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dimanche, 16 décembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : L’électronarcose par la pince électrique

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


L’électronarcose par la pince électrique

 

 L’électronarcose est un procédé provoquant un évanouissement par un courant électrique qui traverse le cerveau. On procède à cet acte avant la saignée.

Le décret n° 80-791 du 1er octobre 1980 rend obligatoire l'immobilisation des porcs avant tout abattage ainsi que leur étourdissement avant leur suspension et/ou mise à mort, à l’exception des abattages d'extrême urgence ou rituels. Le premier décret à ce sujet est celui de 1964 obligeant un étourdissement avant tout abattage, sauf dans le cadre de l’abattage rituel. Ce décret a été pris sur la demande de Madame Jacqueline Gilardoni, qui avait créé une association qui œuvrait à l’assistance des bêtes d’abattoirs. Le sort réservé aux animaux d’élevage l’avait amenée à devenir végétarienne par amour et par respect des animaux.

Il existe trois méthodes couramment employées pour l’étourdissement des porcs : l’étourdissement au CO2 dans des fosses, l’étourdissement automatique au bout d’un Restrainer ou d’un Midas, et l’étourdissement à la pince manuelle. L’étourdissement électrique a fait son apparition dans les années 1920, le gaz dans les années 1950.

La méthode d’étourdissement par le gaz dans des fosses est source de souffrance, car les animaux sont conduits sur une nacelle qui les y descend. Cette première étape les apeure. Plus ils descendent, moins il y a d’oxygène, la panique s’empare d’eux, il s’ensuit la recherche de l’air, des convulsions, une suffocation et la perte de connaissance intervient alors seulement.

L’autre méthode plus efficace est l’utilisation d’un Restrainer ou d’un Midas avec un étourdissement électrique automatique. Dans le Restrainer, sorte de long tunnel, les porcs sont convoyés en étant coincés entre deux bandes latérales qui les entraînent vers des broches électriques. Dans le Midas, sorte de tunnel également, les porcs sont amenés vers les broches en étant transportés par le dessous. Lors du passage dans ce tunnel, des broches entrent en contact avec la tête et provoquent une électronarcose1. Parfois une plaque supplémentaire vient s’appliquer au niveau du cœur pour provoquer un arrêt cardiaque. Lorsque ces appareillages sont bien réglés, bien que ce tunnel soit une source de frayeur qu’atteste une augmentation du pH (niveau d’acidité dans les tissus musculaires) due au stress intense provoqué par toute cette mécanique, l’électronarcose, elle, est assez efficace et généralement radicale : les porcs perdent conscience. Toutefois, une synthèse technique rédigée à ce propos par l’Institut Technique du Porc relève que « les anesthésies électriques et au gaz restent imparfaites quant aux défauts engendrés sur les carcasses (points de sang, hématomes, fractures, baisse du pH) et laissent des incertitudes par rapport à la rapidité et la durée de la perte de conscience totale »2.

L’utilisation manuelle de la pince électrique, assez aléatoire, peut être pire. Son efficacité varie selon le passage du courant entre la bête et le sol, selon que l’animal a été aspergé d’eau ou non, selon l’endroit d’application de la pince par l’employé sur le porc, selon l’état d’entretien de la pince, et surtout selon son réglage (ampérage, voltage, temporisation…). La durée d’application est également importante. Elle varie en fonction de la présence d’une temporisation sur la pince. S’il n’y en a pas, elle est laissée à l’appréciation de l’employé, ce qui est trop aléatoire. Bref, tous ces éléments mettent en question son efficacité, sans parler d’un manque d’uniformisation des méthodes d’utilisation des pinces électriques manuelles ; c’est un problème que j’ai remarqué de nombreuses fois. Mes observations en abattoir corroborent les propos de l’Institut Technique du Porc : « Aujourd'hui encore, l'opération d'étourdissement n'a fait l'objet que de peu d'études dans quelques pays comme le Danemark, les Pays-Bas, l’Allemagne et le Royaume-Uni en Europe. En France, cela concerne le bien-être et la qualité des carcasses de plus de 26 millions de porcs abattus annuellement »3.

Avec une application, qui dure parfois plus de 25 secondes, d’une pince réglée à un voltage très bas, l’étourdissement s’apparente à une séance de torture à l’électricité. L’animal devrait subir un choc électrique instantané qui le plonge immédiatement dans un état d’inconscience afin qu’il ne ressente pas la douleur de la saignée. J’ai vu trop souvent dans plusieurs abattoirs une utilisation désastreuse de la pince. L’application doit être faite derrière les oreilles pour que le courant choque le cerveau. J’ai déjà vu l’application sur les épaules, sur l’arrière-train de coches, dans les yeux, ou sur le cœur. Dans un abattoir de Bretagne qui était en réfection, le système et la pince était si vétuste que les porcs hurlaient pendant l’application de la pince ; cela durait longtemps avant qu’ils ne s’écroulent. Dans d’autres abattoirs, la pince est appliquée si longtemps que l’animal est mis à mort par électrocution. Une enquête commandée par la commission Européenne (1989) et publié dans la revue Pig International (juin 1990) estime que 90 % des porcs sont tués par le choc électrique, les autres étant seulement étourdis. Cette enquête effectuée dans 39 abattoirs porcins et 12 pays a montré des variations considérables entre les voltages et ampérages pratiqués. Par exemple pour une intensité de 240 V (≈1,25 A), la durée d'anesthésie variait de 1-2 secondes à 12-16 secondes4.

La pince doit plonger dans un étourdissement brutal et sans douleur, et c’est la saignée qui doit provoquer la mise à mort. J’ai également vu des porcs si peu étourdis qu’ils étaient suspendus se débattant par les pattes ; ils étaient donc parfaitement conscients au moment de la saignée. Les porcs sont également souvent conscients au moment de la saignée parce qu’il s’écoule trop de temps entre l’électronarcose, la suspension et la saignée. Parfois un réglage assez bas du voltage occasionne volontairement un mauvais étourdissement. Cela est fait pour préserver la qualité de la viande afin de ne pas avoir de problème sur la carcasse (pétéchies, fractures des épaules, déchirements musculaires notamment des jambons…). Ces problèmes sont liés à une mauvaise installation, de mauvais réglages, une mauvaise utilisation de la pince, et à un manque de formation de l’utilisateur. Il faudrait uniformiser les installations et la méthode d’utilisation de la pince manuelle.

 

Il existe plusieurs types de pinces pour les cochons : la pince Schermer, Etime, Morphée, et Ninjhuis. Je vais illustrer ce chapitre par la triste visite d’un abattoir de truies que j’ai effectuée à la fin de l’année 2008, en Bretagne. C’était un abattoir spécialisé dans l’abattage des coches de réforme. Il travaille à une cadence de 70 bêtes par heure. Cela parait peu, par rapport à un abattoir qui peut faire passer sur la chaîne d’abattage 500 à 700 porcs à l’heure. Cependant, les coches sont plus difficiles à manipuler et à abattre. Les coches étaient menées à l’aide d’une pile électrique allègrement utilisée. Ces grosses bêtes avaient du mal à marcher et ne voulaient pas rentrer dans le couloir de la mort. Une fois dans ce couloir, certaines tentaient de faire demi-tour, et c’est encore à coups de pile électrique que le porcher leur rappelait la direction fatale. Un employé faisait entrer une truie après l’autre dans un piège rectangulaire ouvert sur le dessus. Une porte latérale très lourde se refermait derrière elles, en leur percutant sans ménagement l’arrière-train. Je ne vous parle pas avec sensiblerie (je n’ai pas plus de sensiblerie qu’un escargot), mais le regard désespéré de ces truies qui ne comprennent pas ce qui se passe, mais qui sentent bien que rien ne va plus, ne peut vous laisser indifférent. La personne qui m’accompagnait a fondu en larmes lorsque nous sommes retournés à la voiture pour repartir.

 

L’employé tentait d’appliquer la pince de type Ninjhuis, alors que les coches baissaient la tête pour ne pas se laisser attraper par le tueur. L’application se faisait derrière les oreilles, parfois dans les yeux. Il s’agit normalement, dans le cadre d’une électronarcose, d’un choc électrique qui fait s’écrouler instantanément l’animal à terre. Il n’en était rien. La pince était appliquée beaucoup trop longtemps, jusqu’à 45 secondes. Les truies se crispaient et relevaient la tête en contractant les muscles pendant que les décharges électriques (qui véritablement les faisaient souffrir) traversaient leur corps. Elles ne s’écroulaient au sol, lâchant prise, que plusieurs dizaines de secondes plus tard. Ensuite, l’employé insistait encore sur le cœur car, me disait la responsable, si l’on ne fait pas comme cela, lorsqu’elles sont suspendues et qu’on veut les saigner, elles donnent des coups de pattes et c’est dangereux pour le tueur. C’est donc encore une fois l’animal qui « trinque » pour le confort de l’humain. Certes, la sécurité des employés était engagée, mais justement les installations mal conçues ne permettaient pas une bonne sécurité du personnel. J’ai pu constater l’absence du tableau électrique auquel est normalement reliée la pince : il se trouvait dans une autre pièce. Pourtant l’arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d'immobilisation, d'étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs (Annexe III - paragraphe 5 point A alinéa 2) précise pour le boîtier électrique qu’il doit :

 

« a) être pourvu d'un dispositif mesurant l'impédance de la charge et empêchant l'appareil de fonctionner si le courant minimal requis ne passe pas ;

 

b) être pourvu d'un dispositif sonore ou visuel indiquant la durée d'application à un animal ;

 

c) être connecté à un dispositif, placé de manière à être nettement visible pour l'opérateur, indiquant la tension et l'intensité du courant. »

 

Nous étions en 2008 au moment de la visite de cet abattoir, onze ans après l’arrêté. Nous sommes en droit de nous poser la question suivante : qu’ont mis en place les autorités compétentes qui sont chargées de vérifier la mise en application des réglementations de protection animale en abattoir ?

Selon la responsable de l’abattoir, les truies sont aspergées d’eau pour un meilleur passage du courant vers le sol via l’animal, mais nous n’avons rien vu de tel. Personne n’effectuait cette opération pourtant recommandée.

Dans cet exemple d’abattage de coches de réforme, si leur vie a été misérable en élevage intensif, leur mise à mort est elle aussi cruelle. Leur souffrance ne connaît aucun répit.

Autre exemple de mauvaise utilisation manuelle de la pince électrique dans un abattoir de la région Picardie. Voici ce que j’ai constaté. Je commence par l’abattage des porcs et des ovins. Les porcs sont emmenés calmement par groupe de 10 à 15 dans le local d’abattage. L’employé se saisit d’une pince électrique ÉTIME, boîtier AGR 84 OP qu’il applique de façon très précise derrière les oreilles, mais durant très peu de temps, à peine une seconde. L’animal tombe aussitôt, il semble étourdi, l’intensité est puissante. La pince électrique est proprement appliquée (derrière les oreilles), mais pas assez longtemps. Les cochons devraient être saignés tout de suite, car certains se réveillaient avant même d’être suspendus. L’employé ne procédait pas à une seconde application, alors même que des porcs hurlaient pendant la suspension.

Durant la suspension et avant la saignée, j’ai pu voir des porcs qui suivaient du regard les déplacements du deuxième employé. Certains porcs sous l’effet de l’électronarcose étaient raides et contractaient les pattes avant pendant la suspension. Au sol et pendant la suspension, certains se relâchaient. On pouvait voir qu’ils étaient réveillés. Ils s’agitaient énormément. Quelques-uns hurlaient pendant et même après la saignée qui était effectuée avec un trocart. Certains étaient encore conscients et ont hurlé largement après la saignée. J’ai effectué le test occulopalpébral avant et après la saignée sur plusieurs porcs. Il s’est révélé positif de nombreuses fois sur des porcs qui n’avaient pas perdu conscience.

La saignée est effectuée à l’aide d’un trocart pour la récupération du sang. Le trocart est appliqué sous la gorge, à la hauteur de l’œsophage. L’employé ne fait qu’une petite entaille et le laisse quelques instants dans la gorge. Parfois, l’employé remuait le trocart dans l’orifice effectué. Un porc, après la saignée, s’est décroché tant il s’était débattu. Il s’écoulait entre 30 et 35 secondes de l’électronarcose jusqu’à la saignée. Le temps plus rapide a été de 25 secondes et le plus long de 40 secondes sur la cinquantaine de porcs que j’ai vus. Ce qui prend du temps, c’est la rampe qui est haute et la montée de la chaîne jusqu’au poste de saignée. Un réglage plus puissant de la pince permettrait une bonne anesthésie et empêcherait que les porcs se réveillent une fois suspendus. Mais ce petit réglage et cette courte application sont volontaires. Car avant, la conséquence d’une électronarcose plus longue laissait apparaître des dégâts sur les carcasses. Des fractures au niveau des échines, sur les fémurs, aux épaules et des déchirements au niveau du jambon, ainsi que du purpura étaient retrouvés sur la viande.

Ces problèmes sont apparus depuis les rénovations et l’installation du nouveau boîtier. L’ancien boîtier ETIMA ne posait pas de problèmes. Les porcs étaient arrosés d’eau et les employés utilisaient la temporisation. Le responsable de production a fait venir deux fois des électriciens, en plus du technicien qui a installé le boîtier ETIMA. Ce dernier a même fait une démonstration sur un cochon en lui appliquant la pince derrière les oreilles, puis sur le côté du cœur. Les résultats ont été pires. Les employés ont également essayé de les doucher, mais, ce fut encore pire. Il apparaissait, en plus, des problèmes sur les poumons qui devenaient rouges et se couvraient de pigments de sang.

Depuis, l’abattoir a essayé de trouver un compromis en appliquant la pince durant un temps très court et à une faible intensité. Le boîtier est réglable à 180 V pour les agneaux, 220 V pour les moutons, 275 et 330 V pour les porcs, 325 V pour les coches de moins de 200 kg et 370 V pour les autres coches.

En comparaison avec d’autres abattoirs, les porcs saignés au trocart semblaient mettre plus de temps à mourir que ceux saignés au couteau, surtout si l’étourdissement n’est pas efficace. De plus, le sang s’écoule moins vite avec le trocart. Le trocart est une sorte de grosse seringue formée de deux lames avec un trou au milieu. Il est relié à un tuyau pour la récupération du sang par aspiration. (La récupération du sang par une saignée au couteau est interdite). Le tueur le plante sous la gorge au niveau de la trachée (point appelé aussi « trou épaule ») et le laisse un petit moment pendant que le sang s’écoule dans le tuyau.

Le sang s’écoule moins vite qu’un égorgement qui serait effectué de côté en sectionnant les veines jugulaires et les carotides. Si l’électronarcose est mal faite, l’animal reste conscient et meurt lentement comme pendant l’abattage rituel.

Concernant les abattages des ovins, les seuls problèmes que j’ai rencontrés concernaient les agneaux de 100 jours qui sont sensibles à l’électronarcose et dont la viande présente ensuite du purpura. Pour les moutons adultes, l’étourdissement se passait mieux, selon le responsable, que pour les porcs. C’est la même personne qui étourdissait et pratiquait la saignée pendant la montée, donc c’est très rapide. La différence est que le sang n’est pas récupéré et les moutons sont saignés avant d’atteindre le poste où se trouve le trocart.

On peut constater, ici, que les porcs sont insuffisamment étourdis de façon délibérée, pour diminuer les conséquences d’une électronarcose mal adaptée. Dans un Restrainer à étourdissement automatique, en général, si l’électronarcose est bien réglée, et si la saignée intervient dans la foulée, il n’y a pas de conséquence sur la viande. Cependant le Restrainer stresse beaucoup les porcs, et fait par conséquent augmenter l’acidité dans la viande. Les porcs sont terriblement apeurés par cette espèce de tunnel qui les absorbe en les entraînant par deux bandes latérales vers des broches électriques.

 

 

 

1 Exemple de réglage moyen pour un Midas qui fonctionnait bien pour des porcs charcutiers : 1,3 ampère – 150 à 220 volts sur les broches et 100 volts sur la plaque qui permet une défibrillation du cœur.

 

2 L’anesthésie des porcs (extrait d’une synthèse bibliographique de l’Institut Technique du Porc de 1998)

 

3Techni Porc, volume 21, n°4, 1998.

 

4 Source ITP.

 

 

samedi, 15 décembre 2012

Elle partie

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Lorsqu'on regarde vers la vie on souhaite se jeter dans la course pour attraper les meilleurs morceaux. Lorsqu'on s'arrête pour contempler la mort, la mort douloureuse, la mort que précède l'agonie, la mort suivie par la disparition et l'oubli, on se demande s'il ne vaut pas mieux renoncer à toutes les guerres pour vivre au milieu des fleurs, sentir de tout son cœur les beautés des saisons et la douceur des rencontres.

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 Tempus fugit... Sic transit gloria mundi... Vanitas vanitatum... Mais l'amour ne passera jamais.

ECL

Photos de Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva

 

vendredi, 14 décembre 2012

La fête du Grand Meaulnes

Qu'il est grand et beau, ce Meaulnes. Qu'elle est belle cette fête. Qu'il est fascinant ce film de Jean-Gabriel Albicocco...

Alain-Fournier, je t'ai aimé deux fois. A quinze ans dans ton livre, à vingt-cinq ans par ce film.

Mais tu es mort à la Grande Boucherie, comme tant de jeunes hommes qui avaient tant à écrire, à aimer, à vivre.

mercredi, 12 décembre 2012

Sur la monarchie de juillet

"Louis Veuillot détestait ce régime bourgeois jouisseur, pratiquement athée, qui donnait à l'ouvrier des maîtres pour lui vendre l'eau, le sel et l'air, pour lever la dîme de ses sueurs, pour lui demander le sang de ses fils".
Fernand Mourret "L'Eglise contemporaine"

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Quelques extraits de La monarchie de juillet, de Thureau-Dangin

 

Guizot parle sur la démocratie :
"Nous avons tous, presque tous, conquis nos grades à la sueur de notre front et sur le champ de bataille. Voilà la vraie liberté, la liberté féconde, au lieu de cette démocratie envieuse, jalouse, inquiète, tracassière, qui veut tout abaisser à son niveau, qui n'est pas contente si elle voit une tête dépasser les autres têtes"
Guizot

 

Discours de Guizot du 6 décembre 1834 :
"Il y a des peurs viles et honteuses, et il y a des peurs sages et raisonnables... Savez-vous pourquoi l'on ferme les yeux sur les dangers ? C'est parcequ'on a peur... Savez-vous ce qu'on fait quand on a peur des passions populaires ? On dit qu'elles n'existent pas, que cela passera. Et les passions populaires passent en effet, mais comme un torrent torrent qui dévaste tout devant lui."

Thureau-Dangin, Guizot, 1834, Fernand Mourret, l'église contemporaine, comte Molé

 

Molé achète les voix à coups de subventions :
"Sur 459 députés, on ne comptait pas moins de 191 fonctionnaires : ceux qui ne l'étaient pas pour eux-même avaient à caser ou à faire avancer des parents, des amis, des clients. Ce mal n'était pas né avec Molé ; il datait du jour où avait été dissous le cabinet du 11 octobre, où les partis s'étaient trouvés déclassés, morcelés, mêlés, désorientés, et où les compétitions de personnes avaient remplacé au Parlement, les luttes de principes".

Tirés de revues clandestines en août 1838 :


"Guerre à mort entre vous qui jouissez d'une insolente oisiveté et nous qui souffrons depuis longtemps"


"... Le temps approche où le peuple exigera, les armes à la mains que ses biens lui soient restitués"



Lu dans La Monarchie de juillet Thureau-Dangin

 

 

mardi, 11 décembre 2012

Souvenir de l'été dernier

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lundi, 10 décembre 2012

Carte d'identité, carte de fumée

Réponses d'Edith de CL aux jeunes Hugues et Dylan Gabridelis
18 mars 2012

enfance nocturne, Dylan, carte d'identité



Ta chanson préférée : Emmanuelle, de Pierre Bachelet.

Ton chanteur préféré : Viktor Tsoi et Jim Morrison. 

Ta bande dessinée préférée : Orchidéa, de Cosey.

Ton tableau préféré : L'amour victorieux, du Caravage.

Ta statue préférée : La pietà de Michel-Ange et la piéta de l'église du Poiré sur Vie.

Ta musique préférée : Le corpus grégorien de l'église catholique.

Oui, mais ton disque préféré : Odyssée, de Terje Rypdal.

Ton film préféré : J'en ai trois.

Dis les trois : Un ange à ma table, de Jane Campion. Guerre et paix, de Serguei Bondartchouk. Cria cuervos, de Carlos Saura. Mais j'en ai des dizaines d'autres, des films préférés.

Tu n'as pas le droit de les dire.

dimanche, 09 décembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un chien dans un fossé

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Un chien dans un fossé

 

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Transport de canards pour l’abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

 

Un jour, alors que j’étais en déplacement dans le Finistère, je fis une drôle de rencontre sur le bord de la route. Après avoir visité un abattoir, je cherchais mon chemin en voiture. Je fus amené à faire un demi-tour sur un petit croisement. Après une manœuvre bien exécutée, j’allais reprendre ma direction quant une forme aux taches blanches attira mon regard vers le fossé. C’était un chien, apparemment mort.

 

Quoi de plus banal qu’un chien mort au bord d’une route, qui aurait été renversé par une voiture ? Tellement banal que le conducteur de la voiture qui me précédait n’avait pas jugé utile de vérifier l’état du chien. Pour ma part, il fallait que je m’en rende compte. Il était étalé dans le fossé, maigre, et semblait bien mort. Mais quand je me suis penché sur lui, il m’a surpris en remuant sa queue en signe de contentement. Il semblait heureux de voir quelqu’un, mais il était dans l’incapacité de se lever. Ce chien avait dû marcher durant plusieurs jours sans s’alimenter et avait dû tomber d’épuisement dans ce fossé.

 

Lorsque je lui demandais ce qu’il faisait là, il remuait encore plus la queue. C’était émouvant. Je pris une couverture pour l’enrouler et je le mis dans ma voiture. Je partis en direction du centre-ville à la recherche de la mairie. Après avoir fait plusieurs fois le tour du centre, j’ai enfin trouvé l’établissement administratif. Je suis rentré avec le chien et j’ai demandé à la secrétaire d’accueil quelle était la démarche à suivre lorsque l’on trouve un chien. Elle me demanda tout simplement, sans y jeter un coup d’œil, de le déposer dans le bâtiment des services techniques. Là mon sang ne fit qu’un tour. Je lui ai demandé si elle plaisantait, car le chien était en mauvais état et avait besoin de soins. Elle m’indiqua alors l’adresse d’un vétérinaire.

Je partis à la recherche du vétérinaire. Je fus accueilli dans sa clinique. Je lui expliquai la situation et lui présentai le chien. Ronchonnant, pas très content d’être sollicité pour un chien perdu, il l’examina quand même. Il me confia qu’il allait le mettre sous perfusion. Je lui demandai ce qu’il comptait faire de l’animal une fois qu’il serait remis sur patte. Il me répondit qu’il le ferait prendre par un refuge qui le proposerait à l’adoption. J’ai caressé le chien, remercié le vétérinaire, et suis reparti sur la route vers d’autres aventures, cependant peu rassuré sur le devenir du chien. Si j’avais pu, je l’aurais adopté, mais j’avais déjà le mien dans la voiture. Aujourd’hui, je regrette de ne pas l’avoir pris avec moi, j’aurais été plus tranquille quant à son devenir.

 

 

 

 

mercredi, 05 décembre 2012

Position délictuelle

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Un billet de N.S

Depuis huit jours, je vis dans mon lit. Il est possible que je n'en sorte plus jamais. Cela commença par une légère fatigue, un inconfort au bout de quelques heures assise face à mon ordinateur. Mes jambes en avaient marre de se cogner contre le coffre rangé sous la table, mon cou tiraillé souffrait, mes yeux penchés vers l'écran devenaient idiots.

J'ai pris le petit ordinateur portable et suis entrée dans mon lit. J'y ai travaillé plusieurs heures, contente de cette efficacité et de ce confort.

Le lendemain matin, à l'heure où j'allume mon ordinateur tous les matins depuis de nombreuses années, j'allumai mon ordinateur, m'asseyant à cette table sous laquelle dort le vieux coffre de voyage qui ne voyage plus depuis longtemps. Mais, au bout de quelques minutes, je me dis : « Et pourquoi ne ferais-je pas comme hier ? »

Je me remis au lit, avec l'ordinateur portable. Je travaillai, comme tous les matins.

Je me levai pour déjeuner, puis je voulus m'installer au grand ordinateur, à ma table. Il faut être sérieux, voyons, pensais-je. J'y allais, mais, finalement, je quittai vite cette position inconfortable de bureau et retournai avec le petit ordinateur dans mon lit. Là, je travaillai avec efficacité toute la journée.

Je ne sais plus quand vint le moment où la corde qui me ramenait toujours à la table se cassa. Depuis, je vis au lit.

Et j'ai honte.

Je ne travaille pas moins qu'avant. Je suis écrivain et je travaille autant alitée que lorsque je vivais debout. La sensation délictueuse, pourtant, me harcèle ; la culpabilité m'habite.

J'ai mis mon lit face à la seule fenêtre de l'appartement par laquelle passe la lumière du ciel. Mon visage est exposé à la lumière naturelle, en ce moment la grande lumière blanche du ciel de l'automne.

Je flotte au milieu des couettes comme une mouette se laissant transporter par une vague : j'aime cette attente jamais exaucée. J'attends un événement qui ne vient pas et l'inutilité de cette activité inonde mon âme de plénitude. Que m'arrive-t-il ? Je suis happée par le néant et je me laisse avaler.

Les voisins d'un autre immeuble ont vue sur ma fenêtre. Je sens qu'il me jugent : ils se disent : « elle est foutue ». Je gagne de l'argent comme avant, je communique par mails comme avant, je ne sors plus que pour faire les courses et me rendre aux rendez-vous nécessaires. Le reste du temps, je le passe dans mon lit. Avant, je le passai à ma table. Ai-je chuté comme la feuille, pour parler comme Isaïe ? Cecidimus quasi folium universi et iniquitates nostrae quasi ventus abstulerunt nos... Comme des feuilles mortes nous avons chuté, et comme le vent nos iniquités nous ont balayés...

Suis-je entrée dans mon tombeau pour y attendre la fin du monde, comme un des héros de La Voce della Luna, ou bien ai-je simplement trouvé une position plus agréable pour travailler ?

 N.S.

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mardi, 04 décembre 2012

Une chanson, trois films

Le vent des amoureux, Albert Lamorisse, Gary Tarn, Hugues de Montalembert, Black Sun, La Manic, Georges Dor

Black Sun : un documentaire de Gary Tarn sur Hugues de Montalembert, artiste français qui, à 35 ans, vivant à New York, rentre chez lui et trouve deux Noirs-Américains en pleine cambriole de son appartement. Il se rixe avec eux ; l'un d'eux lui balance de l'acide dans les yeux. Il pousse un hurlement de bête horrifiée : trop tard. Quelques heures plus tard, l'acide a fait le travail : il ne voit plus que la nuit, la nuit intérieure. Alors il sombre dans le désespoir.

Et puis il apprend à écouter, l'homme si visuel, et même à jouer de la musique.

Il retourne, seul, sans prévenir son entourage, en Indonésie, pays dont il aime les gens, dont il parle la langue. C'est la Renaissance d'un homme blessé dans sa passion, dans sa liberté.

 

(Au milieu des problèmes qui m'assaillent, des Que faire ?, de la rancoeur qui monte à propos de tant de gens, J'écoute « à la manic », du chanteur québécois Georges Dor, c'est beau, et je plonge dans l'univers d'Hugues de Montalembert qui a tellement plus de choses à pardonner...)

 Le vent des amoureux (Bâdeh Saaba), c'était un film pour grandes personnes, le premier qu'Albert Lamorisse, cinéaste du Ballon Rouge, de Bim le petit âne, de Crin Blanc, réalisait. Un documentaire pour les coeurs d'adultes, pour un fois. Mais Albert Lamorisse est mort dans un accident d'hélicoptère,  comme si le magicien des films d'enfant se refusait à voir son oeuvre adultine. Mehrdad Azarmi a fini de monter ce film iranien après la mort de son ami. 

(Quelle oeuvre en cours sera achevée par un ami pour la gloire d'un pays bien-aimé ?)

Il faut s'élever au-dessus de la médocrité qui nous encercle, renoncer à tout ressentiment - le pire venin qui soit. S'échapper comme Wang Fou, dont Marguerite Yourcenar a raconté deux fois l'histoire, une première fois pour les adultes, une deuxième pour les enfants, et que René Laloux a animé :

Plus nos pardons sont grands, plus notre âme est légère. Peu importe les chaînes de ceux qui s'ébattent et se débattent dans les paniers de crabes. Fiers d'être en haut ? Honteux d'être en bas ? C'est pourtant toujours le même panier !

« Solitude... Je ne crois pas comme ils croient. Je ne vis pas comme ils vivent. Je n’aime pas comme ils aiment... Je mourrai comme ils meurent ».
Yourcenar, dans sa jeunesse



Edith CL

lundi, 03 décembre 2012

Gesril

Un souvenir d'enfance de Chateaubriand, qui parle de Gesril.

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Gesril, meilleur ami de l'écrivain et compagnon des jeux et des bêtises de son enfance, sera fusillé à la Révolution. La France est la gouvernante des enfants Chateaubriand.

 

"J"allais avec Gesril à Saint-Servan, faubourg séparé de Saint-Malo par le port marchand. Pour y arriver à basse mer, on franchit des courants d'eau sur des ponts étroits de pierres plates, que recouvre la marée montante. Les domestiques qui nous accompagnaient, étaient restés assez loin derrière nous. Nous apercevons à l'extrémité d'un de ces ponts deux mousses qui venaient à notre rencontre ; Gesril me dit : "Laisserons-nous passer ces gueux-là ," et aussitôt il leur crie : A l'eau, canards !". Ceux-ci, en qualité de mousses, n'entendant pas raillerie, avancent ; Gesril recule ; nous nous plaçons au bout du pont, et saisissant des galets, nous les jetons à la tête des mousses. Ils fondent sur nous, nous obligent à lâcher pied, s'arment eux-mêmes de cailloux, et nous mènent battant jusqu'à notre corps de réserve, c'est-à-dire jusqu'à nos domestiques. Je ne fus pas comme Horatius frappé à l’œil : une pierre m'atteignit si durement que mon oreille gauche, à moitié détachée, tombait sur mon épaule.
Je ne pensai point à mon mal, mais à mon retour. Quand mon ami rapportait de ses courses un oeil poché, un habit déchiré, il était plaint, caressé, choyé, rhabillé : en pareil cas, j'étais mis en pénitence. Le coup que j'avais reçu était dangereux, mais jamais La France ne put me persuader de rentrer, tant j'étais effrayé. Je m'allais cacher au second étage de la maison, chez Gesril qui m'entortilla la tête d'une serviette. Cette serviette le mit en train : elle lui représenta une mitre ; il me transforma en évêque, et me fit chanter la grand'messe avec lui et ses sœurs jusqu'à l'heure du souper. Le pontife fut alors obligé de descendre : le cœur me battait. Surpris de ma figure débiffée et barbouillée de sang, mon père ne dit pas un mot ; ma mère poussa un cri ; La France  conta mon cas piteux, en m'excusant ; je n'en fus pas moins rabroué. On pansa mon oreille, et monsieur et madame de Chateaubriand résolurent de me séparer de Gesril le plus tôt possible."


Mémoires d'Outre-tombe - François-René de Chateaubriand

(Photo : au large des Sables d'Olonne, par Mavra V-N)

 

 

 

dimanche, 02 décembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un chariot de lapins blancs

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Un chariot de lapins blancs

 

  En Moselle, la visite d’un abattoir de lapins et de l’élevage attenant à l’abattoir s’était révélée pitoyable. La production en tuerie était de 8000 à 10000 lapins blancs par semaine, provenant d'élevages intensifs de Bretagne, de Hollande et de la région. 1000 lapins par semaine provenaient de l'élevage personnel du propriétaire de l’établissement. Les lapins, arrivés par camion, étaient entassés dans des caisses en plastique très basses, les unes sur les autres. Lors de l'abattage, l’employé attrapait un des lapins dans la caisse, et plaçait la tête de l'animal sur une petite table où se trouvaient des broches électriques : deux broches qui, en entrant en contact avec la tête, provoquaient l’électrocution de l’animal. Le choc électrique provoquait des résultats différents suivant la manière dont l’employé s’y prenait. On pouvait d’ailleurs voir certains lapins suspendus se débattre beaucoup. Il fallait alors les saigner immédiatement, et un peu plus que les autres. Le propriétaire m’indiqua recevoir la visite régulière des services vétérinaires. L’appareil à électronarcose, qui doit toujours être agréé avant sa mise en service, n’était pas pourvu de la plaquette mentionnant la date et le numéro de l’agrément. Le directeur de l’abattoir n’avait pas les papiers qui m’auraient prouvé que l’agrément avait été bien donné. L’appareil avait été installé par un électricien, mais le directeur m’avoua que l’appareil n’avait pas reçu de procédure d’agrément. Pourtant, comme il me l’indiqua, les services vétérinaires visitaient régulièrement son abattoir, certainement pour l’hygiène et la salubrité des viandes, mais à l’évidence pas pour la protection des animaux. Le directeur m’avoua aussi que toute la matinée, l’appareil électrique était tombé en panne, et que cela les mettait dans une situation de crise, car une commande devait partir à 14 heures.

 

Lors de ma visite, la machine est d’ailleurs une nouvelle fois tombée en panne. Le directeur décida alors d'arrêter les abattages et d'apporter l'appareil chez un électricien. Naïvement, je pensais que les lapins allaient rester dans les caisses en attendant la réparation de l’appareil. Mais alors que je réécris cette histoire, je me rends compte qu’après ma visite, les abattages ont dû reprendre sans étourdissement préalable, c’est-à-dire en saignant les lapins directement. Cela me paraît tout à coup évident : on n’aurait pas laissé les lapins sans boire et sans manger dans les caisses en attendant la réparation du matériel, alors que la commande de 14 heures devait être honorée.

 

Au moment où j’arrivai à l’abattoir, une employée revenait de l’élevage qui se trouvait à proximité. Elle se dirigeait vers le local d'abattage avec un chariot métallique (une sorte de grand caddie) rempli de lapins (il y avait trois à quatre couches de lapins vivants, superposés les uns sur les autres). Le Directeur, un peu gêné, me dit que d’habitude, il lui demandait de les mettre dans deux chariots ! Comme par hasard, alors que j’étais là, elle n’avait pas suivi ses recommandations. Ces lapins restèrent entassés dans le chariot au moins une heure. Je m’aperçus que ceux qui se trouvaient tout à fait en dessous étaient écrasés, compressés contre les grilles métalliques. Des lapins avaient les yeux qui leur sortaient véritablement des orbites. Il était inutile d’être pourvu d’une âme sensible pour lire la détresse et juger préjudiciable la situation que vivaient ces lapins. Je suis allé demander au directeur de faire décharger (immédiatement) ce chariot. Pendant ce temps, ce dernier, qui n’avait pas l’apparence d’un être sans cœur, me fit visiter l'élevage.

 

À notre retour, cinq lapins étaient morts au fond du chariot qui avait enfin été vidé de son contenu. Le directeur me dit que ce n'était rien, que c’était habituel et sans gravité. Il se justifiait en disant qu’il s’agissait de lapins de réforme qui seraient morts de toute façon. Je lui ai répondu que cela, de toute façon, ne se faisait pas. Il m'a assuré qu’on ne procédait pas de cette manière d'habitude. Cela paraît peu probable puisque cette façon de faire semblait coutumière, et que c’était moi qui me suis inquiété du sort des animaux. Lui jugeait cela sans importance. J'ai donc eu du mal à le croire. Manifestement, aucune considération pour ces petites bêtes n’émanait de la part des employés. J’ai aussi vu que, sans ménagement, des lapins qui se trouvaient sur une caisse en hauteur avaient été jetés vers d'autres caisses en contrebas.

 

Lors de la visite de l'élevage de type intensif, j’observai une multitude de cages alignées dans un bâtiment au plafond assez bas, avec un nombre important de lapins par cage, laissant ainsi peu de place pour chaque animal. Je vis que le sol grillagé des cages provoquait des blessures aux pattes et de l’inconfort. Il n’y avait pas d’éclairage naturel. Le directeur m’assura que durant les deux dernières semaines de vie, un lapin par cage est enlevé, ceci afin que les animaux gagnent du poids, tout en reconnaissant qu'ils se sentent aussi un peu mieux avec cet espace supplémentaire. Au total, ils sont engraissés pendant trois ou quatre mois. Quant aux lapines reproductrices, elles donnent des petits durant une année. Lorsqu'elles sont abattues, elles ne sont plus bonnes pour la consommation. Ce qui explique le manque de considération que j’ai constaté à leur égard : on les empile dans un chariot métallique, en ne leur épargnant aucune souffrance, puisque les lapines de réforme n’ont pas de valeur marchande. J'ai également pu constater les blessures aux pattes dues au grillage qui revêt le sol de leur cage. Faute de ne pouvoir ronger, leurs incisives sont extrêmement longues et provoquent des blessures dans la bouche. Certains lapins perdaient leurs poils par plaques entières. Enfin, leur charpente osseuse est si misérable, qu'ils semblaient pouvoir se casser comme du verre. Amis consommateurs, pratiquement 100 % des lapins sont élevés ainsi.

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Transport de dindes pour l’abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

 

 

 

 

vendredi, 30 novembre 2012

Une minute hypocondriaque

mercredi, 28 novembre 2012

Honneur à Caroline

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Voici un texte écrit samedi dernier, avant la fin (à l'avant veille exactement). Maintenant tu dors...

 

 Chère Caroline,

 

Ces deux ou trois rues de Villejuif sont gravées dans ma mémoire... Villejuif... Où je te vis pour les dernières fois, changeante de jour en jour, mais toujours toi.

 Toi qui était si différente, de moi, de nous, et que nous avons découverte année après année, que nous avons aimée, sans nous soucier de cet amour... Parce qu'il était normal, un amour de voisinage, un amour de copinage, un amour parsemé de joies autant que de rancœurs, d'admiration autant que d'incompréhensions, un amour qui coule de source, dont on reçoit les douces effluves sans les remarquer et dont on sent l'épine aux moments où tout tremble, où tout chute, où tout s'effondre.

 En ce moment, là bas, tu respires à chaque souffle plus difficilement, chaque souffle peut être le dernier. Et moi je suis là dans cet endroit que tu connais si bien, et qui parle de toi : cet immeuble à mi-chemin  entre les Invalides et Montparnasse, un lieu où tu grandis, élevas tes enfants, accompagnas tes parents, vécus ton drame et y reçus les soins de ta maladie. Un lieu qui résonne encore de tes rires et de tes coups de colère, de tes blagues et de tes phrases impérieuses. Un lieu où ta silhouette n'apparaîtra plus qu'en rêve.

J'ai découvert Villejuif à l'automne 2012, cette ville si proche, si lointaine où tu m'as fait vivre d'inoubliables moments. La vie nous a montré, une fois de plus, immeuble 62, chambre 210, qu'elle est inséparable de la mort, que nos moments d'insouciance sont fragiles comme une caresse, comme le vent qui traverse la ville, comme un nuage qui passe.

Mais je ferme les yeux et Villejuif s'éloigne et disparaît. Je remonte le temps et ton visage s'embellit, il rougit à nouveau et voilà qu'un sourire apparaît, qui se transforme en rire bon vivant ; à nouveau le sérieux te reprend : c'est pour expliquer à quelqu'un un passage de l'histoire de France, une règle d'orthographe. La table est pleine de mets et de bouteilles et les convives t'écoutent défendre ta vision du monde, toujours campée sur des connaissances et toujours vaillante face aux contradicteurs. Je peux remonter le temps et je mesure ainsi la somme d'échanges et de partage que nous avons eus et qui nous ont nourris en profondeur.

Nous avons beau tenter de l'oublier, de nous distraire, la vie sait où elle nous emmène inéluctablement. Aucun d'entre nous ne sortira de ce monde vivant ! Lorsque l'un d'entre nous s'en va, et surtout dans la force de l'âge, et encore plus lorsqu'il n'est qu'un enfant, nous oublions soudain nos rires, nos joies, nos habitudes, nos énervements et debout au bord du gouffre, nous nous demandons : comment est-ce possible ? Je l'aimais, nous l'aimions, elle nous aimait, rien n'était achevé. Pourquoi cette route de douleur et la mort pour récompense ?

Parce que... Parce que ? Le mystère est aussi grand que cet amour que nous éprouvions pour toi, que nous continuerons à arroser comme l'une des plus belles fleurs de notre jardin secret.

En regardant tes filles et tes petits-enfants pousser, grandir, vieillir et poursuivre la voie que tu leur as ouverte, la vie que tu leur as donnée ; en suivant chacun notre route personnelle ; en tombant, chacun notre tour, par hasard, par fatigue ou par maladie ; nous garderons vivant et vibrant ce que nous avons vécu par toi et avec toi.

Adieu et à tout à l'heure, pardon et merci, voilà ce que nous pouvons dire à celle que nous aimons, et qui nous précède au-delà...

J'écoute en t'imaginant partir cet Adagio de Secret Garden, qui restera à jamais lié à ton image dans ma mémoire. 

J'ai prié pour ton cœur, pour ton corps, pour ton âme au son de cette mélopée douce et lancinante, qui va droit au cœur. Je n'aurai qu'à l'écouter pour que ma prière s'élève à nouveau vers toi et que ton visage m'apparaisse, tel qu'il était quand tu riais, tel qu'il était quand tu dansais sur l'herbe à la fête du 21 juin.

Te sachant au bord de mourir, j'écoutais cet adagio, mais chaque fois que je l'écouterai encore c'est une image de vie qui m’apparaîtra.

Honneur à Caroline É......., qui ne manqua pas d'honneur.

 

Samedi 24 novembre 2012 vers neuf heures du soir,

Edith de CL

 

 

Désire novembre, novembre désirs

« Ô, je voudrais épouser l'automne, lui donner un baiser éternel, sentir toujours ses odeurs, son trouble, ses peurs, ses souvenirs, sa mélancolie douce. Automne malade et adoré, je t'aime et ne parviens pas à te saisir. Tu m'échappes, je te regarde me traverser sans pouvoir te retenir, sans profiter de tes beautés. Insaisissable, mystérieux, profond, entre deux eaux. Et tu contiens des essences d'éternité ».

Nadège Steene

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lundi, 26 novembre 2012

...où les ténèbres se font, là...

Crescent, Brendan Perry, Maître Eckhart

"Tout ce que l'entendement peut comprendre, tout ce que nos désirs peuvent désirer, ce n'est pas Dieu. Mais là où finissent l'entendement et les désirs, où les ténèbres se font, là commence la lumière de Dieu."

Maître Eckhart