Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 13 janvier 2012

Carvos Loup : Orange Olonne

Carvos Loup intervient le vendredi sur AlmaSoror, avec une photo illustrée par une phrase ou deux.

Carvos Loup, Orange, Olonne

Les inconnus passent rarement sur cette baie vendéenne d'où partirent tant de vaisseaux pour l'Amérique et toutes les autres mers. L'intérieur de la ville est un coeur ouvert sur la mer. Le danger paraît imminent depuis cinq ou six cents ans. Mais les événements avortent et les vies s'écoulent entre le béton, le sable et les morves de rêve.

mardi, 10 janvier 2012

Dauphins

AlmaSoror accepte de publier cet appel, cette adresse inutile d'Esther Mar
à un ami emmuré dans son ciel infini

bordel de l'aube.jpg

La chambre d'Hamilcar à Apsyaï

mer aimée.jpg

L'esprit d'Hamilcar ressemble à cette mer entre deux eaux.

"Oublie tes symptômes recommence à vivre. Oublie tes symptômes. Va voir où les dauphins crient, dans la mère-mer. Oublie tes symptômes à l'oreille droite ; oublie tes symptômes à la jambe gauche ; oublie tes symptômes du coeur et tes symptômes du scandale. Oublie tes symptômes, va voir les dauphins, là-bas dans la liberté de la mer, loin du sanatorium. Va voir les dauphins au fond de la mer, loin du sanatorium".

 

Ce furent les dernières paroles d'Hamilcar Merri avant d'entrer dans le monde nacré de son imaginaire, d'où aucune porte ne permet de sortir. Son imaginaire est un univers couvert de portes d'entrées par lesquelles on ne peut passer dans l'autre sens. Aussi est-ce avec curiosité que je l'écoute quand il parle encore, dans sa nouvelle langue à double sens, dans la blancheur des sas, derrière les murs d'Apsyaï.

Ami parti, au corps inchangé, aux gestes ralentis, je ne te demande même pas de revenir ou de redevenir. Je contemple notre amitié sans pierre d'attache. Je t'aime encore.

Esther Mar

dimanche, 08 janvier 2012

Fille d'ouvriers ou la révolte sans fard ni loi

En ce dimanche, jour du Seigneur et de repos, nous présentons Fille d'ouvriers (Jouy-Goublier), suivi d'un extrait de Mélancholia, de Victor Hugo

A quinze ans, ça rentre à l'usine, Sans éventail,
Du matin au soir ça turbine, Chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s'étiole, Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole, Chair à patron.


fille d'ouvrier par Chansondhistoire

Paroles de Jules Jouy (1855-1897) (faites connaissance avec lui sur ce site) et musique de Gustave Goublier, dont on peut lire la vie sur la page des amis du Père Lachaise

 

Paroles :

Pâle ou vermeille, brune ou blonde,
Bébé mignon,
Dans les larmes ça vient au monde,
Chair à guignon.
Ébouriffé, suçant son pouce,
Jamais lavé,
Comme un vrai champignon ça pousse
Chair à pavé

A quinze ans, ça rentre à l'usine,
Sans éventail,
Du matin au soir ça turbine,
Chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s'étiole,
Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole,
Chair à patron.

Jusque dans la moelle pourrie,
Rien sous la dent,
Alors, ça rentre "en brasserie",
Chair à client.
Ça tombe encore: de chute en chute,
Honteuse, un soir,
Pour deux francs, ça fait la culbute,
Chair à trottoir.

Ça vieilli, et plus bas ça glisse...
Un beau matin,
Ça va s'inscrire à la police,
Chair à roussin;
Ou bien, "sans carte", ça travaille
Dans sa maison;
Alors, ça se fout sur la paille,
Chair à prison.

D'un mal lent souffrant le supplice,
Vieux et tremblant,
Ça va geindre dans un hospice,
Chair à savant.
Enfin, ayant vidé la coupe.
Bu tout le fiel,
Quand c'est crevé, ça se découpe.
Chair à scalpel.

Patrons ! Tas d'Héliogabales,
D'effroi saisis
Quand vous tomberez sous nos balles,
Chair à fusils,
Pour que chaque chien sur vos trognes
Pisse, à l'écart,
Nous les laisserons vos charognes,
Chair à Macquart !

 

Mélancholia, de Victor Hugo : la critique sociale versifiée :

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !
Ils semblent dire à Dieu : - Petits comme nous sommes,
Notre père, voyez ce que nous font les hommes !

 

VH

vendredi, 06 janvier 2012

Carvos Loup : Un ange

Carvos Loup intervient le vendredi sur AlmaSoror, avec une photo illustrée par une phrase ou deux.

Carvos Loup, ange

De temps en temps, un ange passe en courant.

jeudi, 05 janvier 2012

Persona grata

Roll1.MedicisPigeonAllee.5-500x338.jpg

"Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche,
ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir".
Aimé Césaire

Visage

Tous ces individus ne se ressemblent qu'en apparence. Chacun de ces milliards de milliards d'êtres est une personne pourvue d'un visage. Les traits de ce visage le différencient des autres pour l'éternité : magie individuelle qui distingue chacun d'entre eux des autres membres de leur espèce.

Liberté
Face au drame de la vie, chacun d'eux fait des choix, avec une grande part d'instinct, et la petite part de libre-arbitre qui fait la signature d'une existence unique. Face au drame qu'est la vie, chacun d'eux réagit d'une manière différente, et la somme de ses choix s'appelle sa biographie. Mais aucun d'eux n'écrit les biographies autrement que par l'accomplissement de l'acte dans l'instant, dans l'instant qu'ils épousent de leurs forces vitales.

Désir
Beaucoup d'entre eux font preuve d'un grand amour de la vie, d'un grand amour des autres. Au creux du cœur, au creux du corps de chacun d'eux s'agrippe une volonté de vivre dans un espace déployé, aux côtés de leurs enfants et de leurs proches, dans le déroulé quotidien des luttes, des joies, des cruautés et des peines de l'existence et de leur peuple.

Angoisse
Ils connaissent l'enthousiasme des courses dans le vent, la sensualité des paresses au soleil et le découragement après trop de jours sans lueur. Ils savent attendre les bonnes nouvelles. Ils savent qu'elles ne viennent pas toujours.
Ils connaissent la douleur de l'amour, la douleur de la solitude. Ils jaugent la violence et les ennemis, la possibilité d'une amitié.
Ils savent la liberté du geste qu'on pose, l'inquiétude face à l'ennemi, l'émotion de sa propre faiblesse.
Ils vibrent au miracle de la rencontre, s'aigrissent dans la déception de l'incompréhension. Hier, le mal-être au sein du groupe ; aujourd'hui, l'arrogance de dominer.

Douleur

En vérité, chaque visage est marqué par la vie fulgurante et fragile, par la mort qui s'approche et menace. Il y a la lutte pour sa dignité au risque de la mort, ou bien, le renoncement à son honneur pour moins de coups sur l'échine, plus de bouffe dans l'écuelle.
Que de partage ! Et puis des éloignements, des retrouvailles en cris de joies... Et parfois, comme un acte ultime – de désespoir ou de raison ?- le suicide.

Qui sont ces gens ?
Les autres : les animaux des autres espèces que la nôtre.

Roll1.Lisa.33-500x338.jpg

Edith de CL

Avec des photographies de Sara


Autres articles d'AlmaSoror pour une fraternité transanimale :

Pour Laïka

Pour un sanglier mort au combat

Pourquoi pas d'alcool de salamandre

Terra libra

Poules des usines, des chansons

Ouvrir l'an 2010

In memoriam Gange

Rock antispéciste

Requiem pour la liberté

Vous n'avez faim que de bêtes...

Cas de conscience

Libérez l'anima

Il était une fois l'animal

Que faire de nos forces ?

Les oiseaux de Buffon

Une marche humaine


mercredi, 04 janvier 2012

L'enfance, la civilisation et le monde sauvage

Sommaire :

Ouverture : l'enfance est un pays frontalier...
I La guerre du feu, de JH Rosny Aîné : Retour aux sources préhistoriques

II Crin Blanc, un film d'Albert Lamorisse : Combats à la frontière du sauvage et du civilisé

III Les derniers géants, album illustré de François Place : contre l'exploitation et l'approche scientifique de la nature et des "peuples premiers"

Clôture : domestication, éducation, colonisation : Drame ou Tragédie ?"


par Edith de Cornulier-Lucinière

(Ce texte est la reproduction écrite de la huitième séance d'
Une enfance littéraire française, causerie créée pour les étudiants du Cours de Civilisation française de la Sorbonne)

Crin Blanc, Folco, Albert Lamorisse, Colomb de Daunant

 

Ouverture : l'enfance est un pays frontalier...

L'enfance, qu'est-ce ? Un pays entre la civilisation et le monde sauvage. La nature y met des rêves et des pulsions ; la société y met son éducation...

Ce thème touche au tiraillement de l'homme entre la civilisation, qui le distingue des autres animaux, et le monde sauvage, un monde sauvage dont l'homme est issu, et pour lequel il éprouve à la fois rejet et fascination. Ce thème nous mènera vers trois œuvres, trois points de vue sur la civilisation et le sauvage, des œuvres respectivement créées au début, au milieu et à la fin du XX ème siècle.

La guerre du feu se passe aux temps préhistoriques. Les hommes luttent pour la survie du clan.
La colonisation du monde par l’homme y est vu comme positive : elle permet la survie.
C'est donc une œuvre progressiste, optimiste, un hymne à la marche de l'homme vers toujours plus de civilisation.

A l'origine pour les adultes, l'édition l'a depuis réservée aux enfants. Comme si les hommes préhistoriques, non civilisés, étaient plus proches des enfants. Ils apprennent à dompter le feu pour devenir civilisés, comme l'enfant doit dompter sa nature sauvage pour devenir adulte. Dans les années 1980 un film de Jean-jacques Annaud a remis l’œuvre au goût du jour pour les adultes. Mais l’engouement fut passager et à nouveau La guerre du feu se retrouve dans les collections « jeunesse » des éditeurs.

Crin Blanc se passe dans les années 1950.

Réalisé exprès pour les enfants, il est un des films qui marquent le plus les enfants qui l'ont vu, un de ceux qu'ils emmènent avec eux dans leur vie d'adulte. Ce film représente leur enfance.

L'enfant Folco, héros du film, est un petit pêcheur de Camargue. Il entend un propriétaire de troupeaux sauvages dire que celui qui arrive à attraper Crin Blanc en sera le maître. Mais lorsque Folco s'empare de Crin Blanc, les hommes veulent lui reprendre.
Crin Blanc refuse d'être un cheval domestique et préfère l'amitié avec Folco au dressage des hommes. Alors Folco et Crin Blanc s'enfuient dans la mer pour garder leur liberté.

Crin Blanc est une œuvre radicale, qui prône le refus de la soumission, la course vers la liberté mais qui met en valeur les rapports de force.

Les derniers géants (récit illustré datant des années 1980) se passe au XIX ème siècle.
C'est la rencontre d'un homme civilisé avec un peuple inconnu : les Géants.

À travers la découverte et la destruction du peuple des géants, ce long album élabore une critique de la civilisation, de la colonisation, de l'ethnologie, du tourisme, de la science.

Les derniers géants est une œuvre pessimiste.


I La guerre du feu, de JH Rosny Aîné : Retour aux sources préhistoriques

 

Au départ, La guerre du feu était un livre de littérature générale, un livre pour les adultes. Très vite, il a été uniquement édité dans des « collections jeunesse ».

Ce roman est l'origine d'un immense effort pour faire connaître la préhistoire. Durant tout le XX ème siècle, de nombreux livres sur les dinosaures et les hommes préhistoriques sont édités pour les enfants.
C'est un roman qui a beaucoup influencé la vision des paléontologues et autres spécialistes de la préhistoire. Ce n'est que récemment qu'ils ont remis en question les comportements des humains préhistoriques tels qu'ils sont décrit dans le roman.

L’auteur, JH Rosny Aîné, a vécu parmi les hommes entre 1856 et 1940. Pendant longtemps, Rosny a écrit en collaboration avec son frère, Rosny le Jeune. Mais le livre qui l'a rendu célèbre et dont nous parlons aujourd’hui, il l'a écrit seul, en 1911.

La guerre du feu se passe aux temps préhistoriques. Le clan des Oulhamrs a perdu le feu. Les gens du clan sont voués à la mort. Le chef Faouhm dit que celui qui retrouvera le feu sera son égal et prendra sa fille pour femme. Naoh relève le défi.

Les personnages essentiels sont Faouhm, le chef ; Naoh, un homme de la tribu : Gammla, la fille du chef Faouhm ; le feu.

Deux adaptations cinématographiques aux antipodes du XX°siècles mettent en valeur l’incroyable changement des mentalités en France.
En 1914, Georges Denola, en noir et blanc, sans paroles, dans la technique balbutiante du cinéma de l'époque, tourne un film beau et étrange.
En 1981, sort un film spectaculaire de Jean-jacques Annaud. Cette seconde adaptation n'est pas montrée aux enfants (sexe, grande violence de certaines scènes) et a remis la guerre du feu pour un temps en vogue chez les adultes. Mais le roman est toujours publié dans les collections pour la jeunesse.

La première adaptation, de Denola, s'intéresse à la religiosité primitive ; il s’ouvre sur une danse mystique des hommes en l’honneur du feu.
La seconde adaptation, d'Annaud, s’intéresse à la sexualité primitive ; il s’ouvre sur une scène de sodomie au bord d’une rivière : ces deux adaptations reflètent les changements des préoccupations au cours du XX°siècle... J'avoue une nette préférence pour le premier, que je conseille à mes lecteurs et étudiants.


Crin blanc par malavidafilms


II Crin Blanc, un film d'Albert Lamorisse : Combats à la frontière du sauvage et du civilisé

 

Crin Blanc fut d'abord un film, avant d'être adapté, avec les photos du film, en album illustré (il est toujours en vente, chaque année réimprimé).

L’univers de Crin Blanc compte largement autant que l’histoire et donne une épaisseur particulière à l’œuvre.

La Camargue, parc naturel protégé où se déploient chevaux, taureaux et rizières, est située en Provence, autour de trois villes : Arles, les Saintes-Maries de La Mer, et Port Saint-Louis du Rhône.
Arles est une ville traversée par le Rhône ; c'est la ville de la photographie, avec, chaque été, les Rencontres photographiques d'Arles.
Les Saintes Maries de La Mer est la ville des gitans. Les gitans et les Roms y vénèrent Sainte Sara(h) la Noire et baptisent de préférence ici leurs enfants.
Quant à Port Saint-Louis du Rhône, c’est la que le fleuve-dieu venu d’un glacier du Nord se jette dans la mer, comme un fou. Et c’est là que s’achève l’histoire de Crin Blanc : dans la folie du Rhône en noces mystiques avec la mer.

Les auteurs de Crin Blanc sont le scénariste Denys Colomb de Daunant, gendre du marquis Folco de Baroncelli, un des derniers grands seigneurs camarguais, et le cinéaste Albert Lamorisse, qui s'est spécialisé avec talent dans les films pour enfants.

Paru en 1953, Crin Blanc a obtenu le Grand Prix du festival de Cannes, le Prix Jean Vigo, le Prix de Centre International de l'Enfance et le Grand Prix de la critique polonaise.

J’ai trouvé deux points de vue américains récents sur ce film merveilleux.

En 2007, le New York Times avec un article de Terrence Rafferty le classe comme l'un des plus beaux films pour enfants de tous les temps. Mais dans le Washington Post, des auteurs ont fait valoir que Crin Blanc, film néfaste, fait croire aux enfants qu'un monde meilleur est possible, d’une manière d'autant plus fourbe que ce film a des apparences réalistes. L’histoire de Crin Blanc est un mensonge, qui fait croire aux enfants que le monde est libre et beau. Ce mensonge est une tromperie, qui mène les enfants au refus de grandir ou bien à de très grandes désillusions.

Il y a donc l'école du rêve et l'école réaliste... Face à ceux qui souhaitent configurer les cerveaux enfantins en fonction du rôle qu’on souhaite leur faire jouer plus tard, défendons la possibilité du rêve, de zones d'imaginaire où la réalité n'a pas tous les droits.

(Une autre œuvre célèbre du cinéaste Albert Lamorisse, Le Ballon rouge, est un hymne à Ménilmontant. Le ballon rouge est une merveille de poésie et d'intelligence, où l'on voit revivre le Ménilmontant des instituteurs laïcs, des lavandières, des bus d'époque... Ce film a reçu la même critique que Crin Blanc : à force de montrer aux enfants un monde où tout est possible, on leur prépare de grandes désillusions).

Pourquoi tant de peurs ? Parce que l'histoire de Crin Blanc est une invitation à la rébellion éternelle.
Crin Blanc est le plus beau des chevaux sauvages. Folco est un petit garçon de Camargue. Folco entend parler de Crin Blanc le cheval sauvage et décide de le capturer pour en faire son cheval.

Crin Blanc, qui hait les hommes se laisse peu à peu approcher par Folco. Les deux amis fuient les hommes qui veulent s'emparer de Crin Blanc, et se sauvent dans la mer, dont ils ne reviendront jamais.

Le film contient une contradiction : la vision qu’il donne des manadiers et gardians (éleveurs de chevaux) est mauvaise : ce sont les grands ennemis de l’amour et de la liberté. Mais, dans le même temps, le film est une valorisation à l’extrême de leur culture, de leur mode de vie. Les Camarguais ne s’y sont pas trompés : ils sont très fiers du film.

Quel est le thème du film ? C’est un hymne à l'amitié entre les hommes et les animaux, c’est  un appel à des rapports de force, des confrontations, des violences plus belles que l’adhésion à un monde sans conflits. Folco n'est pas dénué de désir de domination : il veut posséder Crin Blanc ; il tue poissons et lapins pour se nourrir. L’amitié, la tendresse et la violence ne s’excluent pas.

Les personnages sont peu nombreux : il y a Folco, le petit garçon, Crin Blanc le cheval sauvage, il y a les manadiers (éleveurs de chevaux) et leurs employés, les gardians ; il y a le grand-père, humble pécheur sachant vivre d'éternité, et le petit frère de Folco, qui joue avec une tortue. Il y a le peuple des chevaux et la faune mystérieuse des oiseaux, des poissons, des lapins, des flamants roses.

L’univers de Crin Blanc a dépassé le cadre du film. Un album a été tiré du film et est devenus un des grands classiques de la librairie enfantine française.

Une statue de Crin Blanc orne la place de l'église des Saintes Maries de La Mer. Les vins & bières nommés Crin Blanc sont légion. J'ai trouvé cette publicité pour une bière : "La Crin blanc rend hommage au cheval de trait Comtois par sa couleur, par la blancheur de sa mousse et par son caractère à la fois doux et puissant". Inutile de préciser qu'en Camargue, de nombreux campings, élevages de chevaux, restaurants, s'appellent « Crin Blanc » !

Les noms des personnages ne manquent pas de poésie, de rêve. Folco veut dire Faucon. C'était le prénom du beau-père du scénariste. Le faucon est un oiseau de proie. Crin blanc tire son nom de sa robe entièrement blanche.

derniers géants, François Place


III Les derniers géants, album illustré de François Place : contre l'exploitation et l'approche scientifique de la nature et des "peuples premiers"

Le thème des Derniers géants est la survie des espaces non colonisés. Les derniers géants illustrent la beauté de l'homme-sauvage et le remords de l'homme-technique qui ne sait qu' éteindre la vie parce qu'il a perdu son cœur en développant ses talents. La science équivaut à la colonisation, elle est destructrice. Elle mesure, elle analyse, elle tue. Par sa simple manière de regarder le monde elle le détruit…

Né en 1957, François Place, écrivain et illustrateur, ou peut-être, auteur d’œuvres littéraires et visuelles, a reçu pour Les derniers géants le prix Baobab au Salon de Montreuil en 1992.

L’histoire, écrite dans un style ample, précis, raffiné, relate le voyage du scientifique Archibald Ruthmore, qui quitte l'Angleterre du XIX° siècle pour explorer les contrées sauvages. Il découvre un peuple magnifique demeuré inconnu, le peuple des géants. Les géants, êtres de taille immense, très sensibles et raffinés, l'accueillent avec amitié et bienveillance.

De retour en Angleterre après un long moment passé auprès de ces êtres d’une grande bonté, Archibald écrit un livre pour présenter le peuple des géants, leur histoire, leurs caractéristiques, leurs traditions. Aussitôt, scientifiques, militaires, religieux, administrateurs, se ruent à la rencontre des géants.
Bientôt, tous les géants sont décimés. Leur civilisation est éteinte. Leurs dépouilles sont exposées dans les musées, agrémentées d’explications scientifiques et ethnologiques.
Archibald Ruthmore ne se voile pas la face. Il abandonne tous ses biens. Il part errer de port en port. Il est désespéré d'avoir été la cause de la destruction d'un peuple profondément bon, bien meilleur que le sien.
Les derniers géants sont une œuvre rousseauiste.

 

derniers géants, François Place

Nous avons déjà mentionné Jean-Jacques Rousseau (dans une autre séance de ce cours), lorsque nous présentions Gavroche, l'enfant de Paris, personnage des Misérables, de Victor Hugo. Nous avions parlé de Rousseau comme du philosophe de l'égalité, par opposition à Voltaire, philosophe de la liberté.

Mais Rousseau était aussi le philosophe de la nature. Il a beaucoup vanté l'état de nature, l'époque reculée où l'homme n'avait pas encore domestiqué le monde et où il vivait en paix et en harmonie avec la nature. Pour Rousseau, la civilisation est liée à la perversion. On a appelé ce courant de pensée "mythe du bon sauvage".

Et Voltaire, toujours son contraire, est le philosophe de la culture ! Il se moquait de Rousseau, l'accusant de vouloir que les hommes broutent tous nus dans l'herbe, car pour lui, c'est la civilisation qui adoucit les mœurs, tandis que la nature demeure un monde sans morale, où la cruauté et l'instinct règnent en maîtres.

Rousseau, donc, philosophe de l’égalité et de la nature ; Voltaire, philosophe de la liberté et de la culture…

rêve de biarritz.JPG

Clôture : domestication, éducation, colonisation : Drame ou Tragédie ?"

Si je laisse ces trois œuvres m’imprégner, La guerre du feu, Crin Blanc et Les derniers géants, peu à peu une analyse commune surgit au fond de moi et me permet d’articuler des idées autour du thème de l’enfance, pays frontalier entre la vie sauvage et la vie civilisée.

Sous-jacente au thème du monde sauvage et de la civilisation, il y a la question de l'éducation. Questions religieuses mises à part (l'idée d'une âme éventuellement placée dans certaines catégories d’êtres), c'est par l'éducation que l'enfant sort du monde animal mammifère pour devenir un être civilisé.

L'éducation rend civilisé ce qui était sauvage. L'enfance est donc à mi-chemin entre le monde sauvage et le monde civilisé.

Dans La guerre du feu, des tribus se battent pour survivre et domestiquer le feu. Ce roman était à l'origine pour les adultes, mais très vite on en a fait un livre réservé aux jeunes. Pourquoi ? Parce qu'on les sent plus concerné par le monde préhistorique que des adultes civilisés.

L'analyse connue de Crin Blanc, c'est qu'un enfant choisit le monde des chevaux sauvages plutôt que d'entrer dans la civilisation et devenir un adulte.
Pourtant, cette analyse n'est pas si profonde. C'est à cause du mensonge des hommes que l'enfant fuit dans la mer. Folco n'est pas un défenseur des chevaux contre les hommes, puisqu'il souhaite posséder Crin Blanc. Il n'a rien contre le dressage et la propriété sur les animaux. Crin Blanc et Folco sont deux être libres et dominateurs qui veulent suivre leur propre volonté et ne veulent pas se soumettre aux hommes plus forts qu’eux. En ce sens, Crin Blanc est un film Nietzschéen, qui prône liberté, responsabilité, volonté de puissance. C'est un film qui met en scène la civilisation dans toute sa puissance, cette civilisation qui a dépassé le stade de la survie mais n'a pas perdu sa force naturelle. La civilisation des chasseurs, des pécheurs, des éleveurs, qui vont voter en ville et se battre dans les forêts, qui lisent et écrivent dans leurs bureaux mais meurent au cours d’une chevauchée sauvage. Sorti du monde mammifère, l’homme n’est pas encore décharné, mangé par sa sophistication. Crin Blanc décrit un monde d’équilibre violent et beau entre la nature et la culture.

Dans Les derniers géants, la civilisation est dévoilée, son masque se déchire : ce n'est pas le monde sauvage qui est brutal ; c'est le monde civilisé qui tue, avec ses livres, ses instruments de mesure, ses villes... Et finalement, l'homme éduqué est incapable du moindre respect tandis que "les sauvages" vivent dans le haut respect des plus belles vertus : la liberté, la vérité, l'humilité. Mais l’homme civilisé n’est même pas méchant : c’est la structure de sa société qui le prive de toute relation avec le reste du monde. Et quand il se penche sur le monde, c’est en Deus ex machina, en observateur ou en transformateur. Toute solidarité avec l’altérité lui est donc fermée.

Education, domestication et colonisation sont identifiées dans ces trois œuvres.

Dans la guerre du feu, l’homme domestique le territoire et les éléments (principalement le feu). Cette domestication est positive : elle atténue la violence et favorise la paix.

Dans Crin Blanc, l’homme dresse les chevaux et méprise les enfants. La violence du monde sauvage s'oppose à la violence du monde civilisé, dans un bon équilibre. Chaque monde a ses grandeurs et ses incapacités. La vie est dure, mais belle. L'enfant travaille (il ne va pas à l'école) mais il a la beauté entière des enfants libres. 
L'éducation et la domestication sont remises en question : Crin Blanc doit-il être le cheval favori du manadier, pourvu de la plus belle selle, ou un cheval anarchiste qui vit loin des hommes ? Folco doit-il aller à l’école et mettre des chaussures ou bien courir les champs au risque de mourir en tombant d’un arbre ? Crin Blanc représente une étape de la civilisation où l'homme est civilisé sans avoir perdu sa force vitale. Ce qui le rend plus violent, plus cruel, mais aussi plus vivant, plus capable d'amour et de don.

Dans Les derniers géants, l’homme colonise les peuples qui n'en ont pas besoin, qui sont meilleurs que lui, parce que l'homme civilisé ne sait pas regarder le monde sans vouloir le posséder, le transformer. La colonisation est négative, et elle rend, par déduction, la domestication et l'éducation tout aussi négative. La domestication n'est que le premier jalon d'un phénomène : elle appelle l'éducation des enfants pour leur apprendre à vivre la complexité d'un monde domestiqué. ces enfants éduqués, devenus des hommes, n'auront de cesse d'éduquer tout ce qu'ils voient, c'est le troisième jalon : la colonisation.

La colonisation des peuples, la domestication des territoires, l’éducation des enfants, sont le même processus vital, puis destructeur. Du rêve d’un monde meilleur où les corps sont moins malmenés, à la désillusion du cœur perdu qui ne sait plus ce qu’est un corps, la route est longue et triste.

La domestication des territoires et des éléments a mené à la civilisation. C'est la colonisation de notre propre environnement.

Pour survivre, la civilisation éduque les enfants, les animaux... C'est la colonisation de nous-mêmes, de nos friches intérieures.

Domestication et éducation sont des formes de colonisation.
Et enfin, quand c'est fait, quand tout est colonisé en soi et autour de soi, l’ennui dévore, la déprime se déploie, l'envie de partir naît. Alors on s'embarque pour aller découvrir l'inconnu, "trouver du nouveau" comme le dit Baudelaire. Mais... L'homme civilisé n'est plus comme l'enfant : il est incapable de regarder sans prendre possession, de vivre une amitié sans vouloir transformer l'autre. Il ne plus être fraternel et tout ce qu’il touche, même son rêve, surtout son rêve, il le détruit.
Le processus de colonisation est paradoxal : il est inéluctable pour survivre et mène à la destruction.

 

Même le goût de l'exotisme, même la quête du sauvage, mène à la destruction car l'homme civilisé, coupé de sa propre nature sauvage, est un perpétuel insatisfait : comme Don Juan, il veut sans cesse une nouvelle conquête, mais dès qu'il a conquis il se désintéresse d'elle et la détruit. L’homme qui s’est civilisé lui-même n’a plus d’amour à donner, plus de guerres à mener. Son regard est plus efficace qu’une kalachnikov car son corps n’est plus qu’une enveloppe vide.

Dans la Guerre du feu, les tribus sont à peines humaines : ce sont des animaux supérieurs, qui se battent sans cesse pour survivre et aspirent à vivre une vie moins matérielle, plus spirituelle.

Dans Crin Blanc, l'enfant refuse de se soumettre aux hommes et préfère la mort à la liberté. Il ne fait pas cela par survie, mais par choix, par besoin vital d'être libre. C'est la violence des manadiers et de Folco qui permet aux chevaux d'être encore libres. Si ces hommes n'aimaient pas galoper dans les marais, ils garderaient leurs troupeaux dans des écuries...

Dans Les derniers géants, le scientifique explorateur détruit un peuple magnifique parce qu'il est trop civilisé pour vivre une amitié libre : il doit écrire des livres, et ses livres tuent le peuple de géants, qui représentent les derniers hommes non colonisés de la planète. Ainsi même la littérature et la culture, instruments de paix, ne peuvent plus que participer à la désolation du monde.

Le processus de colonisation commence donc par soi-même. On se détruit soi-même pour devenir adulte. On détruit ses enfants en les éduquant. On détruit tout ce qu'on touche parce qu'on est civilisé.

La chronologie de ces trois oeuvres (1912, 1953, 1992) démontre bien l'évolution de la pensée au XX°ème siècle : il s’est ouvert avec de grands rêves ; il s’est fermé épuisé, plein de désillusions.

 

Ces colonisations successives (domestication, éducation, colonisation), posent la question antique : s’agit-il d’un drame ou d’une tragédie ?

La différence entre le drame et la tragédie est la possibilité du dénouement.

Dans le drame, rien n'est joué à l'avance. Les personnages tiennent leur destin en main et peuvent vaincre l'adversité. Le drame est une épopée : l'héroïsme des hommes influence positivement le monde.

Dans la tragédie, tout est joué avant même que les évènements ne commencent. Les héros ne peuvent rien faire contre leur destin, quelle que soit leur valeur. La seule chose qu'ils ont à défendre, c'est leur réputation. La tragédie est le déroulement d'un destin perdu d'avance. La fatalité est plus forte que les désirs et les essais des hommes.

L'exemple le plus célèbre est Œdipe-roi, la tragédie de Sophocle. Un oracle prédit qu'Œdipe tuera son père et épousera sa mère. Malgré toutes les précautions prises par les personnages et par lui-même, l'oracle se réalise.

L'universitaire américain George Steiner a donné un exemple de ces deux visions  -drame et tragédie – en opposant deux auteurs russes du XIXème siècle. Selon lui, Tolstoï est un dramaturge, et Dostoïevski un tragédien.

La guerre du feu est un drame : le drame d'un peuple qui doit lutter comme un fou pour survivre, se reproduire et progresser dans sa conquête du territoire et des éléments. Qu’il y ait échec ou réussite, tant qu’il reste quelqu’un pour se battre l'issue est incertaine, les jeux sont ouverts.

Crin Blanc, suivant l'interprétation que fait le spectateur, est un drame ou une tragédie.

Parce qu'il est impossible de grandir sans se tuer soi-même, l'enfant Folco choisit une sorte de suicide, même si ce n'est pas dit ainsi. C'est le côté tragique de Crin Blanc : l'enfant et le cheval doivent mourir pour rester eux-mêmes, ou bien vivre mais à la condition du suicide intérieur.

Mais Folco aurait pu choisir l'entente avec les manadiers, la composition avec la société, de même que Crin Blanc, comme tant d'autres chevaux, pouvait accepter d'être domestiqué. Ils choisissent leur destin, ils décident en conscience de leur propre route à un carrefour qui leur laissait d’autres possibilités. C'est le côté dramatique de Crin Blanc.

Les derniers géants sont tragiques.  Parce qu'il est impossible d'être un scientifique et de respecter la vie, Archibald va causer la perte du plus beau peuple du monde : les géants. Archibald est victime de lui-même. Parce qu'il est un homme civilisé il représente un danger pour tout ce qu'il touche, quelles que soient ses intentions. Il n'a pas de choix. Sa capacité de destruction est inscrite au creux de lui-même, de son éducation, de sa civilisation. Il est l’assassin suprême, car il a perdu sa capacité à vivre en bête dans le monde plein de dangers et de tendresses. Il a perdu son cœur il y a longtemps et il tue ce qu’il aime parce que la civilisation coupée de sa source sauvage est mortifère. Les hommes civilisés sont comme des tomates cultivées hors sol. Ils croient qu’ils vivent ; ils n’ont plus d’organe vivant.

 

Conclusion désespérée d'une âme qui cherche son corps :

La vie sauvage est dramatique. La vie civilisée est tragique. 

SAM_1679.JPG

 

 Il reste le rêve, n'est-ce pas ?

 

 Edith de CL automne 2011

 

samedi, 31 décembre 2011

La naissance des ours

bonhomme.gif


Veille - Nuit - Premier matin

Veille

arzel.jpg

Les pères, les mères et les amis attendent tout le jour la naissance des oursons.
Dès l'aube, ceux-ci ont fait savoir que ce serait pour aujourd'hui. Mais le jour se lève et s'écoule sans que rien d'autre n'ait lieu que l'attente. L’attente de tous et la douleur de celle qui enfante.

Alors Spiegel im Spiegel, la berceuse d'Arvo Part qui multiplie les images dans les miroirs, joue tout le jour dans la fraîcheur froide tandis que des cierges se consument dans les maisons du Sud et les églises d'Île de France.

Même dans les pages des livres d'enfants, tout se tait ; tout s’immobilise ; les personnages attendent. Animaux et humains, ils savent que quelque chose va avoir lieu.
Et dans les cuisines on ne sait pas quoi faire en attendant.  Les heures s’écoulent dans l’étonnement du silence.

 

Nuit

Kiko.jpg
Kiko, par Sara

La nuit tombe et l’ourson frappe à la porte. Tout prend un air de crèche. C’est la fête émerveillée.

L'ourson, à peine éclos, prend place dans la fratrie totémique : un frère-Dieu, deux sœurs-fleuves et un frère-fleuve, qui l'entraîneront sur les routes puissantes du rêve éveillé.
Loin du Sud, à Paris, au fond d’une cour de Montparnasse, quelqu’un songe : quel est cet enfant assez étrange pour naître lors de la trêve des confiseurs ?

 

Premier matin

Révolution, Sara

Le soleil d’hiver s’est levé sur le premier matin d’Orso sur la terre. Il a entrevu le ciel à travers le rideau. Il a tété sa mère, sucé son pouce. Il a voulu que son premier soir d’homme soit un réveillon de nouvel an, parce que la vie qu’il commence est une révolution.

 

Bienvenue dans ce monde ! Et pour t'accompagner, une phrase de philosophe :

"Quel vin est aussi pétillant, savoureux, enivrant, que l'infini des possibles!"
Søren Kierkegaard

AlmaSoror, Edith de Cornulier-Lucinière, Sara, blason

Edith de Cornulier-Lucinière, pour Orso B, né le 30 décembre 2011 au bout d'une longue journée.

 

 

 

vendredi, 30 décembre 2011

Carvos Loup : Nuits

Carvos Loup intervient le vendredi sur AlmaSoror, avec une photo illustrée par une phrase ou deux.

Carvos Loup, Nuits

Oh, la nuit sur le remblai, où l'esprit contraint s'envole enfin en fumée d'enfance et en piraterie. Voitures, vos phares sont nos phares, vos roues sont nos espoirs, vos phares sont nos yeux. Qui peut conduire sur des routes inconnues du monde ?

jeudi, 29 décembre 2011

Poules des usines, poules des chansons : un documentaire, une comptine

carrefour market.jpg

Voici une enquête intéressante de l'association L214 sur les poules en batterie :

Et voilà la comptine, qu'on peut entendre chantée ici et sur Internet :

L’était une p’tite poule grise
Qui allait pondre dans l’Eglise
Pondait un p’tit coco
Pour l’enfant s’il dort bientôt

L’était une p’tite poule noire
Qui allait pondre dans l’armoire
Pondait un p’tit coco
Pour l’enfant s’il dort bientôt

L’était une p’tite poule blanche
Qui allait pondre dans la grange
Pondait un p’tit coco
Pour l’enfant s’il dort bientôt

L’était une p’tite poule rousse
Qui allait pondre dans la mousse
Pondait un p’tit coco
Pour l’enfant s’il dort bientôt

J'ai glané les vidéos sur le site d'L214 et sur YouTube.

 

L'auteur de ce billet (Edith) avait déjà écrit, en 2007, Une marche humaine, sur le sujet de la condition animale. Car de nos jours où tout est bétonné, enserré, mécanisé, qu’il soit homme ou bête, désert est le jour de l’animal concret.

AlmaSoror avait évoqué, en 2009, le désastre animal au moment de Noël.


dimanche, 25 décembre 2011

Insomnie bretonne à Paris

C'était lors d'une insomnie, à Paris. J'ouvris la fenêtre et les mains qui vivaient alors à côté de moi mirent le disque sur le vieux tourne-disque. Il n'y a plus de disques ni de tourne-disques aujourd'hui, il y a des blogueuses à Insomniapolis, qui tuent le temps en sauvant quelque chose de l'espace mental. Le vent de la ville tournait dans ma tête et c'était un vent chargé d'un peu de mer de l'Ouest, je vous le jure. Il y avait le souvenir des émeutes et des vengeances personnelles qui se maquillaient en politique. Il y avait la mémoire des mots de grand-mère, de la silhouette d'un très vieil oncle. Et loin de l'Erdre où j'avais tant cru, à quelques pas de la Seine où j'avais tant bu, c'était la voix de Gilles Servat qui tanguait un air de nostalgie. Et je me demandais : est-on encore bretonne quand on a tout perdu ? Mais on n'a rien perdu quand on dort dans une antre, que la ville n'est pas froide, car clochards et chiens n'ont ni toits, ni murs. La seule question tangible était : est-on encore bretonne quand on a perdu quelque chose ? La réponse se chante en chansons. On dort en Bretagne dans toutes les villes du monde quand on pleure en souriant dans la bise nocturne. 

 

Édith 

(Merci à l'internaute à qui j'emprunte la vidéo)

samedi, 24 décembre 2011

épuration

Jacques Benoist-Méchin, dans ses mémoires, raconte sa condamnation à mort.

Pavillon Noir.jpg


"... Par ces motifs,

Condamne Benoist-Méchin à la peine de mort, le condamne à la dégradation nationale à vie, le condamne à tous les dépens,

Ordonne que le présent arrêt sera exécuté à la diligence de M. le procureur général,

Fait et prononcé au palais de Versailles, salle des Congrès, le 6 juin 1947, à 18h30.

Selon les dires d'un témoin (J-B Derosne, dans le journal l'Epoque, du 7 juin 1947), je n'ai pas bronché durant la lecture de l'arrêt. Comment pourrait-il en être autrement puisque d'être condamné à mort me laisse indifférent ? Mais je sens monter en moi une grande vague de commisération.
Au terme des débats, le président m'a demandé "si j'avais quelque chose à ajouter pour ma défense". J'ai répondu par la négative, sachant que ma cause était jugée d'avance et qu'aucune de mes paroles ne parviendrait à combler l'abîme qui me sépare de mes accusateurs. Ceux-ci ont voulu me retrancher du monde ; mais moi, de par ma propre volonté, je me suis déjà retranché d'eux.
Pourtant, je n'en ai pas encore fini avec le public qui a suivi pendant bientôt huit jours les audiences de mon procès. Je ne peux lui laisser croire que j'accepte les termes de l'arrêt. Je me tourne vers la salle et m'écrie en guise de protestation :

- Tout cela n'est qu'un tissu de mensonges ! C'est comme s'il n'y avait pas eu de procès...

Je n'ai pas eu besoin de réfléchir pour trouver ces mots. Ils ont jailli spontanément de ma poitrine. En les proférant, j'ai tendu les bras vers l'assistance en geste d'adieu. Et voilà que l'assistance me répond en me tendant les siens. Dans les tribunes, des femmes pleurent ; des hommes me saluent d'un geste de la main ; d'autres applaudissent. Des cris fusent de toutes parts. Dans la loge réservée au président de l'Assemblée nationale, une jeune femme très belle, que je ne connais pas, se dresse et prononce avec indignation des mots dont le sens m'échappe car ils sont recouverts par le brouhaha général (c'est seulement beaucoup plus tard que j'apprendrai qu'elle s'appelle Anne de La Houssaye). Le tumulte augmente. Les jurés qui se dirigeaient vers la sortie se retournent et pâlissent. Le président Noguères s'écrie d'une voix dramatique : "Gardes ! Faites évacuer la salle !" Je ne vois pas la fin de la scène, car un lieutenant de la gendarmerie me reconduit, encadré de deux gendarmes, au petit salon qui m'est réservé.
Tandis que je m'éloigne de la salle des congrès, un vers que j'avais oublié remonte à ma mémoire :

Ô vous dont la barque est petite, retournez
à vos rivages...

C'est celui par lequel Dante a voulu signifier leur congé aux détracteurs de la Divine Comédie. Je n'en connais point qui reflète un dédain plus hautain. C'est à peu près ce que je ressens, en cet instant où, tournant le dos à mes juges que je ne reverrai jamais et laissant derrière moi un monde qui ne m'est plus rien, je m'engage dans un voyage sans retour sur une mer sans rivages. Comme si un fardeau pesant était tombé de mes épaules, tout me paraît soudain plus léger et plus lumineux.

Cependant mon attente se prolonge dans le salon où je suis enfermé avec le lieutenant de gendarmerie et un de ses hommes. A travers la porte j'entends des clameurs, des ordres brefs, un bruit de pas précipités. Soudain un de ses battants s'ouvre pour laisser pénétrer mon avocat, le bâtonnier Marcel Héraud. Bien que son visage reste impassible, je sens qu'il est plus ému qu'il ne veut le laisser paraître. Jamais je n'oserai lui avouer que je n'ai pas entendu sa plaidoirie, ni celle de Maître Aujol. Pas plus, d'ailleurs, que le réquisitoire de monsieur Frette-Damicourt, car ayant achevé de répondre aux questions des magistrats, je me suis senti enveloppé par une nuée si profonde qu'elle m'a rendu quasi insensible à ce qui se passait autour de moi.

- Je viens d'effectuer une démarche auprès du président Noguères, me dit le bâtonnier. Je lui ai demandé d'autoriser votre mère à vous embrasser une dernière fois. Il s'y est refusé.

- Ah ? Bien...

(...)

- La foule, poursuit le bâtonnier, a voulu se masser dans la galerie pour vous saluer lorsque vous l'emprunterez pour aller à la sortie. Votre mère était au premier rang. Quelqu'un lui a apporté une chaise, de crainte que l'émotion... Vous comprenez... Son grand âge... Elle a refusé en disant : "Si mon fils passe devant moi en ce moment, je veux qu'il me voit debout !"

Chère maman ! C'est bien elle...

- Mais le président Noguères a fait évacuer la galerie. La manifestation de tout à l'heure l'a mis très en colère. Vous ne la verrez donc pas... (...)

Marcel Héraud se retire. J'entends de nouveau un bruit de voix. Et soudain éclate un tumulte indescrptible. Cette fois-ci, c'est à l'extérieur. Je marche vers la fenêtre et me penche sur l'appui pour voir ce qui se passe. Mon salon donne sur la rue des Réservoirs qui borde l'aile gauche du palais et rejoint la place d'Armes. Une foule d'au moins trois mille personnes s'est massée devant la grille d'entrée. Elle crie, elle hurle et secoue les barreaux de la grille comme si elle voulait les arracher. J'entends clamer en cadence : "Jurés, assassins ! Jurés, assassins !""

 

jacques benoist-méchin, Maître Aujol, Macel Héraud, président Noguères, Frette-Damicourt

Jacques Benoist-Méchin, in A l'épeuve du temps (1983)

 

La photo est tirée d'un site dédié à Benoist-Méchin par son fils adoptif Ifrène Benoist-Méchin

 

Il est intéressant de lire le dossier "L'Épuration, un dossier controversé", sur le site du Centre National de Documentation pédagogique (ce dossier concerne la Marne).

 

Et dans AlmaSoror, nous parlons de Jacques Benost-Méchin par ici :

Trois esthètes du XX° siècle : Romain Rolland, Jacques Benoist-Méchin, Raoul Vaneigem

Le style immense et plein de pensée de Jacques Benoist-Méchin

L'invasion de l'Europe, années 700

Le désillusionné

vendredi, 23 décembre 2011

Carvos Loup : N'oublie ni l'une,

Carvos Loup intervient le vendredi sur AlmaSoror, avec une photo illustrée par une phrase ou deux.

Carvos Loup, photolittérature, photographie littéraire

N'oublie ni l'une, ni l'autre. Ne trahis ni l'enfance (et ses jouets) ni l'adolescence (et ses jeux). Marche à travers nuits sans compter les étoiles. Qu'elles soient blanches ou noires, les nuits t'emporteront où tu dois aller.


Carvos Loup : Verdure

Carvos Loup intervient le vendredi sur AlmaSoror, avec une photo illustrée par une phrase ou deux.

Carvos Loup, Verdure

Les brouillards enveloppent le monde ; la vérité s'immisce dans nos relations, entre nos bras, au fond de nos yeux. Les chiens se dressent, étonnés.

mercredi, 21 décembre 2011

L'amour ignoré

 

IMAG2212.jpg

 
Tu m’aimais et tu ne partais jamais. Tu étais pour moi une entité si présente, et cette présence était si évidente que je ne pensais pas un jour manquer de toi. Tu étais comme l’arbre sur le chemin de tous les jours, qui salue et abrite et dont on ne sait pas qu’il attend notre passage. Tu étais l’évidence et ton absence seule m’a révélé l’importance de ton être, la grandeur de ton aide, l’immensité de ton amour. Combien sommes-nous à ignorer ceux qui nous portent ? Combien de nous croient qu’ils marchent seuls, qu’ils tiennent par leurs propres muscles debout quand c’est l’attention constante d’un protecteur qui nous fait tenir ?
Hélas, les plus aimants ne savent pas se vanter de leur amour, et les plus aimés méprisent cette nourriture qui leur parait fade parce qu’ils n’en ont jamais manqué. Aussi, quand la solitude nous trouve désespérés à l’aube nouvelle, quand le soutien n’est plus, alors seulement la connaissance de cet amour jamais rendu frappe les cordes de notre cœur comme un remord. Au remord destructeur s’allie le regret assassin de n’avoir pas aimé la personne qui nous aimait, de n’avoir pas compris que l’amour n’est pas la grande lumière pailletée qui attire les mouches mais le regard discret qui prie et aide sans rien dire.

Cœurs aimants, vous souffrez et vous portez le monde.

Cœurs aimés, à l’ingratitude insouciante de votre jeunesse suit la douleur amère des solitudes imprévues.

Et pourtant tout est dit dans la chanson de Solweig, dans le mépris de Peer et dans la musique éternelle des villes et du monde.

 

Edith de CL

 

dimanche, 18 décembre 2011

Moi, si j'avais commis...

Stéphpanneau.jpg
Photos Stefania Rognonino


Moi si j’avais commis tous les crimes possibles,
Je garderais toujours la même confiance,

Car je sais bien que cette multitude d’offenses

N’est qu’une goutte d’eau dans un brasier ardent.

 
Oui, j'ai besoin d'un coeur tout brûlant de tendresse
Qui reste mon appui, et sans aucun retour,
Qui aime tout en moi, et même ma faiblesse,
Et ne me quitte pas, ni la nuit ni le jour.
 
Non, je n’ai pu trouver, nulle autre créature
Qui m’aimât à ce point, et sans jamais mourir,
Car il me faut un Dieu qui prenne ma nature,
Qui devienne mon frère, et qui puisse souffrir.
 
Je ne sais que trop bien que toutes nos justices
N’ont devant ton regard, pas la moindre valeur,
Et pour donner du prix à tous nos sacrifices
Oui, je veux les jeter jusqu’en ton divin cœur.
 
Non, tu n’as pas trouvé créature sans tâche,
Au milieu des éclairs, tu nous donnas ta loi,
Et dans ton cœur sacré, Ô Jésus je me cache
Non, je ne tremble pas, car ma vertu c’est Toi.

Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus

On peut écouter ce texte chanté, ici

LIBERTE L.jpg

 

Nous ajoutons dans le corps de ce billet le commentaire de Sara, qui s'interroge sur la distnction entre "crime commis" et "crime subi".

"Moi si j’avais commis tous les crimes possibles" :
Le problème dans le crime c'est sa victime, il me semble. Si le criminel se sent mal de son crime, c'est qu'il a une "Conscience" ; il a le sentiment du mal qu'il a fait. De mon point de vue, ce sentiment lui est dicté par les règles de la société dans laquelle il vit. C'est la condamnation de la société, de son opinion, de ses lois qui le fait souffrir. Tout dépend alors à quel degré il a intégré ces lois. Se tourner vers Dieu pour se faire pardonner et pouvoir supporter son crime, c'est une démarche particulière qui soulage le coupable mais pas la victime.
La plupart des grands crimes sont commis par des gens qui ne font aucune prise de conscience du mal qu'ils ont fait, soit parce que leur psychisme n'en est pas capable (ils n'éprouvent pas de compassion), soit parce qu'ils agissent au nom d'une idée et dans le cadre d'une organisation qui justifie leurs actes. Le "bien", le "bon" est de leur côté.
La pauvre petite Thérèse de l'Enfant Jésus n'a jamais commis aucun crime. Elle en aurait bien été incapable. Outre que son poème n'est pas terrible, il exprime un sentiment de culpabilité incurable. Du coup, elle s'intéresse, se penche sur le sentiment de culpabilité auquel elle essaie de trouver des solutions.
Elle ne voie pas la victime.

Écrit par : Sara | dimanche, 18 décembre 2011