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dimanche, 16 septembre 2012

Ces bêtes qu’on abat : Mon premier marché aux bestiaux

 C'est une saga qu'aucun scénariste n'aurait le courage d'écrire. Les films les plus gores ne sont que des comédies Walt Disney en comparaison. Les plus courageux d'entre vous auront sans doute du mal à la suivre jusqu'au bout...

C'est la saga interdite aux profanes.

AlmaSoror est fière de proposer sur son site l'extraordinaire saga de la viande. Celle qu'on ne lit jamais, celle dont on entend jamais parler, celle qui a lieu dans des endroits où l’œil citoyen ne peut pénétrer.

Si vous ne vous sentez pas capable de la lire, sachez que l'enquêteur l'a écrite. Sachez que des milliards d'individus la vivent aux portes de nos villes. Si vous n'êtes pas capable de la lire et que vous êtes capable de consommer le résultat, alors vous êtes un merveilleux citoyen du Meilleur des Mondes.

Voici donc le journal de Jean-Luc Daub, enquêteur dans les abattoirs français.

 Ces bêtes qu'on abat peut s'acheter en version imprimée :

Ou bien se lire sur cette page qui lui est dédié.


Mon premier marché aux bestiaux

 

Mon premier contrôle de marché aux bestiaux date de 1995. Certes, les événementsse sont déroulés il y a quelques années, et des progrès ont été accomplis sous la contrainte des enquêtes de protection animale diligentées par des associations non gouvernementales ; mais aussi à la suite de la crise de la vache folle. En effet, les bovins blessés, malades et douteux qui transitaient par les marchés, pour être vendus et finalement abattus pour la consommation, ont fini par faire l’objet d’une attention particulière des services sanitaires, parce que ces animaux risquaient de se révélerporteurs de l’Encéphalite Spongiforme Bovine ou de toute autre maladie rendant la viande impropre à la consommation.

 

Il était 7 heures 45 lorsque je me rendis sur un marché aux bestiaux de Bretagne. Si certains animaux étaient traités convenablement, il y avait par contre beaucoup de brutalité et de coups violents distribués tous azimuts. Aux environs de 9 heures 30, et à plusieurs reprises, j'ai fait appeler la Direction des Services Vétérinaires pour qu’elle intervienne, puis j'ai téléphoné à l’abattoir le plus proche, mais personne n'a répondu. Sur place, on m'a dit que la DSV était déjà passée. J'ai parlé concrètement des problèmes rencontrés au responsable du marché, mais son amabilité n'a pas pu cacher son hostilité. Il souhaitait me voir partir très vite.

 

Aucun animal ne fut abreuvé en ma présence, il n’y avait pas d'installations prévues à proximité des bêtes. Certains animaux étaient là depuis la veille, sans rien à boire ni à manger, alors même qu’ils avaient pu faire de longs transports avant d’arriver sur le marché. Beaucoup de bovins attendaient plusieurs heures, sous le soleil de l’été, dehors et dans les camions. Bien en retrait du hall où se négociait le prix des bêtes, j’ai vu l’échange d’un veau se faire entre deux camionnettes qui se trouvaient côte à côte. L’animal, qui devait avoir deux ou trois mois, semblait en bonne santé ; il ne portait

apparemment pas de boucle d’identification. Les deux hommes l'ont fait descendre de la camionnette immatriculée en Mayenne en le portant par la tête et la queue, et l'ont fait remonter dans l'autre camionnette immatriculée en Ille-et-Vilaine.

 

Dans les allées, les marchands en bestiaux faisaient courir les bovins. On a fait courir une vache qui avait vécu à l'attache (dont on apercevait les traces sur sa nuque) et qui avait les mamelles pleines. Une pauvre bête qui n’avait jamais couru de sa vie. Les autres animaux étaient frappés à coups de bâtons quand ils passaient devant les négociants. Deux personnes ont fait courir un veau pas très gros qui, sans rencontrer pourtant aucun obstacle, est tombé par terre. Il fut violemment frappé et reçut des coups de piles électriques sur la partie anale. L'animal se releva et les deux hommes le firent de nouveau courir.

 

D'autres personnes faisaient entrer un trop grand nombre de bovins dans des enclos sur un quai de déchargement qui ne pouvait tous les contenir. Les animaux restés dans l'allée étaient frappés, alors qu'ils ne savaient où aller et ne pouvaient pas avancer.

 

Certains camions étaient hauts et très mal équipés pour faire monter les bovins. La plupart des bœufs, sous le hall de présentation, étaient très serrés les uns contre les autres et attachés la tête en bas. Ils ne pouvaient pas se coucher. Une vache avait beaucoup saigné, elle avait certainement mis bas peu de temps avant. Plusieurs bovins d'un même groupe boitaient et gardaient une patte en l'air. Une vache isolée avait un œil crevé, une autre une tumeur. Un veau avait l'oreille entaillée jusqu'à la boucle d’identification.

 

Un veau en mauvais état était couché dans une camionnette dont deux hommes essayaient de le sortir. Je suis intervenu. Ils m'ont dit qu'il avait de l'arthrite et que tout le monde pouvait en avoir. Ils ont réussi à le sortir, mais le veau se déplaçait très difficilement. Camionnette immatriculée en Ille-et-Vilaine. Un autre jeune veau d'environ trois mois souffrait aussi. Il ne pouvait pas se déplacer et ne se tenait pas sur ses pattes arrière. Un autre avait la peau sur les os.

 

Les animaux malades ou en piteux état étaient

regroupés au même endroit. On m'a dit qu’il s’agissait de négociants qui les achetaient pour les revendre aux boucheries musulmanes. J'ai vu à plusieurs reprises des négociants faire avancer les animaux à coups de ciseaux. Un négociant avec qui j'ai discuté m'a montré comment il faisait avancer les bêtes avec son couteau pointu. Trois taureaux étaient attachés la tête très près du sol ; l'un saignait de la gueule et un autre présentait des coupures régulières et fraîches sur le dos et sur le côté droit. Il était courant de donner des coups d’aiguillon (sorte de clou dépassant de l’extrémité du bâton) pour déplacer les animaux.

 

Trois hommes frappaient une vache pour la faire monter dans un camion. Elle avait une plaie ouverte sur la croupe à force de recevoir des coups. J'ai relevé le numéro du camion, mais un des trois hommes, de forte corpulence, m'a demandé ce que j'avais noté. Je lui ai répondu que cela ne le regardait pas, il m'a alors saisi et m’a menacé pour que je lui donne mes notes. Il a crié aux autres que j'avais noté quelque chose. Lorsque j'ai voulu partir, il a été encore plus violent et m'a menacé avec son bâton. Les autres négociants m'ont alors entouré. Je lui ai donné le papier, pour le calmer. Il devint furieux quand il vit le numéro du camion, les autres l'ont retenu et m'ont dit de partir. J'ai été bousculé et l'individu en question m'a porté un coup dans le bas du dos avec son bâton. Cette personne, bien connue des autres négociants, m’a, depuis, de nouveau agressé sur un autre marché de Bretagne.

 

Lorsque des images de maltraitance d’animaux sur les marchés étaient diffusées à la télévision, les acteurs de la filière viande se défendaient en disant que les images provenaient de l’étranger. Mais si j’avais pu filmer moi-même tout ce dont j’ai été témoin sur les marchés de France, le scandale n’en aurait été que plus grand. Je pense à cette vache, sur un marché de la Manche, si maigre et si incapable de marcher que lorsqu’elle tombait, les négociants la frappaient violemment pour la faire se relever. Ils appelaient ce genre de vaches des tréteaux. Sur un autre marché aux bestiaux, pas moins de cinq cadavres de bovins ce jour-là étaient étendus sur le sol. J’ai fait euthanasier par un vétérinaire une vache qui souffrait, un autre bovin d’une

maigreur extrême agonisait en contrebas d’un quai, et trois autres bovins étaient morts (sur le tas de fumier ou au bord d’un quai). Pour leur défense, les négociants en bestiaux disaient que ce n’étaient pas leur faute si les bêtes avaient atteint cet état, qu’il fallait voir cela avec l’éleveur. Mais, rien ne les obligeait à faire le commerce de bêtes en état de souffrance, sinon l’attrait de quelques billets de plus, que rapportait la transformation des vaches malades et blessées en steak haché.

 

Le ménage sur ces marchés aux bestiaux a été fait grâce à la crise de la vache folle, mais pas par les autorités compétentes qui avaient peur de mener des opérations de contrôle en raison de tentatives d’intimidation, de pneus crevés sur le parking, etc. Deux techniciens vétérinaires se sont fait boucler dans un bureau, et une vétérinaire fut volontairement enfermée avec un taureau dans un enclos, tout cela sur le même marché… Moi-même, sur un marché où se trouvaient ce jour-là cinq cadavres de bovins, je me suis fait mettre à la porte manu militari par le responsable du marché, qui était également éleveur.

 

 

 

 

 

 

Commentaires

Je suis dégoûtée de lire ce que peuvent endurer les animaux nous sommes végétariens avec mon mari et j essayé de convaincre le plus de gens possible pour faire stopper ou au moins diminuer ces sacrifices
Merci d avoir eu le courage d enquêter et d ecrire

Écrit par : Santens | mercredi, 07 mai 2014

Merci Santens de votre visite. Oui, des milliards d'animaux vivent une vie d'horreur et Jean-Luc Daub a eu un courage exceptionnel de mener cette enquête, les yeux ouverts, sans jamais baisser les bras et en laissant son désespoir de côté.
Moi, je n'essaie plus de convaincre désormais, après des échecs cuisants ou j'étais inefficace. Je sème les graines du questionnement. C'est difficile de "convaincre", car souvent nous créons des préventions en voulant absolument que notre interlocuteur change son regard sur les animaux. Quelque fois il faut poser une graine dans le cœur de quelqu'un et se dire qu'elle germera plus tard, que c'est la personne elle-même qui doit faire le chemin vers la prise de conscience.
Merci de votre témoignage sous ce billet, et à bientôt.

Écrit par : AlmaSoror | jeudi, 08 mai 2014

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