mardi, 09 avril 2013
Adélaïde
Il y a douze ans maman entrait dans la mer. Elle marchait avec sa robe bleue dans les vagues glacées. Personne ne la vit s’enfoncer dans l’eau.
La veille au soir, elle avait appris, à la suite d’événements administratifs compliqués, que son époux, notre père, entretenait depuis le début de leur mariage des liaisons avec cinq femmes, et qu’il était le père du fils de l’une d’entre elle – un fils un peu plus jeune que moi.
Adélaïde et moi, nous découvrîmes tout cela en même temps : les liaisons de notre père, le fils caché, l’entrée de notre mère dans la mer.
J’ai été déchiré en mille morceaux par ce drame. Adélaïde est entrée au couvent. Carmélite, elle vit cloîtrée, ne sort jamais. J’ai un droit de visite restreint. Sa vie est prière. Elle prie pour maman et elle prie pour moi.
Nous avons refusé de revoir notre père, Adélaïde parce qu’elle était trop blessée, moi par fidélité à celles que j’aime. Il est si beau, si intelligent, si riche et si sympathique que si je l’avais revu ne serait-ce qu’une fois, je n’aurais pas pu rester fâché. Or, pouvais-je me laisser trahir la mémoire de ma mère, la douleur de ma sœur et mon propre chagrin de fils trompé ?
Mais il y a huit jours, le notaire, Maître Sistretaille m’a annoncé que notre père venait de mourir. A sa demande, je me suis rendu à son étude et j’y ai rencontré l’autre fils, Térence, qui porte le nom de famille de sa mère. Il n’osa pas me regarder. Pendant le rendez-vous, il répondait au notaire, signait ce qu’on lui disait sans rechigner et ne leva pas les yeux vers moi. Mais pour que nous puissions toucher notre dû amer rapidement, il fallait définir entre héritiers un accord amiable pour débloquer un fonds. Je pensai que le mieux était d’agir ainsi plutôt que d’entrer dans des déboires juridiques incessants, qui ne mèneraient à rien et n’auraient comme source unique l’horreur d’avoir été trahis chaque jour de notre enfance et de notre jeunesse.
J’appelai Adélaïde et arrangeai une date, que Térence accepta. J’aurais voulu faire le voyage seul, mais un seul train traversait la France jusqu’au carmel où elle priait.
Ce fut le premier point commun : nous nous retrouvâmes au wagon-bar du train au même moment, pour la même bière. Térence était si discret que je n’osais le snober plus longtemps et lui proposai de boire la bière ensemble. Nous fîmes connaissance. Nous échangeâmes des renseignements de surface sur nos vies.
Je tiens une salle de jeux à Monaco. Je vis dans un monde louche et j’aime ça. Je vis avec Marlène, qui ne ressemble à aucune femme connue au cours de mon éducation. Elle est vulgaire, franche, brutale, plutôt généreuse et elle s’enivre avec mes clients au lieu de faire la comptabilité pour laquelle je la paye.
Térence est fonctionnaire de l’administration française, ce que j’aurais tendance à mépriser souverainement. Mais je n’avais pas le cœur au mépris. Il fait de la guitare dans un groupe de musique beith, composé de ses vieux copains du lycée. Il fait de la boxe le mardi soir.
Nos bières terminées, aucun de nous ne retourna à sa place, car la conversation coulait, limpide, comme l’eau douce des montagnes qui passe entre les rochers.
La petite ville nous accueillit par la pluie. Nous louâmes des vélos et nous rendîmes ainsi au couvent, comme je fais à chaque fois. A l’arrivée devant la porte, je n’avais toujours pas de frère, mais j’avais un camarade.
Une carmélite vint passer son visage entre les grilles de l’entrée.
- Nous venons voir Sœur Véronique du Renoncement.
- Qui êtes-vous ?
- Ses frères, dis-je. Et je tressaillis en prononçant le mot frère au pluriel. La sœur partit, ses talons claquèrent longtemps sur les dalles de l’allée intérieure du cloître. Nous attendîmes longtemps. Puis, derrière nous, la voix de ma sœur brisa le silence :
- Je n’ai qu’un frère.
Nous sursautâmes. Elle se tenait droite derrière nous, le visage tâché de rousseur posé au sommet de la longue robe marron de son ordre.
- Adélaïde ! Je la pris dans mes bras.
Elle observa mon visage, mes cheveux, passa la main sur ma joue et lâcha son verdict :
- Tu fumes trop, Charles, tu ne manges pas assez de légumes et tu ne repartiras pas sans que je t’aie coiffé correctement.
Elle ne s’occupa pas de Térence, qui l’observait avec de grands yeux passionnés. Elle nous emmena dans un petit bureau que la Mère avait à sa disposition, connaissant l’objet de notre visite.
Nous parlâmes affaires ainsi : je m’adressais à elle, puis à Térence, cherchant à trouver un accord entre nous trois, et chacun me répondait sans qu’ils se parlent entre eux. Nous signâmes un accord ; le silence s’installa.
Lorsque Térence se leva, comprenant qu’il fallait nous laisser, il me remercia en me serrant chaleureusement la main, puis il se tourna vers ma sœur :
- Depuis douze ans, je me sens mieux de savoir que vous savez, prononça-t-il avec difficulté. Chaque morceau de son corps et de sa voix, tendu vers nous, tentait de se faire aimer.
- Il y a douze ans, Maman est entrée dans l’eau glacée à sept heures du soir, dit Adélaïde.
Térence baissa la tête. Alors, enfin, j’eus pitié de lui. Il était né coupable comme nous étions innocents. Il avait été initié aux bassesses du mensonge, de la cachotterie par notre père et sa mère dès sa plus tendre enfance. Il avait dû souffrir, lui aussi, bien que je ne sache pas dans quelles conditions on souffre quand on est illégitime, et il avait dû grandir dans la connaissance malsaine du péché comme nous avions grandi dans l’inconscience niaise de la bourgeoisie. Il avait honte de tout ce qu’il était, sachant qu’il était l’incarnation de ce qui avait brisé notre vie. Il prononça
- Pardon, Adélaïde.
Il partit précipitamment.
- A tout à l’heure, à la gare, lui lançai-je. De dos, il acquiesça de la nuque.
Nous restâmes l’un en face de l’autre. Elle était raide et belle : pas une mèche ne dépassait de son voile marron. Depuis combien de temps n’avais-je pas vu les cheveux de ma sœur ?
- Il n’y est pour rien, murmurai-je.
- Je sais, répondit-elle. C’est sans doute une âme pure. Mais il ne peut ignorer que son existence est atroce pour nous.
- Il n’a pas choisi de vivre, dis-je.
- Moi non plus.
Elle alla chercher un peigne et me coiffa. Quelques sœurs, qui allaient et venaient dans le parloir, souriaient en blaguant sur les frères ébouriffés et les sœurs maternantes. Bientôt Adélaïde dut rejoindre ses compagnes pour assister à l’office et je soupirai en prenant congé d’elle. Comme la vie était fragmentée, officieuse, si différente de ce qu’elle avait été au temps des Noël familiaux, des grands mariages de l’été, des réceptions de nos parents et des cousinades endiablées durant les grandes vacances.
J’attendis Térence de longues heures. Il n’apparut pas à la gare. Je ne voulus pas prendre le train sans lui. S’était-il soulé la gueule dans un bistrot ? Avait-il fui pour ne pas subir le chemin du retour en ma compagnie ? Je le cherchai dans toute la petite ville et finis par échouer, épuisé, affamé, dans un des seuls restaurants ouverts. C’est là que j’entendis qu’un pauvre gars s’était jeté du haut de la falaise, à sept heures du soir.
Edith de Cornulier-Lucinière
Un dimanche de Septembre 2010
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lundi, 08 avril 2013
Arts & administration
Et il se demanda pourquoi rien, dans l’administration, ne pouvait être littéraire, pictural ou musical. Tout était glauque, même l’esthétique du pire n’y avait pas sa place, tant l’horreur manquait de grandeur. Il pensa que l’on construit des camps de concentration avec les idées des Droits de l’homme comme avec celles de la Dictature et se demanda où pouvait se loger l’espérance.
Par M.D.
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samedi, 06 avril 2013
La belle vie
La gare du RER de Chamallow-sur-Noise l'accueillit : ferraille des rails et des poteaux, béton des quais et des murs, nappes de soleil blanc sur les verrières.
Un garçon de douze ans, châtain aux taches de rousseur, courait, blême. La peur sur son visage, il se retournait, essoufflé. Il repartait de plus belle. La bouche tordue d'angoisse, il luttait pour accélérer.
Derrière lui, riant, une dizaine de garçons noirs le rattrapaient.
-
Ils jouent ? Demanda Pégase à un vieux monsieur qui avançait avec peine, s’appuyant sur une béquille.
L'homme lui sourit sans répondre.
Il lui donnèrent quelques coups de pieds. Il mit la main à sa poche, rapidement, et sortit son téléphone portable qu'il tendit. L'un des assaillants prit le téléphone, les autres lui donnèrent de grandes baffes et des coups de pieds dans les fesses. Il repartit à toute bombe mais les autres ne le suivaient plus.
-
Petite merde ! Petite merde ! Lui criaient-ils.
L'enfant courait.
Pégase dévalait l'escalator. Il attrapa un des grands garçons :
- Comment osez vous, à quinze jeunes hommes, attaquer un enfant ?
Les yeux rieurs se firent ternes. Les bouches se fermèrent. Les joues se durcirent. Les gars se mirent, en silence, autour de Pégase. Soudain, il ne fut plus certain d'avoir eu la bonne réaction.
Son regard chercha un recours.
Les gens entraient et sortaient de la station de RER, sans jeter le moindre regard à leur attroupement.
-
Donnez-moi ce téléphone. Vous l'avez volé.
-
Il nous l'a donné.
-
Quinze contre un !
-
Tu veux passer quelques jours à l'hôpital ? Demanda l'un des hommes.
-
Non. Mais je vous ai vus agresser un enfant et lui voler son portable.
Après un nouveau silence, pesant comme une chape de plomb, le même jeune homme reposa sa question.
-
Tu veux passer quelques jours à l'hôpital ?
-
Non, dit Pégase.
L'indifférence apprêtée des gens qui passaient, le calme impeccable de ces gars le convainquirent que la seule chose à faire était d'éviter l'hôpital, par l’attitude la plus conciliante possible. Il demeura donc debout, calmement, face aux garçons, qu'il compta précisément. Ils étaient quatorze.
Un vieil homme arabe entrait dans la station. Contrairement aux autres passants à qui le petit groupe semblait transparent, il s'arrêta quelques secondes et embrassa la scène du regard.
-
Baisse les yeux, dit-il.
Pégase le regarda ; c'était bien à lui qu'il s'adressait.
Le monsieur mit la main sur son cœur, s'inclina avec un geste d'une dignité infinie :
-
Baissez les yeux, monsieur. Ces jeunes vous laisseront tranquilles si vous cessez de les regarder dans les yeux.
L'homme s'inclina de nouveau et entra dans la station sans plus se retourner.
Pégase furieux observa les adolescents. En demi-cercle face à lui, ils attendaient, pleins de patience et de vigilance.
Pégase baissa les yeux.
Après quelques instants, ils s'en allèrent.
Il garda les yeux vers le bas de longues secondes, releva les yeux et balaya son regard sur la rue. Il suffoquait de rage, de honte, d'indignation. Comme l'enfant, il s'était humilié devant cette bande de brutes.
Il courut vers la rue dans laquelle avait disparu le petit, le chercha à travers les trois énormes tours qui formaient un bloc, autour duquel passaient les voitures. Des milliers d'appartement étaient entreposés là sur des dizaines d'étages. En haut, une femme contemplait le monde depuis sa fenêtre, son bébé dans ses bras. En bas, un vieil homme marchait avec son chien.
Il fit demi-tour et chercha son chemin.
Un texte de M.D
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mercredi, 03 avril 2013
...pour y entasser un nombre maximal d’êtres humains
A quoi pensaient les architectes des villes nouvelles et des banlieues ? N’habitaient-ils pas dans de magnifiques maisons anciennes, réaménagées de façon contemporaine, avec goût ? N’élevaient-ils pas leurs enfants dans de beaux quartiers où les ruelles anciennes s’ouvrent sur des places élégantes bordées d’églises et de boulangeries aux odeurs frémissantes, où les gens qui marchent dans la rue ne craignent pas les crachats d’individus plantés debout sur le pas des immeubles, où les femmes libres marchent à côté des hommes et conversent, sur des thèmes variés, sans censure ni contrainte, en toute égalité ?
Pourquoi construisaient-ils des halls d’immeubles voués à devenir pissotières ?
Comment imaginaient-ils, confortablement lovés dans leurs beaux fauteuils, ces blocs de béton qui ressemblent à des prisons, ces barres de fer qui rappellent les camps de concentration, ces longs couloirs qui évoquent les abattoirs pour y entasser un nombre maximal d’êtres humains qui ne se ressemblent ni dans leur mode de vie, ni dans leurs aspirations ?
Il y a un mystère des architectes du XXème siècle, un grand mystère qu’il faudra éclaircir un jour. De qui sont-ils les messagers ? Quel art les inspire, quelles écoles les formèrent, quelles politiques les missionnèrent ?
DN Steene
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dimanche, 31 mars 2013
J'ose le comparer
«Heureux sans doute l'écrivain qui plait ! Mais c'est lorsqu'il n'a point à rougir de la voie qu'il choisit pour plaire. Autrement, j'ose le comparer aux ministres des honteux plaisirs : ceux qui les emploient et qui aiment leurs services ne les regardent pas moins comme des infâmes.»
Abbé Prévost
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jeudi, 28 mars 2013
Nuits du XVII°siècle
La nuit du 23 novembre 1654, Blaise Pascal, traversé d’extase, écrivit : «Certitude, certitude, sentiment, joie, paix. Joie, joie, joie, pleurs de joie !»
La nuit du 10 au 11 novembre 1619, René Descartes méditait, assis auprès d’un poêle ; soudain il eut trois songes, vit sa chambre remplie d’étincelles, se repentit de ses péchés et ouvrit la porte de sa nouvelle vie.
Ce siècle avait vu d'autre nuits de mystérieuse exaltation. La vie de Johannes Keppler fut une suite de nuits assaillies par la soif d’étoiles et de musique. « Je me dois de comprendre, quitte à ne plus dormir », écrivit celui qui ressemblait dès l’enfance à un chien galeux, qui dut se battre pour tirer sa mère d’un procès de sorcellerie, qui écrivit lui-même l’épitaphe qu’il méritait : «Je mesurais les cieux, je mesure à présent les ombres de la Terre. L’esprit était céleste, ci-gît l’ombre du corps».
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lundi, 25 mars 2013
Le relief du Brésil
Un extrait du premier chapitre du livre de Maurice Le Lannou intitulé Le Brésil, et publié pour la première fois en 1955 chez Armand Colin.
« Les cartes portent de vieux noms trompeurs. Ainsi certaines serras qui s'allongent sur des centaines de kilomètres ne sont que les rebords escarpés, taillés à l'emporte-pièce, des chapadas. D'autres ont l'allure plus classique de longues et minces échines qui coupent des horizons tabulaires : ce sont des crêtes de roches dures mises en relief par l'érosion. Mais ces échines rugueuses sont souvent groupées en faisceaux d'arêtes parallèles, supportés par un morceau de socle que des cassures ont élevé au-dessus du plateau fondamental ; de tels groupements peuvent constituer, par leur largeur, des obstacles importants, et portent alors, curieusement, le nom de chapadas (Chapada Diamantina, dans l’État de Bahia) : c'est, dans le vocabulaire géographique, le témoignage que l'immensité prime sur la raideur.
Peu d'horizons tourmentés, au total, dans ces ensembles d'échelles énormes : l'aspect qui s'impose à travers la plus grande partie du Brésil est la surface uniforme, brusquement hérissée d'une échine aiguë et mince, ou bien barrée par une escarpe raide qui mène à un nouveau plateau d'étage supérieur.
Tout change quand le socle subit des modifications substantielles. C'est le cas au Nord du Brésil, où, le long d'un axe à peu près marqué par l'équateur, la table guyano-brésilienne se déprime en un grand fléchissement au creux de quoi coule l'Amazone. Cette immense gouttière est tapissée de terrains tertiaires d'altitude presque partout inférieure à 300m, même au contact de la muraille andine. De part et d'autre de ce golfe, des couches primaires réapparaissent et remontent, vers le nord jusqu'au faîte d'altitude incertaine des frontières guyanaise et vénézuélienne, vers le sud en direction des parties hautes du plateau brésilien. La disposition du réseau hydrographique traduit bien ce gigantesque ensellement qui ouvre sur l'Atlantique des plaines profondes de plus de 3000 km. Elle traduit aussi sur l'accident transversal qui soulève le socle primaire à l'est, le long d'un axe perpendiculaire à l'Amazone et la coupant en aval d'Obidos : le golfe amazonien en est comme étranglé avant son débouché sur l'Océan. Les rapides qui accentuent les cours fluviaux – Tapajos, Xingu, Tocantins – à leur sortie du bouclier ancien sont ainsi rapprochés de la gouttière principale, et cette disposition n'est pas sans gêner la pénétration dans l’État de Para, que par ailleurs son moindre éloignement avantagerait par rapport à l'Amazonie occidentale.
L'enfoncement du bouclier brésilien vers le sud se marque par l'apparition des grandes plaines de la Plata. Mais le Brésil n'a qu'une faible étendue de ces régions basses. C'est seulement à son extrême pointe méridionale, dans l’État de Rio Grande do Sul, que l'altitude s'abaisse notablement. On ne peut pourtant pas encore parler de plaines : le socle, affecté d'ondulations, ne s'enfonce pas beaucoup ; ce sont des collines médiocres, beurrées d'une épaisse couche d'arènes et d'argiles, annonçant seulement les grandes nappes ondulées des prairies de l'Uruguay.
Entre la gouttière amazonienne et les collines du Rio Grande do Sul, le plateau brésilien, solidement entretenu par la constance du socle, n'agence pas partout semblablement ses divers éléments. Au nord du dixième parallèle, les altitudes restent modérées, ne dépassant guère 1000 mètres. Les sommets les plus élevés sont éloignés de l'Océan. Les dénudations ont été relativement peu poussées, et le type de relief le plus répandu est la véritable chapada gréseuse. Cependant, à l'est du méridien de Fortaleza, c'est la pénéplaine cristalline qui apparaît, affectée par un bombement S-N qui constitue, à l'ouest de Recife, les hautes terres de la Borborema (600-400 m). La retombée de ce bombement se fait en pente douce vers l'Atlantique. Sur la surface granitique inclinée posent des tables sédimentaires résiduelles – les taboleiros -, répliques menues des chapadas du versant occidental, mais la plus grande partie de cette région du Nord-Est brésilien est occupée par des collines basses, profondément décomposées, du socle ancien, séparées seulement de la mer par un mince ourlet de plaine littorale. Il y a là, par une heureuse rencontre, une zone aisément accessible et pénétrable, qui est au point le plus rapproché de l'Ancien Monde. Ce sera la première région vivante du Brésil colonial.
Au sud du dixième degré, et jusque vers le vingtième, le relief d'ensemble du plateau, d'altitude plus forte, se dispose en grande alignements S-N. Entre le Tocantins et le Rio Sao Francisco s'allongent, fort mal connus, surtout constitués par des fronts de chapadas gréseuses, des reliefs que les vieilles cartes magnifient sous les noms exagérés d'Espigao Mestre ou Serra Geral de Goias. Entre le Rio Sao Francisco et la mer, ce sont les crêtes et les hauts plateaux de la Serra do Espinhaço et de la Chapada Diamantina, qui atteignent 1400 m dans la première, 1800 m dans la seconde. Un trait essentiel à la construction géographique du Brésil est la vallée du Rio Sao Francisco, laquelle, en arrière des territoires côtiers ensevelis sous la forêt tropicale, ménage une grande voie ouverte entre le vieux Brésil colonial du Nord-Est et les régions élevées plus méridionales qui, au XVIII°siècle, seront le centre de l'activité minière.
Au sud du vingtième parallèle, les directions majeures du relief changent, se disposant du sud-ouest au nord-est, comme la côte elle-même. Les pentes d'ensemble sont au nord-ouest, et elles se lisent dans le dessin du réseau hydrographique. Cependant, à l'est du méridien de Santos, les rivières restent parallèles à la côte, comme ce rio Paraiba qui, allongé sur 600 km des environs de Saint-Paul jusqu'au cap Sao Tomé, et passant seulement à 601 km de Rio, trace entre les deux capitales brésiliennes une route d'importance essentielle. Entre le Paraiba et la mer, la Serra do Mar est un premier bloc cristallin basculé, dont la face abrupte tombe sur l'Océan. Au nord du Paraiba, c'est un autre front qui se présente, celui de la Serra da Mantiqueira, où sont les plus hauts sommets du Brésil (Pico da Bandeira, 2884 m). Ce nouveau bloc est lui aussi dissymétrique, et son revers tombe au nord-ouest en pente douce, par de hautes surfaces ondulées qui se raccordent aux hautes terres du Minas.
À l'ouest du méridien de Santos, il n'y a pas ce morcellement de la masse : le seul front présenté à l'Atlantique est celui de la Serra do Mar, haut de plus de 1000 m, cerné de nuages et vêtu de forets denses, dominant une mince frange de plaines littorales. Sur le revers de cette escarpe brutale, des fleuves nés à quelques dizaines de kilomètres de la mer en font plusieurs centaines pour gagner, rigoureusement parallèles, le grand collecteur du Rio Parana, qui porte ses eaux, par l'intermédiaire du Rio Uruguay, à l'estuaire de la Plata. Au-delà du Parana, qui coule au fond d'une grande gouttière synclinale, les couches sédimentaires masquant le vieux socle se relèvent doucement, et, avec elles, les altitudes. Mais le relief reste calme, et il ne présente d'autre obstacle à la pénétration des hommes vers les plaines du Paraguai et le sud du Mato Grosso que celui de l'immensité ».
Maurice Le Lannou
Le Brésil
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samedi, 23 mars 2013
Ta demeure
Sourires dans l'air du vestibule, flottent comme des poissons. Dialogues sur les lèvres.
- À cette jeune femme qu'il appréciait, il avait fait boire le calice de sa propre colère jusqu'à la lie.
- Où est le lieutenant Drogo ?
- La violence des femmes : morale stupide, passivité coupable, inifinie complaisance pour elles-mêmes et pour leur lâcheté insondable.
- Les maisons médiévales sont presque toutes détruites. Il en reste dans le quartier de Ciudad.
- Là-bas les percolateurs fonctionnent mieux, malgré le manque d'électricité.
- Tu viendras, tu verras.
- Non. Je ne l'ai jamais revu.
- Mais qui était Atlantica ?
Complexité des cœurs qui ne saisissent la beauté de ce qu'ils possèdent qu'une fois qu'ils l'ont perdu... Charme des distances qui enveloppent d'une douce fumée tous les détails qui enlaidissent la vie de tous les jours. Vos tandems sont indéfectibles !
Merci à Olympe Davidson pour son luth et ses murmures au début du printemps.
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jeudi, 21 mars 2013
Dix allumettes s'éteignent un soir de tempête à Concarneau
Nous présentons l'ouverture du Chien jaune, un polar de Simenon, une des meilleures aventures du commissaire Maigret.
Il se passe à Concarneau, dans le vent, sous la pluie, au fin fond des tumultes enfouis des villes de province.
« Vendredi 7 novembre. Concarneau est désert. L'horloge lumineuse de la vieille ville, qu'on aperçoit au-dessus des remparts, marque onze heures moins cinq.
C'est le plein de la marée et une tempête du sud-ouest fait s'entrechoquer les barques dans le port. Le vent s'engouffre dans les rues, où l'on voit parfois des bouts de papier filer à toute allure au ras du sol.
Quai de l'Aiguillon, il n'y a pas une lumière. Tout est fermé. Tout le monde dort. Seules les trois fenêtres de l'hôtel de l'Amiral, à l'angle de la place et du quai, sont encore éclairées.
Elles n'ont pas de volets mais, à travers les vitraux verdâtres, c'est à peine si on devine des silhouettes. Et ces gens attardés au café, le douanier de garde les envie, blotti dans sa guérite, à moins de cent mètres.
En face de lui, dans le bassin, un caboteur qui, l'après-midi, est venu se mettre à l'abri. Personne sur le pont. Les poulies grincent et un foc mal cargué claque au vent. Puis il y a le vacarme continu du ressac, un déclic à l'horloge, qui va sonner onze heures.
La porte de l'hôtel de l'Amiral s'ouvre. Un homme paraît, qui continue à parler un instant par l'entrebâillement à des gens restés à l'intérieur. La tempête le happe, agite les pans de son manteau, soulève son chapeau melon qu'il rattrape à temps et qu'il maintient sur sa tête tout en marchant.
Même de loin, on sent qu'il est tout guilleret, mal assuré sur ses jambes et qu'il fredonne. Le douanier le suit des yeux, sourit quand l'homme se met en tête d'allumer un cigare. Car c'est une lutte comique qui commence entre l'ivrogne, son manteau que le vent veut lui arracher et son chapeau qui fuit le long du trottoir. Dix allumettes s'éteignent.
Et l'homme au chapeau melon avise un seuil de deux marches, s'y abrite, se penche. Une lueur tremble, très brève. Le fumeur vacille, se raccroche au bouton de la porte.
Est-ce que le douanier n'a pas perçu un bruit étranger à la tempête ?»
Simenon
Nous avions déjà présenté un très beau polar de Jean Bruce, Visa pour Caracas
Si vous avez des enfants, il trembleront en vous entendant leur lire une autre histoire, dans un autre port.
Et nous avions déjà parlé d'insomnies bretonnes, de célèbres souvenirs d'enfance bretons. Notre blog publia également un article en langue bretonne.
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mardi, 19 mars 2013
Mon pays, ma patrie, ma nation, mon peuple, ma terre
« Le départ hors des frontières de ma patrie équivaudrait pour moi à la mort, et c’est pourquoi je vous prie de ne pas prendre à mon égard cette mesure extrême. »
Boris Pasternak, écrivain russe
« Pour ma part, durant ma vie entière, en tout lieu, en tout temps et de toute façon, je veux servir une seule cause, celle du bien de la patrie et de la nation hongroise ».
Bela Bartok, musicien hongrois
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samedi, 16 mars 2013
Dans une lettre de 1926
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mercredi, 13 mars 2013
14-18 - Le chemin des Dames
Mickaël imaginait le dernier voyage de ces hommes qui marchaient au milieu du triangle mystique que forment Soissons, Reims et Laon. Il échafaudait des théories.
C’est à Soissons que Clovis, d'un coup de francisque, renonça à la pitié pour fonder un royaume puissant ; à Reims ses successeurs, les rois de France, étaient sacrés ; pour cette occasion le vin était amené de Laon. Les trois villes et les fiefs alentour furent le berceau de la France mérovingienne comme de la France carolingienne ; c’est le tombeau de celle qui naquit après la Révolution. Les rois y ont créé la France, les présidents y ont abattu sa jeunesse. Dans un paysage craquelé par la guerre, où l’on ne pouvait passer qu’à certains moments, quand les tirs ennemis s'étaient tus, les hommes couraient sur une terre meuble qui les faisait trébucher à chaque pas. Les soldats venus du Sénégal, effrayés par la neige et le froid, tombaient comme des mouches ; les autres aussi tombaient, tous mouraient. Parcourant l’ancienne voie gauloise, les soldats apercevaient la cathédrale gothique de Notre-Dame de Laon. C’était leur dernière vision avant l’enfer. L’histoire de la France, ses fondations, saluaient chaque poilu qui marchait à la mort. La France remerciait ses enfants d’être si grands, même s’ils allaient mourir pour rien, pour faire de l’engrais aux cultures stériles des hommes de banque, de média et de finance.
Marin D
Gange, par Sara
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dimanche, 10 mars 2013
5 à 7 début mars, par N Steene
« La pluie percussionne les toits, les trottoirs, les meubles urbains, une lumière d'orage descend sur la ville, en un instant la majorité des gens a disparu sous des auvents, dans des immeubles, et il ne reste que les chevaliers des tempêtes urbaines pour courir sous les gouttes froides. Je t'aime mais tu n'es plus là. Peu importe. La pluie lave tout, emporte tout, sous ses vibrations me voilà en apesanteur. Et j'écoute, j'écoute Chrysler, de Yellow, et j'écoute les Nuits fauves, de Fauve.
Se mêlent dans ma vie la nuit des sens et la musique du monde, la nuit du monde et la musique des sens. J'entends que peu à peu le soir tombe et abaisse ses barrières sur le flux des foules. J'attends en écoutant la pluie et leurs musiques, j'aspire à oublier ta voix, ton ombre, la charnelle présence qui était tienne, mienne, avant le fracas du téléphone. Tous les discours mourront dans le Poème. N'attachons plus d'importance aux idées, futiles comme un pot de nutella. Seul compte l'amour – de l'homme, de l'art, de l'eau.»
Nadège Steene
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vendredi, 08 mars 2013
La haine des mères
Poil de Carotte et Vipère au poing
Ces deux romans parlent de la haine des mères pour leurs enfants et, en retour, de la douleur et de la haine des enfants pour leur mère. Les enfants lisent ces deux livres - Poil de Carotte, de Jules renart, et Vipère au poing, d'Hervé Bazin - au collège.
Jules Renard
1864 - 1910
Poil de Carotte
« Ô rousseur des soleils, Ô douceur des enfances»
Edith Morning
(Célèbre illustration du dessinateur montmartrois Francisque Poulbot)
Ce roman autobiographique conte l'histoire d'un petit garçon maltraité, qui cherche à être aimé. Poil de Carotte est le souffre-douleur, le bouc émissaire, de sa famille. Sa mère le hait, son père le méprise, son frère et sa soeur le raillent.
La maltraitance n'est pas objective, visible à l'oeil nu : Poil de Carotte ne subit pas de coups, pas de malnutrition réelle, juste un mépris, un chantage, une hypocrisie, une absence d'amour réaffirmés au quotidien dans les faits, niés au quotidien dans les paroles.
Perversité, tristesse, solitude, honte, vengeance, désespoir, déception... Ces thèmes, présents à chaque page, sont rendus supportables pour le lecteur, par l'ironie mordante de Jules Renard, son humour cynique où pointe la tendresse déçue.
Poil de Carotte n'est pas décrit comme un ange : à certains moments l'enfant songe à se suicider ; parfois, il devient à son tour un bourreau et il massacre de petits animaux.
De ce roman est issu la phrase célèbre : «Tout le monde ne peut pas être orphelin».
Hervé Bazin
Né en Anjou, à Angers, en 1911 et mort dans la même ville en 1996, Hervé Bazin a publié de nombreux livres. Il était un des auteurs les plus lus de France de son vivant. Avec le temps le seul livre qui demeure très lu est Vipère au poing, qui raconte son enfance.
Vipère au poing
Deux enfants vivent avec leur grand-mère pendant que leurs parents et leur petit frère habitent en Chine. Ils ont une vision rêvée de leur mère, qu'ils ne connaissent pas.
La grand-mère meurt ; les parents reviennent habiter avec leurs enfants.
Lorsque les enfants voient pour la première fois leur mère à la gare, ils veulent se jeter dans ses bras. Furieuse d'être bousculée, la mère, à peine descendue du train, leur donne d'énormes gifles. Commence alors un long calvaire entre un père lâche et distant, et une mère féroce et cruelle.
La mère est surnommée Folcoche pour "folle + cochonne"
Voici une folle, peinte par Géricault et une truie (en compagnie d'un tigre).
Des abbés sont successivement employés par la famille pour l'éducation des enfants. Dès qu'un abbé est compréhensif et gentil avec les enfants, il est licencié. D'ailleurs, certains partent d'eux mêmes, pour ne pas participer à cette maltraitance. Ne restent auprès de la famille que les pervers, qui jouissent d'y trouver leur compte.
Les enfants errent dans la propriété, n'ayant jamais assez mangés, pas assez habillés pour le froid, gravant sur les arbres, sur la terre, ce sigle : VF, qui signifie Vengeance à Folcoche.
Un jour, la mère tombée malade, s'en va vivre à l'hôpital. La vie devient merveilleuse pour le père et les enfants... Ils espèrent qu'elle va mourir, mais elle survit au grand désespoir de ses enfants et peut-être même de leur père.
Explication du titre : Le narrateur attrape une vipère et l'étrangle. Il se prouve ainsi qu'il est fort, mais cruel. Puissance et cruauté vont de pair. Cette vipère qu'il a tué, il y pense quand il regarde sa mère, qu'il est le seul à braver. Paradoxalement, ce "crime" est aussi la preuve que le narrateur est, des trois fils, celui qui ressemble le plus à sa mère, par la cruauté. Il est son ennemi et son portrait tout à la fois...
Dans le même thème de la hainte des mères, on pourra lire L'enfant, de Jules Vallès.
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dimanche, 03 mars 2013
La leyenda negra
« El ambiente creado por los relatos fantásticos que acerca de nuestra patria han visto la luz pública en todos los países, las descripciones grotescas que se han hecho siempre del carácter de los españoles como individuos y colectividad, la negación o por lo menos la ignorancia sistemática de cuanto es favorable y hermoso en las diversas manifestaciones de la cultura y del arte, las acusaciones que en todo tiempo se han lanzado sobre España fundándose para ello en hechos exagerados, mal interpretados o falsos en su totalidad, y, finalmente, la afirmación contenida en libros al parecer respetables y verídicos y muchas veces reproducida, comentada y ampliada en la Prensa extranjera, de que nuestra Patria constituye, desde el punto de vista de la tolerancia, de la cultura y del progreso político, una excepción lamentable dentro del grupo de las naciones europeas ».
Julián Juderías
1914
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