Ces bêtes qu’on abat : La crise de la vache folle et les veaux de la Prime Hérode (dimanche, 23 décembre 2012)

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


La crise de la vache folle et les veaux de la Prime Hérode

 

Je voudrais évoquer maintenant le cas des bovins qui ont fait l’objet de destruction massive lors de la maladie de la vache folle, ne serait-ce que pour leur rendre hommage et afin de ne pas les oublier si vite. Si elle a permis au consommateur de découvrir enfin les coulisses de l’élevage, la crise de la vache folle a envoyé au bûcher des millions de bovins. L’incinération des bovins, par principe de précaution (enrayer la maladie) permettait surtout de rassurer le consommateur.

 

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Vache déchargée morte sur un tas de fumier d’un marché à bestiaux.
Phot Jean-Luc Daub

 

La consommation de viande bovine était en baisse. Un déclin économique se fit sentir. L’Union Européenne décida de racheter des millions de vaches laitières et de vaches allaitantes. Une prime était versée à l’éleveur qui envoyait à l’abattoir des animaux en bonne santé, et qui finissaient à l’équarrissage. De même, les troupeaux suspectés de comporter un cas d’Encéphalite Spongiforme Bovine finissaient d’office, tout entiers, en tuerie organisée dans le cadre d’un abattage systématique, puis étaient envoyés sur un bûcher (tout cela, loin des journalistes, sur des lieux bien gardés par nos gendarmes).

 

L’Encéphalite Spongiforme Bovine est une maladie incurable qui entraîne la mort de l’animal porteur, après une atteinte dégénérative du système nerveux central (cerveau, moelle épinière). La période d’incubation est assez longue, en moyenne 5 ans.

 

Les premiers cas d’ESB ont été rapportés officiellement en 1985 au Royaume-Uni. Dans ce pays, ce fut le début d’une importante épidémie chez les animaux. Plus de 184 000 cas ont été recensés. En France, alors que la maladie sévissait aussi, les premiers cas furent déclarés en 1991 : au total 978 cas d’ESB furent confirmés début février 2006. Une possible contamination entre l’animal et l’homme par la voie alimentaire fut déclarée. Connue depuis 1920, la maladie de Creutzfeldt-Jakob, similaire à l’ESB à bien des égards, n'était pas une maladie nouvelle chez l'homme. C’est une forme de démence incurable qui apparaît, en général, chez des patients âgés de 60 à 65 ans. Depuis 1996, au Royaume-Uni, 159 cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été constatés chez l’homme. En France, 14 personnes sont mortes de cette maladie. Les causes de la propagation de l’ESB au Royaume-Uni ont rapidement été circonscrites. Le lien fut établi entre l’incorporation, dans les compléments alimentaires des bovins, de farines de viande et d’os contaminés par l’agent de l’ESB, et la rapide diffusion de la maladie dans le cheptel bovin. L’abattage systématique de tout le troupeau dans lequel une vache manifestait les symptômes de la maladie a été mis en place. Le ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation britannique avait pris la décision d’interdire de nourrir les bovins avec des farines d’origine animale le 18 juillet 1988. Par contre, les exportations de ces mêmes farines animales dites contaminées restaient autorisées. Et quels sont les pays qui, tout en n’ignorant pas le problème de l’ESB du Royaume-Uni, continuaient d’acheter et de donner allègrement ce « poison » aux animaux d’élevage ? Je ne citerai que le pays le plus proche, la France. C’est seulement en 1990, que la France interdit l’emploi des farines de viandes dans l’alimentation des bovins. Ce n’est que cette même année qu’éleveurs et vétérinaires furent obligés de déclarer les cas d’ESB sur le territoire. Et curieusement, ce n’est qu’en 1991 que le premier cas d’ESB fut déclaré dans les Côtes-d’Armor. Mais puisque les premiers cas ont été déclarés en 1985 de l’autre côté de la Manche, n’y en avait-il pas eu chez nous avant 1991 ? En 1994, les farines étaient interdites pour les autres ruminants d’élevage. Et en novembre 2000 seulement, cette interdiction s’étendit à tous les animaux d’élevage dont nous consommons les produits. C’est pourquoi lorsque vous trouvez sur les produits une mention indiquant qu’il s’agit d’animaux issus d’élevage intensif (c’est le cas pour les œufs de batterie où il est mentionné « animaux nourris avec de l’alimentation 100 % végétale »), on vous fait croire à l’honorabilité d’éleveurs, alors que finalement cela leur a été imposé par la loi. Le choix de donner des protéines animales était volontaire en raison du prix, proposé par les firmes, moins élevé que celui des protéines végétales (qui constituent pourtant la base naturelle du mode alimentaire des vaches). Savez-vous que dans les farines animales qui étaient données aux animaux d’élevage provenaient du traitement des cadavres de chiens et de chats morts sur les routes ou euthanasiés chez le vétérinaire ou à la SPA, de vaches ou de cochons morts de n’importe quelles maladies, enfin de tout type de cadavre transformé en farine animale et « recyclé » en alimentation animale ? Actuellement, tous les bovins âgés de 24 à 30 mois entrant dans la chaîne alimentaire subissent un test rapide de dépistage de l’ESB à l’abattoir. Si des carcasses testées se révèlent contaminées par l’ESB, elles sont obligatoirement détruites par incinération. Ce qui veut dire qu’après avoir laissé s’écouler des stocks de farines potentiellement contaminées par le biais des fabricants d’alimentation pour animaux d’élevage, les précautions pour rassurer le consommateur et relancer les ventes des produits carnés ont été soigneusement mises en place. Ce fut également le cas des dispositions sécurisantes. Le coût de cette surveillance sanitaire est supporté par les consommateurs et par l’Etat (donc le contribuable), et cela même si vous êtes végétarien !

 

Sans l’ESB, les vaches mangeraient encore aujourd’hui des farines de viandes, tout comme les cochons et les poules...

 

Retenons que l’interdiction des farines animales pour tous les ruminants a été mise en place en Grande-Bretagne dès juillet 1988, alors que cette interdiction n’a eu lieu en France qu’en juillet 1990, et seulement pour les bovins. Ceci fut étendu à d’autres animaux, en décembre 1994, mais seulement pour les ruminants (soit 8 ans après la Grande-Bretagne). L’interdiction des farines animales pour l’ensemble des animaux de rente date en Grande-Bretagne de mars 1996, en France de novembre 2000. Le retrait des SBO (abats spécifiques des bovins) a été mis en place en Angleterre et au Pays de Galle dès novembre 1989 à cause de la possible transmission de la maladie à l’homme. Ce n’est qu’en août 1996 que la France a retiré les MRS (Matériaux à Risque Spécifique, « certains abats »), ainsi que les cadavres d’animaux de la fabrication des farines animales. Les cochons, les poules pouvaient encore être nourris avec de la farine qui n’intégrait plus les cadavres d’animaux (vaches mortes, chiens et chats). Ce n’est qu’en novembre 2000 que les farines animales furent interdites à l’ensemble des animaux de rente. Les ministres de l’Agriculture et de la Santé ont mis du temps à appliquer le principe de précaution. La même chose se produit pour les pesticides dans notre alimentation, ils sont reconnus néfastes pour notre santé, ainsi que pour l’environnement, et pourtant le principe de précaution n’est toujours pas mis en place. Seule une réduction de la moitié de leur usage est en projet pour… 2018 ! Seront aussi retirés du marché (progressivement…) ceux qui sont reconnus les plus dangereux et dont les agriculteurs sont les premières victimes ! Le tout, dans le respect de la compétitivité de notre agriculture, ainsi que l’annonce le site Web du ministère de l’Agriculture.

 

« L’annonce, en mars 1996, par les autorités britanniques, de la possible transmission à l’homme de l’ESB déclenche la première grande crise sanitaire pesant sur la consommation de viande des ménages. Elle est le point d’orgue d’une forte hausse de défiance, depuis la révélation concernant le rôle des farines animales dans l’ESB et leur interdiction en juillet 1990 dans l’alimentation des bovins »1. Mais ne vous inquiétez pas, le retour des farines animales est discuté au sein de la Commission Européenne. Pour les éleveurs, l’intérêt est économique, et il ne semble pas qu’ils soient opposés au retour des farines animales si l’on en juge par les propos, parus dans le Figaro du 25 février 2008, du président de la Fédération des industries avicoles : « Ces derniers temps, le prix du blé a augmenté de 150 % et celui du soja a doublé ». Pour eux, ce type de farine serait une source de protéines à bon marché pour compléter les rations alimentaires des animaux. Les résultats de ces recherches et palabres seront connus dans le courant de l’année 2009. Point sécurisant annoncé, les porcs mangeront de la farine de volailles, et les volailles de la farine de porcs. C’est un exemple. Ce qu’il faudrait, c’est interdire la vente de produits, carnés notamment, venus de pays extérieurs à l’Union Européenne. C’est vrai qu’il y a un manque d’équité de ce côté-là. Mais la France, pour l’instant, est contre la réintroduction de ces farines dans l'alimentation animale. Cependant, il n'y aurait eu que deux cents cas de bêtes touchées par l'ESB l'an dernier en Europe. Le nombre de cas serait en diminution d'environ 40 % tous les ans, d’après les experts de la Commission européenne. Donc, attendons-nous au retour des farines animales.

 

L’Europe produirait chaque année 16 millions de tonnes de déchets bruts animaux. Avant la crise de la vache folle, ils étaient recyclés dans l’alimentation animale et représentaient un marché de 500 millions d’euros. Alors qu’aujourd’hui, leur destruction coûte annuellement environ 1 milliard d’euros2. Le problème ne se poserait pas si tout le monde était végétarien. Qui plus est, l’économie réalisée sur les dépenses qu’occasionne la destruction des farines permettrait de nourrir un grand nombre de personnes défavorisées, ou d’apporter de l’aide aux pays où la famine sévit.

 

Revenons aux veaux qui ont également été victimes de la crise de la vache folle. En 1996, à cause de l’ESB, les autorités européennes mettaient en place une subvention accordée aux éleveurs qui envoyaient leurs veaux de huit jours et plus à l’abattage et à l’équarrissage. C’était la « Prime Hérode », du nom du gouverneur romain qui ordonna le massacre des jeunes enfants à l’époque de la naissance du Christ. Quel symbole !

 

La prime d’abattage de 754 francs (115 euros) par veau de moins de 20 jours était versée jusqu’en 1999. Elle avait été mise en place pour retirer un grand nombre d’animaux du marché. Il s’agissait de limiter les excédents dus à la baisse de consommation pendant cette crise de la vache folle. Notons que la « prime Hérode », instituée en 1996, ne profita guère aux producteurs nationaux, puisque la moitié des veaux alors abattus était d'origine étrangère, ce qui laisse sous-entendre que ces petites bêtes subissaient de longs transports, parce qu’elles étaient cherchées par des grossistes dans les autres pays. La « prime Hérode », de 1996 à 1999, a encouragé la destruction pure et simple de 2,8 millions de veaux européens et a rempli les poches de certains marchands et responsables d’abattoirs.

 

Rappelons que c’est grâce aux soi-disant professionnels que nous avons connu la maladie de la vache folle, car il a été permis de donner des farines animales provenant de carcasses ou de déchets d’animaux aux vaches pourtant herbivores.

 

Considérés comme des sous-produits dans le système de production, plusieurs millions de veaux de huit jours et plus ont été tués pour rien. Ils étaient éliminés pour rétablir l’équilibre économique ébranlé par la baisse de consommation de viande bovine.

 

Certains faisaient des trajets en camion sur de très longues distances, puisqu’ils pouvaient venir d’autres pays de l’Union (qui ne voulaient pas pratiquer cet abattage) pour être abattus en France. Souvent, le voyage était fatal à ces très jeunes veaux à cause du temps de trajet trop long, du manque d’alimentation et d’abreuvement.

 

Dans ce cadre, un abattoir en France les tuait de façon horrible. Des images avaient été tournées par un journaliste allemand. Elles avaient été diffusées au journal télévisé. Le journaliste avait embarqué avec le chauffeur d’un camion qui transportait des veaux de moins de huit jours en provenance d’Allemagne qui devaient être abattus en France. A l’abattoir, en caméra cachée, il avait pu filmer la mise à mort des veaux qui arrivaient en si grand nombre que le pistolet à tige perforante, appliqué sur le crâne des veaux, surchauffait. Le rythme de son utilisation, à la chaîne, était si intense (un veau derrière l’autre, toute la journée) qu’il en devenait brûlant. L’utilisateur ne pouvait plus le tenir, ni même remettre de nouvelles cartouches.

 

Un nouveau pistolet a alors été commandé pour effectuer des rotations, mais en attendant, au lieu de différer les abattages de veaux, on a continué à les tuer de façon monstrueuse. Pour cela, les employés utilisaient les crochets (qui servaient d’ordinaire à la suspension des carcasses par une patte) pour frapper violemment sur la tête des veaux. Ces derniers perdaient plus ou moins connaissance, ils étaient ensuite jetés (encore vivants, car ils ne mouraient pas tout de suite) dans des bacs, les uns sur les autres. Les images montraient les veaux agonisants qui bougeaient encore, livrés à une mort lente.

 

Des pratiques qui surprennent. Comment en est-on arrivé là ? Les services vétérinaires qui se trouvaient sur place ne pouvaient-ils pas intervenir ? N’aurait-il pas été possible d’emprunter à un autre abattoir un pistolet à tige perforante ?

 

Pourquoi un animal, à partir du moment où il est décrété « sous-produit », sans grande valeur marchande, fait-il l’objet d’un manque de considération ? Que le petit veau fût en bon état ou non en arrivant à l’abattoir, peu importait : dans tous les cas, les 754 francs tombaient dans la poche.

 

Dans un autre abattoir, où je n’avais pas assisté aux abattages des veaux de la « prime Hérode », j’avais pu observer dans un camion immatriculé en Allemagne, les petits bébés des vaches qui étaient dans un état lamentable. Les différents trajets (le rassemblement et le regroupement en lots en partance de pays de l’Union européenne vers les abattoirs français) provoquaient la déshydratation et le mal-être des veaux. Certains étaient même déjà morts avant d’arriver. Enfin, ce n’était pas vraiment le trajet qui causait les souffrances, mais plutôt les éleveurs, les négociateurs, les transporteurs et les abatteurs qui en faisaient le commerce. Évidemment, pourquoi agir avec soin pour de petites bêtes destinées à l’équarrissage ?

 

Il était important pour moi de vous parler, même s’il n’a plus cours, de cet épisode misérable qu’ont vécu des centaines de milliers d’animaux.

 

 

 

 

1 http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1166

 

2 Source www.cite-sciences.fr

 

 

 

 

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