position dans le box. Mais d’après moi, les veaux devaient être, tout simplement, suspendus par une patte arrière devant le box, avant d’être égorgés. Dans tous les cas, les trois méthodes annoncées sont interdites, mais il n’est pas rare d’enfreindre la réglementation pour pratiquer coûte que coûte l’abattage rituel, même si l’abattoir n’est pas équipé pour le faire. La demande et la pression sont tellement fortes que souvent des responsables d’abattoirs cèdent.
Concernant l’abattage rituel musulman des moutons, la contention est obligatoire. L’abattoir utilisait une berce, c’est-à-dire une sorte de table en V pour y mettre le mouton à l’envers, avant de l’égorger. Cette pratique est interdite au profit d’une contention mécanique. Pour la fête du mouton, l’Aïd-el-kébir, avant l’arrivée de la nouvelle responsable une fosse était creusée dans la cour de l’abattoir, et les moutons étaient égorgés par les particuliers musulmans au-dessus de celle-ci. C’est interdit. Lorsque je suis venu assister aux sacrifices des moutons lors de cette fête, ces derniers étaient égorgés à l’intérieur de l’abattoir par un sacrificateur, ce qui répond à l’exigence de la loi. Cependant, les moutons étaient suspendus, les uns après les autres, par une patte arrière avant l’égorgement, ce qui est interdit, puisqu’ils doivent être maintenus au moyen d’une piège à contention mécanique.
Dans un abattoir à petite production où j’avais été gentiment accueilli vers cinq heures du matin par le responsable, l’abattage des bovins et celui des porcs posaient des problèmes. Je commençai par ne pas trouver le numéro d'agrément du box rotatif. C'était un box rotatif mixte (permettant l’abattage classique et rituel), manifestement pour gros bovins, avec une ouverture sur la partie haute pour l'étourdissement en abattage classique. En position normale, le plancher du box était fortement incliné, ce qui effrayait les bovins qui, lorsqu’ils y entraient, avaient ensuite du mal à se tenir debout et avaient tendance à glisser sur le côté. Quelques bovins furent abattus pendant ma visite. Une seule personne effectuait toutes les opérations (faire entrer les bovins dans le box, les étourdir, puis les suspendre). L'accès à la partie haute du box se faisait par une petite échelle d'installation artisanale. L'employé devait effectuer l'étourdissement à partir d'une plate-forme où derrière lui, il n'y a aucune barrière le protégeant du vide. Après l'étourdissement, il devait redescendre de l'échelle, faire le tour du box, actionner l'ouverture de celui-ci pour dégager l'animal de côté, puis lui enchaîner une patte arrière pour le suspendre. Cela faisait beaucoup de manœuvres pour un seul homme ! Mais, surtout cela entraînait une énorme perte de temps entre l’étourdissement et la saignée, qui doit normalement intervenir rapidement. Si l’abattoir n’avait pas pratiqué l’abattage rituel, on n’y aurait pas utilisé de box rotatif, dont le maniement est beaucoup plus contraignant qu’un simple piège en forme de caisson, et, du coup, les abattages non rituels de bovins auraient été beaucoup plus simples à effectuer.
Pour l’abattage des porcs, un employé mettait une quinzaine de porcs dans une petite pièce (où se trouvait le poste d'étourdissement) séparée du poste de saignée par une barrière métallique. Il en faisait ensuite passer sept ou huit de l'autre côté et les étourdissait sans immobilisation par un piège. L'employé essayait tout de même de maintenir les cochons en dirigeant la tête des animaux vers l'angle de la pièce, avant de placer la pince. Au début, il y avait deux employés pour procéder à cette opération : les cochons s’écroulaient sous le choc électrique, puis l’un des deux employés plaçait la pince sur le côté de la tête pendant que l’autre attachait les bêtes par une patte arrière pour les suspendre. Un peu plus tard, le premier employé alla travailler sur la chaîne d’abattage, de sorte qu’il n’y en avait plus qu’un pour effectuer les étourdissements. Malheureusement, il plaçait la pince n'importe où sur le corps des porcs. Parfois l'un des pôles électriques se trouvait dans la bouche ou sur le groin des animaux, alors que la pince doit être appliquée derrière les oreilles ! Il se servait aussi de la pince électrique pour faire bouger les porcs afin de les amener le plus près possible du rail de suspension, en leur envoyant des décharges électriques. Lorsqu'ils étaient suspendus, il les poussait avec la pince pour les faire avancer vers le poste de saignée.
À mon arrivée dans l’abattoir, l'abattage des ovins était terminé. J'ai demandé à un employé comment ils avaient été abattus. Il me répondit qu'ils avaient été suspendus par une patte, puis qu'ils avaient été saignés. Tous les moutons étaient donc abattus rituellement (même ceux n’étant pas destinés à la consommation hallal. J'ai informé le responsable que, lors de l'abattage des ovins, la suspension avant la saignée était interdite. Il m'a répondu qu'il était impossible de faire attention à tout. C’est pourtant un gros détail qui ne peut échapper à personne, pas même aux membres des services vétérinaires de l’abattoir.
Dans un autre abattoir en Alsace, les porcs étaient étourdis après leur passage dans un Restrainer à électronarcose automatiquement réalisée à 600 V pendant 2,8 secondes. Cependant, alors que sur la chaîne d’abattage les employés ne suivaient pas le rythme du Restrainer qu’un employé alimentait en porcs, il a été procédé à l’arrêt volontaire de l’appareil. Un porc venant d’être étourdi était resté coincé au niveau des broches électriques sans être éjecté sur la table de réception. Tandis que les autres, complètement paniqués, étaient restés prisonniers entre les bandes entraîneuses du Restrainer. J’en ai informé le responsable de l’abattoir, qui m’a dit que cela n’était pas possible. J’avais donc certainement rêvé. Malgré tout, je suis resté ferme dans ma constatation, en lui demandant d’éviter ce genre de manœuvres préjudiciables aux animaux, lui expliquant que si en aval les employés n’arrivent pas à suivre, il ne faut en aucun cas, qu’en amont les autres employés « approvisionnent » en porcs le Restrainer.
Case dans un abattoir où sont regroupés les cochons malades ou blessés.
Phot Jean-Luc Daub
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vendredi, 27 juillet 2012
Mémoire d'India Song, pour Sara et Gange
Ce billet est dédié à Sara et Gange.
À Sara, qui me traîna un jour pour voir ce film si long. Au bout de dix minutes, la moitié de la salle déjà peu nombreuse était partie. Il ne restait plus que la caste, la secte, ces gens seuls, solitaires, qui regardaient ce film qu'ils connaissaient déjà avec des yeux de ceux qui sont ailleurs, des yeux plongés dans quelque chose que je ne comprenais pas. Et, vraiment, ce fut une expérience gênante, bouleversante, étonnante, agaçante, fascinante, de voir ces gens fous regarder ce film fou. Grande, grande communion de solitudes inextricables !
À Gange, auprès du fleuve totémique de laquelle ce film est dit se passer. À toi, Gange, qui nous a illuminés, à toi notre soeur-chienne, notre fille, notre mère, notre fleuve d'amour.
Sara au café et Gange embrassée
Je remercie les internautes qui ont mis en ligne ces vidéos, que j'emprunte...
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mardi, 24 juillet 2012
Je crois vous reconnaître, homme bizarre qui m'évitez
Marchand, étiez-vous au bar des désespérés le soir où Nayon s'est noyé ? Y buviez-vous cette bière oblongue, vers neuf heures du soir, le 23 ventôse de l'an 2087 ? Si oui, avez-vous noté la lueur falote qui dansait au fond des yeux de la barmaid noire, quand son amie l'a caressée aux cheveux ? Et croyez-vous qu'on puisse un jour réécrire l'histoire, cette histoire du pirate blessé qui chantait le rorate caeli grégorien en levant le regard vers le ciel ? Et savez-vous ce que sont devenus ces âmes éparses qui nous lorgnaient en vidant des verres de Côtes du Mont Ventoux ? Marchand, était-ce vous qui chantonniez l'angélus de Jean-Christian Michel en dépassant d'un pas rapide les trois hommes en noir, comme pour une procession funèbre ? Marchand, je crois vous reconnaître. Je crois me souvenir de votre nom : Marchand. Et de votre sourire : triste. Et de votre profession : maçon en préretraite. Et je crois que c'était vous, et que vous le savez, et que vous ne le direz pas.
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lundi, 23 juillet 2012
La fin des temps
Les Sables d'Olonne, quelques instants avant la fin du monde
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dimanche, 22 juillet 2012
Ces bêtes qu’on abat : Rouge sang
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
Rouge sang
Un des premiers abattoirs que j’ai visités me donna la couleur rouge comme signe annonciateur des découvertes que j’allais faire durant mes années de protection animale dans ce milieu. Il s’agissait d’un abattoir d’une grande ville de Bretagne. Lors des abattages rituels des veaux et des moutons, l’infraction était caractérisée par le fait que ces animaux étaient tout simplement suspendus par une patte arrière, et égorgés ensuite. Les services vétérinaires disaient qu’il n’avait pas été jusqu’à présent possible de faire autrement, puisque aucun appareil n’avait été agréé pour la contention de ces animaux. Réponse laconique de la part des intervenants, puisque si on ne peut pas faire autrement, rien n’oblige à pratiquer l’abattage rituel en se mettant en infraction par rapport à la réglementation, et en faisant souffrir des animaux. Pour l’abattage classique de ces mêmes animaux, un technicien vétérinaire me montra un pistolet pneumatique qui était soi disant utilisé, mais qui était en fait totalement hors d’usage. Par déduction, ces petites bêtes destinées à la consommation classique ne devaient pas être étourdies et étaient toutes abattues de manière rituelle.
Égorgement rituel du bœuf retourné sur la dos.
Phot Jean-Luc Daub
Lors de l’abattage rituel juif, les bovins emprisonnés dans le box rotatif, attendaient beaucoup trop longtemps à l’intérieur avant d’être abattus. L’enfermement dans cet amas de tôles entraînait des frayeurs supplémentaires à celles qu’occasionne un abattage rituel. Les bovins avaient ainsi tout le temps d’observer l’animal qui les avait précédé (suspension, écoulement du sang, odeur, bruit, découpe..). Lorsque l’employé juif actionnait le bouton qui permettait le retournement de l’animal sur le dos, il ne se pressait pas ensuite pour l’égorger. L’animal se retrouvant à l’envers, compressé par des battants métalliques sur les côtés, une mentonnière lui maintenant la tête en arrière pour faciliter l’accès au cou par le
sacrificateur. Il restait dans cette position inconfortable le temps que le sacrificateur se décide à l’égorger. La source de souffrance, facilement visible et compréhensible, ne semblait émouvoir… que moi.
Un petit bovin qui devait être sacrifié rituellement, par un égorgement en pleine conscience, finit par être étourdi à l’aide du pistolet à tige perforante. En effet, le box rotatif étant trop grand pour les animaux de sa taille, la mentonnière lui écrasait la tête au lieu de la tirer en l’arrière. De même, au fur et à mesure des manipulations, dans tous les sens, mécaniquement actionnées par le sacrificateur pour essayer d’avoir accès à la gorge de l’animal, les pattes avant du petit bovin sortirent par l’espace réservé normalement à la tête. Je ne sais pas si cela était dû à ma présence, mais un employé décida de l’étourdir au pistolet d’abattage pour mettre fin au calvaire de l’animal qui ne semblait pas soucier le sacrificateur rituel. Un autre bovin mâle, qui était mal placé lors de la rotation du box, fut lui aussi étourdi par un autre employé, mais ce dernier ne savait même pas où trouver les cartouches qui étaient éloignées du lieu d’abattage. Je préciserai également qu’il a été impossible aux responsables, au directeur et aux services vétérinaires, de me montrer les papiers concernant l’autorisation d’effectuer des sacrifices sans étourdissement par les sacrificateurs juifs et musulmans. L’absence des documents relatifs à l’autorisation de sacrifier rituellement s’est relevée fréquente, en particulier concernant l’agrément des sacrificateurs musulmans ; c’est elle qui faisait le plus souvent défaut.
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jeudi, 19 juillet 2012
Visa pour Caracas : ouverture
Le meilleur livre de Jean Bruce : un polar franco-vénézuélien qui mêle tourments de toutes sortes dans les lieux les plus paradisiaques et qui démontre comment le plaisir des uns se nourrit de la misère des autres. Où l'on s'aperçoit que la plus apparente des sollicitudes cache la plus ignoble des manipulations, et où la mère et l'enfant finissent ensemble dans un monde meilleur.
Conseil de lecture : été, transat, ti punch et musique d'Anouar Brahem.
(c)Roman Photo John Peshran-Boor
"Éliza fumait, assise au bar. Son regard étrangement fixe lui donnait un air hautain mais, en l'observant de plus près, on remarquait ses pupilles dilatées et une vague expression d'hébétude sous le masque faussement dédaigneux.
Elle portait un fourreau de soie rouge, outrageusement décolleté et fendu très haut sur la cuisse, destiné sans doute à mettre son type nordique en valeur. C'était un chef-d’œuvre de mauvais goût et de vulgarité, mais elle avait une telle distinction naturelle que même ainsi accoutrée, dans le grand salon du bordel le plus coûteux de Caracas, elle avait toujours l'air d'une grande dame, et pas d'une putain ; ce qu'elle était pourtant.
Les autres filles l'appelaient «La Française », avec une pointe de sarcasme et d'envie, et la détestaient parce qu'elle avait toujours refusé d'avoir avec ses compagnes d'infortune d'autres rapports que ceux qui ne pouvaient vraiment être évités. Mais les clients ne s'y trompaient pas : jamais aucun d'eux ne lui avait manqué de respect et les affaires du bordel n'avaient jamais si bien marché que depuis son arrivée.
L'électrophone, dissimulé derrière le bar, diffusait une musique douce. Les lumières tamisées laissaient de vastes coins d'ombre dans le salon or et rouge, au luxe tapageur. Presque toutes les filles étaient là ; une seule étant montée, quelques instants plus tôt, avec un officier de marine européen qui avait longuement hésité avant de faire son choix.
Il était encore très tôt, à peine dix heures. Les clients n'arrivaient généralement pas avant onze heures. C'était un bordel de luxe, pas comme ces « botiquines » du quartier populaire de Catia où se pratiquait « l'abattage » et où l'après-midi était presque aussi chargé que le soir.
Madame Aurora entra soudain, précédant un homme vêtu de sombre. Elle souriait, malgré la torture permanente que lui infligeait sa gaine trop étroite.
- Suzy, mon petit, voici un compatriote. Il veut absolument connaître une Française car il ne parle pas espagnol.
Elle fit un pas de côté, découvrant un homme brun, trapu, au visage buriné, qui dissimulait son regard derrière les verres fumés de lunettes à monture épaisse. L'homme était vêtu d'un complet léger de fresco bleu marine, d'une chemise blanche avec cravate grise, et portait des chaussures noires aérées. Il baissait légèrement la tête et cachait derrière son dos ses mains fortes couvertes de poils noirs.
Éliza le regarda à peine. Elle ne s'était pas encore habituée à ce qu'on l'appelât Suzy, sous prétexte que cela faisait plus français, et les sourires de « Madame Aurora » lui donnaient envie de hurler.
Madame Aurora demanda au client s'il voulait boire la traditionnelle et obligatoire bouteille de champagne dans un des boxes qui entouraient le salon, ou bien dans la chambre. L'homme préféra dans la chambre. Il le dit d'une voix sourde, à peine audible.
Éliza descendit du tabouret et guida le client vers la porte qui donnait accès au patio. L'un derrière l'autre, sans mot dire, ils montèrent l'escalier de bois qui conduisait à la galerie desservant les chambres. Chaque chambre ouvrait sur cette galerie par une porte-fenêtre. Pas d'autre ouverture, les volets fermés indiquaient que l'endroit était occupé.
Éliza était la seule, parmi les pensionnaires de l'établissement, à posséder une chambre attitrée. Elle avait dit à Madame Aurora ne pouvoir supporter de s'allonger sur un lit encore humide de la sueur des autres, et Madame Aurora, contre toute attente, avait cédé. Cela n'avait fait qu'attiser les jalousies et l'hostilité que la jeune femme avait à supporter ; mais elle s'en moquait bien. Elle vivait dans un monde à part, d'une vie purement végétative, où la marijuana (1) l'aidait à ne plus penser.
(1) Drogue de hachisch. Se fume en cigarettes.
Elle ouvrit la porte, laissa entrer l'homme et referma. Il leur fallait attendre que l'on apportât le champagne. Elle le dit à son compagnon, du ton monocorde qui lui était devenu habituel. Il parut ennuyé, fourra ses mains dans ses poches, sans répondre, et lui tourna le dos pour regarder les gravures licencieuses accrochées au mur.
Elle s'assit sur le lit, laissant l'unique et vaste fauteuil pour l'homme dont le comportement commençait à l'intriguer. Habituellement, ils se jetaient aussitôt sur elle, comme des bêtes, même si la femme de chambre devait entrer d'un instant à l'autre. Celui-ci semblait avoir une préoccupation, qui n'était pas de faire l'amour. Pourquoi était-il venu, alors ? Le cerveau d'Éliza fonctionnait lentement, engourdi par la drogue. Elle pensa soudain que les mains de l'homme lui rappelaient quelque chose... Ces mains fortes et nerveuses, anormalement poilues, elle les avait déjà vues... Quand ? Où ? Dans quelles circonstances ? Sa mémoire refusait de le dire. Elle s'était trop appliquée à tuer sa mémoire, pendant des jours et des jours. Elle baissa les yeux, soudain fatiguée, et cessa de penser. Le vide, le vide bienfaisant..."
Jean Bruce - Visa pour Caracas - 1956 (Presses de la Cité)
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mercredi, 18 juillet 2012
Un conte et un poème en quechua, par Lydia Cornejo
Voir cette vidéo proposée par l'ARC
Le quechua sur AlmaSoror :
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Phot Sara
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