La belle vie (samedi, 06 avril 2013)
La gare du RER de Chamallow-sur-Noise l'accueillit : ferraille des rails et des poteaux, béton des quais et des murs, nappes de soleil blanc sur les verrières.
Un garçon de douze ans, châtain aux taches de rousseur, courait, blême. La peur sur son visage, il se retournait, essoufflé. Il repartait de plus belle. La bouche tordue d'angoisse, il luttait pour accélérer.
Derrière lui, riant, une dizaine de garçons noirs le rattrapaient.
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Ils jouent ? Demanda Pégase à un vieux monsieur qui avançait avec peine, s’appuyant sur une béquille.
L'homme lui sourit sans répondre.
Il lui donnèrent quelques coups de pieds. Il mit la main à sa poche, rapidement, et sortit son téléphone portable qu'il tendit. L'un des assaillants prit le téléphone, les autres lui donnèrent de grandes baffes et des coups de pieds dans les fesses. Il repartit à toute bombe mais les autres ne le suivaient plus.
-
Petite merde ! Petite merde ! Lui criaient-ils.
L'enfant courait.
Pégase dévalait l'escalator. Il attrapa un des grands garçons :
- Comment osez vous, à quinze jeunes hommes, attaquer un enfant ?
Les yeux rieurs se firent ternes. Les bouches se fermèrent. Les joues se durcirent. Les gars se mirent, en silence, autour de Pégase. Soudain, il ne fut plus certain d'avoir eu la bonne réaction.
Son regard chercha un recours.
Les gens entraient et sortaient de la station de RER, sans jeter le moindre regard à leur attroupement.
-
Donnez-moi ce téléphone. Vous l'avez volé.
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Il nous l'a donné.
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Quinze contre un !
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Tu veux passer quelques jours à l'hôpital ? Demanda l'un des hommes.
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Non. Mais je vous ai vus agresser un enfant et lui voler son portable.
Après un nouveau silence, pesant comme une chape de plomb, le même jeune homme reposa sa question.
-
Tu veux passer quelques jours à l'hôpital ?
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Non, dit Pégase.
L'indifférence apprêtée des gens qui passaient, le calme impeccable de ces gars le convainquirent que la seule chose à faire était d'éviter l'hôpital, par l’attitude la plus conciliante possible. Il demeura donc debout, calmement, face aux garçons, qu'il compta précisément. Ils étaient quatorze.
Un vieil homme arabe entrait dans la station. Contrairement aux autres passants à qui le petit groupe semblait transparent, il s'arrêta quelques secondes et embrassa la scène du regard.
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Baisse les yeux, dit-il.
Pégase le regarda ; c'était bien à lui qu'il s'adressait.
Le monsieur mit la main sur son cœur, s'inclina avec un geste d'une dignité infinie :
-
Baissez les yeux, monsieur. Ces jeunes vous laisseront tranquilles si vous cessez de les regarder dans les yeux.
L'homme s'inclina de nouveau et entra dans la station sans plus se retourner.
Pégase furieux observa les adolescents. En demi-cercle face à lui, ils attendaient, pleins de patience et de vigilance.
Pégase baissa les yeux.
Après quelques instants, ils s'en allèrent.
Il garda les yeux vers le bas de longues secondes, releva les yeux et balaya son regard sur la rue. Il suffoquait de rage, de honte, d'indignation. Comme l'enfant, il s'était humilié devant cette bande de brutes.
Il courut vers la rue dans laquelle avait disparu le petit, le chercha à travers les trois énormes tours qui formaient un bloc, autour duquel passaient les voitures. Des milliers d'appartement étaient entreposés là sur des dizaines d'étages. En haut, une femme contemplait le monde depuis sa fenêtre, son bébé dans ses bras. En bas, un vieil homme marchait avec son chien.
Il fit demi-tour et chercha son chemin.
Un texte de M.D
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