vendredi, 28 septembre 2012
Deux amants
Capitaine Morhange et Hanno Buddenbrook, je vous ai aimés tous les deux, chacun d'une manière différente. On médisait de moi pour cela, mais vous, vous me compreniez si bien ! Et c'était ma façon aussi de vous aimer que de chanter nos amours sur la harpe celtique du Grec Alexis, cette harpe qu'il avait oubliée au fond d'un bar des Sables d'Olonne, un soir, après la pluie, avant la lune, pas loin des vagues.
Et toi, Anthony M-C, tu étais là aussi, ignorant peut-être nos vagissements intérieurs, au milieu des bières et des nuages de fumée - il n'était pas encore interdit de fumer - et tu priais, tu priais ce Dieu que tu rencontrais chaque jour un peu plus et dont nous nous éloignions chaque aube un peu plus.
Et puis il y avait l'heure, l'heure qui tournait, et il y avait l'amour des chants silencieux.
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mercredi, 26 septembre 2012
les Sables de septembre
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lundi, 24 septembre 2012
Les marais de Bourges
Un reportage photographique de Sara, réalisé au mois de juillet 2012
Ces marais sont le prolongement de la bonne ville de Bourges...
Allez donc, visiteur, découvrir le site de Sara
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dimanche, 23 septembre 2012
Ces bêtes qu’on abat : Un abattoir qui fonctionne « bien »
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
Un abattoir qui fonctionne « bien »
J’ai visité récemment un abattoir flambant neuf qui fonctionnait bien. D’un point de vue éthique, je n’approuve pas le fait qu’on tue des animaux, mais si l’on doit classer les abattoirs sur une échelle, celui-ci était moins mauvais que d’autres et même mieux que la plupart.
J’ai été surpris par le calme des activités et une absence de stress de la part des employés. Cela s’explique peut-être par le fait que cet abattoir neuf offrait de nouveaux outils de travail, comptait des postes bien aménagés. Tout cela contribuait à de meilleures conditions de travail que dans les autres abattoirs. Peut-être la faible production, c’est-à-dire la faible capacité des tueries, faisait-elle que les activités se déroulaient dans un calme apparent, le personnel ne subissant pas le stress des grands abattoirs où les cadences sont infernales. Ces conditions apportent un mieux-être animal certain, si l’on peut parler de bien-être animal dans un abattoir. Néanmoins, un plus existait en comparaison d’autresabattoirs et, dans ce cas, c’est cela qu’il faut prendre en compte puisque, pour l’instant, il n’est pas possible de faire disparaître les abattoirs.
Lors des abattages classiques, les bovins étaient conduits avec ménagement de la stabulation vers le poste d’abattage. Les employés, qui n’étaient pas poussés par des cadences à respecter, prenaient tout leur temps pour conduire les animaux. Ces derniers, dont je ne pouvais dire s’ils ressentaient ou non le stress, se laissaient mener calmement. Ils étaient conduits dans un box rotatif qui servait également pour l’abattage rituel. Une fois le piège refermé sur l’animal, un employé étourdissait les animaux en l’appliquant un pistolet à tige perforante sur la partie frontale. Les bovins tombaient aussitôt dans un état d’inconscience, une porte latérale était alors ouverte, permettant d’attacher les bovins par une patte arrière et de les suspendre avant de les saigner à la gorge. Ces opérations étaient effectuées rapidement, ce qui est important pour laisser le moins longtemps possible les animaux dans un état comateux après l’étourdissement.
Quant aux porcs, ils arrivaient par un couloir étroit qui finissait dans un piège : un box rectangulaire ouvert sur le dessus. La porte se refermait derrière chaque porc. Un employé les étourdissait à l’aide d’une pince électrique en l’appliquant pendant un bref instant derrière les oreilles. Les cochons tombaient instantanément dans un état d’inconscience, une porte latérale était ouverte et les cochons tombaient sur une table qui permettait à l’employé d’effectuer aussitôt la saignée. Ils étaient ensuite suspendus par une patte arrière. Par nature plus criards et plus sensibles, les cochons étaient un peu plus apeurés que les bovins ou, du moins, cela se constatait plus facilement. Mais les employés faisaient le maximum pour les ménager. On pourrait me dire que le mieux qu’un employé aurait pu faire pour ces cochons aurait été de ne pas les tuer. C’est vrai, mais tant que persistera la demande en produits carnés, il y aura des abattoirs. C’est donc aux consommateurs qu’il faut s’adresser, afin que, s’ils ne veulent pas arrêter de manger de la viande, ils en réduisent au moins la consommation.
Chaque poste d’abattage était bien équipé, doté du matériel prévu pour un abattage dans de bonnes conditions de sécurité pour le personnel et de « bien-être » pour les animaux. Ainsi, le poste d’abattage des ovins était pourvu d’un piège mécanique qui permettait de coincer l’animal pour qu’il ne coure pas dans tous les sens dans le local, permettant à l’employé de ne pas rater son abattage. Ce piège servait également à l’abattage rituel pour éviter, comme cela se pratique encore, de suspendre l’animal par les pattes arrière alors qu’il est encore vivant.
Le box rotatif des bovins permettait d’effectuer l’abattage rituel dans de bonnes conditions, car à l’intérieur, des volets pouvaient se rabattre pour pratiquer au mieux leur contention, quelle que soit la taille des bêtes. Le sacrificateur musulman était muni de l’autorisation lui permettant de pratiquer un abattage rituel. La stabulation était également bien conçue avec quelques box libres et des logettes à une entrée, et une sortie. L’ensemble était pourvu d’abreuvoirs. La stabulation était accolée aux postes d’abattage, évitant ainsi aux animaux de parcourir des distances trop longues, et aux employés un grand nombre de manipulations.
En somme chaque poste avait été bien pensé, dans le respect scrupuleux des directives réglementaires en vigueur. L’absence de stress chez les employés permet, c’est certain, de ne pas en communiquer aux animaux. Il serait préférable d’avoir plusieurs petits abattoirs à proximité des élevages où l’animal est pris en compte, plutôt que les grosses structures actuelles où l’animal vivant n’est qu’un produit qui sert à alimenter les chaînes d’abattage afin d’éviter des trous dans les cadences.
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mercredi, 19 septembre 2012
L'abbé Suger, maître de l'an 3000
Saint Denys dit la messe devant Charles Martel.
Peinture du Maître de Saint-Gilles
Un hommage à Suger par Esther Mar
Lisez l'épitaphe de l'abbé Suger de Saint-Denis, immense homme d'Etat français, lumière du douzième siècle, par le chanoine Simon Chèvre d'Or de Saint-Victor, qui le connaissait et l'aimait :
« Il est tombé l'abbé Suger, la fleur, le diamant, la couronne, la colonne, le drapeau, le bouclier, le casque, le flambeau, le plus haut honneur de l'église ; modèle de justice et de vertu, grave avec piété, pieux avec gravité, magnanime, sage, éloquent, libéral, honnête, toujours présent de corps au jugement des affaires d'autrui, et l'esprit toujours présent pour lui-même. Le roi gouverna par lui les affaires du royaume ; et lui, gouvernant le roi, était comme le roi du roi. Pendant que le roi passa plusieurs années outre mer, Suger tenant la place du roi, présida au soin du royaume. Il réunit deux choses qu'à peine quelque autre à pu réunir ; il fut bon pour les hommes et bon pour Dieu. Il répara les pertes de sa noble église, en embellit le siège et le choeur, et la fit croître en éclat, puissance et serviteurs. Il était petit de corps, petit de race, et atteint ainsi d'une double petitesse, dans sa petitesse il ne voulut pas demeurer petit. Le septième jour, jour de sainte Théophanie, lui a ravi le jour ; mais Théophanie l'a fait monter au jour pur et vrai, auprès de Dieu ».
L'abbé Suger, né en 1080, mort en 1151, fils de Hélinand, homme du peuple, fut remarqué par l'église, cette église à l'époque si active à travers toutes les franges de la société pour sélectionner des enfants qui montraient des aptitudes brillantes et leur donner les clefs de son Institution... En leur donnant les clefs de l’Épouse du Christ elle leur donnait celles des Cours d'Europe.
Artisan de la France moderne, il eut la primeur du sens de l’État et fut un ardent édificateur de l’État français. Sans l'abbé Suger, la France d'aujourd'hui n'existerait pas. Aussi la France n'est-elle pas qu'un accident de l'histoire, comme l'a dit un homme de notre temps au cours des préparatifs de l'élection présidentielle du mois de mai 2012 ; la France, telle qu'elle nous apparaît dans tous ses aspects géographiques, politiques, intellectuels, artistiques, reflète une construction ingénieuse et obstinée de quelques hommes visionnaires et acharnés. Ils eurent parfois fort à faire, ces hérauts, pour diriger peuples et rois dont ils avaient la charge !
L'abbé Suger donna à la lumière un sens et un pouvoir immenses. Il insista pour que les églises soient inondées de lumière.
"Je suis la lumière du monde", dirent un jour le Chemin, la Vérité et la Vie. Suger l'entendit de cette oreille et il offrit aux pierres d'être le réceptacle de cette lumière et de la refléter sur les esprits aveugles, afin qu'ils s'élèvent.
Le tombeau de Suger dormit au fond de son œuvre, la basilique de Saint-Denis, durant de nombreux siècles. La fureur révolutionnaire profana la Basilique, les tombes des rois et celle de celui qui avait tant fait pour le peuple dont il était issu. On pourrait interpréter cette profanation comme le symbole de la mort de l'ancienne France, de ses vertus, de ses grandeurs et de ses inspirateurs. Que nenni, mes amis. Nous nous rendrons compte dans mille ans quel homme a été Suger, quand il brillera de toute sa gloire sur les hommes de l'an 3000 tournés vers lui avec plus d'admiration qu'ils n'en eurent jamais. Car alors ils accompliront, dans sa perfection, le rêve de lumière de l'abbé de Saint-Denis.
Esther Mar, 18 août 2012, pour AlmaSoror s'ils en veulent.
Phot prise sur WP
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lundi, 17 septembre 2012
énième extrait de Jean-Christophe
Voici, encore, un extrait de Jean-Christophe, ce roman de Romain Rolland lu toute l'année par les adeptes du mardi soir, semaine après semaine, dans la pénombre de la pièce du milieu.
Sur la colonne de gauche de ce blog, dans la rubrique "pages", vous pouvez découvrir cette aventure de lecture collective en cliquant sur la page Jean-Christophe.
Quant aux extraits déjà publiés ici, vous les découvrirez en cliquant, dans cette même colonne de gauche, dans sur la catégorie "Jean-Christophe". Ils apparaîtront dans du plus récent au plus ancien.
Oui, il faut toujours cliquer, sur un blog... Le cliquetis des clics nous claque, et pourtant nous continuons à cliquer. Le cyborg clique et si vous lisez ceci en ce moment, c'est qu'il y a du cyborg en vous...
"L'enfant, retenant son souffle, écoutait le conte de fées que lui disait son grand ami. Et Olivier, à son tour, réchauffé par l'attention de son petit auditeur, se laissait prendre à ses propres récits.
Il est, dans la vie, des secondes décisives où, de même que s'allument tout d'un coup dans la nuit d'une grande ville les lumières électriques, s'allume dans l'âme obscure la flamme éternelle. Il suffit d'une étincelle qui jaillisse d'une autre âme et transmette à celle qui attend le feu de Prométhée. Ce soir de printemps, la tranquille parole d'Olivier alluma dans l'esprit que recelait le petit corps difforme, comme une lanterne bossuée, la lumière qui ne s'éteint plus. Aux raisonnements d'Olivier, il ne comprenait rien, à peine les entendait-il. Mais ces légendes, ces images qui étaient pour Olivier de belles fables, des sortes de paraboles, en lui se faisaient chair, devenaient réalité. Le conte de fées s'animait, palpitait autour de lui. Et la vision qu'encadrait la fenêtre de la chambre, les hommes qui passaient dans la rue, les riches et les pauvres, et les hirondelles qui frôlaient les murs, et les chevaux harassés qui traînaient leur fardeau, et les pierres des maisons qui buvaient l'ombre du crépuscule, et le ciel pâlissant où mourait la lumière, - tout ce monde extérieur s'imprima brusquement en lui, comme un baiser. Ce ne fut qu'un éclair. Puis, cela s'éteignit. Il pensa à Rainette, et dit :
- Mais ceux qui vont à la messe, ceux qui croient au bon Dieu, c'est pourtant des toqués.
Olivier sourit :
- Ils croient, dit-il, comme nous. Nous croyons tous à la même chose. Seulement, ils croient moins que nous. Ce sont des gens qui, pour voir la lumière, ont besoin de fermer leurs volets et d'allumer leur lampe. Ils mettent Dieu dans un homme. Nous avons de meilleurs yeux. Mais c'est toujours la même lumière que nous aimons.
Le petit retournait chez lui, par les rues sombres où les becs de gaz n'étaient pas encore allumés. Les paroles d'Olivier bourdonnaient dans sa tête. Il se disait qu'il est tout aussi cruel de se moquer des gens parce qu'ils ont de mauvais yeux que parce qu'ils sont bossus. Et il pensait à Rainette qui avait de jolis yeux ; et il pensait qu'il les avait fait pleurer".
Jean-Christophe, de Romain Rolland
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dimanche, 16 septembre 2012
Ces bêtes qu’on abat : Mon premier marché aux bestiaux
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
Mon premier marché aux bestiaux
Mon premier contrôle de marché aux bestiaux date de 1995. Certes, les événementsse sont déroulés il y a quelques années, et des progrès ont été accomplis sous la contrainte des enquêtes de protection animale diligentées par des associations non gouvernementales ; mais aussi à la suite de la crise de la vache folle. En effet, les bovins blessés, malades et douteux qui transitaient par les marchés, pour être vendus et finalement abattus pour la consommation, ont fini par faire l’objet d’une attention particulière des services sanitaires, parce que ces animaux risquaient de se révélerporteurs de l’Encéphalite Spongiforme Bovine ou de toute autre maladie rendant la viande impropre à la consommation.
Il était 7 heures 45 lorsque je me rendis sur un marché aux bestiaux de Bretagne. Si certains animaux étaient traités convenablement, il y avait par contre beaucoup de brutalité et de coups violents distribués tous azimuts. Aux environs de 9 heures 30, et à plusieurs reprises, j'ai fait appeler la Direction des Services Vétérinaires pour qu’elle intervienne, puis j'ai téléphoné à l’abattoir le plus proche, mais personne n'a répondu. Sur place, on m'a dit que la DSV était déjà passée. J'ai parlé concrètement des problèmes rencontrés au responsable du marché, mais son amabilité n'a pas pu cacher son hostilité. Il souhaitait me voir partir très vite.
Aucun animal ne fut abreuvé en ma présence, il n’y avait pas d'installations prévues à proximité des bêtes. Certains animaux étaient là depuis la veille, sans rien à boire ni à manger, alors même qu’ils avaient pu faire de longs transports avant d’arriver sur le marché. Beaucoup de bovins attendaient plusieurs heures, sous le soleil de l’été, dehors et dans les camions. Bien en retrait du hall où se négociait le prix des bêtes, j’ai vu l’échange d’un veau se faire entre deux camionnettes qui se trouvaient côte à côte. L’animal, qui devait avoir deux ou trois mois, semblait en bonne santé ; il ne portait
apparemment pas de boucle d’identification. Les deux hommes l'ont fait descendre de la camionnette immatriculée en Mayenne en le portant par la tête et la queue, et l'ont fait remonter dans l'autre camionnette immatriculée en Ille-et-Vilaine.
Dans les allées, les marchands en bestiaux faisaient courir les bovins. On a fait courir une vache qui avait vécu à l'attache (dont on apercevait les traces sur sa nuque) et qui avait les mamelles pleines. Une pauvre bête qui n’avait jamais couru de sa vie. Les autres animaux étaient frappés à coups de bâtons quand ils passaient devant les négociants. Deux personnes ont fait courir un veau pas très gros qui, sans rencontrer pourtant aucun obstacle, est tombé par terre. Il fut violemment frappé et reçut des coups de piles électriques sur la partie anale. L'animal se releva et les deux hommes le firent de nouveau courir.
D'autres personnes faisaient entrer un trop grand nombre de bovins dans des enclos sur un quai de déchargement qui ne pouvait tous les contenir. Les animaux restés dans l'allée étaient frappés, alors qu'ils ne savaient où aller et ne pouvaient pas avancer.
Certains camions étaient hauts et très mal équipés pour faire monter les bovins. La plupart des bœufs, sous le hall de présentation, étaient très serrés les uns contre les autres et attachés la tête en bas. Ils ne pouvaient pas se coucher. Une vache avait beaucoup saigné, elle avait certainement mis bas peu de temps avant. Plusieurs bovins d'un même groupe boitaient et gardaient une patte en l'air. Une vache isolée avait un œil crevé, une autre une tumeur. Un veau avait l'oreille entaillée jusqu'à la boucle d’identification.
Un veau en mauvais état était couché dans une camionnette dont deux hommes essayaient de le sortir. Je suis intervenu. Ils m'ont dit qu'il avait de l'arthrite et que tout le monde pouvait en avoir. Ils ont réussi à le sortir, mais le veau se déplaçait très difficilement. Camionnette immatriculée en Ille-et-Vilaine. Un autre jeune veau d'environ trois mois souffrait aussi. Il ne pouvait pas se déplacer et ne se tenait pas sur ses pattes arrière. Un autre avait la peau sur les os.
Les animaux malades ou en piteux état étaient
regroupés au même endroit. On m'a dit qu’il s’agissait de négociants qui les achetaient pour les revendre aux boucheries musulmanes. J'ai vu à plusieurs reprises des négociants faire avancer les animaux à coups de ciseaux. Un négociant avec qui j'ai discuté m'a montré comment il faisait avancer les bêtes avec son couteau pointu. Trois taureaux étaient attachés la tête très près du sol ; l'un saignait de la gueule et un autre présentait des coupures régulières et fraîches sur le dos et sur le côté droit. Il était courant de donner des coups d’aiguillon (sorte de clou dépassant de l’extrémité du bâton) pour déplacer les animaux.
Trois hommes frappaient une vache pour la faire monter dans un camion. Elle avait une plaie ouverte sur la croupe à force de recevoir des coups. J'ai relevé le numéro du camion, mais un des trois hommes, de forte corpulence, m'a demandé ce que j'avais noté. Je lui ai répondu que cela ne le regardait pas, il m'a alors saisi et m’a menacé pour que je lui donne mes notes. Il a crié aux autres que j'avais noté quelque chose. Lorsque j'ai voulu partir, il a été encore plus violent et m'a menacé avec son bâton. Les autres négociants m'ont alors entouré. Je lui ai donné le papier, pour le calmer. Il devint furieux quand il vit le numéro du camion, les autres l'ont retenu et m'ont dit de partir. J'ai été bousculé et l'individu en question m'a porté un coup dans le bas du dos avec son bâton. Cette personne, bien connue des autres négociants, m’a, depuis, de nouveau agressé sur un autre marché de Bretagne.
Lorsque des images de maltraitance d’animaux sur les marchés étaient diffusées à la télévision, les acteurs de la filière viande se défendaient en disant que les images provenaient de l’étranger. Mais si j’avais pu filmer moi-même tout ce dont j’ai été témoin sur les marchés de France, le scandale n’en aurait été que plus grand. Je pense à cette vache, sur un marché de la Manche, si maigre et si incapable de marcher que lorsqu’elle tombait, les négociants la frappaient violemment pour la faire se relever. Ils appelaient ce genre de vaches des tréteaux. Sur un autre marché aux bestiaux, pas moins de cinq cadavres de bovins ce jour-là étaient étendus sur le sol. J’ai fait euthanasier par un vétérinaire une vache qui souffrait, un autre bovin d’une
maigreur extrême agonisait en contrebas d’un quai, et trois autres bovins étaient morts (sur le tas de fumier ou au bord d’un quai). Pour leur défense, les négociants en bestiaux disaient que ce n’étaient pas leur faute si les bêtes avaient atteint cet état, qu’il fallait voir cela avec l’éleveur. Mais, rien ne les obligeait à faire le commerce de bêtes en état de souffrance, sinon l’attrait de quelques billets de plus, que rapportait la transformation des vaches malades et blessées en steak haché.
Le ménage sur ces marchés aux bestiaux a été fait grâce à la crise de la vache folle, mais pas par les autorités compétentes qui avaient peur de mener des opérations de contrôle en raison de tentatives d’intimidation, de pneus crevés sur le parking, etc. Deux techniciens vétérinaires se sont fait boucler dans un bureau, et une vétérinaire fut volontairement enfermée avec un taureau dans un enclos, tout cela sur le même marché… Moi-même, sur un marché où se trouvaient ce jour-là cinq cadavres de bovins, je me suis fait mettre à la porte manu militari par le responsable du marché, qui était également éleveur.
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vendredi, 14 septembre 2012
Pub montréalais
Causerie d'Esther Mar sur une photo montréalaise de Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva
2661, Notre-Dame ouest.
Au Sainte-Cunégonde, Daniel Mazorlet-Martin ne peut lire le livre qu'il a apporté et qui traite de l'histoire du rock'n roll. La lumière est trop tamisée, la musique trop pregnante. Alors il ferme à demi les yeux et sourit en songeant à ce prénom devenu désuet : Cunégonde.
Sainte-Cunégonde est le nom d'une municipalité montréalaise, qu'on appelle encore "Petite Bourgogne".
Cunégonde est un prénom qui place les vies sous le signe de la chasteté. Deux reines, épouses demeurées chastes, portèrent ce nom et furent canonisées par l'Eglise catholique.
Pour préserver votre chasteté, priez Sainte Cunégonde du Luxembourg, reine du X et XI°siècle, ou bien priez Sainte-Cunégonde de Pologne, fille du roi de Hongrie et épouse du roi de Pologne.
Si ces deux Cunégonde ont connu la chasteté sexuelle, n'y a-t-il pas d'autres formes de chasteté ? L'atteinte à l'intimité d'autrui, la divulgation d'informations nocives à quelqu'un, l'épandage verbal incontrôlé, la consommation invétérée de magazines (TV ou papiers) centrés sur les cancans et l'occupation de son corps, sont des atteintes à la chasteté. Ainsi que le questionnement insistant des gens sur leur vie privée, ou encore le calcul méthodique du statut social des gens que l'on rencontre...
Mais aussi ce que Saint Jean de la Croix appelait la "luxure spirituelle" : se vautrer dans une spiritualité syrupeuse pour oublier qu'on est responsable de sa vie.
Une trop grande attention donnée à la chasteté finit même par ressembler à une concupiscence déguisée...Combien de religieux sont obsédés par la virginité avec une insistance répugnante qu'il prennent pour la morale ? Que l'obessions sexuelle se traduise par l'obsession de la virginité ou par l'obsession de la sexualité, elle est toujours la même atteinte à la chasteté.
Saintes Cunégondes, aidez-nous à éviter ces écueils et à parer nos paroles, nos gestes, nos pensées et nos actes d'une chasteté vivifiante qui plane bien au-dessus des questions de moeurs.
Il est venu seul, de cette solitude fascinante que donne la présence d'un livre. Les conversations autour de lui font un brouhaha qui s'emmêle à la musique diffusée par les enceintes et aux bruits des tables, du bar, des pas. Une assiette de pains agrémentés aux légumes du marché atwater. Un verre de Château St-Jean Pinot Noir de Nouvelle-Zélande l'amène peu à peu à oublier les mots durs reçus tout le jour. à quoi Daniel rêvait-il à cinq ans, en s'ennyant à la fenêtre ? A quoi rêvait-il à quinze ans, en errant dans les rues à l'autre bout de la ville ? Il rêvait de Vancouver, de New York, de Paris. Il n'en rêve presque plus, mais il est habité d'atmopshères venues d'ailleurs. Cela ne se voit pas dans ses yeux. Entre deux morceaux de musique, un cliquetis venu de dehors se fait entendre.
Est-ce qu'il pleut dehors, sur les briques et le métal de la rue ?
Esther Mar
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jeudi, 13 septembre 2012
Les amours mortes : Alix, d'air et de feu
Alix, d'air et de feu suivi d'une Note sur l'exhibitionnisme blogal - par E de CL
Je ne t'aimais pas, Alix, car l'amour est humain et nous étions angéliques. J'avais peur de tes yeux, j'avais peur de tes mains, j'avais peur de nos lendemains. J'avais peur d'un passé qui remonte comme une mer sur la côte oubliée. J'avais peur d'un avenir vide et beau, sans sel. Intriguée par le voisin qui composait sa symphonie démesurée sur Gaspard de la nuit, je contemplais trop souvent par la fenêtre sa silhouette maigre penchée sur sa harpe.
Tu partis avant l'aube d'un jour frais de septembre et ma vie depuis passe sans que rien ne se passe.
Jeunesse, traîtresse ! Jeunesse, tu laisses passer les rêves, tu laisses partir les amours, tu ne comptes rien et au bout du compte, tu t'enfuis sans laisser de trace. Alors on compte et recompte les erreurs, les absences, les égarements, et l'on rêve la vie qu'on aurait pu mener. Si seulement...
Alix D-B, ton absence m'encercle.
Note sur l'exhibitionnisme blogal
Si je raconte ici ma vie comme une exhibitionniste de l’âme, sachez que je n'ai pas choisi cette maladie.
Qu'éxibhé-je ? Vous ne connaissez ni mes rêves, ni ma chair, ni mes idées, si j'en ai. Vous ne trouverez sur ces pages, sur ce domaine blogal en perpétuel chantier, pas l'once d'une information sur cette vie que je mène dans ce que d'aucuns osent appeler "la réalité", et qui n'est que le piège dans lequel nous sommes pris. Vous verrez cependant ce qu'on ne devrait jamais montrer, et qui révèle la substance de l'être : l'écriture en suspension.
"Si j’avais su que les rêves sont réels et le monde illusion, j’aurais inversé ma vision de la liberté et celle de la prison. Mais les menteurs amers disent décriant les images qu’elles sont illusoires, et nous entraînent dans leur " réel " qui n’existe que dans leurs sombres couloirs".
Edith Morning
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mardi, 11 septembre 2012
Mariage et patronyme
Peu de citoyens connaissent la loi qui régit leur nom de famille.
Certains croient que la femme DOIT prendre le nom de son mari, quand en fait elle DOIT conserver le sien et PEUT user de celui de son mari ("le mariage n'a pas d'effet sur le nom des époux").
Peu savent que le mari peut tout à fait user du nom de sa femme. Seul l'usage nous donne l'impression que cette prise de nom est unisens.
Le 12 juillet 2011, le député Michel Issindou a posé cette question du nom des époux au Ministre de l'Intérieur.
Le 18, une réponse précisément formulée et instructive est tombée. Voici la question et la réponse, qu'on trouvera à cet endroit sur le site de l'Assemblée nationale.
13ème législature
Question N° : 113910 | de M. Michel Issindou ( Socialiste, radical, citoyen et divers gauche - Isère ) | Question écrite |
Ministère interrogé > Intérieur, outre-mer, collectivités territoriales et immigration | Ministère attributaire > Justice et libertés |
Rubrique > état civil | Tête d'analyse > nom | Analyse > hommes mariés. réglementation |
Question publiée au JO le : 12/07/2011 page : 7540 Réponse publiée au JO le : 18/10/2011 page : 11151 Date de changement d'attribution : 02/08/2011 |
Texte de la questionM. Michel Issindou attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration sur la situation des époux qui souhaitent adopter le nom patronymique de leur épouse à titre de nom d'usage. Dans sa réponse à la question écrite n° 616 en date du 8 janvier 2008, le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique semblait considérer cette pratique comme légale en affirmant qu'en la matière " contrairement à une idée reçue ou une croyance commune, les textes applicables ne distinguent pas les situations en fonction de l'appartenance sexuelle ". En réalité, les intéressés continuent de se heurter au refus de l'administration qui invoque la circulaire du 26 juin 1986 relative à la mise en oeuvre de l'article 43 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1885. Une réforme législative semble dès lors souhaitable afin de mettre fin à ces divergences d'appréciation et d'établir l'égalité des droits entre hommes et femmes dans ce domaine. Il le remercie de bien vouloir lui faire connaître sa position sur ce sujet.
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Texte de la réponseLe nom de chaque citoyen français est celui qui lui a été transmis selon les règles propres à chaque filiation ou attribué par l'autorité publique et qui figure sur son acte de naissance. Le mariage n'a pas d'effet sur le nom des époux ; chacun conservant son nom de famille. Cependant, en insérant à l'article 264 du code civil une disposition selon laquelle « à la suite du divorce, chacun des époux perd l'usage du nom de son conjoint », l'article 16 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce a consacré la possibilité, pour chacun des époux, pendant le mariage, de prendre, à titre d'usage, le nom de son conjoint sans faire de distinction entre l'homme et la femme. Les époux peuvent ainsi adjoindre ou substituer à leur nom de famille celui de leur conjoint dont ils souhaitent faire usage, sans que la circulaire du 26 juin 1986 relative à la mise en oeuvre de l'article 43 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, qui n'est plus applicable sur ce point, ne puisse leur être opposée. Un arrêté modifiant le modèle de livret de famille sera prochainement publié afin de mettre à jour l'annexe II portant sur les renseignements relatifs à l'état civil et au droit de la famille, et de rappeler ces différentes règles.
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lundi, 10 septembre 2012
Calme, calme, calme à Zurich
Un extrait de MARS, de Fritz Zorn, déchirant pamphlet datant des années 1970
"Dans ma maison de la Krongasse, à Zurich, tandis que je prends des notes pour cet essai, on crie par les fenêtres des maisons voisines : Du calme ! La Krongasse est un séjour privilégié de Zurich car la rue est si étroite que c'est à peine si les autos peuvent l'emprunter et quand par hasard il en passe une, elle glisse sans un bruit jusqu'au bas de la rue. C'est aussi un quartier convenable où il n'y a ni bistrots ni bars et où on n'entend jamais, la nuit, les braillements des ivrognes. Mais ce n'est pas encore assez calme pour les gens. Parfois en effet, à midi, de petits enfants jouent dans la rue, ce qui est commode pour eux justement parce qu'il n'y a pas de circulation. Ces enfants crient parfois en jouant et alors les vieilles femmes de la Krongasse se sentent en droit de crier par les fenêtres : « Du calme ! » Pourtat c'est déjà calme ici, mais il faut que ce soit encore plus calme et c'est pourquoi on crie par la fenêtre « Du calme ! ». Le soir, quand quelques jeunes gens chantent des chansons sur la terrasse, on appelle la police car chanter des chansons constitue un tapage nocturne. À Zurich, quand quelqu'un joue de la guitare après midi près d'une fontaine dans la vieille ville, on appelle aussi la police car c'est une violation de la sieste. Chaque heure du jour a son calme particulier et quand ce calme n'est pas respecté et que quelqu'un chante des chansons, alors la police arrive car, pour le bourgeois, le calme n'est pas seulement son premier devoir, c'est aussi son premier droit. Chacun s'abrutit dans le calme de ses quatre murs et lorsqu'il est dérangé dans son abrutissement par un bruit étranger, il se sent lésé dans son droit à s'abrutir et appelle la police".
Extrait de Mars, de Fritz Zorn
Traduit de l'allemand par Gilberte Lambrichs
1977
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dimanche, 09 septembre 2012
Ces bêtes qu’on abat : Un abattoir de porcs
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
Blessure ancienne à la patte d’une truie ne pouvant pas marcher emmenée coûte que coûte à l’abattoir.
Phot Jean-Luc Daub
Un abattoir de porcs
Alors que je visitais, en Bretagne, un abattoir de porcs encadré par une vétérinaire, par une responsable qualité, par le directeur et par un technicien vétérinaire, j’assistai impuissant à un déchargement de cochons ne pouvant pas marcher. Le chauffeur utilisait un fil de fer qu’il sanglait autour d’une patte, puis tirait les cochons en les faisant glisser sur le sol. Cette pratique est interdite. Le technicien vétérinaire m’indiqua qu’il aimerait voir disparaître cette façon de faire, et qu’il allait s’en occuper. Il me confia à l’oreille, alors que les autres personnes étaient devant nous, qu’avant son arrivée la façon de déplacer les cochons ne pouvant pas marcher était encore pire. En effet, pour ceux restés couchés dans les camions, immobilisés par une blessure ou un handicap, les employés et les chauffeurs utilisaient tout simplement un crochet qu’ils passaient par l’anus, déchirant la chair des animaux, et les tiraient ainsi sur le sol. Peut-on imaginer les souffrances endurées par les porcs ? Le jeune technicien vétérinaire avait pu s’opposer à cette pratique et la faire disparaître. Je salue le courage de cette personne, car il n’est pas facile de faire cesser des méthodes anciennes, surtout lorsque l’on agit au nom de la protection animale. D’autant plus qu’à l’époque, on ne bénéficiait pas de la pression des consommateurs concernant les conditions de manipulations et d’abattages des animaux. Se préoccuper de protéger les animaux n’était vu que comme une perturbation de la production et du bon déroulement économique, qui avance tel un rouleau compresseur.
Dans cet abattoir, un porcher s’occupait en permanence des arrivages de cochons. Les camions étaient déchargés sur un quai en passant par de longues cases en béton (2300 places) et étaient répartis en fonction d’un système informatisé que les chauffeurs consultaient. Au déchargement, les porcs étaient douchés, se reposaient pendant deux heures, puis étaient de nouveau douchés avant d’être abattus. Cinq personnes, à l’aide de planches en plastique vert et de Movets (sortes de petites plaquettes montées les unes sur les autres qui font du bruit lorsqu’un employé frappe les porcs), allaient chercher les cochons et chargeaient le Restrainer en flux continu (830 cochons à l’heure). À la sortie, les porcs étourdis automatiquement (700 V) étaient saignés au trocart sur un tapis par cinq personnes en même temps en raison de la cadence élevée des abattages.
Les cochons et les truies estropiés, blessés ou douteux (c’est-à-dire peut-être porteurs d’une maladie), étaient laissés sur le quai. À l’aide d’une brouette (appelée ambulance), ces animaux étaient répartis dans deux endroits différents. La brouette peut être déplacée avec un petit tracteur vers des cases (pourvues d’une pince électrique de modèle Étime mobile) destinées à ceux qui ne peuvent marcher et qui sont susceptibles d’être euthanasiés. L’autre case était proche du poste d’abattage, les porcs et les coches ne pouvant passer dans le Restrainer y étaient rassemblés. Ces animaux ne sont abattus qu’en fin de chaîne. Quelques coches et porcs se trouvaient en attente, certains gisaient sur le flanc, et agonisaient. Au centre du local, un treuil permettait de tirer par une patte les coches pour les sortir des camions. Une pancarte indiquait pourtant qu’il est interdit de les suspendre. Deux pinces Etime mobiles permettent l’étourdissement dans le local avant de les saigner sur la chaîne. Deux contrôles ante mortem, répartis dans la journée, sont effectués par l’inspecteur vétérinaire. L’euthanasie des porcs et des coches saisis sur pied est effectuée par le vétérinaire. Cependant, ils sont mis à mort par électrocution (sans être saignés), en appliquant la pince derrière les oreilles pendant une minute, puis sur le cœur. (La saignée sur le quai n’est pas approuvée par les services vétérinaires.)
En notre présence, le porcher emmena un porc dans la nacelle du tracteur, l’animal se retrouva ensuite coincé sous la brouette, la tête en bas et les pattes de derrière en l’air. On m’a dit qu’il était tombé de la brouette lors de son transfert.
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jeudi, 06 septembre 2012
Hildegarde, abbesse d'antan
Peut-être qu'elle est la femme que j'admire le plus au monde. Elle demeure mystérieuse à mes yeux, à mon esprit. Je n'ai pas assez de connaissance sur sa vie, sur l'époque qui l'a vue vivre, sur son œuvre et je ne peux que tenter d'imaginer son allure, son regard, sa voix.
Elle soignait, elle composait, elle écrivait, elle dominait les choses du Ciel et celles de la Terre, celles de l'Air et celles du Feu.
J'aimerais qu'un ange de l'étrange entre dans ma chambre, par une belle nuit d'été, et me prenne par la main. Sur le boulevard du Montparnasse un cortège de licornes attendrait. Nous monterions sur l'une d'entre elles, un mâle de sept ans. Nous partirions au galop devant de jeunes passants et des clochards médusés, qui mettraient peut-être sur le compte de l'alcool cette vision d'une nuit de pleine lune, et qui écarquilleraient les yeux, dans une détente suprême de la raison, en voyant notre cortège s'envoler puissamment et poursuivre sa cavalcade à travers ciel.
L'Ange et ses licornes m'emporteraient vers elle. Je n'aurais rien à lui offrir, mais elle sourirait, dirait que cela n'est pas grave, que c'est elle qui va m'offrir à boire un élixir, qu'elle voulait de longue date converser avec moi.
Et nous parlerions ainsi, une nuit entière, dans une abbaye du ciel. Les chants des sœurs en prière dans la chapelle nous parviendraient amoindris par le vent.
C'est mon rêve.
Elle m'invite la nuit pour parler de Dieu et des plantes, de musique et d'animaux, des mystères de l'âme et du cœur, des tentatives de vivre et des résurrections. Elle est fascinante comme l'aurore au lendemain du monde.
Elle s'appelle Hildegarde. Elle est de Bingen, et de l'an 1000.
E CL
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mercredi, 05 septembre 2012
Ultime surprise du jour : une taverne québecoise
Merci à Mavra pour cette photo québécoise d'un jour de prime-septembre 2012
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lundi, 03 septembre 2012
Svanhild
Svanhild est l'un des textes du recueil La dame à la louve, de Renée Vivien, que quelqu'un a généreusement mis à la disposition de tous, par ici...
Nous la proposons à la lecture, cette pièce étrange, aérienne, d'une écrivain qui fit sienne la langue française et à qui nous devons beaucoup, car son style a tous les charmes de notre langue, sans jamais en avoir la pensanteur qui lui est propre - car chaque langue à ses sentiers battus, trop battus...
Svanhild
un acte en prose
SCÈNE PREMIÈRE
La scène représente une rive du Nord-Fjord. Dans le fond, des montagnes. Des jeunes filles, en costume de paysannes, forment un groupe mouvant. Elles foulent aux pieds les clochettes bleues, le thym et les gentianes. Immobile sur un rocher, Svanhild regarde au loin.
Thorunn
Que regardes-tu de tes yeux fixes, Svanhild ? Et que viens-tu chaque jour attendre en silence ?
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
Gudrid
Tu sais bien qu’ils ne sont point revenus dans la contrée depuis le jour de ta naissance. Ils s’arrêtèrent et se reposèrent longtemps sur le toit qui t’abritait. Tant que persista la clarté, ils s’attardèrent sur le toit de mousse aux fleurs bleues et dorées, et, au crépuscule, ils s’enfuirent dans un grand battement d’ailes.
Svanhild
Ils reviendront.
Bergthora
Il y a vingt ans qu’ils se sont envolés vers le Nord, et, depuis ce jour, aucune d’entre nous ne les a vus passer.
Svanhild
Je sais qu’ils reviendront.
Bergthora
Pourquoi restes-tu debout sur le rocher, immobile et contemplative pendant des journées entières ?
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
Des chants de fête s’élèvent. Des barques passent sur le fjord, chargées de femmes aux costumes étincelants.
Des paysannes, chantant
- Ne t’approche point du glacier,
- Car le froid brûle comme la flamme.
- Ne t’approche point de la neige,
- Car la neige aveugle comme le soleil.
- S’éloignant.
- Ne demeure point longtemps sur les sommets,
- Car l’azur entraîne comme le vertige.
- Hildigunn
Entends ces musiques lointaines. Les barques glissent sur le fjord avec un bercement tranquille. Les paysannes rament en chantant : elles sont heureuses.
Svanhild
Leur bonheur serait pour moi la pire angoisse, et mon bonheur serait pour elles le plus morne supplice.
Gudrid
N’aimes-tu donc rien sur la terre ?
Svanhild
J’aime la blancheur.
Thorunn
Quel don espères-tu de la vie dans son printemps ?
Svanhild
La blancheur.
Ermentrude
Si le destin exauce miraculeusement ton espoir, si les cygnes sauvages reviennent, que feras-tu ?
Svanhild
Je les suivrai.
Bergthora
Jusqu’où les suivras-tu ?
Svanhild
Jusqu’aux limites du couchant.
Hildigunn
Quel est le but de ton rêve ?
Svanhild
SCÈNE II
Une Passante entre, les mains pleines de fleurs, tête nue, les cheveux mêlés de thym et de brins d’herbe.
La passante
Les routes sont magnifiquement larges. Je suis ivre de la poussière du chemin. J’ai dormi sur la bruyère, et, à travers mon rêve, j’aspirais le parfum des cimes. Les baies rouges et violettes ont apaisé ma faim, et la neige fondue m’a désaltérée. J’ai cueilli les roses des montagnes. J’ai dansé, nue dans le soleil. Existe-t-il sous l’azur du printemps quelque chose de plus beau que les lézards des rochers, les chardons bleus et mauves, l’étincellement entrevu des poissons et les nuances du soir ?
Svanhild
Il est quelque chose de plus beau.
La passante
Que peut-il exister de plus beau sur la terre ?
Svanhild
Les nuages, la neige, la fumée, l’écume.
La passante
Ne veux-tu point suivre, à mes côtés, la route libre comme l’horizon et vaste comme l’aurore ?
Svanhild
Non.
La passante
Svanhild
J’attends le retour des cygnes sauvages.
La passante s’enfuit joyeusement.
SCÈNE III
Le soleil baisse. Le couchant illumine le ciel.
Le soir est gris et pâle.
Bergthora
Voici le soir. Combien les montagnes sont mystérieuses !
Gudrid
Que le silence est étrange !
Hildigunn
Svanhild, à elle-même
Attendre… comme moi.
Thorunn
La Mort guette les égarés qui s’attardent dans les montagnes.
Asgerd
Les chemins sont périlleux lorsque la brume tombe des sommets.
Svanhild, dans un grand cri
Les cygnes ! les cygnes ! les cygnes !
Toutes, les regards vers le lointain
Nous ne voyons rien.
Svanhild
Le vent du Nord souffle dans leurs ailes… Ils ont franchi la mer, car l’écume argente leur plumage. Ils vont vers le large. Leurs ailes sont déployées et frémissantes comme des voiles… Entendez-vous le battement magnanime de leurs ailes ?
Toutes
Nous ne voyons que les blancs nuages qui passent au-dessus du fjord.
Svanhild
Ils sont plus beaux que les nuages. Ils vont vers les lumières boréales. Ils sont plus beaux que la neige. Comme leur vol est puissant et sonore ! Les entendez-vous passer ?
Toutes
Nous n’entendons que la brise du soir sur les fjords.
Svanhild
Je les suivrai ! Je les suivrai jusqu’aux limites du couchant !
Asgerd
Svanhild ! Les chemins sont périlleux, lorsque la brume tombe des sommets.
Thorunn
La Mort guette les égarés qui s’attardent sur les montagnes.
Gudrid
Songe aux brouillards qui voilent les abîmes.
Svanhild
Ô blancheur !
Elle s’enfuit au fond de la brume.
Asgerd
Elle se perdra dans le crépuscule.
Gudrid
Elle périra dans la nuit. Svanhild !
Toutes, appelant
Svanhild !
L’écho
Svanhild !
On entend un grand cri répercuté par l’écho.
Gudrid, avec angoisse
L’abîme…
Renée Vivien
11 juin 1877 - 18 novembre 1909
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