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mardi, 11 septembre 2012

Mariage et patronyme

Michel Issindou, Assemblée nationale, nom des époux, nom du conjoint, patronyme, questions à l'Assemblée nationale, Ministère de l'intérieur, outre-mer, collectivités territoriales, immigration, état civil, hommes mariés, reglementation, Journal Officiel, JO

Peu de citoyens connaissent la loi qui régit leur nom de famille.

Certains croient que la femme DOIT prendre le nom de son mari, quand en fait elle DOIT conserver le sien et PEUT user de celui de son mari ("le mariage n'a pas d'effet sur le nom des époux").

Peu savent que le mari peut tout à fait user du nom de sa femme. Seul l'usage nous donne l'impression que cette prise de nom est unisens.

Le 12 juillet 2011, le député Michel Issindou a posé cette question du nom des époux au Ministre de l'Intérieur.

Le 18, une réponse précisément formulée et instructive est tombée. Voici la question et la réponse, qu'on trouvera à cet endroit sur le site de l'Assemblée nationale.


13ème législature

Question N° : 113910 de M. Michel Issindou ( Socialiste, radical, citoyen et divers gauche - Isère ) Question écrite
Ministère interrogé > Intérieur, outre-mer, collectivités territoriales et immigration Ministère attributaire > Justice et libertés
Rubrique > état civil Tête d'analyse > nom Analyse > hommes mariés. réglementation
Question publiée au JO le : 12/07/2011 page : 7540
Réponse publiée au JO le : 18/10/2011 page : 11151
Date de changement d'attribution : 02/08/2011

Texte de la question

M. Michel Issindou attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration sur la situation des époux qui souhaitent adopter le nom patronymique de leur épouse à titre de nom d'usage. Dans sa réponse à la question écrite n° 616 en date du 8 janvier 2008, le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique semblait considérer cette pratique comme légale en affirmant qu'en la matière " contrairement à une idée reçue ou une croyance commune, les textes applicables ne distinguent pas les situations en fonction de l'appartenance sexuelle ". En réalité, les intéressés continuent de se heurter au refus de l'administration qui invoque la circulaire du 26 juin 1986 relative à la mise en oeuvre de l'article 43 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1885. Une réforme législative semble dès lors souhaitable afin de mettre fin à ces divergences d'appréciation et d'établir l'égalité des droits entre hommes et femmes dans ce domaine. Il le remercie de bien vouloir lui faire connaître sa position sur ce sujet.

Texte de la réponse

Le nom de chaque citoyen français est celui qui lui a été transmis selon les règles propres à chaque filiation ou attribué par l'autorité publique et qui figure sur son acte de naissance. Le mariage n'a pas d'effet sur le nom des époux ; chacun conservant son nom de famille. Cependant, en insérant à l'article 264 du code civil une disposition selon laquelle « à la suite du divorce, chacun des époux perd l'usage du nom de son conjoint », l'article 16 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce a consacré la possibilité, pour chacun des époux, pendant le mariage, de prendre, à titre d'usage, le nom de son conjoint sans faire de distinction entre l'homme et la femme. Les époux peuvent ainsi adjoindre ou substituer à leur nom de famille celui de leur conjoint dont ils souhaitent faire usage, sans que la circulaire du 26 juin 1986 relative à la mise en oeuvre de l'article 43 de la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, qui n'est plus applicable sur ce point, ne puisse leur être opposée. Un arrêté modifiant le modèle de livret de famille sera prochainement publié afin de mettre à jour l'annexe II portant sur les renseignements relatifs à l'état civil et au droit de la famille, et de rappeler ces différentes règles.

 

SAM_2590.JPG

Photos de Mavra

lundi, 10 septembre 2012

Calme, calme, calme à Zurich

 

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Un extrait de MARS, de Fritz Zorn, déchirant pamphlet datant des années 1970

"Dans ma maison de la Krongasse, à Zurich, tandis que je prends des notes pour cet essai, on crie par les fenêtres des maisons voisines : Du calme ! La Krongasse est un séjour privilégié de Zurich car la rue est si étroite que c'est à peine si les autos peuvent l'emprunter et quand par hasard il en passe une, elle glisse sans un bruit jusqu'au bas de la rue. C'est aussi un quartier convenable où il n'y a ni bistrots ni bars et où on n'entend jamais, la nuit, les braillements des ivrognes. Mais ce n'est pas encore assez calme pour les gens. Parfois en effet, à midi, de petits enfants jouent dans la rue, ce qui est commode pour eux justement parce qu'il n'y a pas de circulation. Ces enfants crient parfois en jouant et alors les vieilles femmes de la Krongasse se sentent en droit de crier par les fenêtres : « Du calme ! » Pourtat c'est déjà calme ici, mais il faut que ce soit encore plus calme et c'est pourquoi on crie par la fenêtre « Du calme ! ». Le soir, quand quelques jeunes gens chantent des chansons sur la terrasse, on appelle la police car chanter des chansons constitue un tapage nocturne. À Zurich, quand quelqu'un joue de la guitare après midi près d'une fontaine dans la vieille ville, on appelle aussi la police car c'est une violation de la sieste. Chaque heure du jour a son calme particulier et quand ce calme n'est pas respecté et que quelqu'un chante des chansons, alors la police arrive car, pour le bourgeois, le calme n'est pas seulement son premier devoir, c'est aussi son premier droit. Chacun s'abrutit dans le calme de ses quatre murs et lorsqu'il est dérangé dans son abrutissement par un bruit étranger, il se sent lésé dans son droit à s'abrutir et appelle la police".

 

Extrait de Mars, de Fritz Zorn

Traduit de l'allemand par Gilberte Lambrichs

1977

Gilberte Lambrichs, Fritz Zorn, Mars en exil, Mars, Zurich, calme, ruhe, appeler la police

 

dimanche, 09 septembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Un abattoir de porcs

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


 

Blessure ancienne à la patte d’une truie ne pouvant pas marcher emmenée coûte que coûte à l’abattoir.
Phot Jean-Luc Daub

abattoirs, condition animale, transports animaux, végétarisme, protection animale, droits des animaux, Jean-Luc Daub, Ces bêtes qu'on abat, maltraitance, législation animale, viande ; animaux, animal ; bêtes, fraternité, abattage rituel, halal, hallal, casher

 

Un abattoir de porcs

 

Alors que je visitais, en Bretagne, un abattoir de porcs encadré par une vétérinaire, par une responsable qualité, par le directeur et par un technicien vétérinaire, j’assistai impuissant à un déchargement de cochons ne pouvant pas marcher. Le chauffeur utilisait un fil de fer qu’il sanglait autour d’une patte, puis tirait les cochons en les faisant glisser sur le sol. Cette pratique est interdite. Le technicien vétérinaire m’indiqua qu’il aimerait voir disparaître cette façon de faire, et qu’il allait s’en occuper. Il me confia à l’oreille, alors que les autres personnes étaient devant nous, qu’avant son arrivée la façon de déplacer les cochons ne pouvant pas marcher était encore pire. En effet, pour ceux restés couchés dans les camions, immobilisés par une blessure ou un handicap, les employés et les chauffeurs utilisaient tout simplement un crochet qu’ils passaient par l’anus, déchirant la chair des animaux, et les tiraient ainsi sur le sol. Peut-on imaginer les souffrances endurées par les porcs ? Le jeune technicien vétérinaire avait pu s’opposer à cette pratique et la faire disparaître. Je salue le courage de cette personne, car il n’est pas facile de faire cesser des méthodes anciennes, surtout lorsque l’on agit au nom de la protection animale. D’autant plus qu’à l’époque, on ne bénéficiait pas de la pression des consommateurs concernant les conditions de manipulations et d’abattages des animaux. Se préoccuper de protéger les animaux n’était vu que comme une perturbation de la production et du bon déroulement économique, qui avance tel un rouleau compresseur.

 

Dans cet abattoir, un porcher s’occupait en permanence des arrivages de cochons. Les camions étaient déchargés sur un quai en passant par de longues cases en béton (2300 places) et étaient répartis en fonction d’un système informatisé que les chauffeurs consultaient. Au déchargement, les porcs étaient douchés, se reposaient pendant deux heures, puis étaient de nouveau douchés avant d’être abattus. Cinq personnes, à l’aide de planches en plastique vert et de Movets (sortes de petites plaquettes montées les unes sur les autres qui font du bruit lorsqu’un employé frappe les porcs), allaient chercher les cochons et chargeaient le Restrainer en flux continu (830 cochons à l’heure). À la sortie, les porcs étourdis automatiquement (700 V) étaient saignés au trocart sur un tapis par cinq personnes en même temps en raison de la cadence élevée des abattages.

 

Les cochons et les truies estropiés, blessés ou douteux (c’est-à-dire peut-être porteurs d’une maladie), étaient laissés sur le quai. À l’aide d’une brouette (appelée ambulance), ces animaux étaient répartis dans deux endroits différents. La brouette peut être déplacée avec un petit tracteur vers des cases (pourvues d’une pince électrique de modèle Étime mobile) destinées à ceux qui ne peuvent marcher et qui sont susceptibles d’être euthanasiés. L’autre case était proche du poste d’abattage, les porcs et les coches ne pouvant passer dans le Restrainer y étaient rassemblés. Ces animaux ne sont abattus qu’en fin de chaîne. Quelques coches et porcs se trouvaient en attente, certains gisaient sur le flanc, et agonisaient. Au centre du local, un treuil permettait de tirer par une patte les coches pour les sortir des camions. Une pancarte indiquait pourtant qu’il est interdit de les suspendre. Deux pinces Etime mobiles permettent l’étourdissement dans le local avant de les saigner sur la chaîne. Deux contrôles ante mortem, répartis dans la journée, sont effectués par l’inspecteur vétérinaire. L’euthanasie des porcs et des coches saisis sur pied est effectuée par le vétérinaire. Cependant, ils sont mis à mort par électrocution (sans être saignés), en appliquant la pince derrière les oreilles pendant une minute, puis sur le cœur. (La saignée sur le quai n’est pas approuvée par les services vétérinaires.)

 

En notre présence, le porcher emmena un porc dans la nacelle du tracteur, l’animal se retrouva ensuite coincé sous la brouette, la tête en bas et les pattes de derrière en l’air. On m’a dit qu’il était tombé de la brouette lors de son transfert.

 

 

jeudi, 06 septembre 2012

Hildegarde, abbesse d'antan

Hildegarde de Bingen, Hildegard von Bingen, O vis aeternatatis, doctoresse de l'église, an 1000

Peut-être qu'elle est la femme que j'admire le plus au monde. Elle demeure mystérieuse à mes yeux, à mon esprit. Je n'ai pas assez de connaissance sur sa vie, sur l'époque qui l'a vue vivre, sur son œuvre et je ne peux que tenter d'imaginer son allure, son regard, sa voix.
Elle soignait, elle composait, elle écrivait, elle dominait les choses du Ciel et celles de la Terre, celles de l'Air et celles du Feu.
J'aimerais qu'un ange de l'étrange entre dans ma chambre, par une belle nuit d'été, et me prenne par la main. Sur le boulevard du Montparnasse un cortège de licornes attendrait. Nous monterions sur l'une d'entre elles, un mâle de sept ans. Nous partirions au galop devant de jeunes passants et des clochards médusés, qui mettraient peut-être sur le compte de l'alcool cette vision d'une nuit de pleine lune, et qui écarquilleraient les yeux, dans une détente suprême de la raison, en voyant notre cortège s'envoler puissamment et poursuivre sa cavalcade à travers ciel.
L'Ange et ses licornes m'emporteraient vers elle. Je n'aurais rien à lui offrir, mais elle sourirait, dirait que cela n'est pas grave, que c'est elle qui va m'offrir à boire un élixir, qu'elle voulait de longue date converser avec moi.
Et nous parlerions ainsi, une nuit entière, dans une abbaye du ciel. Les chants des sœurs en prière dans la chapelle nous parviendraient amoindris par le vent. 
C'est mon rêve.


Elle m'invite la nuit pour parler de Dieu et des plantes, de musique et d'animaux, des mystères de l'âme et du cœur, des tentatives de vivre et des résurrections. Elle est fascinante comme l'aurore au lendemain du monde.
Elle s'appelle Hildegarde. Elle est de Bingen, et de l'an 1000.

 

E CL

mercredi, 05 septembre 2012

Ultime surprise du jour : une taverne québecoise

taverne du Saint-Sacrement, boire et manger, Québec, Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva

Merci à Mavra pour cette photo québécoise d'un jour de prime-septembre 2012

lundi, 03 septembre 2012

Svanhild

 

Svanhild est l'un des textes du recueil La dame à la louve, de Renée Vivien, que quelqu'un a généreusement mis à la disposition de tous, par ici...

Nous la proposons à la lecture, cette pièce étrange, aérienne, d'une écrivain qui fit sienne la langue française et à qui nous devons beaucoup, car son style a tous les charmes de notre langue, sans jamais en avoir la pensanteur qui lui est propre - car chaque langue à ses sentiers battus, trop battus...

Svanhild

un acte en prose

Svanhild, Renée Vivien

 

SCÈNE PREMIÈRE

 

 

La scène représente une rive du Nord-Fjord. Dans le fond, des montagnes. Des jeunes filles, en costume de paysannes, forment un groupe mouvant. Elles foulent aux pieds les clochettes bleues, le thym et les gentianes. Immobile sur un rocher, Svanhild regarde au loin.

 

Thorunn

Que regardes-tu de tes yeux fixes, Svanhild ? Et que viens-tu chaque jour attendre en silence ?

 

Svanhild

J’attends le retour des cygnes sauvages.

 

Gudrid

Tu sais bien qu’ils ne sont point revenus dans la contrée depuis le jour de ta naissance. Ils s’arrêtèrent et se reposèrent longtemps sur le toit qui t’abritait. Tant que persista la clarté, ils s’attardèrent sur le toit de mousse aux fleurs bleues et dorées, et, au crépuscule, ils s’enfuirent dans un grand battement d’ailes.

 

Svanhild

Ils reviendront.

 

Bergthora

Il y a vingt ans qu’ils se sont envolés vers le Nord, et, depuis ce jour, aucune d’entre nous ne les a vus passer.

 

Svanhild

Je sais qu’ils reviendront.

 

Bergthora

Pourquoi restes-tu debout sur le rocher, immobile et contemplative pendant des journées entières ?

 

Svanhild

J’attends le retour des cygnes sauvages.

 


Des chants de fête s’élèvent. Des barques passent sur le fjord, chargées de femmes aux costumes étincelants.

 

Des paysannes, chantant

Ne t’approche point du glacier,
Car le froid brûle comme la flamme.
Ne t’approche point de la neige,
Car la neige aveugle comme le soleil.
S’éloignant.

Ne demeure point longtemps sur les sommets,
Car l’azur entraîne comme le vertige.
Ne contemple point l’abîme,
Car l’abîme attire comme l’eau.
Hildigunn

Entends ces musiques lointaines. Les barques glissent sur le fjord avec un bercement tranquille. Les paysannes rament en chantant : elles sont heureuses.

 

Svanhild

Leur bonheur serait pour moi la pire angoisse, et mon bonheur serait pour elles le plus morne supplice.

 

Gudrid

N’aimes-tu donc rien sur la terre ?

Svanhild

J’aime la blancheur.

 

Thorunn

Quel don espères-tu de la vie dans son printemps ?

 

Svanhild

La blancheur.

 

Ermentrude

Si le destin exauce miraculeusement ton espoir, si les cygnes sauvages reviennent, que feras-tu ?

 

Svanhild

Je les suivrai.

 

Bergthora

Jusqu’où les suivras-tu ?

 

Svanhild

Jusqu’aux limites du couchant.

 

Hildigunn

Quel est le but de ton rêve ?

 

Svanhild

Plus de blancheur.

Svanhild, Renée Vivien

 

SCÈNE II

 

Une Passante entre, les mains pleines de fleurs, tête nue, les cheveux mêlés de thym et de brins d’herbe.

 

La passante

Les routes sont magnifiquement larges. Je suis ivre de la poussière du chemin. J’ai dormi sur la bruyère, et, à travers mon rêve, j’aspirais le parfum des cimes. Les baies rouges et violettes ont apaisé ma faim, et la neige fondue m’a désaltérée. J’ai cueilli les roses des montagnes. J’ai dansé, nue dans le soleil. Existe-t-il sous l’azur du printemps quelque chose de plus beau que les lézards des rochers, les chardons bleus et mauves, l’étincellement entrevu des poissons et les nuances du soir ?

Svanhild

Il est quelque chose de plus beau.

 

La passante

Que peut-il exister de plus beau sur la terre ?

 

Svanhild

Les nuages, la neige, la fumée, l’écume.

 

La passante

 

Ne veux-tu point suivre, à mes côtés, la route libre comme l’horizon et vaste comme l’aurore ?

 

Svanhild

Non.

 

La passante

Pourquoi ?

 

Svanhild

J’attends le retour des cygnes sauvages.

 

 

La passante s’enfuit joyeusement.

Svanhild, Renée Vivien

SCÈNE III

 

 

Le soleil baisse. Le couchant illumine le ciel.
Le soir est gris et pâle.



Bergthora

Voici le soir. Combien les montagnes sont mystérieuses !

 

Gudrid

Que le silence est étrange !

 

Hildigunn

L’univers semble attendre.

 

Svanhild, à elle-même

Attendre… comme moi.

Thorunn

La Mort guette les égarés qui s’attardent dans les montagnes.

Asgerd

Les chemins sont périlleux lorsque la brume tombe des sommets.

 

Svanhild, dans un grand cri

Les cygnes ! les cygnes ! les cygnes !

 

Toutes, les regards vers le lointain

Nous ne voyons rien.

 

Svanhild

Le vent du Nord souffle dans leurs ailes… Ils ont franchi la mer, car l’écume argente leur plumage. Ils vont vers le large. Leurs ailes sont déployées et frémissantes comme des voiles… Entendez-vous le battement magnanime de leurs ailes ?

Toutes

Nous ne voyons que les blancs nuages qui passent au-dessus du fjord.

Svanhild

Ils sont plus beaux que les nuages. Ils vont vers les lumières boréales. Ils sont plus beaux que la neige. Comme leur vol est puissant et sonore ! Les entendez-vous passer ?

Toutes

Nous n’entendons que la brise du soir sur les fjords.

Svanhild

Je les suivrai ! Je les suivrai jusqu’aux limites du couchant !

 

Asgerd

Svanhild ! Les chemins sont périlleux, lorsque la brume tombe des sommets.

 

Thorunn

La Mort guette les égarés qui s’attardent sur les montagnes.

 

Gudrid

Songe aux brouillards qui voilent les abîmes.

Svanhild

Ô blancheur !

 

Elle s’enfuit au fond de la brume.

Asgerd

Elle se perdra dans le crépuscule.

 

Gudrid

Elle périra dans la nuit. Svanhild !

 

Toutes, appelant

Svanhild !

 

L’écho

Svanhild !

 

On entend un grand cri répercuté par l’écho.

 

Gudrid, avec angoisse

L’abîme…

 

 

 

Renée Vivien
 11 juin 1877 - 18 novembre 1909

Svanhild, Renée Vivien

dimanche, 02 septembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Étourdissement de bovins

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Étourdissement de bovins

 

Dans un abattoir de la région parisienne, l’abattage classique des bovins était critiquable. Les animaux empruntaient un chemin d’amenée qui montait progressivement vers un box rotatif à usage mixte. C’était un box agréé pour gros bovins, mais modifié pour les veaux. Je n’ai pas assisté aux abattages rituels car je suis arrivé le jour où ils n’avaient pas lieu, mais 80 % du temps est réservé à cette pratique. Pour ce qui concernait l’abattage classique, les bovins étaient assommés à l’aide d’un Matador A22 GBEV dans le box rotatif, par l’ouverture du dessus. L’animal était ensuite évacué par une porte latérale vers le local de saignée. Les étourdissements sur les gros bovins n’étaient pas entièrement satisfaisants. En effet, certains semblaient conscients, mal étourdis, les bovins n’étaient pas, comme on peut le constater d’habitude, complètement assommés après l’utilisation du Matador. En ma présence, deux se sont relevés conscients alors même qu’une perforation du crâne après l’utilisation du pistolet à étourdissement avait été effectuée. L’employé a réutilisé le Matador en l’appliquant une deuxième fois dans l’orifice créé par la première utilisation.

 

Saignée du bovin après son étourdissement au pistolet à tige perforante.
Phot Jean-Luc Daub

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Pour d’autres bovins, on pouvait voir qu’ils n’étaient pas complètement étourdis, l’employé ayant beaucoup de mal à passer la chaîne autour de la patte arrière. Certains animaux clignaient des yeux, ce n’étaient pas des réflexes nerveux. Faisant état de mes constatations sur l’étourdissement des bovins à l’employé, je lui demandai si le Matador était assez puissant. Il me répondit qu’effectivement d’habitude cela marchait mieux, mais que le joint intérieur du Matador avait été changé et que par conséquent il fallait du temps pour qu’il s’assouplisse. Il semblait en effet que la tige du Matador ne rentrait pas assez profondément dans le crâne des bovins. Le joint empêchait ou freinait la détente de la tige. J’en ai parlé au

directeur et au président de l’abattoir.

 

En outre, il n’était pas toujours possible d’effectuer la suspension rapidement. Les animaux se plaçaient mal à la sortie du box rotatif. Parfois, les bovins restaient accrochés dans le box rotatif par une patte arrière, ce qui les empêchait d’avoir le dos contre le box et les pattes vers le local. Or, cette position est requise pour que l’employé puisse convenablement et en toute sécurité passer la chaîne de suspension autour d’une patte arrière. Le problème vient de l’inadéquation entre le piège et le système de suspension. D’après moi, il s’écoule trop de temps entre cette manipulation et la saignée, même lorsque celle-ci intervient rapidement. Le plus rapide serait de saigner les bovins à la sortie du piège sur le sol, après étourdissement. La suspension pourrait venir ensuite, alors que le sang s’écoulerait. Cela serait beaucoup mieux mais, pour des questions d’hygiène, les services vétérinaires ne veulent pas.

 

Il est pourtant possible de mieux faire, puisque dans un abattoir de bovins se trouvant dans le Morbihan, la suspension intervenait très rapidement. L’employé baissait le palan et la chaîne, qui se trouvent au-dessus du box rotatif, de sorte qu’il était prêt à suspendre les bovins avant même d’avoir procédé à l’étourdissement. C’est de fort bon sens, mais ce n’est pas toujours une évidence dans d’autres abattoirs. J’ai même déjà assisté à une aberration. En effet, des employés qui venaient d’étourdir un bovin, au lieu de procéder tout de suite à l’évacuation, à la suspension et à la saignée, prenaient le temps de recharger le pistolet à tige perforante avec une cartouche. Manœuvre qui devrait être faite après la prise en charge finale de l’animal. Dans l’abattoir du Morbihan, ce n’était pas le cas, le pistolet était rechargé après, et les bovins étaient évacués du box rotatif sans perte de temps grâce au palan qui fut descendu avant l’étourdissement, ce qui permettait une saignée rapidement exécutée. De plus, une plaque en inox posée à plat sur le sol devant la sortie du box rotatif, avec un bord relevé au bout, permettait de stopper la chute des bovins, et de les bloquer sur le dos. Les pattes arrière étaient alors très accessibles pour effectuer la suspension. Je n’ai pu voir dans aucun autre abattoir

des manipulations aussi rapides, mais cela prouve qu’il est possible de mieux faire.

 

Dans cet abattoir de la région parisienne, en comparaison d’autres abattoirs munis du même matériel, j’ai trouvé l’étourdissement des bovins insuffisant et la suspension jusqu’à la saignée beaucoup trop longue. En plus, les employés n’attendaient pas la fin de la saignée pour intervenir. Alors que le sang s’écoulait encore et à plein débit, ils découpaient les antérieurs, puis la tête. À ce moment-là, les bovins n’étaient pas toujours morts. On pouvait voir un employé qui avait du mal à couper les antérieurs, le bovin les retirait systématiquement et s’agitait. De lui-même, l’employé comprenait qu’il fallait encore attendre. Le directeur et le président de l’abattoir m’ont dit qu’ils étaient obligés d’aller vite après l’étourdissement. Cela parce qu’ils n’avaient que vingt minutes pour dépouiller les animaux selon les normes des services vétérinaires et que par conséquent, ils ne pouvaient pas attendre la fin de la saignée. Si les opérations d’assommage et de suspension étaient plus rapides, il n’y aurait pas de problème de délai lors de la saignée ; car les employés doivent attendre la fin totale de l’écoulement du sang avant de procéder à toute découpe.

 

 

 

 

 

vendredi, 31 août 2012

Un monde parfait

Les murs des villes nous dévoilent un monde parfait, un monde sans misère en Afrique et sans rides sur les visages européens, où la solidarité, la diversité et le grand métissage éliminent à tout jamais l'intolérance et l'individualisme. Un monde où les gens arrêtent de fumer et où ils marchent une demi-heure par jour, un monde où les cinq portions quotidiennes de légumes sains emplissent nos corps et où la vache qui rêve dans les champs sourit à l'idée d'être bientôt mangée par un bon citoyen.

Dans ce monde merveilleux qui nous domine, ce monde des affiches publicitaires, sanitaires et associatives, reste-t-il une place pour ton coeur ? Oui, bien sûr, à condition qu'il soit conforme.

C'est ce monde que je te dévoile, via ces affiches que j'ai vues et prises en photo au moyen de mon téléphone androïde HTC.

ECL

 

Pour voir ces images en grande taille, clique ci-dessous et tu rajeuniras :

mercredi, 29 août 2012

Spa musical : deux bains de musique

IMAG5208.jpg

Un billet d'Edith, dédié à Mathilde F-P

Inviter une amie dans son bain, c'est risquer de la choquer beaucoup. L'inviter à prendre le même bain que soi, n'est-ce pas plus acceptable ? Mathilde, voici mes deux bains de musique quotidiens. Je les prends, l'un dans la matinée, l'autre un peu avant de dîner. Aussitôt que commence la musique, je clos mes yeux pour tourner mon regard vers l'intérieur du monde, celui qui sent tout et qu'on ne voit jamais.

Je les laisse fermés, ces yeux si sollicités d'ordinaire, le temps que s'écoule toute la musique. Je laisse ma respiration trouver un rythme en accord avec la mélodie ; je laisse mes jambes, mes bras, s'étendre et relâcher leurs tensions. Un recueillement liturgique se fait dans ce corps qui devient église. La musique est prière du cœur et silence des mots. Les événements extérieurs s'effacent comme un paysage qui s'éloigne, les idées se dissolvent dans le paradis de musique.

 

Premier bain : Spiegel im spiegel, la berceuse d'Arvo Pärt.

Je l'ai découverte le jour qui précéda la naissance de mon filleul Orso. C'était la berceuse que son père et sa mère écoutaient ensemble en l'attendant venir lentement.

 

Deuxième bain : le Miserere d'Allegri.

J'avais entendu parler de cette œuvre à chaque fois qu'on me parlait de Mozart : ce coup de génie qu'il fit, en mémorisant, sans papier ni crayon, la partition secrète de ce Miserere, en deux écoutes seulement, à l'âge de quatorze ans.

 

Quelquefois, enveloppée de langueur, je prends ces deux bains à la suite l'un de l'autre. Tout notre corps est massé doucement par les notes de ces deux musiciens, l'italien et l'estonien, qui ont cherché leur trésor musical au cœur même de la simplicité.

Wikipédia enseigne que « le mot simples a été employé à partir du XVIe siècle pour distinguer les remèdes végétaux populaires non composés des remèdes médicaux « savants » d'alors, souvent très sophistiqués (élixir, thériaque, etc.) ».

Certains musiciens, las des complexités de la musique savante, composent des Simples, qui contiennent toute les puissances de la Nature et de la Culture réunies et qui détiennent un pouvoir de calme et d'élévation étonnants.

Massages du corps et de l'âme, qui provoquent la détente des muscles et des nerfs et la dilatation bienheureuse du cœur décomprimé, ces bains musicaux sont des élixirs de santé, des sources inépuisables de joie intérieure.

 

Bon spa, Mathilde !

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mardi, 28 août 2012

Rougevent

 

Mavra Nicolaïevna Novogrochneïeva, vent rouge, rougevent

Souffle le vent rouge, sur la plaine ouverte comme un cœur enfantin. Dort le fils, au fond de la maison. Murmure la femme, une douce chanson. D'anciennes paroles fendent la campagne, personne ne les entend. Dans la chapelle close la Vierge pleure doucement. Elle attend. Moi j'erre dans ce monde mort, dans ma vie moderne et sans chaleur. J'ai mon casque de motarde et mes bottes de ville. Je marche sur la route qui déchire les champs d'orge. Ce soir, lune d'orge.

Le vent rougeoie. Il n'a pas d'haleine, ni de tiédeur. Il n'a pas d'odeur. Il souffle sans cesser de songer aux mauves et aux violettes qu'il faut aérer. Les boutons d'or montrent leur or et disent souriants qu'ils ont droit aussi à la chaleur caressante du vent.

Pourquoi les hommes frissonnent-ils à la porte du bar dont le rideau métallique s'ouvre ou se ferme ? Le vent n'apporte pas le froid.

Et le fils dort, et l'homme est loin, et la femme chante, et les oiseaux picorent des brindilles et des graines. Je vais partir ce soir. La plaine ne se plaint pas dans sa solitude. Aujourd'hui le vent est rouge.

 

Edith CL

 

lundi, 27 août 2012

Réponse à une question de Sara

Tieri Briet, Sara, Edith de Cornulier Lucinière


Sara : Édith, quand retrouverons-nous notre patrie ? Elle est peut-être là sous nos pas, devant nos yeux... Une brume maléfique nous la cache. Qui la dissipera ?

J'ai peur que ma patrie n'existe pas. J'ai peur d'être un monstre, une larve, une erreur au milieu de ce monde. Mais si tu y crois, si nous sommes deux à y croire, peut-être trois, alors la marche nous y emmènera. La fin du voyage sera belle, mais combien de plumes aurons-nous laissées sur le chemin ? Combien de larmes aurons-nous versé dans le silence de la nuit ? Combien de gens aurons-nous blessés avec nos rires blasés, combien de trous noirs aurons-nous comblés avec du papier de verre au fond de nos corps qui se fracassent sur les rochers de la vie, jetés par des vagues trop grandes pour nos bras, pour nos dos, pour nos esprits trop sages, pas assez méchants ?
J'ai peur que ma patrie soit trop loin pour qu'on puisse y accoster un jour. Et pourtant, si tu avais raison ? Si elle était là, sous nos pieds, devant nos yeux ? S'il suffisait que la brume se dissipât pour qu'elle apparût, à portée de main, à portée de rire, prête à accueillir les sanglots du Grand Retour ? Ô brume, quel chant pourra te souffler hors de ces champs de vision, quel souffle pourra nous révéler à notre terre natale, à la terre des ancêtres, à la terre qui nous attend, la terre promise qui est aussi la terre originelle - la terre originelle qui est toujours la terre promise ?

A lire aussi, sur AlmaSoror, la réponse à une question de Tieri Briet.

Sara, Tieri Briet, édith de cornulier lucinière

Si vous avez des questions...

dimanche, 26 août 2012

Équanime au creux du jour : les toits de Paris

toits de Paris

toits de Paris

Deux photos de Mavra

Ces bêtes qu’on abat : Suspension des veaux en pleine conscience

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Suspension des veaux en pleine conscience

 

Dans un abattoir d’Alsace pratiquant massivement l’abattage rituel, je m’étais directement rendu sur le quai de déchargement où un transporteur, aidé de deux employés, déchargeait un camion de veaux d'engraissement (provenant d'élevages en batterie), âgés de 5 à 6 mois. Le numéro sanitaire sur les boucles des veaux indiquait, tout comme l’immatriculation du camion, que les bêtes provenaient du Cantal. Les animaux demeuraient dans une bonne épaisseur d'excréments. Le chauffeur m'a d'abord dit qu'il les avait chargés la veille, dans l'après-midi ; puis il se rétracta et me dit les avoir chargés dans le courant de la nuit. Les veaux étaient assoiffés ; dans les enclos de stabulation dépourvus d’abreuvoirs, ils léchaient les barrières métalliques humides. Ils attendirent deux heures avant d'être abattus, sans être abreuvés pendant cette attente.

 

Le déchargement des veaux fut effectué dans des conditions lamentables. Le conducteur plaça l'arrière du camion face aux stabulations, fit descendre la passerelle (très abrupte) et déchargea les animaux au sol. À l'intérieur de la remorque, un employé muni d'un bâton électrique, poussait vers l'extérieur les veaux qui sautaient et trébuchaient les uns par-dessus les autres, et tombaient dans la pente de la passerelle. Dans le couloir des stabulations, les veaux coincés refusaient d'avancer. L'employé muni du bâton électrique leur envoyait des décharges sur le mufle, dans la gueule, dans les oreilles ou même dans les yeux, pour les faire avancer. On pouvait les entendre meugler sous les coups de pile électrique.

 

Je me suis présenté à la directrice qui s'est immédiatement mise en colère. Elle était très mécontente que je sois revenu (encore une fois visiter son établissement). Elle m'a demandé si je n'avais rien d'autre à faire que de venir l'embêter pour des animaux, juste avant les fêtes ! Selon elle, il y avait des choses plus importantes à faire.

 

L'abattage rituel des ovins était terminé. J'ai donc assisté, accompagné de la directrice, à l'abattage rituel des veaux. Celle-ci était quelque peu contrariée car l'abattage allait être effectué dans le box rotatif qui, apparemment, n’était pas utilisé d’habitude. Je le compris en voyant que ma présence désorganisait un déroulement habituel, car le personnel semblait perturbé à l’idée d’utiliser le box. Quatre employés, en plus du sacrificateur, avaient préparé le box. Quatre employés au seul poste d’abattage, cela ressemble, de toute évidence, à une mise en scène. Les premiers sacrifices de veaux ont eu des allures d'essai et les regards que l'on me portait étaient pesants. Un premier homme a fait entrer un veau dans le box à l'aide d'un bâton électrique tout en guidant son équipier qui actionnait les boutons pressoirs. Deux volets, à l'intérieur du box, se sont alors rabattus sur le derrière du veau, poussant l'animal vers l'avant dont la tête sortait par l'ouverture. Une partie latérale à droite s'est avancée verticalement, comprimant ainsi le veau. La plaque avant du box fut actionnée jusqu'à ce que l'ouverture soit obstruée et que, seule, la tête dépasse. La mentonnière a alors soulevé la tête du veau et un employé a effectué la rotation du box, le sacrificateur l'a ensuite saigné. Puis, on remit le box en position normale. Un volet qui éjecta l'animal fut actionné. Les opérations étaient lourdes et longues à effectuer. La directrice décida alors de ne pas faire passer le veau suivant par le box, de le suspendre avant la saignée, bien que cela soit interdit, mais pour me faire apprécier la facilité d’exécution lorsque l’on procède de manière illicite.

 

Dans ce cas de figure, le veau n'a pas à emprunter le chemin d'amenée du box, ce qui réduit la distance à parcourir et les manœuvres à effectuer par le personnel. On a fait entrer le veau dans la salle d'abattage, juste à côté du box. On lui a ensuite enroulé une chaîne autour de la patte arrière et on l'a suspendu par un crochet qui le soulevait du sol de manière mécanique. Le sacrificateur ne se pressait pas pour le saigner. Après l’accomplissement de l’égorgement en pleine conscience, la directrice, satisfaite, m'a expliqué que c'était plus rapide, plus simple et moins dangereux pour le personnel. Le veau ainsi abattu serait aussi moins stressé. C’est certain, les boxes rotatifs sont stressant et source de souffrances pour les veaux, surtout lorsqu’ils ne sont pas adaptés à leur petite taille. Le mieux, si l’abattoir est mal équipé, c’est de ne pas procéder à l’abattage rituel. La vraie solution n’est pas d’enfreindre la loi pour satisfaire une demande.

 

L'abattage s'est poursuivi dans le box rotatif, jusqu'à ce qu'un cylindre hydraulique tombe en panne. Le reste des veaux a donc été abattu en étant suspendu en pleine conscience. Et la directrice d'ajouter: « Vous voyez, c'est quand même beaucoup mieux comme ça ! ». J’ai pu savoir, par la suite, que d’habitude les veaux étaient suspendus conscients dans le local d'abattage des ovins où se trouvaient de grosses chaînes et de gros crochets qui leur étaient réservés, à côté de crochets plus petits pour les moutons.

 

Bovin épuisé et apeuré dans un camion.
Phot Jean-Luc Daub

abattoirs, condition animale, transports animaux, végétarisme, protection animale, droits des animaux, Jean-Luc Daub, Ces bêtes qu'on abat, maltraitance, législation animale, viande ; animaux, animal ; bêtes, fraternité, abattage rituel, halal, casher

 

 

 

 

 

 

 

samedi, 25 août 2012

Jadis, en deux-chevaux

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Par Edith

Stéphanie est apparue belle et élégante dans un jean gris et un haut noir. Blondeur douce dans la grisaille tiède de ce jour d'août. Le quinzième arrondissement était toujours aussi mystérieux, si peu parisien, si animé pourtant, familial, en travaux, toujours chargé du poids de la quotidienneté, sans lieux ni espaces hors du temps, et cependant si vide ce 24 août, comme suspendu, ballant, en instance entre deux vies scolaires. 

Nous avons parlé de vin et des copains de la formation viticole, des enfants à avoir ou pas, et des réflexions désagréables entendues ces derniers temps, nuages mentaux ayant embrumé l'été, l'été qui s'achève lentement sur les rives fracassantes de septembre.

Bientôt nous fûmes les seules clientes du Jadis. Même le beagle qui hantait la salle de restaurant a fini par emporter sa petite élégance anglaise et son charme canin sous d'autres plafonds.

Soudain ses yeux se sont chargés d'un mélange de malice et d'effroi à peine perceptible et sa voix s'est abaissée :

- Tu as les lèvres toutes noires, prononça-t-elle sur un ton de mystère.

C'était l'encre de seiche.

Et puis nous sortîmes du restaurant pour entrer dans la deux-chevaux de Stéphanie, qui s'improvisa bricoleuse pour réussir à décapoter la voiture. Une carte servit de tourne-vis. Traversée du quinzième arrondissement dans la deux-chevaux décapotable : surgissement de souvenirs d'une enfance lointaine, de routes de Vendée traversées à l'arrière d'une deux-chevaux qui vivait cahin-caha ses dernières heures, cahotée et cahotante.

Grande gloire de fendre la bonne ville de Paris dans cette vieille petite voiture amusante, joie des enfants et des passants plus grands.

Retrouvailles avec mon bureau sombre et pourtant beau depuis que je l'ai entièrement rangé.

Avec les années vécues qui s'accumulent, moi qui ai désormais dépassé l'âge fatidique de 33 ans, mes ambitions s'apaisent et se confondent en une seule, qui avale toutes les autres : j'essaie d'être en paix avec le temps qui s’écoule.

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vendredi, 24 août 2012

De l'humiliation

 

Green Hill, Beagles
Photo de la libération de Green Hill

Nous vivons sous le signe de l'humiliation.

La voiture de police qui passe pour écarter le peuple et laisser passer la personne « importante ».

L'humiliation que l'on éprouve vis à vis de tous ceux qui possèdent un peu plus (en aura, en argent...) que nous.

L'humiliation quotidienne au travail : celle de la posture de subordonné ; celle de la posture de patron aussi, quelquefois (le patron solitaire subit l'exclusion par les autres).

L'humiliation de ce que nous devenons par rapport à ce que nous désirions.

L'humiliation dans nos amitiés, où la compétition se dissimule derrière les apparences.

L'humiliation dans notre famille, dès notre naissance et malgré les stratégies d'entente et l'amour qui circule.

L'humiliation au cœur même de notre couple, dans notre lit, au milieu de la nuit.

Pire que tout cela... Les images visibles de l'humiliation ne doivent pas nous faire oublier que les pires humiliations sont insaisissables pour qui n'est pas dans le cœur de celui qui la subit.

Dans les professions subordonnées et domestiques (= de maison), on raconte de nombreuses histoires de méchantes bourgeoises méprisantes avec leurs femmes de ménage, de cruels patrons méprisants avec les subalternes. Ces histoires sont vraies, bien réelles.

Or, ce n'est pas l'arrogance de ces bourgeoises ni la méchanceté de ces patrons qui est critiquée par leurs victimes : car l'arrogance et la méchanceté sont également répandues dans toute la société. Qui se plaint de l'arrogance et de la méchanceté d'un clochard assis à côté de sa pisse, d'une pute harassée par l'abattage du jour ? On se laisse insulter par eux en passant tranquillement, sans se sentir humilié... On peut même recevoir les tombereaux de mépris qu'ils nous versent et soupirer : "pauvre bougre !" Parce qu'on méprise leur position.

Ce qui fait mal dans la méchanceté de la bourgeoise, du patron, ce n'est donc pas la mesure de cette méchanceté, qui ne nous dérange plus ou plus beaucoup dès lors que l'arrogance qui nous vise vient d'en bas. C'est le degré d'envie et d'admiration que nous éprouvons envers cette bourgeoise et ce patron.

On pourrait croire que c'est leur pouvoir, qui leur donne la capacité de nous humilier, un pouvoir arbitraire, un pouvoir inégal, un pouvoir illégitime. Mais qu'est-ce qu'un pouvoir dont personne d'autre ne voudrait ?

Il suffirait en ce monde que dix pour cent des gens cessent d'obéir aux puissants et cessent de désirer un plus haut statut social, pour que le pouvoir lié à la puissance extérieure et au statut social s'effondre comme un château de sable.

Mais ce pouvoir ne s'effondrera jamais parce qu'il n'est pas seulement ancré dans le cœur des méchantes bourgeoises et des méchants patrons. Il est ancré dans le cœur de tout homme.

Ce n'est donc pas le pouvoir des personnes haut-situées qui nous écrase. C'est notre désir d'être à leur place qui nous lacère.

Qui plus que l'ouvrier ou le paysan se réjouit de voir un fils de riche échouer dans son intégration sociale et prendre le même métier qu'eux ? Quelle jubilation étrange ! Preuve qu'il n'ont aucun respect pour leur métier, aucun respect pour leur statut, pour leur être même, ils n'ont que respect pour ce qui les méprise. Preuve, surtout, qu'ils jouissent de l'humiliation d'autrui avec délectation. Le seule et unique élément qui les rend conscient de l'horreur du mépris, c'est d’être dans la situation de le subir. Cela reflète ce triste fait que ce n'est pas leur conscience qui les fait haïr le mépris et l'humiliation, c'est leur ego.

La conscience ne demande que la liberté ; l'ego exige la flatterie. La conscience n'a besoin que de parité ; l'ego cherche la supériorité, et c'est seulement s'il ne parvient pas l'obtenir, qu'il se refuge dans un égalitarisme de revanche.

C'est l'incapacité de choisir la parité, dans les domaines de notre vie sociale comme dans ses recoins les plus intimes, qui nous détruit.

Le mépris de celui qui nous paraît plus bas se confond avec l'admiration de celui qui nous paraît plus haut : ces deux sentiments viennent de la même source. Il peut nous arriver de transformer notre mépris en condescendance, de transformer notre admiration en haine ; nous croyons ainsi échapper à l'humiliation qui nous crucifie. Mais ni la haine, ni la condescendance ne peuvent nous sauver. 

Pour vaincre l'humiliation, il faut dissoudre notre ego dans la conscience.

C'est cette humiliation que Bouddha voulut découvrir, qui le fascina, qu'il voulut expérimenter en sortant de son palais où il était le beau petit prince.

C'est cette humiliation que le Christ prit sur lui entièrement pour en décharger ses frères.

C'est cette humiliation qui nous blesse au quotidien : la vie amoureuse - ou l'absence de vie amoureuse -, sans l'humiliation qu'elle charrie, intrinsèque au couple ou issue du regard des autres, ferait beaucoup moins souffrir et ne nous inspirerait pas tant de chansons et de films languissants et répétitifs.

La dureté matérielle et financière serait allégée de la plus grande partie de son poids si elle n'était pas accompagnée de l'humiliation.

Les relations familiales, amicales perderaient beaucoup de leurs capacités de nous blesser sans le poids de l'humiliation qui les accompagne.

Le fait d'avoir ou non des enfants, et, lorsqu'ils sont nés, nos relations avec eux, leur parcours de vie, seraient cause de beaucoup moins de douleur si ces éléments n'avaient rien à voir avec l'humiliation.

Il n'y aurait pas de problème de statut social.

Si chacun de nous pouvait voir son prochain comme une étoile scintillante dans un ciel étoilé (hiérarchise-ton les étoiles ?) et se voir soi-même comme tel, le monde serait déchargé de la plus grande part de son malheur.

Nous souffririons simplement des vraies souffrances, et la principale souffrance du monde, qui se greffe à toutes les autres, l'humiliation, serait abolie.

Peut être alors que par un mouvement naturel, nos cœurs guéris n'éprouveraient plus le besoin de laver leurs douleurs dans la douleur d'autres corps. Nous deviendrions fraternels et libéraux envers les animaux, leur laissant leur place dans ce vaste monde.

 

Green Hill, air souffrance

Les héros en route vers la libération des chiens de labos.