Ces bêtes qu’on abat : La fin des coches à l’abattoir (dimanche, 07 octobre 2012)
C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...
C'est la saga interdite aux profanes.
AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.
Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.
Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.
Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :
Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.
La fin des coches à l’abattoir
Dans les abattoirs, je pouvais voir des coches regroupées dans des cases d’accueil, présentant des abcès, des escarres, des cachexies, des tétraplégies, des boiteries, des prolapsus1, retournement de matrice… Bref, des animaux en souffrance qui auraient dû faire l’objet de soins vétérinaires, voire d’une euthanasie en élevage. Mais selon les dires d’un éleveur, les soins vétérinaires reviennent plus chers que le prix de l’animal lui-même. Le calcul est donc vite fait. Il arrivait souvent qu’un éleveur envoie à l’abattoir une coche douteuse, tout en sachant qu’elle ferait l’objet d’une saisie, mais cela permet de s’en débarrasser : l’abattoir s’occupe de la mise à l’équarrissage si une euthanasie est faite.
Traces de blessures sur tout le corps de cette pauvre truie qui ne peut pas marcher.
Phot Jean-Luc Daub
En 1997, j’avais déjà soulevé le problème de la prise en charge des coches blessées. Dans un abattoir des Pays de la Loire, un vétérinaire souhaitait mener des actions conjointes avec l’association pour laquelle je travaillais. Mais les dirigeants de l’association n’ont jamais donné suite à la demande du vétérinaire soucieux d’enrayer la maltraitance que subissaient les coches. Le dossier était trop lourd, et puis nous aurions dérangé le Ministère de l’Agriculture, les services vétérinaires et les professionnels de la filière porcine. Le Ministère de l’agriculture, la Direction Générale de l’Alimentation plus précisément, qui avait été informée de ce dossier à la suite de mes enquêtes, n’avait pas donné suite, ni en 1997, ni en 1998, ni en 2001, ni en 2002 et ni en 2003. Pourtant, c’était un gros problème que bien des responsables d’abattoir auraient aimé voir résolu par une action radicale de la part du ministère.
L'origine du problème, outre les conditions d’élevage, vient du fait que rien n'est prévu en élevage industriel quand une coche se démarque du lot en ne pouvant plus se tenir debout ou en étant blessée. On ne fait toujours pas venir un vétérinaire. Une inertie de la part des éleveurs est constatée. « On ne fait pas appel au vétérinaire. Trop cher ! On tente parfois de soigner soi-même, et il pouvait y avoir trente à soixante injections sur le même animal », me disait le vétérinaire inspecteur, écœuré des pratiques et du laxisme. La pratique voulait que l’éleveur tente de soigner lui-même la truie malade ou blessée en jouant aux apprentis sorciers. En cas d’échec, il laissait l’état de l’animal se dégrader jusqu’à l’agonie lente pour le faire partir avec un lot. Il faut également savoir qu'aucun contrôle des services vétérinaires n'est prévu dans les élevages intensifs en matière de protection animale. Seules des visites sur les installations classées sont effectuées. « On nous demande de ne pas intervenir, il y a des pressions », m'indiquait le vétérinaire.
Les responsables d’abattoirs se seraient bien passés de ces animaux qui souillent les chaînes d’abattage, me confia l’un d’entre eux. Les transporteurs ont beaucoup de mal à charger ces coches qu’ils vont chercher dans les élevages durant la nuit. Elles peuvent peser jusqu’à 250 kilos, voire 300 kilos. Il faut s’imaginer que si l’une d’entre d’elles s’écroule sur le lieu d’élevage dans sa misérable cage métallique, c’est parce qu’elle est arrivée au bout de ce qu’elle pouvait supporter, parce qu’elle n’en peut plus d’être sans cesse inséminée artificiellement et sans cesse, qu’elle devient encombrante et ne répond plus à une prise en charge classique. Tout est mis en œuvre pour, coûte que coûte, charger dans le camion cette coche incapable de marcher. Un chauffeur se plaignait d'être seul pour charger les bêtes. Il commençait sa tournée à une heure du matin. Lorsque des coches blessées étaient mises en évidence afin d’être chargées, il faisait face à d'énormes difficultés pour les emmener. Soit elles étaient chargées à l'aide d'un treuil, soit elles étaient tirées par les oreilles ou par les pattes. Son patron lui demandait de ne pas les emmener, mais les éleveurs insistaient. Cette pression est toujours d’actualité, puisque dans le dernier abattoir de coches que j’ai visité, le directeur m’a dit que les éleveurs obligent les transporteurs à prendre celles qui sont pourtant déclarées inaptes au transport en raison de leur état de santé. De même, le directeur d’un abattoir de coches que j’ai visité récemment m’avoua qu’il était bien obligé de prendre des bêtes qui ne devraient pas arriver en abattoir, sans quoi, ses clients (éleveurs ou groupements d’éleveurs) allaient voir la concurrence, souvent vers des abattoirs plus complaisants. De plus, une baisse des approvisionnements en coches est actuellement importante, car de nouveaux acheteurs comme l’Espagne, l’Allemagne, la Belgique sont plus offrants, et moins regardant dans leurs abattoirs sur la législation européenne à appliquer. C’est encore ces pauvres coches qui en font les frais. Imaginez ces bêtes qu’on a enfermées dans des cages en fer, qui n’ont jamais marché, ni fait d’exercice fortifiant leurs muscles, et qui doivent se tenir en équilibre dans les camions qui partent de Bretagne vers les pays que j’ai énumérés ! Là encore, bien qu’il soit humain de comprendre le souci financier des éleveurs, pensent-ils seulement à ce qu’ils font subir à leurs animaux ?
L’arrêté du 5 novembre 1996, modifié par l’arrêté du 24 novembre 1999 relatif à la protection des animaux en cours de transport précise : Art 2 – sont considérés comme inaptes au voyage : les animaux malades ou blessés. Cette disposition ne s’applique ni aux animaux légèrement malades ou blessés dont le transport ne serait pas cause de souffrances…
Le décret n° 99-961 du 24 novembre 1999 modifiant le décret n° 95-1285 du 13 décembre 1995 relatif à la protection des animaux en cours de transport stipule qu’il est interdit à tout transporteur ainsi qu’à tout propriétaire, expéditeur, commissionnaire, mandataire, destinataire ou tout autre donneur d’ordre d’effectuer ou de faire effectuer un transport d’animaux vivants si les animaux sont malades ou blessés, ou sont inaptes au déplacement envisagé ou s’il s’agit de femelles sur le point de mettre bas, sauf dans le cas de transports à des sanitaires ou d’abattage d’urgence.
La réglementation européenne (n°1/2005 CE) protégeant les animaux lors des transports renforce ces dispositions en précisant la notion d'aptitude au transport. Sont notamment considérés inaptes au transport : « les animaux incapables de bouger par eux-mêmes sans souffrir ou de se déplacer sans assistance et les animaux présentant une blessure ouverte grave ou un prolapsus ». Avec ces réglementations, il ne devrait pas y avoir de problème. Mais tel n’est pas le cas.
Dans l’abattoir où travaillait le vétérinaire dont j’ai rapporté les propos, les abattages des porcs et des coches n'avaient lieu que le matin. Or, les camions déchargeaient toute la journée des animaux. Ce qui faisait que toutes les coches en mauvais état, à partir de midi, devaient attendre le lendemain matin avant d'être abattues. Elles étaient déchargées dans une case à part et sans possibilité d’être abreuvées. Certaines agonisaient avant leur abattage, d’autres mouraient tout simplement des suites de leurs blessures. Le vétérinaire n’osait pas euthanasier celles qui étaient mourantes, parce qu’il fallait faire ensuite face au mécontentement de l’éleveur à qui il devait justifier son acte. Sa compétence était souvent remise en cause par certains éleveurs qui voulaient tirer quelque argent des bêtes accidentées ou malades.
Dans cet abattoir de Mayenne, j’avais pu assister au déchargement de plusieurs camions. Dès le matin, le chauffeur d’un groupement avait déchargé une coche blessée qui présentait des hématomes, des escarres et un abcès volumineux survenu à la suite d’une fracture ancienne à la patte arrière. Elle était dans un état de maigreur extrême : elle avait été laissée sans soins et sans nourriture plusieurs semaines, selon le vétérinaire. On la descendit du camion en la traînant sur le sol, tirée par une patte au bout d’un câble métallique. Le sol agissait comme une râpe qui lui arrachait la peau. La pratique était courante et ne choquait personne. La coche fut euthanasiée sur place à l’initiative du vétérinaire qui avait effectué une saisie de l’animal, mais sans dresser de procès-verbal pour avoir laissé une truie dans un tel état, pour avoir transporté un animal déclaré inapte au transport et pour l’avoir déchargé au treuil. L’ensemble des faits était pourtant sujets à sanction par procès-verbaux, mais la pression et les menaces étant une chose réelle, le risque de faire perdre le client à l’abattoir aussi, ces paramètres n’étaient pas négligés par les services vétérinaires. Il m’a été dit par un vétérinaire inspecteur : « Si je dressais des procès-verbaux, je ne ferais plus que cela ! ». S’ensuivit le déchargement d’une autre coche présentant un renversement de rectum qui avait été réduit, coupé et pincé. Une autre avait une paralysie arrière. Un petit cochon avait une queue nécrosée qui était tombée (blessure ancienne). Une autre coche boitait de façon prononcée. Une autre présentait des abcès multiples, des traces profondes de la ceinture d'attache qui la fixait au sol sur son lieu d'élevage et des traces d'injection importantes. Trois coches furent amenées ensemble par un transporteur, aucune ne pouvait marcher, elles étaient dans un état critique. Elles furent déchargées à l'aide du treuil. Le chauffeur attacha les coches par une patte arrière et les tira en dehors du camion en les suspendant l’une après l'autre de façon à ce qu’elles ne touchent plus le sol en les poussant, comme si elles n’étaient déjà plus que des carcasses de viande, vers la case de stockage. Par deux fois, le chauffeur déposa les coches sur un petit cochon noir souffrant et couché. Celui-ci, ne pouvant se dégager, hurlait de toutes ses forces et faillit mourir étouffé. J’ai dit au vétérinaire : « Faites quelque chose ! », et ce n’est que sur mon intervention que le petit cochon noir fut libéré. Le cochon agonisait, il resta ainsi jusqu'au lendemain matin, parce que les abattages étaient terminés ce jour-là. Malgré son état, il ne fut pas immédiatement abattu, ni aucune des coches blessées et souffrantes.
Les services vétérinaires avaient été informés par courrier des constatations effectuées sur des coches, dont certaines étaient accompagnées d’un relevé d'identité. Mais le vétérinaire m’indiqua que la Direction des Services Vétérinaires concernée suivrait, ou non, l’affaire. Ici, elle ne donna pas suite.
Des courriers ont été envoyés aux éleveurs, producteurs de porcs et groupements, à la suite des constatations et des saisies sur patte, rappelant la législation en matière de protection animale. Mais aucun changement réel ne survint. L’abattoir n’a pas intérêt à être trop strict, sans quoi les clients vont ailleurs, vers d’autres abattoirs qui ferment les yeux, m’indiqua-t-il.
Le vétérinaire de l’abattoir avait également constaté un manque de soins dû à une malnutrition volontaire sur les lots de porcelets réformés pour raison de surproduction. Il avait noté que certains étaient en très mauvais état. Il n’était pas question pour un éleveur de nourrir convenablement des porcelets, victimes de surproduction, qui finissaient à l’abattoir accompagnés d’une prime à l’abattage volontaire pour réguler le marché. Les éleveurs industriels et intensifs ne sont pas seuls coupables ; nous, les consommateurs, le sommes aussi, car pour l’équilibre de l’économie de la production porcine, il faudrait que l’on mange du porc matin, midi, et soir ! Le vétérinaire me disait que sur certains lots, les trois quarts étaient parfois saisis. Sur un des lots concernés, trente-six porcelets avaient été saisis le même jour.
L'absence de contrôle en amont dans les élevages, en matière de protection animale, et le devenir des coches malades ou blessées étaient déjà préoccupants il y a plusieurs années, mais rien n’a été fait par les instances responsables. Le vétérinaire inspecteur chargé de cet abattoir a fini par démissionner tant il lui était difficile de supporter d’être seul à agir. Il souhaitait établir une ligne d'action commune avec les Directions des Services Vétérinaires et l’association, au niveau des groupements, des élevages et des collectes afin qu'on ne retrouve plus de coches en état de misère physiologique dans les abattoirs. Le vétérinaire resta seul à se préoccuper du sort des coches de réforme. « Il y a trop de pression », me disait-il, son entourage et sa hiérarchie ne le suivaient pas. Il était même considéré comme la « bête noire », car il décelait aussi des problèmes sanitaires au niveau des viandes.
Concernant les coches réformées et blessées, le directeur de l’abattoir m’avait dit « qu'elles étaient bien mieux agonisantes à l’abattoir à attendre d'être abattues le lendemain, qu'agonisantes dans les élevages sans soins », prétextant qu'elles étaient ici au calme et au repos ! (…et sans une goutte d’eau à boire !).
Bien que les abattoirs reçoivent encore des coches blessées et que les conditions de chargement en élevage et de déchargement en abattoir soient à revoir, la situation s’est un peu améliorée pour les coches gravement malades. En effet, depuis la crise de la vache folle, les professionnels ont dû faire attention à l’état des animaux entrant dans les abattoirs. Si cette vigilance partielle des autorités compétentes (puisqu’il y encore des problèmes et des difficultés à dresser des procès-verbaux) a été mise en place, ce n’est pas par pitié pour ces pauvres bêtes ou à cause d’une prise de conscience des éleveurs porcins en intensif, mais parce que la crise de la vache folle a montré, et j’avais pu le constater dans les abattoirs, que des bêtes douteuses ou dites « à risque » passaient sur les chaînes d’abattage et se retrouvaient dans le circuit alimentaire. Toutefois, cela permit de faire baisser le nombre de coches « douteuses » arrivant en piteux état. Du moins, les services vétérinaires sont dorénavant contraints (pour des raisons liées à des risques d’hygiène alimentaire) de saisir les coches en trop mauvais état. Ils sont alors passés à des contrôles plus vigilants, qu’ils auraient pu faire auparavant pour des raisons de protection animale. De plus, les animaux malades sont maintenant théoriquement interdits d’abattoir. Ils doivent en principe être euthanasiés sur le lieu de l’élevage. C’est la crise de l’Encéphalite Spongiforme Bovine qui a impulsé ce changement de comportement. Mais le problème des coches ne pouvant se déplacer par elles-mêmes reste entier étant donné que les conditions d’élevage n’ont pas changé. Une inspectrice vétérinaire travaillant en abattoir m’a récemment confié qu’il y avait moins de coches en piteux état et que, dans le cas échéant, elles faisaient l’objet d’une saisie. En revanche, elle ajouta que celles qui étaient blessées n’arrivaient pas avec un certificat vétérinaire, alors que c’est obligatoire. Les coches « abîmées » peuvent être acceptées, mais l’éleveur doit justifier l’état de l’animal. Elle avoue qu’il n’est pas aisé de faire la différence entre « blessé et abîmé » et que, de ce fait, la situation n’était pas encore parfaite. On peut se demander ce que deviennent les coches malades si elles n’ont plus accès aux abattoirs. D’après la vétérinaire, il faut qu’elles soient soignées ou euthanasiées sur le lieu de l’élevage. Mais qui vérifie l’état de ces animaux, si les éleveurs ne font pas appel aux vétérinaires ? Il m’a été rapporté qu’une des pratiques à laquelle les éleveurs recourent pour tuer une coche qui ne sera pas admise à l’abattoir, au risque d’un procès-verbal, consiste à injecter du vermifuge dans les poumons et de la laisser mourir.
Pour nuancer un peu ce tableau très sombre, il y avait des abattoirs où l’on se préoccupait du bien-être animal. Ils ont en effet anticipé la demande actuelle du consommateur qui souhaite que le bien-être animal soit respecté tout au long du parcours, ce qui ne sera jamais effectif, tant que des cochons seront élevés dans des élevages intensifs qui pullulent, en Bretagne par exemple. Un abattoir m’avait particulièrement surpris, puisque des installations avaient été aménagées pour améliorer le confort des coches qui ne pouvaient plus se mouvoir. Il s’agissait, d'une berce, sorte de plateau suspendu sur un rail, qui permettait de faire basculer du camion des animaux blessés et de les transporter dans le box d’attente. On pouvait les déplacer sans les faire souffrir. Cependant, je n’en avais pas vu l’utilisation. Seules des pinces électriques avaient été installées dans le box afin d’étourdir les coches sur place, au lieu de les tirer coûte que coûte vers le poste d’abattage pour les faire passer sur la chaîne. Ainsi, les manipulations semblaient largement limitées. De plus, un service de ramassage spécial avait été mis en place par la coopérative de l’abattoir. Il fonctionnait sur simple appel téléphonique, ce qui permettait de ne plus laisser les coches blessées attendre dans les élevages. De tels aménagements sont à encourager, mais le mieux serait que les éleveurs fassent intervenir un vétérinaire sur le lieu d’élevage (comme l’exige la loi), afin qu’il effectue des soins ou qu’il euthanasie l’animal malade ou blessé. Il serait également préférable, en abattoir, de tuer dans le camion les coches qui ne peuvent se déplacer. Il faut espérer une réaction ferme pour responsabiliser les différents acteurs de cette filière afin que ce problème soit réglé une fois pour toutes.
Entre la fin de 2007 et le début de 2008, lors d’enquêtes faites par une association de protection animale auxquelles j’ai participé, nous avons encore constaté des problèmes concernant la prise en charge des « mal à pied » et des coches en question. Nous avons pu obtenir des résultats au cas par cas, les responsables étant soucieux d’apporter une action corrective, et peut-être de ne pas passer au journal de 20h, connaissant le pouvoir médiatique mais aussi toute la compétence et le sérieux de cette association.
Pour l’un des abattoirs visités en 2008, nous avons rendu compte le déchargement critique d’un porc charcutier qui ne pouvait pas marcher. Il a été soulevé par une patte avant, au bout d’un treuil, à plusieurs mètres de hauteur. Il a été sorti d’une case pour être mis dans un chariot et dirigé vers le poste d’abattage. Façon de faire assez courante, mais interdite malgré la présence des services vétérinaires. Nous avons par la suite contacté l’abattoir par courrier ce qui a permis d’obtenir un rendez-vous, puis une action corrective.
Dans d’autres abattoirs, nous avons vu des coches en piteux état qui n’auraient même pas, selon la réglementation, dû être transportées jusqu’à l’abattoir. Lors de deux contrôles effectués de nuit, nous avons pu voir que des coches incapables de marcher, couchées sur le flanc sur le bord du quai, étaient laissées toute la nuit en situation de souffrance. Elles avaient été déchargées au treuil, l’une d’entre elles avait encore la chaîne autour de la patte. Elles auraient pu arriver pour un abattage d’urgence, avec un certificat vétérinaire d’information, mais ce n’était pas le cas (selon les informations que nous avons obtenues). L’inspecteur vétérinaire ne dresse que six à sept procès-verbaux par an ! Là encore nous avons obtenu un rendez-vous avec la direction, qui nous a pris très au sérieux. Des mesures concrètes ont été prises comme l’interdiction de décharger la nuit, l’interdiction d’utiliser le treuil, alors même qu’un panneau était déjà en place de longue date pour rappeler au chauffeur l’obligation de faire appel à un employé spécialisé au cas où une truie serait couchée dans le camion sans pouvoir se relever. Elle serait alors euthanasiée dans le camion. Cependant, l’animal est euthanasié avec la pince électrique qui sert normalement à étourdir les animaux par un choc électrique. Mais beaucoup d’abattoirs, avec l’aval des services vétérinaires, utilisent la pince électrique pour tuer les coches ou les porcs en mauvais état. Pour moi ce n’est pas vraiment bien, car cela équivaut à une mise à mort par électrocution. Une injection intraveineuse pourrait être faite avec le produit T61, mais il est vrai qu’il est difficile de trouver une veine sur les pattes des porcs.
Dans tous les cas, lorsqu’une coche en mauvais état, déclarée inapte au transport, arrive à l’abattoir, elle devrait systématiquement faire l’objet d’un procès-verbal que sont habilités à dresser les services vétérinaires de l’abattoir, et cela contre le transporteur et l’éleveur. Mais, ce n’est que très rarement fait. On prend en considération les difficultés économiques que subissent les éleveurs de porcs intensifs, c’est humain. Mais prend-on en considération la souffrance des animaux provenant de ce genre d’élevage ? Cependant, dans un des abattoirs que j’ai visités, j’ai pu constater un renforcement des actions des services vétérinaires. De nombreuses coches étaient systématiquement saisies et euthanasiées. Des courriers étaient envoyés aux éleveurs, mais hélas, la réticence à dresser les procès-verbaux demeure. En ma présence, alors que le vétérinaire ne savait pas encore que nous étions là, il a effectué une saisie totale (sur pied) d’un verrat paralysé de l’arrière-train. Mais l’animal ne fit l’objet d’aucun procès-verbal alors qu’il était inapte au transport : il ne pouvait pas se déplacer par lui-même. Dans un autre abattoir, une coche blessée qui gisait sur le sol a été étourdie dans la case de stockage, puis dirigée vers le poste de saignée. Elle n’a pas fait l’objet d’un PV, alors que son état de détresse physiologique le justifiait.
L’amélioration, pour certains abattoirs, porte sur le fait que les animaux sont maintenant étourdis ou tués dans les camions ou dans les cases de stockage, au lieu d’être tirés coûte que coûte vers le poste d’abattage comme cela se faisait auparavant (en les traînant par les oreilles, au bout d’un câble métallique actionné par un treuil, ou à l’aide d’une barre à mine, comme je l’ai vu faire dans un abattoir de Mayenne).
Le problème reste entier, car si certains abattoirs ont fait des efforts en n’acceptant plus les animaux malades ou trop blessés, que deviennent-ils sur le lieu d’élevage ? Il n’est pas fait appel à un vétérinaire et l’éleveur n’a pas le droit de les tuer lui-même. Dans ce cas, que deviennent les coches en mauvais état ? Sont-elles vouées à une mort lente ? Il reste que si certains abattoirs étourdissent dans le camion ou pratiquent l’euthanasie avant le déchargement, cela doit se faire en présence des vétérinaires. Or ces derniers ne sont pas tout le temps présents, notamment la nuit. Les chauffeurs déchargent donc quand même les coches ne pouvant se déplacer. Ce n’est que le lendemain que le vétérinaire inspecte les animaux déchargés en son absence, et qu’il prend une décision. Le sort des coches blessées et malades n’est pas encore satisfaisant, bien que les services vétérinaires en abattoirs soient plus sévères, et il était temps. Le règlement européen (CE n°1/2005) qui a vu le jour en 2005, et qui est applicable au 1er janvier 2007, concernant la protection animale en cours de transport, est un nouvel outil juridique qui devrait permettre de donner plus de poids à l’action des services vétérinaires. Mais le problème des coches mal à pied ne sera réglé que lorsque le mode d’élevage intensif et concentrationnaire sera banni.
Pour clore ce chapitre, je voudrais vous dire combien les coches ne sont prises par les éleveurs en intensif que pour des machines à produire des porcelets qui alimentent les centres d’engraissement en porcs charcutiers. Dans un abattoir de la région Rhône-Alpes, un lot de coches se trouvait dans des cases d’attente avant abattage. J’effectuais en dernier la visite de la porcherie et de la bouverie, car il faut circuler pour des raisons d’hygiène, de la partie propre (post abattage) vers la partie sale (ante abattage). J’ai assisté à l’une des choses les plus marquantes qui soient : c’est la mise bas en abattoir, j’en ai déjà parlé précédemment. Une des coches a mis bas des porcelets dans la case, alors qu’elle se trouvait coincée par le peu de place qu’il y avait et que pouvait lui laisser les autres. La pauvre bête n’a pu faire autrement que de faire naître ces petits au milieu des autres coches, sans pouvoir s’isoler.
Le vétérinaire inspecteur m’indiqua qu’il allait euthanasier les petits, nés pour mourir ! Sur mon insistance, il m’assura qu’il allait envoyer un courrier à l’éleveur en me laissant croire que ce dernier n’y était pour rien. Ce n’est pas si sûr. Savez-vous qu’il est fréquent que des coches qui sont éventrées pour en sortir les viscères laissent parfois découvrir qu’elles sont porteuses de porcelets. Pourquoi ? Parce que les éleveurs inséminent plus de coches qu’ils n’auront ensuite de place pour les mettre en maternité (dans des stalles en fer). Ils font cela pour être certains de ne pas avoir un problème de rotation et un manque à gagner lié aux places vacantes. Tant pis, de ce fait, si elles portent toutes des petits. Celles qui sont gravides et en trop partiront à l’abattoir lorsqu’un lot de coches réformées y sera envoyé.
Une coche est réformée au bout de trois années de mise bas. La gestation dure trois mois, trois semaines et trois jours. La portée est en moyenne de 28 porcelets en intensif, contre 13 à 18 en bio. Le sevrage est de 21 à 28 jours, mais plus souvent 21 jours contre 6 semaines en bio. La fréquence des portées est de 2,5 par an. En bâtiment intensif, il y a au moins 20 % de perte, et très peu en plein air ou bio. En plein air, si une truie écrase un porcelet en se couchant, elle l’entend hurler et se relève aussitôt. En bâtiment intensif, la cage est si étroite, et les truies si faibles qu’elles ne peuvent pas se relever. En intensif, on mélange directement à l’aliment des facteurs de croissance. On leur donnait aussi de la farine animale jusqu’à l’interdiction de cet aliment. En bio, la farine animale était naturellement interdite, l’apport en protéine de soja étant un aliment riche. La castration des porcelets ne peut se faire après 8 jours, c’est une obligation légale. Mais en Bretagne, j’ai surpris un éleveur qui le faisait sur des porcelets de plus de trois semaines, bien entendu il avait un casque sur les oreilles pour ne pas s’abîmer ses tympans à cause des cris de douleur des porcelets. J’avais pu l’observer avant de me présenter à lui. Pas de « mal à pied » en plein air ou en bio, on ne retrouve pas non plus de coches en piteux état ne pouvant plus se mouvoir. En une année, un éleveur bio me disait qu’il n’avait pas vu un seul cas d’abcès à une patte parmi toutes ses truies. Les inséminations se faisaient naturellement par un verrat.
Et comme si le sort s’acharnait contre ces animaux de reproduction, un directeur d’abattoir me disait qu’actuellement les éleveurs économisent l’aliment. Vu l’augmentation des denrées destinées aux animaux, les coches sont sous-alimentées. Avant, lorsqu’elles faisaient l’objet d’une orientation vers l’abattoir, en passe d’être réformées, les éleveurs respectaient une période de « retape » en les alimentant davantage pour leur faire prendre du poids. Le directeur reconnaît qu’elles sont plus maigres qu’avant, j’ai pu le constater : les os de la colonne vertébrale étaient saillants sur certaines d’entre elles. La restriction sur l’aliment semble se généraliser.
Sachez enfin que les coches sont destinées à faire de la saucisse, du salami, du pâté…
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