mardi, 08 février 2011
Deutsche Grammophon : Concerto n°1 pour piano en ré mineur, op 15. Le texte de la pochette (II)
Nous poursuivons notre entreprise de recopiage des pochettes de certains disques 33 tours, parce que ces textes étaient intéressants et bien écrits, et qu'ils risquent de tomber aux oubliettes.
Voici le texte de la pochette du disque Deutsche Grammophon, collection PRESTIGE, « Johannes Brahms, Concerto n°1 pour piano en ré mineur », interprété par le pianiste Émile Guilels et dirigé par Eugen Jochum (orchestre philharmonique de Berlin).
1972
Voici la seconde partie du texte. La première présentait l'oeuvre ; voilà maintenant annoncé le pianiste, le grand Emil Guilels.
(Photos : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva)
L'enregistrement des Concertos de Brahms par Emile Guilels a été précédé de celui du Quatuor pour piano en sol mineur du même compositeur. Dans cette oeuvre Guilels révélait déjà les profondes affinités qui existent entre lui et le langage musical de Brahms. Son interprétation est remplie d'une forte tension, d'un dynamisme vigoureux et d'une intelligente bravoure, caractéristiques qui conviennent parfaitement à ce quatuor de jeunesse où une sombre gravité le dispute aux explosions de tempérament à la hongroise.
Emile Guilels, fils d'un comptable, naquit à Odessa. Son premier professeur de piano fut Yakow Tkach, un élève de l'illustre Raoul Pugno. À l'âge de treize ans Guilels donna son premier récital. Au Conservatoire d'Odessa il eut ensuite pour professeur Berta Ringold, une émigrante formée à la technique pianistique de l'école viennoise. Soutenu et encouragé par le système d'éducation soviétique, Guilels ne tarda pas à acquérir une solide réputation dans les compétitions pianistiques. Il se concentra d'abord sur la virtuosité pure. Arthur Rubinstein disait alors de lui qu'il avait le diable dans les doigts. En 1933 il remporta le Prix de Musique de l'Union Soviétique à Moscou. Il mit à profit ce succès pour poursuivre ses études auprès de Heinrich Neuhaus, le légendaire pédagogue soviétique, professeur de Svjatoslav Richter. Un poste d'enseignement à Moscou lui permit de se préparer à aborder la carrière internationale. Le nom d'Emile Guilels commença alors à se répandre dans les pays de l'Ouest ; en 1936, le jeune pianiste remporta le second prix d'un concourt à Venise, le premier de deux autres concours à Bruxelles et à Vienne en 1938. En 1939, il devait se produire à l'exposition mondiale de New York mais la seconde guerre mondiale vint ruiner tous les espoirs qui lui étaient permis.
Il lui fut pourtant donné en 1955 d'accéder à la renommée internationale : il joua pour la première fois aux États-Unis, avec l'orchestre de Philadelphie et avec l'orchestre philharmonique de New York. En 1969, il entreprit sa première tournée en Allemagne ; en 1969 il joua à Hambourg les cinq concertos de Beethoven ; en 1970 il participa à Bonn à la célébration du deux centième anniversaire de la naissance de Beethoven. Depuis quelques années Guilels apparaît à Salzbourg comme la personnalité majeure des plus célèbres instrumentalistes du festival.
Par l'intermédiaire et au-delà de son professeur Neuhaus, Guilels se sent lié au « paradis de la maîtrise pianistique » qui s'instaura vers la fin du siècle dans les Conservatoires de Russie et avec lequel, pour citer ses propres paroles, « commença le style pianistique moderne purement russe ». L'ampleur du répertoire est caractéristique de cette école et, par là, de Guilels également. Il possède un répertoire s'étendant de Bach jusqu'aux compositeurs russes contemporains. Il a le souffle nécessaire aux grands concertos aussi bien que l'intensité d'expression que requièrent les partitions de dimensions plus modestes. Mais, dans les oeuvres les plus opposées, il conserve inchangés son sérieux artistique et sa capacité d'aller au fond des choses. Une méditation propre à sa nature est constamment sensible et les termes de routine ou de superficialité lui sont étrangers.
Il élucide avec des soins infinis la logique interne d'une composition. La discipline qu'il apporte à aborder les partitions confère à chacune de ses interprétations un caractère définitif et exemplaire. La virtuosité de sa technique n'est plus perceptible que comme moyen d'expression. Son jeu offre cette évidence irrésistible qui convainct d'emblée l'auditeur, que chaque oeuvre qu'il interprète, quelle que soit sa place dans les trois siècles qu'embrasse son répertoire, ne peut être abordée et comprise autrement.
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lundi, 07 février 2011
Deutsche Grammophon : Concerto n°1 pour piano en ré mineur, op 15. Le texte de la pochette (I)
Phot E.T.
Nous poursuivons notre entreprise de recopiage des pochettes de certains disques 33 tours, parce que ces textes étaient intéressants et bien écrits, et qu'ils risquent de tomber aux oubliettes.
Voici le texte de la pochette du disque Deutsche Grammophon, collection PRESTIGE, « Johannes Brahms, Concerto n°1 pour piano en ré mineur », interprété par le pianiste Émile Guilels et dirigé par Eugen Jochum (orchestre philharmonique de Berlin).
1972
Voici la première partie du texte, celle qui traite de Brahms. Une autre, que nous recopierons ultérieurement, traite du fabuleux pianiste Émile Guilels et du chef d'orchestre Eugen Jochum.
Les deux concertos pour Brahms occupent une place à part dans l'histoire du genre, non seulement à cause de leur valeur intrinsèque mais aussi par leur rôle dans l'évolution artistique du compositeur.
Avec celui en ré mineur terminé en 1857, le jeune Brahms se libérera des conflits qui l'oppressaient depuis la fin de ses années d'études à Hambourg. Il avait pris, non sans atermoiement, la résolution d'être un créateur plutôt qu'un interprète, c'est-à-dire un compositeur plutôt qu'un pianiste, pensant ainsi pouvoir réussir bien que – ou contraire parce que – s'unissent indissolublement dans l'élaboration d'une oeuvre musicale problèmes personnels et problèmes techniques. La genèse du concerto reflète clairement les tourments qui présidèrent à la domination de ces conflits. Il en résultat une oeuvre non exempte certes de scories mais dont la sincérité passionnée ne pouvait laisser personne indifférent, une oeuvre dont l'ambition était d'élever le concerto au niveau de la symphonie et apporter ainsi un ton nouveau au genre. Si cette ambition se réalisa pleinement sur le plan émotionnel, ce ne fut que partiellement sur celui technique et formel. Les réactions du monde musical furent partagées. Accueilli jusque là favorablement sans toutefois être reconnu comme le génie annoncé par Schumann en 1853 dans un article retentissant, Brahms se vit pour la première fois placé au centre de controverses artistiques passionnées. Pour la première fois aussi, il devint évident qu'on avait à faire à un compositeur dont dépendrait l'avenir de la musique.
À l'origine, le Concerto en ré mineur devait être une sonate pour deux pianos. Brahms commença à y travailler en avril 1854. Deux mois plus tard, il écrivait à son ami Joseph Joachim qu'il voulait l'abandonner car deux pianos ne lui suffisaient plus. En juillet 1854, il essaya d'en remanier le premier mouvement sous une forme symphonique mais dut bien vite reconnaître que ses connaissances de l'orchestre étaient encore trop limitées pour réussir un tel travail. L'oeuvre resta donc en souffrance. C'est seulement six mois plus tard qu'il trouva la solution du conflit existant entre sonate et symphonie et son manque de connaissance dans ce domaine, solution qui lui apparut en rêve : « Imaginez ce que j'ai rêvé cette nuit, écrivit-il à Clara Schumann, « j'avais fait de ma symphonie avortée un concerto pour piano ». Il était à prévoir cependant que d'autres problèmes allaient à plus forte raison s'accumuler autour d'un tel projet. C'est seulement après trois ans et demi de travail pénible entrecoupé de crises de doute et de désespoir que Brahms pouvait dire fin décembre 1857 que ce travail était « enfin terminé ».
La création de l'oeuvre eut lieu le 22 janvier à Hanovre et reçut un accueil favorable mais, lors de la première exécution à Leipzig, fief du conservatisme, cinq jours plus tard, elle connut un échec total : un critique anonyme la massacra de fond en comble, ne voyant en elle que des déchaînements chaotiques de sonorités nouvelles. Des critiques plus compréhensifs, qui surent ultérieurement apprécier l'oeuvre comme « symphonie avec piano obligé », ne changèrent pas grand'chose à l'attitude du parti conservateur : Brahms était catalogué « progressiste » ; c'est seulement quand il se fut nettement désolidarisé de Liszt et de Wagner et que les composantes classiques de son oeuvre se furent clairement dégagées, que les partis devaient changer de front.
Que le concerto en ré mineur ne puisse pas renier sa genèse n'est guère étonnant : la sonorité orchestrale souvent surchargée et les problèmes formels du premier mouvement parlent assez clairement dans ce sens et les tendances configuratives de l'ensemble, souvent contradictoires et non entièrement clarifiées, ne font pratiquement corps que par la grandiose puissance de la conception initiale, que par la subjugante et débordante profusion des thèmes. « Symphonique », l'oeuvre l'est principalement par cette grandeur d'intentions, par les ambitions externes et internes et aussi par le fait que la virtuosité pianistique y est entièrement subordonnée au travail symphonique ; d'autre part elle se désolidarise de la forme du concerto « symphonique » en quatre mouvements (avec scherzo), établie par Litolff et Liszt, en faveur des trois mouvements traditionnels.
Le premier mouvement constitue sur le plan formel une grandiose tentative pour résoudre d'une manière nouvelle le problème fondamental du concerto, à savoir l'union de la forme sonate et du principe concertant. Cette solution ne réside pas, comme chez Mendelssohn et Schumann, en un dialogue permanent du tutti et du soliste, mais dans l'extention de l'exposition, dans la combinaison de la reprise de l'exposition au piano avec le développement thématique, dans la variation thématique progressive et dans la superposition à l'ensemble formel d'un dialogue largement développé entre tout l'orchestre et le piano. Du fait de la multiplicité de ses thèmes et de son extension, ce premier mouvement ne laisse que difficilement reconnaître la logique musicale ; son sens ne se révèle clairement que lorsqu'on l'aborde sous l'optique du caractère des thèmes. La grandiose gestique du début domine la forme et le caractère de l'ensemble : tout ce qui y succède est une confrontation thématique avec ce motif dont la puissance fatidique, symbolisée par les points d'orgue menaçants, reste finalement victorieuse. La forme musicale, tout à fait dans le courant de la conception beethovénienne qui a marqué la musique symphonique du milieu du siècle, est une « mise en action « dramatique des thèmes.
C'est ce à quoi répond l'Adagio qui, présentant comme le finale de multiples attaches thématiques avec le premier mouvement, fait succéder au drame une atmosphère de tranquillité lyrique et un sentiment de résignation dans l'épisode médian en si mineur. Dans la partition autographe, Brahms a placé sous les cinq premières mesures des cordes les mots « Benedictus qui venit in nimine Domine », allusion directe tant à la parenté du thème avec celui de la « Missa Solemnis » de Beethoven qu'au caractère expressif qu'il a voulu donner au mouvement.
Le Finale, rondo en forme sonate de dimensions gigantesques, conclut en résolvant les conflits dans une héroïque activité et une détente bucolique. Là encore, le parrainage de Beethoven est manifeste et ce n'est pas par hasard si la coda en ré majeur, qui célèbre la victoire remportée, est introduite par une cadence du piano à la fin de laquelle apparaît une nette allusion au passage «wo dein sanfter Flügel weilt » de la 'Neivième Symphonie ».
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dimanche, 06 février 2011
L'analyse comptable des rêves
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jeudi, 27 janvier 2011
Voltaire, Saint-Simon et le Roi-Soleil
Nous livrons un extrait de Saint-Simon, par Gaston Boissier, publié en 1892 dans la collections "Les grands écrivains français". Boissier relate comment Voltaire adula le siècle de Louis XIV autant que Saint-Simon l'execra.
Voltaire
Si nous voulions nous donner le plaisir de voir comment les mêmes faits peuvent changer d’aspect suivant le côté d’où on les regarde, nous n’aurions qu’à comparer les Mémoires de Saint-Simon au Siècle de Louis XIV de Voltaire. Quoiqu’ils aient travaillé souvent sur les mêmes documents et consulté les mêmes personnages, rien ne diffère plus que la façon dont ils jugent le Roi. Ce qui indigne l’un est justement ce qui cause à l’autre l’admiration la plus vive. Cette tendance à égaler toutes les classes de la nation sous l’autorité royale, Voltaire l’aperçoit comme Saint-Simon, mais au lieu de la blâmer, il y applaudit. Je ne sais s’il en a bien aperçu les conséquences politiques ; elles l’auraient peut-être effrayé, car, en politique comme en littérature, il était conservateur ; mais il est charmé des effets qu’elle a produits pour la vie sociale en France : c’est de ce relâchement des règles de l’ancienne hiérarchie, de ce mélanges des diverses conditions qu’est sortie la société française du XVIIIème siècle. Voltaire, dont elle est le milieu véritable, en a fait un tableau séduisant qui est une des belles pages de son livre. Autrefois, dit-il, chacun était enfermé dans son état, et chaque état se reconnaissait à ses défauts. « Les militaires avaient une vivacité emportée, les gens de justice une gravité rebutante, à quoi ne contribuait pas peu l’usage d’aller toujours en robe, même à la cour. Il en était de même des universités et des médecins ». Tout est changé ; en renonçant au costume, il semble qu’on ait quitté l’esprit particulier de sa profession. Tout le monde se rapproche ; les qualités des hautes classes se communiquent aux autres ; la politesse qui était le privilège de quelques hôtels pénètre jusqu’au fond des boutiques. « L’extrême facilité introduite dans le commerce du monde, l’affabilité, la simplicité, la culture de l’esprit, ont fait de Paris une ville qui, pour la douceur de la vie, l’emporte probablement de beaucoup sur Rome et sur Athènes dans le temps de leur splendeur ». Voilà pourquoi les étrangers y affluent ; ils viennent y goûter les agréments d’une vie livre, aisée, dont ils n’avaient pas l’idée ; ils sont heureux de fréquenter ces sociétés où les rangs sont mêlés, où personne n’apporte les préjugés de sa condition, où chacun ne vaut que par son mérite ; et ils s’en retournent dans leur pays avec l’éblouissement de ce monde qu’ils ont entrevu et dont ils essaient d’introduire chez eux une image fort imparfaite. C’est ainsi que la France est devenue le modèle de toutes les autres nations.
Saint-Simon
Saint-Simon, on le comprend, parle d’un autre ton. Tout ce que Voltaire célèbre lui déplait et l’irrite. L’affluence des étrangers, dont on est si fier, ne le flatte guère : « Quel bon pays, dit-il, est la France, à tous les escrocs, les aventuriers et les fripons ! » Il a remarqué, lui aussi, comme un indice grave, que chacun renonce au costume de sa profession. L’exemple vient des ministres qui ont quitté le manteau, le rabat, l’habit noir, l’uni, le simple, le modeste, et se sont habillés comme les gens de qualité. Il est suivi par les conseillers d’Etat, les intendants de finance, les magistrats qui se permettent de porter le velours, « puis il gagne les avocats, les médecins, les notaires, les marchands, les apothicaires, et jusqu’aux gros procureurs ». C’est le signe extérieur d’une horrible confusion qui le désole ; il la regarde « comme une image de l’enfer, où nul ordre ne règne ». En 1712, lorsqu’il écrivait dans le silence ses Projets de rétablissement du royaume de France, il espérait encore qu’on pourrait guérir « ces légers Français de cette lèpre d’usurpation et d’égalité », mais au moment où il rédige ses Mémoires, il ne se fait plus aucune illusion ; il se sent vaincu ; il se regarde comme un homme du passé, « il se répute mort et sa dignité éteinte ». S’il continue, par désoeuvrement, par habitude, à faire des recherches sur les grandes maisons de France, et à s’occuper des privilèges des ducs et pairs, il sait bien que personne ne le lira, et qu’il « écrit pour la beurrière ». Mais en reconnaissant sa défaite, il ne s’y résigne pas ; il se retourne avec colère contre celui dont tout le mal lui semble venir (Louis XIV). Les années qui se sont écoulées depuis qu’il est mort n’ont rien diminué de son ressentiment. Outre que ce n’est pas son habitude d’oublier et de pardonner, le spectacle, qu’il a chaque jour sous ses yeux, de ce monde où tous les rangs sont mêlés, « où personne ne se connaît plus », ce spectacle qui fait la joie de Voltaire, ranime sans cesse sa haine et l’entretient dans sa fraîcheur. Voilà ce qui explique qu’il ait traité si durement Louis XIV.
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mardi, 18 janvier 2011
Apernox
Urville, par Sara
(un billet d'Edith)
Ouvrir la nuit à la fenêtre de la cuisine : c'est ce que je viens de faire.
Tout s’épouse : la nuit suspendue aux étoiles, mes lèvres suspendues à une bière et ton nom qui flotte dans la mémoire de notre jeunesse. C’est l’heure de songer à la vie que j’aurais menée, si j’avais fait d’autres choix, aux carrefours que j’ai traversés.
J’ai suivi des sentiers du milieu, ne sachant opter entre la route des autres et l’effrayant chemin des douaniers. J’avais des idées idéales, des besoins vitaux : j’ai eu peur de l’absolu et j’ai eu ma part de chances et de guignes.
Comme Zénon, ne pas chercher à éclairer la foule qui ne veut pas savoir, à déstabiliser des manipulateurs qui n’auront aucun scrupule à écraser des Saint Jean Bouche d’Or.
Mais penser avec tranquillité, penser seule, et, quelquefois, rencontrer d’autres fantassins détachés du bataillon de la pensée unique, d’autres vagabonds sans autre guides que les étoiles trop hautes pour être bâillonnées.
Boire des bières sans chercher à convaincre, renoncer au monde sans abandonner le courage de penser.
Se demander : quelles sont les idées interdites ? Y a-t-il des choses que je n’aurais pas droit d’écrire ou de prononcer en public ?
En faire une liste, et s’habituer à les considérer dans le calme, ces choses indicibles. Certaines nous plairont. D’autres nous dégoûteront. D’autres nous laisseront perplexes. Si l’on ne peut les considérer en paix, ces idées, les suivre mentalement jusqu’au bout sans les haïr, c’est qu’on est toujours retenu par les brides des maîtres-penseurs, qui sont parfois avoués tels, parfois hypocritement déguisés en libertaires ou en amis.
Se demander encore toutes les choses laissées libres, tous les possibles qui nous sont offerts, toutes les voies incontrôlées par la société, ou même inconnues d’elle, inexplorées. S’ouvrira la porte sur de vastes déserts à traverser, des routes à suivre, des océans à naviguer.
Le pouvoir ne veut pas être « agacé ». Nicolas Fouquet n’était pas trop riche (il était très endetté) ; ce n’est pas l’argent que le Roi lui reprocha, mais son apparence de richesses. C’est l’insolence, pas le fond réel des situations, qui vexe les tenants du pouvoir et les pousse à sévir sans pitié. Or, c’est l’insolence qui nous donne envie de vivre. Dilemme.
La bière tiédit dans le soir. L’hiver est doux ici, frais ; jamais froid. Les jeunes gens là bas fument du cannabis en attendant de décider ce qu’ils feront ce soir. Ils ne feront sans doute rien.
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samedi, 15 janvier 2011
Rorate Caeli
Photo Sara
(Un billet d'Esther Mar)
Je recopie l'intérieur du 33 tours que j'écoutais pendant l'Avent à une époque révolue. J'étais jeune. J'habitais en province.
Monastères
Choeurs des moines trappistes
33 tours artistique SM 33-11
Les moines ne sont pas des chanteurs traditionnels, leur chant est tout entier l'expression de leur prière. Aussi, quelle que soit leur qualité ces disques ne sont pas des documents seulement destinés aux amateurs de musique ancienne et de chant grégorien.
Spécialisés dans le reportage, dépassés peut-être par cette ambiance unique de la Trappe, nous avons voulu faire de ces disques le reflet fidèle de notre propre émotion.
Plus que jamais nous avons voulu faire vrai, et capter quelque chose de l'ambiance monastique.
C'est pourquoi les chants de procession ont été enregistrés pendant que la Communauté marchait dans le cloître... Le SALVE fut enregistré le soir pendant l'office... Toutes les cloches du monastère accompagnent le chant du MAGNIFICAT solennel... La mate sonorité dans le "plein air" du cimetière conventuel contraste avec celle de l'église cistércienne... Le GLORIA LAUS (spécialement retenu par l'Académie Charles CROS) fut enregistré dans le réalisme de l'opposition des plans sonores : solistes dans l'église et choeurs dans le cloître.
"MONASTERES" ne constitue pas un échantillonnage de morceaux grégoriens, mais un reportage discret et suggestif sur le "silence chantant" d'une abbaye de Trappistes.
Nous sommes heureux de présenter sur microsillon la collection "MONASTERES" qui, à l'unanimité des Membres du Jury, a obtenu le "GRAND PRIX DU DISQUE" en 1949.
S.M. ROBREAU
Cette collection est à l'origine de notre existence d'éditeurs, nous l'avons dit souvent : c'est notre enfant chéri.
Ce report sur microsillon nous a été beaucoup demandé, nous y avons apporté tous nos soins afin que non seulement vous ne soyez pas déçu mais que votre joie soit égale à la nôtre en retrouvant ces "émotions nobles" que nous ont procurées, respectés avec la plus grande fidélité, ces chants parfois rudes d'une si parfaite santé.
FACE A
Le Salve Regina de Citeaux
Le salve de la Trappe. Antienne du 1° mode.
Pièce justement célèbre. A coup sûr une des plus belles du répertoire grégorien. Particulièrement émouvante lorsqu'on l'écoute dans l'ambiance recueillie d'une église cistércienne.
C'est la fin de la journée, l'office des Complies s'achève. Tous les moines se sont assemblés pour ce dernier chant en l'honneur de Notre-Dame : l'église est dans l'obscurité, seule, la statue de la Vierge qui domine le maître-autel est illuminée.
Huysmans a noté en des pages devenues classiques l'impression que fit sur lui, l'audition du Salve Regina.
On retrouve gravés dans la cire l'émotion, la ferveur, l'élan, la tendresse, le respect qui caractérisent cette prière...
Alleluia : Magnificat
Mon âme exalte le Seigneur, Alleluia !
C'est la réponse de Marie à sa cousine Elisabeth.
C'est le chant de joie - paisible et tout intérieur - d'un coeur immaculé vers son Dieu.
La mélodie est celle de l'Alleluia : DOMINE IN VIRTUTE TUA du V° dimanche après la Pentecôte, merveilleusement mise au service de ce chant d'humble gratitude.
Tierce au monastère
Fragments de l'office de Tierce, dans la Liturgie cistércienne
L'occupation principale des moines est le chant de l'office.
Ce disque donne des fragments d'un office qui est chanté avant la messe.
Psalmodie... Chant de l'antienne "APERTIS THESAURIS SUIS" de la fête de l'Epiphanie, suivi d'un texte appelé Capitule et d'un dialogue entre le célébrant et le choeur.
La cloche qui se fait entendre annonce la Grand'Messe qui doit suivre immédiatement.
C'est, traduit avec fidélité, l'ambiance d'un office à la Trappe.
Libera Me - Répons (I° mode)
Procession de la levée du corps, dans le cloître. Texte de la liturgie cistércienne.
Le LIBERA ME est une mélodie de la liturgie des funérailles. Elle accompagne, dans le rite cistércien, la levée du corps.
Le défunt, reposant sur une simple civière, vient d'être amené dans le cloître de l'abbaye. Le cortège s'organise vers l'église au chant de cette prière si calme, si consolante, même dans les passages où la mélodie s'efforce de traduite l'épouvante du jugement dernier : "Quando coeli movendi sunt et terra, dum veneris judicare soeculum per ignem" (délivrez-moi, Seigneur, de la mort éternelle en ce jour terrible où les cieux et la terre sont ébranlés, jour où vous viendre juger le monde par le feu).
Nous avons respecté fidèlement cette ambiance de procession et de prière ardente.
Chorum Angelorum (VIII° mode)
Clementissime (III° mode)
Antiennes de la Sépulture dans la liturgie cistércienne
Ces deux antiennes marquent l'instant le plus émouvant de la sépulture dans la liturgie cistércienne.
Le défunt porté par les moines est conduit au cimetière au son des cloches et des psaumes. Toujours au son des psaumes la cérémonie de la sépulture se déroule. Sur la fin, alors que le défunt vient d'être descendu dans la fosse, retentit l'antienne CHORUS ANGELORUM chantée sur un mode joyeux.
Vient ensuite l'admirable prière CLEMENTISSIME : humble supplication que soulève un souffle d'espérance, de certitude, d'ardeur.
Tous les moines se sont prosternés et c'est l'appel à la miséricorde du Seigneur :
DOMINE MISERERE SUPER PECCATORE (Seigneur ayez pitié de ce pêcheur)
Ce disque enregistré au cimetière contraste étrangement avec le LIBERA ME chanté et gravé en procession dans le cloître. Ici aucune résonance, seules la prière monastique et la plainte de la cloche.
FACE B
Magnificat
Ton solennel - VI° mode. Antienne : VERBUM CARO FACTUM EST
Antienne "verbum caro factum est..." (le Verbe s'est fait chair puis il vint habiter parmi nous).
Magnificat : Chant de joie, où les moines blancs exaltent la gloire de Notre-Dame, Reine de Citeaux, et auquel vient s'ajouter la voix vibrante des cloches de l'abbaye.
Sanctorum Meritis
Du Commun des Martyrs - II° mode
Jesu, Corona Virginum
Du Commun des Vierges - VIII° mode
Deux hymnes : la première empruntée à l'office des Martyrs, célébrant sur une mélodie du II° mode, simple mais pleine d'allant et de joie, le triomphe des martyrs.
La deuxième, empruntée à l'office des Vierges : mélodie du VIII° mode plus ornée que la précédente, moins triomphante, mais plus fraîche, plus tendre, plus ardente.
Ave Maria
Offertoire du IV° dimanche de l'Avent - VI° mode
Je vous salue Marie pleine de grâce...
C'est un salut enveloppé de vénération profonde, chanté ici avec beaucoup de ferveur.
C'est celui de l'Ange et, groupé en un seul texte, celui d'Elisabeth.
C'est le message de Dieu à Notre-Dame, c'est le FIAT de Marie.
C'est l'Eglise, épouse, vierge et servante ; c'est - dans le Corps Mystique - l'âme virginale, terre bénie, dépouillée, en qui va naître le Sauveur.
Pueri Hebraeorum (I° mode)
Gloria Laus (I° mode)
Texte de l'édition vaticane
Deux pièces empruntées à la Liturgie des Rameaux. La première : antienne du I° mode, à la ligne mélodique simple, mais fraîche, et légère.
Le GLORIA LAUS est un cantique où alternent refrain et couplets. Il est chanté à la fin de la procession qui précède la messe des Rameaux. Le cortège s'est immobilisé dans les Cloîtres de l'Abbaye, pendant que deux solistes entrent dans l'église (dont la porte est aussitôt refermée) et font entendre ce cantique aux accents de la victoire, tandis que le choeur, massé dans le cloître, répond par l'acclamation : "GLORIA LAUS !" (A vous, la gloire, la louange, l'honneur) !
Rorate
Mélodie pour le temps de l'Avent
Mélodie très connue du temps de l'Avent, pour solistes et choeurs. Elle se chante au Salut du Saint-Sacrement et traduit admirablement les sentiments de l'avant-Noël : attente, espérance.
"PECCAVIMUS" (Nous avons péché, nous sommes tombés comme la feuille...), mais envoyez Qui vous devez envoyer : "Et mitte quem missurus es".
Puis c'est la promesse de pardon et de paix : CONSOLAMINI (console-toi, mon peuple).
Tout le choeur reprend une dernière fois cette supplique RORATE... "Ô Cieux, versez d'en haut votre rosée et que les nuées fassent pleuvoir le Juste".
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mercredi, 12 janvier 2011
Mathilde et ses mitaines
Voici un extrait de Mathilde et ses mitaines, de Tristan Bernard (1921. Très agréablement illustré par J.G. Daragnès). Nous partageons le début du palpitant premier chapitre.
I
Il était un peu plus de minuit quand Firmin Remongel descendit du Métro à la station de "Couronnes", et prit la rue mal éclairée qui le menait à son domicile.
Pourquoi était-il venu habiter à Belleville, lui qui faisait son droit de l'autre côté des ponts ?
C'est que Belleville n'était pas loin du faubourg du Temple. Or, c'était dans ce faubourg que le père de Firmin, fabricant de chapeaux de paille à Vesoul, avait l'habitude de descendre, depuis vingt-cinq ans, chaque fois qu'il venait à Paris. De sorte que, pour toute la famille Remongel, le faubourg du Temple était devenu une espèce de centre exploré, et à peu près sûr au milieu de ce vaste Paris mal connu et suspect. Il n'était pas prudent du tout de s'aventurer dans les autres quartiers.
Cette conception un peu spéciale de la géographie parisienne avait trompé le jeune Firmin. Il avait cru innocemment qu'en traversant le boulevard extérieur, pour aller louer à quelques centaines de mètres, il ne s'égarerait pas trop loin de la zone tutélaire.
Décidé par la modicité du prix, bien qu'il ne fût pas avare, il avait loué une petite chambre très confortable dans une maison meublée, d'ailleurs fort convenablement habitée, mais qu'on ne pouvait atteindre qu'après avoir traversé deux ou trois rues inquiétantes où l'on voyait se glisser, passé onze heures du soir, trop d'ombres précautionneuses. Une fois la maison choisie, et son adresse envoyée à sa famille, il n'osa donner congé, car il eût fallu s'avouer à lui même qu'il n'était pas rassuré, et son courage traditionnel s'y refusait.
Il se fit la promesse tacite de ne pas rentrer trop tard le soir.
"Il vaut mieux, se dit-il avec sagesse, que je travaille à la maison plutôt que d'aller perdre mon temps dans les cafés."
Il devint donc, par peur de rentrer tard, l'étudiant austère et laborieux qui refuse systématiquement toutes les invitations.
Mais ce soir-là, il n'avait pu couper à un dîner trimestriel d'une société d'étudiants franc-comtois.
Après le dîner, qui fut suivi d'un concert d'amateurs, les étudiants de Franche-Comté se dispersèrent. Un certain nombre d'entre eux cependant restèrent agglomérés et se dirigèrent vers les lieux de plaisir.
Firmin, exceptionnellement, eût accepté de les accompagner, quitte à ne rentrer chez lui qu'au petit jour...
Mais ses camarades jugèrent qu'ils avaient déjà trop détourné de son travail ce vertueux garçon. Firmin s'en alla seul et prit le Métro qui l'amenait à dix minutes de chez lui.
Pendant son trajet dans le Métro, il s'efforçait de songer à son actuel sujet d'études. C'était les testaments... Alors il pensa à un autre chapitre du Code.
Malgré lui, il revenait toujours à un souvenir impressionnant de la nuit précédente. Dans son premier sommeil il avait été réveillé par un cri qui venait de la rue.
C'était un cri assez effrayant, un de ces cris "vrais" qui ne ressemblent pas du tout à ceux qu'on entend au théâtre, ni à des cris d'enfant qui pleure. Ce n'était pas non plus le cri d'un malade qui veut se faire plaindre et que sa painte même soulage. C'était certainement un cri arraché à la douleur, un cri d'être humain en détresse et qui n'a pas de recours.
Firmin s'était réveillé et avait couru à sa fenêtre, qui donnait sur un petit carrefour. Il avait vu fuir deux ombres qui lui semblèrent être deux hommes et qui disparurent tout de suite au tournant de la rue. Et cette fuite était aussi effrayante que le bruit entendu. Elle avait, comme lui, quelque chose d'éperdu et de soudain.
Etait-ce une attaque nocturne ? Etait-ce une bataille d'apaches ?
Tristan Bernard
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dimanche, 09 janvier 2011
Culpabilité et béatitude
Le soleil d'hiver baigne la ville froide. Les papiers administratifs sont faits. Une certaine somme s'est abattue sur le compte en banque, suite au rachat d'un livre par une maison d'édition étrangère.
Depuis une semaine, alors que la ville grouille et que ses habitants turbinent, s'activent, travaillent..., elle, elle se lève vers 9 heures du matin, prend une douche et un grand petit déjeuner, puis se recouche.
Au lit, elle lit, durant deux ou trois heures, quelquefois des encyclopédies, ou des auteurs grecs ou latins, quelquefois la bibliothèque de son enfance : les bandes dessinées (Black & Mortimer, Victor Sackville, Tintin), les romans de la bibliothèque de l'amitié, des livres d'aventure du début du siècle.
Puis l'appel du ventre la mène à la cuisine, où, avec plaisir, sans hâte, elle cuisine un déjeuner original et soigné, qu'elle déjeune au coin d'un feu. Elle attend ensuite dans la douce chaleur que le feu s'éteigne en buvant un café et en réfléchissant à des événements passés.
Quand la cheminée a fini de crépiter, elle retourne à sa chambre et se remet au lit. Enfin elle écrit. Vers six heures, quand l'inspiration sera tarie, elle fera une longue promenade dans la ville. Il fera nuit quand elle rentrera. Ainsi passe l'hiver.
Observatoire de la culpabilité
Fond des lectures
Lors d'une lecture de Zozime, la culpabilité est basse. Lors d'une lecture de Tintin ou de la Comtesse de Ségur, la culpabilité est très élevée. Trouve-t-elle que les auteurs classiques sont plus brillants, plus intelligents, plus culturels que Hergé ou la Comtesse de Ségur ? Non ! La culpabilité n'est donc pas due à un jugement interne sur les lectures acceptables, mais sur l'échelle de valeur qu'elle croit objective.
Positions
L'indice de culpabilité monte avec la position couchée et chute avec la position assise ou debout. Lire ou écrire assise sur un fauteuil donne moins de culpabilité que lire ou écrire assise dans son lit. Or, lit-elle mieux dans un fauteuil que dans un lit ? Non. La culpabilité ne monte pas en fonction de la réalité de sa concentration, mais en fonction de l'échelle de valeur qu'elle croit objective.
Sommes-nous faits pour la béatitude ou pour la culpabilité ? La souffrance est-elle mesure de la vertu ? A-t-on le droit moral de vivre dans la douceur et la béatitude ?
Edith
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jeudi, 06 janvier 2011
Dictionnaire de la délivrance psychique : autoproclamé
penseuses autoproclamées en train de bronzer, par Sara
Autoproclamé : lorsqu'une personne n'a pas de diplôme, d'agrément étatique ou d'appartenance médiatique et qu'elle s'exprime sur un sujet qui ne concerne pas sa vie quotidienne, on dit qu'elle est autoproclamée. Ainsi, un homme tenant un blog d'informations sera "journaliste autoproclamé" ; une personne partageant un travail personnel sociologique sera appelé "sociologue autoproclamé".
Lire le Dictionnaire de la délivrance psychique, de Conan Kernoël
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lundi, 03 janvier 2011
Dictionnaire de la délivrance psychique : nauséabond
Les nauséabondes, par Sara
Nauséabond :
Une personne est nauséabonde lorsqu'elle a des idées non validées par la Pensée Bienfaisante pour l'Humanité. Les gens nauséabonds sont dangereux : leurs idées se répandent comme une maladie et infectent les esprits de toute la population, qui devient "facho". L'Etat doit en permanence lutter contre les nauséabonderies intellectuelles par la diffusion d'idées saines, via l'école, mais aussi via les panneaux d'affichage publics, les programmes télévisuels, et tous les supports de communication possibles.
Lire le Dictionnaire de la délivrance psychique, de Conan Kernoël
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samedi, 01 janvier 2011
MMXI : l'année qui vient sera épopée
Dédicace des Sept piliers de la sagesse, de T.E. Lawrence, traduction (sublime) de Charles Mauron
A S.A.
Je t'aimais ; c'est pourquoi, tirant de mes mains ces marées d'hommes, j'ai tracé en étoiles ma volonté dans le ciel
Afin de te gagner la Liberté, la maison digne de toi, la maison aux sept piliers: ainsi tes yeux brilleraient peut-être pour moi
Lors de notre arrivée.
La Mort semblait ma servante sur la route, jusqu'au moment où nous approchâmes et nous te vîmes qui attendais :
Tu souris alors, et dans sa jalousie chagrine elle courut devant, t'emporta
Dans sa quiétude.
L'amour, las de la route, tâtonna jusqu'à ton corps, notre bref salaire, nôtre pour l'instant
Avant que la main molle de la terre n'explore ta forme et que les vers aveugles ne s'engraissent sur
Ta substance.
Les hommes m'ont prié d'ériger notre oeuvre, la maison inviolée, en souvenir de toi.
Mais pour que le monument fût exact, je l'ai fracassé, inachevé ; et maintenant
Ils grouilles, les petits êtres, pour se rafistoler des masures dans l'ombre et la ruine
Du don que je te destinais.
Thomas Edward Lawrence, dit Lawrence d'Arabie
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vendredi, 31 décembre 2010
Rêvolution
« Les révolutions font un tour complet sans rien changer au fond des douleurs ».
Image de Révolution, de Sara, Editions du Seuil
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lundi, 27 décembre 2010
Esther, Esther !
Edith de CL répond à Esther Mar
Esther, Esther ! Ton exil du bord de la Marne, ne le trompes pas. Pourquoi t’es tu levée pour dire quelque chose ? Cachée au fond de ta maison tes prières étaient plus utiles que cette prise de parole presque publique, que cette contribution à l’édification du réel-prison.
Ne pas s’exciter car tous les camps trop tranchés sont voués à l’exagération et au crime. La politique existe depuis des milliers d’années et elle est toujours violente. Le pacifisme est violent quand il se fait politique. Tout le malheur des hommes vient du fait qu’ils ne savent rester assis tranquillement dans leur chambre et la vraie liberté c’est être soi même quel que soit le monde qui nous entoure, plus que se jeter dans le combat dont d’autres ont défini les termes et les règles. Je ne ferai pas la guerre, ni dans un clan, ni dans un autre. Je ferai la route vagabonde dans les paysages inventés de mon imagination, là où ne peuvent entrer que ceux, amis et frères, sœurs et spectres, que j’invoque.
La politique est de ce monde et mon royaume en est trop loin pour que je puisse faire des allers et retours. Ne m’attendez pas dans les rangs de vos armées ; ne me souhaitez pas parmi vos chœurs et vos rassemblements. Car je suis seule, seule au milieu de mes rêves, de mes ruines et de mes souvenirs. Je suis seule au milieu d’un monde qui n’existe que par mon esprit. Me traiterez-vous de lâche que je n’en blêmirai pas. De quel droit décrétez-vous les héros et les méchants ? Qu’avez-vous vécu que vous sachiez mieux qu’autrui ce qui se trame sous son crâne ? Psychiatres, Juges, Intellectuels, Militants, Chefs de file, Journalistes, vous êtes de la même étoffe, celle qui dispose du réel comme si c’était une propriété privée.
Mais moi, je marche loin de vous. Vous dessinez sur le sable de l’Histoire des ronds et des carrés et vous placez vos pions dedans. Je ne suis pas votre pion. Je ne suis ni de la gauche, ni de la droite, ni du christianisme, ni du paganisme, je ne suis ni de l’amour ni de la haine, je suis du rêve et je souffle sur vos constructions et vos architectures pour les rendre à la poussière. Je n’ai signé de contrat social à ma naissance et vous m’engueulez au nom du contrat social qui nous lie. Je n’ai pas pris parti parce que vos partis sont les faces d’une même pièce que je déplore et vous m’incendiez parce que n’étant pas de votre clan vous m’accusez d’être complice avec celui d’en face, votre ennemi qui vous ressemble comme un frère. Je n’ai pas crié avec les loups, je n’ai pas aidé les chasseurs, je ne suis ni des loups ni des hommes, je suis l’errante au milieu des arbres, celle qui vous sait et qui vous fuit.
Edith, en réponse au dernier billet d'Esther
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vendredi, 24 décembre 2010
Paris quand il neige
Photo de Sara
(un billet d'Esther)
Depuis samedi (18 décembre 2010), j'ai l'impression qu'une certaine clandestinité est finie. Une certaine vérité s'est officialisée. Il y a un avant et un après. Quelque chose a été prononcé en public. Plus seulement dans les soirées des foyers familiaux, plus seulement dans des réunions bizarres, plus seulement en aparté - mais devant la société entière.
Alors, demain ?
J'ignore si demain chantera ou si la chape de plomb retombera. Je songe aux lectures de l'enfance : la périlleuse mission du Capitaine Jerry ; Maroussia.
Je songe aussi à des lectures plus tardives, plus incertaines. L'oeuvre au noir ; Guerre et paix.
Nous vivons de nos peines et de nos joies ; nous espérons en vibrant et tout élan retombe à la révélation d'une nouvelle image. Tout change ; les idées, les compagnons, le Nord et le Sud n'ont pas toujours la même signification. Tout change ; tout passe. L'âme humaine et son intranquillité seule demeure.
Joyeux Noël. Le solstice de l'hiver fait frissonner notre coin de terre. Un enfant nous est né.
Esther Mar
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mardi, 21 décembre 2010
Adélaïde
photo d'un enfant lion de mer, empruntée à DagPeak
Il y a douze ans maman entrait dans la mer. Elle marchait avec sa robe bleue dans les vagues glacées. Personne ne la vit s’enfoncer dans l’eau.
La veille au soir, elle avait appris, à la suite d’événements administratifs compliqués, que son époux, notre père, entretenait depuis le début de leur mariage des liaisons avec cinq femmes, et qu’il était le père du fils de l’une d’entre elle – un fils un peu plus jeune que moi.
Adélaïde et moi, nous découvrîmes tout cela en même temps : les liaisons de notre père, le fils caché, l’entrée de notre mère dans la mer.
J’ai été déchiré en mille morceaux par ce drame. Adélaïde est entrée au couvent. Carmélite, elle vit cloîtrée, ne sort jamais. J’ai un droit de visite restreint. Sa vie est prière. Elle prie pour maman et elle prie pour moi.
Nous avons refusé de revoir notre père, Adélaïde parce qu’elle était trop blessée, moi par fidélité à celles que j’aime. Il est si beau, si intelligent, si riche et si sympathique que si je l’avais revu ne serait-ce qu’une fois, je n’aurais pas pu rester fâché. Or, pouvais-je me laisser trahir la mémoire de ma mère, la douleur de ma sœur et mon propre chagrin de fils trompé ?
Mais il y a huit jours, le notaire, Maître Sistretaille m’a annoncé que notre père venait de mourir. A sa demande, je me suis rendu à son étude et j’y ai rencontré l’autre fils, Térence, qui porte le nom de famille de sa mère. Il n’osa pas me regarder. Pendant le rendez-vous, il répondait au notaire, signait ce qu’on lui disait sans rechigner et ne leva pas les yeux vers moi. Mais pour que nous puissions toucher notre dû amer rapidement, il fallait définir entre héritiers un accord amiable pour débloquer un fonds. Je pensai que le mieux était d’agir ainsi plutôt que d’entrer dans des déboires juridiques incessants, qui ne mèneraient à rien et n’auraient comme source unique l’horreur d’avoir été trahis chaque jour de notre enfance et de notre jeunesse.
J’appelai Adélaïde et arrangeai une date, que Térence accepta. J’aurais voulu faire le voyage seul, mais un seul train traversait la France jusqu’au carmel où elle priait.
Ce fut le premier point commun : nous nous retrouvâmes au wagon-bar du train au même moment, pour la même bière. Térence était si discret que je n’osais le snober plus longtemps et lui proposai de boire la bière ensemble. Nous fîmes connaissance. Nous échangeâmes des renseignements de surface sur nos vies.
Je tiens une salle de jeux à Monaco. Je vis dans un monde louche et j’aime ça. Je vis avec Marlène, qui ne ressemble à aucune femme connue au cours de mon éducation. Elle est vulgaire, franche, brutale, plutôt généreuse et elle s’enivre avec mes clients au lieu de faire la comptabilité pour laquelle je la paye.
Térence est fonctionnaire de l’administration française, ce que j’aurais tendance à mépriser souverainement. Mais je n’avais pas le cœur au mépris. Il fait de la guitare dans un groupe de musique beith, composé de ses vieux copains du lycée. Il fait de la boxe le mardi soir.
Nos bières terminées, aucun de nous ne retourna à sa place, car la conversation coulait, limpide, comme l’eau douce des montagnes qui passe entre les rochers.
La petite ville nous accueillit par la pluie. Nous louâmes des vélos et nous rendîmes ainsi au couvent, comme je fais à chaque fois. A l’arrivée devant la porte, je n’avais toujours pas de frère, mais j’avais un camarade.
Une carmélite vint passer son visage entre les grilles de l’entrée.
- Nous venons voir Sœur Véronique du Renoncement.
- Qui êtes-vous ?
- Ses frères, dis-je. Et je tressaillis en prononçant le mot frère au pluriel. La sœur partit, ses talons claquèrent longtemps sur les dalles de l’allée intérieure du cloître. Nous attendîmes longtemps. Puis, derrière nous, la voix de ma sœur brisa le silence :
- Je n’ai qu’un frère.
Nous sursautâmes. Elle se tenait droite derrière nous, le visage tâché de rousseur posé au sommet de la longue robe marron de son ordre.
- Adélaïde ! Je la pris dans mes bras.
Elle observa mon visage, mes cheveux, passa la main sur ma joue et lâcha son verdict :
- Tu fumes trop, Charles, tu ne manges pas assez de légumes et tu ne repartiras pas sans que je t’aie coiffé correctement.
Elle ne s’occupa pas de Térence, qui l’observait avec de grands yeux passionnés. Elle nous emmena dans un petit bureau que la Mère avait à sa disposition, connaissant l’objet de notre visite.
Nous parlâmes affaires ainsi : je m’adressais à elle, puis à Térence, cherchant à trouver un accord entre nous trois, et chacun me répondait sans qu’ils se parlent entre eux. Nous signâmes un accord ; le silence s’installa.
Lorsque Térence se leva, comprenant qu’il fallait nous laisser, il me remercia en me serrant chaleureusement la main, puis il se tourna vers ma sœur :
- Depuis douze ans, je me sens mieux de savoir que vous savez, prononça-t-il avec difficulté. Chaque morceau de son corps et de sa voix, tendu vers nous, tentait de se faire aimer.
- Il y a douze ans, Maman est entrée dans l’eau glacée à sept heures du soir, dit Adélaïde.
Térence baissa la tête. Alors, enfin, j’eus pitié de lui. Il était né coupable comme nous étions innocents. Il avait été initié aux bassesses du mensonge, de la cachotterie par notre père et sa mère dès sa plus tendre enfance. Il avait dû souffrir, lui aussi, bien que je ne sache pas dans quelles conditions on souffre quand on est illégitime, et il avait dû grandir dans la connaissance malsaine du péché comme nous avions grandi dans l’inconscience niaise de la bourgeoisie. Il avait honte de tout ce qu’il était, sachant qu’il était l’incarnation de ce qui avait brisé notre vie. Il prononça
- Pardon, Adélaïde.
Il partit précipitamment.
- A tout à l’heure, à la gare, lui lançai-je. De dos, il acquiesça de la nuque.
Nous restâmes l’un en face de l’autre. Elle était raide et belle : pas une mèche ne dépassait de son voile marron. Depuis combien de temps n’avais-je pas vu les cheveux de ma sœur ?
- Il n’y est pour rien, murmurai-je.
- Je sais, répondit-elle. C’est sans doute une âme pure. Mais il ne peut ignorer que son existence est atroce pour nous.
- Il n’a pas choisi de vivre, dis-je.
- Moi non plus.
Elle alla chercher un peigne et me coiffa. Quelques sœurs, qui allaient et venaient dans le parloir, souriaient en blaguant sur les frères ébouriffés et les sœurs maternantes. Bientôt Adélaïde dut rejoindre ses compagnes pour assister à l’office et je soupirai en prenant congé d’elle. Comme la vie était fragmentée, officieuse, si différente de ce qu’elle avait été au temps des Noël familiaux, des grands mariages de l’été, des réceptions de nos parents et des cousinades endiablées durant les grandes vacances.
J’attendis Térence de longues heures. Il n’apparut pas à la gare. Je ne voulus pas prendre le train sans lui. S’était-il soulé la gueule dans un bistrot ? Avait-il fui pour ne pas subir le chemin du retour en ma compagnie ? Je le cherchai dans toute la petite ville et finis par échouer, épuisé, affamé, dans un des seuls restaurants ouverts. C’est là que j’entendis qu’un pauvre gars s’était jeté du haut de la falaise, à sept heures du soir.
Edith de Cornulier-Lucinière
Un dimanche de Septembre 2010
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