énième extrait de Jean-Christophe (lundi, 17 septembre 2012)
Voici, encore, un extrait de Jean-Christophe, ce roman de Romain Rolland lu toute l'année par les adeptes du mardi soir, semaine après semaine, dans la pénombre de la pièce du milieu.
Sur la colonne de gauche de ce blog, dans la rubrique "pages", vous pouvez découvrir cette aventure de lecture collective en cliquant sur la page Jean-Christophe.
Quant aux extraits déjà publiés ici, vous les découvrirez en cliquant, dans cette même colonne de gauche, dans sur la catégorie "Jean-Christophe". Ils apparaîtront dans du plus récent au plus ancien.
Oui, il faut toujours cliquer, sur un blog... Le cliquetis des clics nous claque, et pourtant nous continuons à cliquer. Le cyborg clique et si vous lisez ceci en ce moment, c'est qu'il y a du cyborg en vous...
"L'enfant, retenant son souffle, écoutait le conte de fées que lui disait son grand ami. Et Olivier, à son tour, réchauffé par l'attention de son petit auditeur, se laissait prendre à ses propres récits.
Il est, dans la vie, des secondes décisives où, de même que s'allument tout d'un coup dans la nuit d'une grande ville les lumières électriques, s'allume dans l'âme obscure la flamme éternelle. Il suffit d'une étincelle qui jaillisse d'une autre âme et transmette à celle qui attend le feu de Prométhée. Ce soir de printemps, la tranquille parole d'Olivier alluma dans l'esprit que recelait le petit corps difforme, comme une lanterne bossuée, la lumière qui ne s'éteint plus. Aux raisonnements d'Olivier, il ne comprenait rien, à peine les entendait-il. Mais ces légendes, ces images qui étaient pour Olivier de belles fables, des sortes de paraboles, en lui se faisaient chair, devenaient réalité. Le conte de fées s'animait, palpitait autour de lui. Et la vision qu'encadrait la fenêtre de la chambre, les hommes qui passaient dans la rue, les riches et les pauvres, et les hirondelles qui frôlaient les murs, et les chevaux harassés qui traînaient leur fardeau, et les pierres des maisons qui buvaient l'ombre du crépuscule, et le ciel pâlissant où mourait la lumière, - tout ce monde extérieur s'imprima brusquement en lui, comme un baiser. Ce ne fut qu'un éclair. Puis, cela s'éteignit. Il pensa à Rainette, et dit :
- Mais ceux qui vont à la messe, ceux qui croient au bon Dieu, c'est pourtant des toqués.
Olivier sourit :
- Ils croient, dit-il, comme nous. Nous croyons tous à la même chose. Seulement, ils croient moins que nous. Ce sont des gens qui, pour voir la lumière, ont besoin de fermer leurs volets et d'allumer leur lampe. Ils mettent Dieu dans un homme. Nous avons de meilleurs yeux. Mais c'est toujours la même lumière que nous aimons.
Le petit retournait chez lui, par les rues sombres où les becs de gaz n'étaient pas encore allumés. Les paroles d'Olivier bourdonnaient dans sa tête. Il se disait qu'il est tout aussi cruel de se moquer des gens parce qu'ils ont de mauvais yeux que parce qu'ils sont bossus. Et il pensait à Rainette qui avait de jolis yeux ; et il pensait qu'il les avait fait pleurer".
Jean-Christophe, de Romain Rolland
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Commentaires
Un bien beau passage. Cependant, n'y a-t-il pas réellement un jour où l'homme et Dieu seront confondus ?
Écrit par : Rémi Mogenet | mardi, 25 septembre 2012
Il y a de beaux passages à ce sujet dans l’œuvre au noir, de M Yourcenar... Si je me souviens bien. Lorsque le père abbé du monastère évoque le besoin vital de Dieu d'être aimé et porté par nous.
Écrit par : AlmaSoror | mercredi, 26 septembre 2012
Oui, il se mire dans l'humanité. Les anges mêmes sont trop transparents, avec les hommes la divinité se réalise pleinement !
Écrit par : Rémi Mogenet | mercredi, 26 septembre 2012
Athées et croyants se disputent sur la manière d'être libre, et sur la manière de se fondre dans le Tout. Mais au fond ils cherchent la même chose.
Écrit par : Damage Machine | mercredi, 26 septembre 2012
Ils cherchent à être heureux !
Écrit par : Rémi Mogenet | mercredi, 26 septembre 2012