vendredi, 10 décembre 2010
être transportée
(un billet de Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva)
Le train à l'arrivée à la gare Saint-Lazare. Le bateau entre Quiberon et Houat. La vie d'une femme transportée. Où sont les chemins que ne connaissent pas les gestionnaires des flux ?
Carlingue, eau écumeuse, rails, béton, la vie quotidienne est belle quand même.
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mardi, 07 décembre 2010
Le ministère des libertés
Mois de novembre de l'an 2010, une affiche, gare Montparnasse...
J'ai pris cette photo avec mon HTC androïd.
"Surveillant pénitentiaire, Quelle société peut se passer de nous ?" demande l'affiche.
Une société qui n'aurait pas de "ministère des libertés", répond le passant qui ne dira rien, car il a lu une nouvelle d'un Allemand déprimé intitulée "Mein trauriges Gesicht". L'histoire d'un homme arrêté et emprisonné parce qu'il n'a pas l'expression du visage souhaitée par l’État.
"Le respect au cœur de notre métier", poursuit l'affiche. Alors faut-il se battre avec Yves Bonnardel pour un monde sans respect ?
Lien vers le Ministère de la Justice et des libertés
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samedi, 04 décembre 2010
Estelle au mois d'avril
Photo de Sara
(Un billet d'Edith)
1
Avril, 2077. La lumière de la journée, belle et étrange, emplit la pièce d’un rêve langoureux. Estelle Claris, tranquillement assise à sa table, se laisse glisser dans un océan de visions bleues comme les vagues qui roulent en bas de l’hôtel, sur la plage de sable blanc. A quarante-huit ans, elle songe aux années de jeunesse qui lui restent à vivre, dans une insouciance aventureuse… Elle se demande si lorsque vers soixante ans, quand l’âge d’avoir des enfants et une activité d’auto-définition sonnera, elle aura l’indépendance d’esprit de poursuivre sa course à l’instance, ou si, comme ses aînés, elle ensevelira ses rêves dans une mise en couple raisonnable, doublée d’une activité d’auto-définition bien définie.
Les vingt premières années de son enfance, Estelle les a vécues dans la plus haute capitale du monde, à La Paz. Lorsque ses pères se sont séparés, dans un fracas de larmes et de disputes, sa vie s’est scindée en deux, et elle a quitté La Paz pour toujours. Désormais partagée entre Lhassa, ou son père normatif Francis s’était réfugié, pour demeurer dans une atmosphère de montagnes qui correspondait au cheminement naturel de son karma, et Moscou, ou son père nourricier Sylvain s’était installé avec son nouvel amant Sergueï, Estelle avait appris à oublier la douleur d’un paradis perdu dans le rêve. A trente ans, elle s’était engouffrée dans une adolescence de type B1, et on l’avait envoyé dans une école privée à Vienne, les écoles de l’ONU pour adolescents de classe B et C ayant à l’époque très mauvaise réputation. Elle y avait terminé sa scolarité à l’âge conseillé, et à quarante ans, son certificat d’émotionalité régulée en poche, elle avait décidé avec trois amis de claquer toutes ses allocations de jeunesse à parcourir le monde. Ses pères ne tentèrent pas de l’en empêcher. Conscients d’avoir frôlé la ligne du viol moral au moment de leur séparation, aucun des deux ne voulait entamer le psychisme de leur fille en détournant son projet personnel, même si un tel dévergondage citoyen les effrayait. Francis, de Lhassa, et Sylvain, de Moscou, l’avaient donc soutenue dans ses voyages, et Estelle avait parcouru la planète et le ciel Ouest quelques années. Elle était partie accompagnée de Karim, Inti et Tristana, mais au cours de leur exploration du monde le quatuor s’était séparé. Karim avait eu une crise d’angoisse sur le satellite artificiel Race, et n’avait pas voulu sortir de l’hôpital même après l’autorisation du centre d’éthique de Race. Estelle, Inti et Tristana s’étaient donc résignés à laisser leur ami. Ils avaient continué leur aventure ciel Ouestiènne, pour rejoindre la planète en Inde. A Bombay, Inti était tombé amoureux d’une adolescente de trente-deux ans. Ils avaient eu une liaison, et Inti avait été interné en hôpital religio-psychiatrique. Estelle avait voulu l’attendre quand Tristana insistait pour continuer le périple, considérant qu’Inti ne méritait plus ni le titre de citoyen, ni son amitié. Estelle était alors restée à Bombay, mais Inti n’obtenait pas le droit de sortir. Lorsqu’on le transféra au centre de déracisme, sa liaison ayant été analysé comme une façon de mépriser l’ethnie de l’adolescente, il avait même été interdit de visite. Estelle s’était alors résolue à reprendre la route seule. Et c’est à partir de ce moment qu’elle avait entamé sa quête de l’instance.
Aujourd’hui, il est difficile pour Estelle de ne pas ressentir de tristesse en se remémorant ces années post-écolières. Elle n’a plus jamais eu de nouvelles de Tristana, mais Karim et Inti sont tous deux parvenus à se créer un cadre cohérent, pour une vie douce et libre. Pourtant, les relations sont difficiles entre tous les trois. Sans doute, les expériences hospitalières des deux jeunes hommes les ont marqués plus qu’Estelle ne peut le comprendre, érigeant une fumée de silence et d’insécurité entre eux. Estelle, elle, n’a pas eu à affronter ses manquements et ses errances : sa capacité à fuir dans le rêve et à voiler le rêve sous un regard bleu et vide, sous un sourire frais et ouvert, lui ont évité les désagréments de la rééducation. Elle le sait, et elle s’en félicite. La lumière du jour continue à bercer ses songes ; le roulement des vagues monte à sa fenêtre et la peau d’Estelle se tend, énervée par le désir d’eau. Elle se lève et appuie sur le programme café-matin de la machine de consommation boissonale. Un café tombe, bien chaud, bien serré, bien odorant. Estelle le savoure en fumant une cigarette de respiration mer salée. Debout à la fenêtre, elle contemple les vagues, dans un étrange sentiment mélangé de douceur et de solitude.
Le rivage et ses arbres sont beaux dans le matin. Estelle descend les escaliers, sa planche de surf sous le bras. Elle croise le gérant de l’hôtel.
- Encore du surf, Humain Claris ?
- Heu… Oui, je vais surfer un peu. A tout à l’heure, Humain Dupont.
Estelle a un soupir un peu agacé. Un A3, celui-là, se dit-elle avec un petit sourire. Elle déteste les A3. Elle s’en veut un petit peu de ce racisme affectif, mais sa solitude l’a habituée à penser franchement, et elle ne parvient plus ni à refouler, ni à exorciser ce sentiment de mépris et de rage contre les A3. Sur la plage, un vent tiède lui caresse le visage et les cheveux. Elle tourne le dos à l’hôtel Dupont, se déshabille, et marche, de son étrange démarche de pouliche, vers les vagues.
Estelle surfe. Elle rame, se lève, glisse, glisse, glisse, s’effondre dans un jaillissement d’écume quand la vague meurt, et rame à nouveau, se lève, glisse, glisse, glisse… Si, un jour, ses pensées sont découvertes, ou si ces salauds de pays très alignés font passer leur loi à l’ONU, sur l’activité d’auto-définition forcée, alors elle sait ce qu’elle fera. Un matin comme les autres, elle ira surfer comme d’habitude, et s’engouffrera dans un rouleau d’eau pour ne plus remonter vivante. Pour l’instant, Estelle surfe, elle oublie ses soucis, elle oublie les pays très alignés et elle oublie les humains A3. Elle rit, les pieds sur la vague et les cheveux dans le ciel, et les rêves d’avenir naissent à l’horizon, dans le soleil ovale.
Trois heures de surf. La biomontre d’Estelle vient de clignoter, pour la troisième fois depuis qu’elle est entrée dans l’eau. Il est temps de rentrer. Estelle, allongée sur sa planche, les yeux clos, se laisse bercer par les vagues jusqu’au bord.
Le sable tiède l’accueille agréablement. Estelle ouvre les yeux ; devant l’hôtel Dupont, trois camions de Solidarité stationnent. Des solidaires en uniforme attendent au seuil du bar de l’hôtel. Estelle se lève et plisse ses yeux pleins de sel. Un léger sentiment de malaise s’empare d’elle. Les solidaires regardent tous dans sa direction. Elle enlève le sable de sa planche et regarde à nouveau vers l’hôtel. C’est bien elle qu’on observe. Debout au milieu des solidaires, les bras croisés, l’humain Dupont la regarde aussi, d’un œil de traître. Toute sa silhouette est fuyante. Voyant son crâne imperceptiblement baissé comme pour recevoir une caresse d’un éventuel veilleur du ciel, voyant ses jambes et ses bras, bien que fermes, animés d’une mollesse fourbe, Estelle devine…
Comment a-t-elle pu croire qu’on la laisserait claquer ses dernières allocations de jeunesse dans un lieu tranquille, à danser chaque jour, des heures durant, avec les vagues de la plus belle poubelle de la planète ?
Impossible de fuir. Les solidaires l’attendent sans impatience. Ils bloquent toutes les issues de la plage. Elle n’a plus qu’à les affronter ou à retourner à l’eau. Elle sait qu’ils attendront qu’elle en ressorte… S’engouffrer dans un rouleau d’eau pour ne plus remonter vivante… Mais, parmi les solidaires bleu-casqués, Estelle distingue des sauveteurs. On ne la laissera pas se suicider.
Elle ramasse sa planche et remonte lentement la plage ; le sable se dérobe sous ses pieds nus. Une immense peur l’agrippe.
Pourquoi apprend-on à l’école que la peur a disparu de l’ère terrestre au début du vingt et unième siècle ? Même les citoyens des pays en voie d’alignement ne la connaissent plus. La peur, la colère, et la perversité… Les trois ennemis que l’humanité a enfin terrassés. Pourtant, à chaque pas qui la rapproche de son comité d’accueil, n’est-ce pas la peur, qui accroche son ventre et cogne son cœur ?
2
- Humain Claris.
- Oui, Humain solidaire.
- Vous avez votre biofiche de citoyenneté ?
Estelle tend son poignet.
- Désactivez votre montre, je vous prie.
Estelle porte la main à son oreille. Elle masse le lobe, jusqu’à ce que la biomontre s’endorme.
Le solidaire est bienveillant. Il sourit. Le timbre de sa voix, doux et équilibré, reflète une grande sincérité. Estelle essaie de ne pas trembler ; il est C1, elle en est certaine. Face à sa conscience citoyenne, sa profonde bienveillance, elle sait qu’elle est perdue : il va vouloir la sauver.
- Vous tremblez, Humain.
- J’ai froid.
- Vous vous faites beaucoup souffrir en vous baignant ainsi ?
- Non, Humain solidaire. J’aime surfer. Mais mes habits sont dans ma chambre, et j’aurais besoin de me couvrir.
- On m’a dit que vous surfiez beaucoup.
Estelle cherche du regard. L’humain Dupont, à quelques mètres, fait semblant de regarder la mer.
- Oui, Humain, je surfe beaucoup.
- Cela vous fait du bien, n’est-ce pas ?
- Oui.
- Cela vous soulage ?
- Euh… Non…
- Cela ne vous soulage pas ?
- Euh… C’est à dire, je n’ai pas besoin d’être soulagée.
- Vous n’avez jamais besoin d’être soulagée ?
- Euh… Si, bien sûr.
- Faites vous régulièrement le point chez un conseiller en trajectoire de vie ?
- Oui. Oui, de temps en temps.
- Pas plus que ça ?
- Si, quand même. Quand même assez souvent.
- Vous éprouvez le besoin de le faire souvent ?
- Non, enfin… Régulièrement. J’aime… J’aime les choses équilibrées… Les choses régulières…
- Vous sentez que vous avez besoin d’équilibre ?
- Non, enfin, pas spécialement. C’est à dire… Comme tout le monde… Je me sens comme tout le monde.
- Vous savez que vous ne menez pas la même vie que tout le monde ?
- Non. Si… Si, je sais.
- Votre fiche ne porte pourtant pas la mention Originalité.
- …
- Vous recevez vos allocations jeunesse ?
- Oui, Humain.
- Et dans deux ans, quand cela s’arrêtera, que ferez-vous ?
- Je… Je choisirai une activité d’auto définition.
- Vous ne l’avez pas encore trouvée ?
- Non. Je suis un peu attardée.
Merde ! Se dit-elle. Une phrase de trop. Sa fiche technique ne porte pas la mention Humour, et pourtant, ce petit humour sarcastique risque toujours de la perdre.
- Vous pensez que vous êtes attardée ?
- Je disais ça pour rire.
- Mais vous n’avez pas ri.
- Je… Enfin, intérieurement, j’ai souri.
- Et vous n’avez pas pu l’extérioriser, ce sourire ?
- …
- Vous surfez six heures par jour, d’après ce que je sais.
- A peu près.
- A peu près ? Je crois que vous surfez six heures par jour. Vous souffrez peut-être d’une trop grande osmose avec les éléments naturels ?
- Je ne crois pas.
- Vous pensez pouvoir choisir votre activité d’auto définition en surfant ?
- …
- Dans quelques années, vous recevrez vos allocations d’adulte. Les emploierez-vous à surfer ? Ou à participer à la créativité humaine ?
- La deuxième solution.
- Vous vous en sentez capable ?
- Oui.
- Quelle autosatisfaction, Humain Claris. Vous êtes très différente du reste de l’humanité, alors. La plupart des gens se savent à la merci de leur part animale. Vous savez, je pense que vous devriez passer un peu de temps dans un centre de réflexion, entourée de psychiatres et d’humanistes. Mais vous seule pouvez prendre cette décision. Ne vous sentez pas forcée. Ce que je veux que vous sachiez, c’est qu’une trentaine de personnes ont signé pour votre décitoyennisation. Ce processus est donc en cours, sauf si vous choisissez de vous soigner.
La décitoyennisation, cela signifie la désallocation. Et sans allocation, personne ne vous accueillera nulle part. Vous n’avez plus qu’à rejoindre un centre de décitoyennisés, pour y vivre jusqu’à la fin de vos jours, à moins que vous ne travailliez sans relâche à devenir à nouveau un citoyen. Estelle ne pourrait jamais le supporter, elle le sait.
- Je vais me soigner, Humain solidaire.
- Le camion qui vous emmènera au centre de soins vous attend.
- Cela ne peut pas attendre quelques jours ?
- Non.
- Je… Je vais m’habiller, Humain.
- D’accord, Humain Claris. Nous vous attendons.
Estelle s’éloigne en tremblant, sans se retourner. Elle sait que l’homme l’observe avec compassion. Elle n’a pas crié ; elle ne s’est pas révoltée. Elle n’a pas fait montre d’une paranoïa aiguë, évitant ainsi la mention dangerosité sur sa biofiche, et l’internement psychiatrique. Elle connaît l’histoire de cet homme qui avait raconté, lors d’un dîner de voisinage, qu’il ressentait de temps en temps de la colère. Après dix ans d’une médicalisation à outrance dans un institut de sauvetage de l’ONU, il était redevenu libre, mais on avait dû lui greffer un système affectif artificiel, car il avait perdu la faculté d’éprouver des émotions. Estelle, cela fait bien longtemps qu’elle n’éprouve presque plus rien. Mais le plaisir de glisser sur les vagues… De l’eau contre sa peau… Et de l’extase dans le tube, quand la vague se referme sur elle et qu’elle hurle dans le couloir d’eau… C’est sa raison de vivre, la réalisation ultime de sa quête de l’instance. Cela, elle ne peut y renoncer.
Estelle, la planche sous le bras, encore ruisselante de gouttes salées, monte seule le petit escalier de bois qui mène à l’étage des chambres.
Sa chambre l’accueille comme si rien ne s’était passé. Le bois du vieux plancher, le blanc des murs, la paille des chaises et l’appel de la machine de consommation boissonale. Un rayon de soleil oscille entre le lit et la cabine d’hygiène.
Non. Elle n’ira pas au centre de réflexion. Elle ne veut pas des humanistes et des psychiatres. Elle veut ses rêves ; ses rêves et ses vagues.
Elle pose sa planche contre un mur, enfile un pantalon et s’allonge sur son lit. Elle le sait, elle n’a que quelques minutes devant elle. Si elle ne descend pas, on montera la chercher. Et si elle refuse de partir, c’est la décitoyennisation immédiate. A l’époque où le suicide n’était pas encore interdit, ou plutôt, à l’époque où l’on pouvait se suicider sans que sa biofiche se mette à sonner, la situation aurait été difficile, mais solvable.
- Humain Claris !
- Merde, murmure Estelle.
Affolée (la peur n’existe pas, j’ai peur, donc je ne suis pas), Estelle se lève, et vacille.
- J’arrive !
Mais elle ne bouge pas ; elle le voit.
Dans le coin de la chambre, il est là ; il attend. Bien sûr, il est inutile : on la rattrapera dans la minute. Mais il est l’ultime espoir. L’ultime tentative de liberté.
Estelle y accroche sa planche, l’enfourche et le met en mode silencieux.
- J’arrive ! crie t-elle à nouveau.
Elle démarre et s’élève devant la fenêtre ouverte.
Un. Deux. Trois.
Estelle s’envole de l’hôtel Dupont, accroché à son scooter des airs comme au baiser de la mort.
3
Un simple coup d’œil en bas : les solidaires et les sauveteurs sont toujours devant la porte de l’hôtel, et l’humain Dupont leur sert des cafés. Estelle relève les yeux ; accélère ; accélère ; elle s’élève et s’éloigne, les yeux fixés sur l’horizon. Elle n’a pas le courage de regarder en arrière. Elle attend de s’enfoncer dans les nuages pour mettre le scooter en mode bruyant. Avant de s’engouffrer dans un nuage, elle ose un regard en arrière. Pas de poursuivants. Un regard circulaire. Pas de veilleurs du ciel. Il est impossible de leur échapper, il faudra mourir ou retomber entre les mains, ou plutôt entre les cerveaux des humains. Mais, chaque seconde de vol est une rencontre avec le ciel, avec la liberté.
Le scooter des airs danse dans les nuages. Tout est blanc. Des aires bleues apparaissent à travers la mousse blanche : le ciel pur, en haut ; et l'océan, en bas.
Les nuages étouffent le bruit du moteur et Estelle chevauche son scooter avec fougue, la passion au corps. Les champs de nuages s'étendent au loin. Estelle les traverse à une allure folle, et soudain sa bouche s'ouvre, ses poumons s'élargissent et un hurlement, un rugissement s'élève au creux de ses hanches, emplit son corps, et transperce les nuages. Estelle n'a jamais hurlé si fort, dans aucune vague, dans aucun rêve. Puis sa voix meurt et Estelle sent et voit ses bras minces trembler sur les poignées de son scooter. Le froid l'envahit. Le couloir de nuages finit ; l'océan et le ciel, bleus comme les yeux d'Estelle, bleu très scintillant, lui brûlent les yeux. Le bruit du moteur se fait à nouveau entendre, aussi assourdissant que les nuages qui l'assourdissaient. Estelle baisse les yeux. En bas, sur l'océan, à quelques centaines de mètres au dessous d'elle, une dizaine de navettes sont déjà là, remplies de solidaires et de citoyens qui attendent Estelle. Elle relève les yeux, prête à fuir au plus haut du ciel. Elle tire sur l'énergie de son scooter comme jamais. Elle crève le ciel, loin des vitesses maximales autorisées. Le soleil, frère et ami, l'appelle tranquillement. Oui, il la prendra. Oui, il lui brûlera les yeux, et la peau et les poumons, et jamais, jamais plus Estelle ne retournera chez les humains. Merci, soleil, pense Estelle, les lèvres entrouvertes, éblouie par cette promesse solaire de délivrance et par la vitesse effrayante de son scooter des airs.
Plus que quelques kilomètres. Plus que quelques petits kilomètres et le soleil accomplira sa promesse. Estelle fonce, elle file, dans un ciel tiède et doux, quand derrière elle, insidieusement, elle sent grésiller le bruit d'un moteur. Le bruit de plusieurs moteurs. Dans un espoir inouï, Estelle sollicite son scooter et donne une ruade. Plus vite ! Plus haut ! Elle sent son scooter faiblir, flancher. Le bruit de moteur s'approche. Elle se retourne : le bruit de vingt moteurs au moins. Ils sont au moins vingt. Vingt solidaires armés de lances endormisseuses, casqués, en rang, qui la rattraperont dans moins d'une minute. Estelle doit faire son choix, elle a à peine une minute pour faire son choix. Les solidaires se rapprochent sur leurs scooters de l'ONU. En haut, le soleil est trop loin. Il a menti. Il ne pourra pas la prendre. En bas, Estelle distingue des vagues, qui tissent et délissent la surface océane. Et les navettes des solidaires et des citoyens volontaires.
Estelle entrevoit le point de rencontre entre le ciel et la mer : l'horizon lui donne courage et liberté. Dans un rire magnifique, elle lâche tout. Elle lâche sa tension, elle lâche sa conduite, et laisse le scooter tomber.
La chute est fulgurante, d'une très lente rapidité. Estelle se retourne juste une fois. Les motards assistent, impuissants, immobiles dans le ciel, tous penchés vers elle. Parmi ces visages honnêtes et équilibrés, un seul l'appelle, retient son attention. En un regard de quelques secondes, ou quelques instants, Estelle et lui se rencontrent. C'est un inconnu. Il est équilibré, mais ses lèvres tremblent derrière son casque. Son regard est rempli d’admiration et de fraternité. Il l'approuve. Le cœur battant, Estelle sent qu’ils tombent amoureux. Soldat à l’invisible rébellion, il lance des flammes de vie par chacun de ses yeux. Estelle soutient ce regard ami, jusqu'au choc.
Le scooter est tombé dans la mer. Estelle tient toujours les poignées, ses jambes l'enserrent. Elle s'accroche au scooter, et laisse la mer l'entourer, l'envelopper et l'emplir. La liberté est enfin là. Elle est bleue, verte et profonde. Estelle descend dans la liberté, avec la solennité d’une mariée.
Dans un ultime sourire bleu, Estelle s’offre une prière : faites, O mes fonds océans, faites qu’ils ne retrouvent jamais mon corps.
Edith de Cornulier Lucinière, 2002
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dimanche, 28 novembre 2010
Trouble
(un billet d'Edith)
Le bar était vide, en face de la gare. Je me suis sentie obligée de le peupler. Je suis entrée dans une lumière vide comme un coeur. J'ai commandé un pommard. Il était beau ; il était rouge ; il sentait chaud. Il parlait presque, en pétillant de lumière, et les voitures dehors devinrent belles. Tout s'enfloua et quand il fallut se lever, je ne savais plus pourquoi j'étais entrée (le bar était penché). 6 euros 50 : un verre cher. La fuite se paye pour ceux qui savent mal rêver.
(ah ! ah ! ah ! tunki tunki purichkanim !)
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jeudi, 25 novembre 2010
Le 91, entre deux stations, la nuit
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lundi, 22 novembre 2010
La solitude des champs de blogs
(un billet d'Edith)
Si, quand j'avais quinze ans, on me l'avait dit : que je téléphonerais du train, que je photographierais le wagon avec mon téléphone pour immédiatement poster la photo dans un lieu qui n'existe pas, peuplé de milliers de gens, que cette photo le monde entier pourrait la voir et lire les mots que j'écrirais à côté, que je raconterais ainsi une histoire de ma vie sans trop rougir et qu'à onze heures du soir, quand le train entrerait en gare de Lyon tout serait joué, j'aurais cru à une autre planète. J'aurais levé les yeux au ciel en me demandant où tout cela se passera. Mais je ne suis pas partie ailleurs dans le ciel : je suis toujours là, toujours vers Montparnasse, je n'ai pas encore de rides sur mon visage. Je n'ai pas changé de planète. C'est ma planète qui a beaucoup changé. Beaucoup des mots que j'utilise tous les jours, je ne les connaissais pas alors : ils n'existaient pas. Comment pouvais-je imaginer que je deviendrais blogueuse ? Le mot blog n'existait pas. J'ignorais l'existence naissante d'Internet. Les téléphones étaient accrochés à des fils et les appareils photographiques étaient tous argentiques.
La soeur et le frère vivent ailleurs et reviennent souvent. La chienne est partie outre-vie. La maman lit dans son petit salon rouge. Cicéron, Jacques de Voragine, Zozime, et l'histoire secrète du parti communiste. Histoire, légendes et trahisons.
Je suis partie le 13 novembre de la Gare de Lyon. Il faisait déjà froid mais les feuilles d'automne sont toujours là. Ce n'est pas encore l'hiver.
L'allée a lieu en classe de seconde. J'entends les deux dames faire connaissance ; je méprise plusieurs personnes à cause de quelque chose mais je ne peux le dire ici. Ce ne serait pas politiquement correct. Il y a tant de choses qu'on pense et qu'on ne peut dire et qu'on ne peut même pas dire qu'on cache ! Les idées les plus évidentes sont les plus interdites. Alors tant pis si ce voyage ne permit pas une lecture tranquille dans le calme.
Tant de colère dans le coeur ! Tant d'amour dans la haine ! Tant de doute dans l'amour ! Tant de noir dans la lumière ! Tant de lumière dans la nuit ! Tant de fumée dans les bras ! Tant de rêves dans le passé ! Tant de vide dans l'avenir ! Tant de frères dans la ville ! Tant d'ennemis dans les rues ! Tant de fiel dans les mots ! Tant de plastic dans les corps ! Tant d'esprit dans les gestes ! Tant de pesticides dans les idées ! Tant de souffrances dans les abattoirs ! Tant d'abattoirs dans la civilisation ! Tant d'eau dans les ravines ! Tant de chimie dans les vignes ! Tant d'oiseaux dans le ciel ! Comment réssusciter dans le triangle tragique de l'architecture, du visage et du regard ?
Une semaine à Beaune, qu'en dire ? La ville est toujours belle. Etre une ville restée belle en 2010, c'est grand. Beaune est immense. Mais ces flux qui sillonnent métalliquement la France fragile sont menaçants :
19 novembre 2010. Retour en première classe, à côté d'un Anglais très élégant et excentrique.
Si quand j'avais quinze ans on m'avait dit que le 19 novembre 2010, je téléphonerais dans le train, qu'avec ce téléphone attaché à rien je prendrais une photo, que de ce téléphone, immédiatement, j'enverrais cette photo dans un lieu qui n'existe pas, peuplé de millions d'hommes, que chacun pourrait voir la photo et lire les mots que j'écris à côté, que je pourrais ainsi raconter une histoire de ma vie en appuyant sur les petits boutons d'un téléphone, j'aurais cru à une émigration dans sur autre planète. Mais je n'ai pas changé de planète : la planète a beaucoup changé. Je suis toujours là, vers Montparnasse, je n'ai pas encore de rides à mon visage et moins de crises d'angoisse. Des mots que j'emploie tous les jours certains n'existaient pas. Comment pouvais-je deviner que je deviendrais blogueuse quand le mot blog n'existait pas et que j'ignorais l'existence naissante d'Internet ? J'avais quinze ans et j'hésitais à vivre. Aujourd'hui, j'ai trente-deux et j'ai renoncé. Je blogue.
N.B. : A Paris, les poubelles ont changé : elles sont "antibombes".
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jeudi, 18 novembre 2010
“Hommes sans mère” d’Hubert Mingarelli
“Ils s’éloignèrent sous la pluie et la brume, leurs silhouettes flottèrent et tremblotèrent comme s’ils s’enfonçaient dans l’eau, et, finalement ils échappèrent à la vue.”
On pourrait penser que l’auteur décrit la frustration d’hommes sans femmes à la lecture du livre. Mais il a choisi comme titre “Hommes sans mère”. Dans son livre, il y a bien un orphelin : c’est le gardien muet qui a perdu sa maman, non pas qu’elle soit morte, mais il l’a perdue quand il était enfant.
Les deux héros, des marins, sont pourtant bien des orphelins - même s’ils ont sûrement une mère là-bas - : ils ressemblent à deux frères perdus dans la grande vie, le plus grand protège le plus petit qui fait des bêtises.
La couverture du livre, collection Points, est dessinée par Pierre Mornet : trois jeunes femmes identiques à toutes les femmes qu’il dessine. L’éventail et le sein dénudé sont les seuls détails qui permet de ne pas les prendre pour des petites bourgeoises faisant tapisserie au bal.
Le style évoque Faulkner, en moins violent et plus tendre. Dans “La beauté des loutres” et “Le voyage d’Eladio”, les deux seuls livres que j’ai lu jusque là d’Hubert Mingarelli, il décrit l’âme des hommes à travers leur silence frustre. Ce sont des livres sur les hommes. Mais contrairement à la plupart des livres sur ce thème, les siens sont tendres. Même les femmes sont tendres, irréelles, mais tendres. Irréelles car elles ne sont pas préoccupées de leur corps qu’elles vendent pour vivre. Corps qui malheureusement dans la vie réelle se rappellent durement au souvenir des femmes à travers leurs organes de procréation, mais que les hommes oublient ou ignorent quand ils écrivent sur les femmes. Elles sont là, finalement, pour le décor.
Souvenir. Rue Quincampoix où Paul et moi avons habité un an en 1974 ou 1975, nous avions fait connaissance d’une jeune femme, parmi toutes celles qui “faisaient le trottoir”, avec qui nous prenions des cafés au bar d’en bas, tenu par un vieil homme, sale et glauque qui habitait dans notre immeuble. La femme parlait de son “père” qui l’emmenait faire des voyages dans les pays chauds. Nous n’en croyions rien et espérions apercevoir ce “père” un jour ou l’autre, main en vain. Un jour elle disparut, peut-être à cause de nous.
C’est là que j’ai vu une femme de milieu très pauvre, très populaire, se mettre sur les rangs, dans cette rue. De femme du peuple démunie de tout, elle s’est transformée jour après jour, en pimpante jeune femme. Cela a commencé par un manteau rouge. Ensuite, ça a été le coiffeur. Elle a mis du temps a dénudé ses cuisses même en plein hiver, comme faisaient les autres, même les plus vieilles, grasses, peinturlurées, vulgaires.
C’étaient les bourgeois qui venaient, de quarante à soixante ans. Ils avaient de l’argent pour les payer. Rue aux Ours, une nuée d’arabes bouchait la rue, se tenant debout sans bouger, agglutinés les uns aux autres, mornes, silencieux, les yeux en direction de la rue Quincampoix. Je ne suis même pas sûre qu’ils regardaient les femmes. Ils venaient après le boulot, vers cinq heures du soir et ne bougeaient plus. On était obligé de traverser leurs rangs serrés pour rentrer chez nous. Ils étaient collés les uns aux autres, lourds, immobiles, muets et faisaient contraste avec la vie vulgaire et colorée de la rue, ponctuée par l’arrivée des bourgeois qui négociait le tarif avec une “fille” et la suivaient la regardant sans vergogne de la tête aux pieds en franchissant le seuil de l’immeuble pour s’enfoncer dans un long couloir mal éclairé d’une ampoule au plafond qui menait je ne sais où. Certains hommes avaient leur habituée.
Parfois les femmes s’enfuyaient dans les maisons comme une nuée d’oiseaux. C’était un sifflement bref et strident qui provoquait cette échappée. Puis une voiture de flics remontait lentement la rue Quincampoix jusqu’à la rue aux Ours. Tout le monde s’écartait au fur et à mesure pour les laisser passer.
À d’autres moments, une voiture de sport décapotable débouchait du fond de la rue, conduite par un jeune homme, la trentaine, roux. Il garait la voiture et venait prendre le fric. C’était le souteneur. Nous le regardions de là-haut, de notre fenêtre, avec respect et inquiétude. C’était un homme puissant.
À mes enfants, votre mère
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lundi, 15 novembre 2010
Zénon en prison
Une phrase prononcée par le philosophe Zénon, dans sa prison où le vieux chanoine qui l'éduqua vient le visiter.
"- L'homme est une entreprise qui a contre elle le temps, la nécessité, la fortune, et l'imbécile et toujours croissante primauté du nombre, dit plus posément le philosophe. Les hommes tueront l'homme.
Il tomba dans un long silence".
Marguerite Yourcenar, l'Oeuvre au noir.
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vendredi, 12 novembre 2010
Poétique Armel Guerne
"Depuis le petit cœur impatient de mon enfance jusqu'à ce vieux cœur meurtri, pantelant, essoufflé, mais toujours plus avide de lumière, je n'ai pas eu d'autre ambition que celle d'être accueilli et reçu comme un poète, de pouvoir me compter un jour au nombre saint de ces divins voyous de l'amour. Je n'ai jamais voulu rien d'autre, et je crois bien n'avoir perdu pas un unique instant d'entre tous ceux qu'il m'a été donné de vivre, en détournant les yeux de ce seul objectif jamais atteint, sans doute, mais visé toujours mieux et avec une passion de jour en jour plus sûre d'elle."
Armel Guerne
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mardi, 09 novembre 2010
A Quai, de Sara
Voulez-vous voir ou revoir le film de Sara ? Avec la musique de Radikal Satan, deux musiciens argentins désargentés rencontrés dans le métro par la cinéaste et embauchés comme ça, sous la terre, sous la place de la Bastille exactement ? Storyboardé par Karine Nayrac ? Avec des déchireuses hors pair qui déchirèrent chien et dame, capitaine, marins et paquet de clopes ? Sabine Algan, Aurélie Lambert, Laure de Rostolan... Avec aussi l'ingénieur du son Adrian Riffo et la coréalisation de Pierre Volto ? Produit, enfin, par le Centre de la première oeuvre, aux Gobelins.
A quai, un capitaine rencontre une femme, un chien. Âmes-soeurs ?
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samedi, 06 novembre 2010
Lovers are gone
"Lovers are gone
their memory shine
they have a throne
under my dying spine".
Edith Morning
(photo : Walker Evans)
Les amants sont partis, par la porte arrière. Il n'y a plus ni deltaplanes ni montgolfières dans leur ciel si fier. Il n'y a plus que l'océan bleu et ses vagues de nuages au-dessus de notre ville sans chef et sans bagages.
Les amants sont partis sans emmener les enfants. Ceux-ci sont assis dans les écoles, sur les bancs. Seuls au monde et seuls à souffrir sans le savoir, ils existent encore, sans mots, sans jeux, dans leur doux brouillard.
Les amants sont partis sans prévenir personne. Les cuisines laissées en plan exhalent les casseroles qui frissonnent. Plus rien n'a lieu aux alentours. Si l'amour est une trahison, la ville a mis ses beaux atours pour subir le vide et l'abandon.
Les amants sont partis hier avant midi. Ils ont assassiné leurs époux et n'ont rien dit aux enfants. Enfuis sur des machines volantes, ils ne reviendront plus. Je reste mère adoptive, ange gardien, soeur nourricière, du peuple des enfants perdus.
Edith de CL
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mercredi, 03 novembre 2010
France chérie
Photo Marie-Christine Frager
(billet patriotique de Jean Bouchenoire)
Ma belle France chérie, je t’aime. Douce et tendre tu es avec nous. Pourtant, quelle honte aujourd’hui de te dire qu’on t’aime. C’est une honte de croire en toi. Pour l’Etat, pour tes fils, pour tes hôtes, c’est une honte de pleurer et rire d’amour pour toi.
Mon pays bien-aimé, ma vie est une prière que je t’offre, dans le silence de mon cœur et dans la beauté de mes gestes, tous les jours. Je le tais trop souvent, car qui en ce monde peut comprendre de telles paroles ? Prier pour toi, t’aimer, danser avec toi, voilà qui n’est pas à la mode. Mais je danse avec toi et toutes mes œuvres te sont dédiées.
A ta source, il y a la Grèce lointaine, la Terre Sainte du désert et des lacs de Judée et de Tibériade, à ta source il y a aussi et surtout les longs cheveux celtes et les rochers millénaires. Tes mers te baignent et t’aiment, tes montagnes te veillent, tes arbres te réchauffent et ton ciel s’étend dans le monde entier pour ta gloire.
Tu es mon amour et mon pays. Tes villes sont mes sœurs, accueillantes et quelquefois dures, et leurs bistrots accueillent les douleurs des enfants devenus grands.
Sache vieille France, sans cesse renouvelée comme la mer, sache qu’au fond de nos cœurs, malgré nos bouches bâillonnées, malgré nos cerveaux purgés, malgré nos corps dressés, un amour immense t’enveloppe. Cet amour est puissance, lumière et vie et tant qu’il brûle, tu es la France éternelle.
Jean Bouchenoire
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dimanche, 31 octobre 2010
Epictète commenté par Goblot
« Si le cheval disait, en se redressant : je suis beau! ce serait tolérable, car il se vanterait d'un avantage qui est à lui. Mais toi, quand tu dis, en te redressant : j'ai un beau cheval ! sache bien que l'avantage dont tu te vantes est à ton cheval. » Epictète
"Epictète a raison d'avertir, car on s'y trompe. On ne se parerait pas d'un diamant, on ne serait pas fier de son titre, on ne montrerait pas son château si l'on ne comptait que l'admiration qui va à la beauté du diamant, du titre et du château va aussi et du même coup à la personne qui les possède. La richesse rend l'homme important, imposant, volumineux. On se sent petit devant celui qui a de beaux habits, des équipages, des valets; un grand nom, un bel hôtel. Il faut de la réflexion pour s'apercevoir que sa personne est comme une autre. Les moralistes ont inlassablement prêché, presque toujours dans le désert, une vérité si évidente et si souvent, méconnue. Pour estimer la valeur des hommes, il faudrait les déshabiller, comme au conseil de révision ; mieux encore, il faudrait les déshabiller au moral comme au physique et faire comparaître leurs âmes toutes nues, comme au jugement dernier. - Mais non ! nous ne sommes ni au conseil de révision ni au jugement dernier. Nous avons raison de juger les hommes tout habillés, car, clans la vie sociale; leur vêtement fait partie d'eux-mêmes: Si nous les voyions tout nus, nous ne saurions plus ce qu'ils sont. Ils ne seraient plus ce qu'ils sont".
Edmond Goblot, 1925
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jeudi, 28 octobre 2010
Bourg choisi
bourgeois dans une vague
Extrait de La barrière et le niveau, d'Edmond Goblot.
Une étude de la bourgeoisie écrite en 1925 par ce sociologue.
On peut lire le texte en entier sur le site de l'Université du Québec à Chicoutimi
"Nous ne serons jamais assez reconnaissants à la Révolution de nous avoir donné l'égalité civile et l'égalité politique. Elle ne nous a pas donné l'égalité sociale. Les hommes de ce temps n'ont pas prévu, ne pouvaient guère prévoir cette espèce de pseudo-aristocratie qui se fonda presque aussitôt sur les ruines de l'ancienne et acheva de l'abolir en la supplantant : la bourgeoisie moderne.
Ce n'est pas que le rêve de l'égalité sociale fût étranger à l'esprit révolutionnaire. Mais, chez nos grands aïeux, ce rêve est. demeuré sentimental et ne se réalisa guère que par de nouvelles formules de politesse et le mot de fraternité. S'il s'était précisé, c'eût été sans doute dans le sens économique. On eût cherché l'égalité sociale dans le nivellement des seules richesses matérielles, comme l'ont fait plus tard les théoriciens du socialisme.
Nous n'avons plus de castes, nous avons encore des classes. Une caste est fermée : on y naît, on y meurt; sauf de rares exceptions, on n'y entre point; on n'en sort pas davantage. Une classe est ouverte, a des « parvenus » et des « déclassés » : L'une et l'autre jouissent de certains avantages, répondant, au moins dans le principe, à des charges et à des obligations, L'une et l'autre cherchent à se soustraire à leurs obligations en conservant leurs avantages. C'est par là qu'elles se ruinent : leurs avantages deviennent difficiles à défendre quand ils ne sont plus la rémunération d'aucun service. C'est alors qu'une révolution les balaie, ou qu'elles se dissolvent dans un ordre social nouveau.
Une caste est une institution, une classe n'a pas d'existence officielle et légale. Au lieu de reposer sur des lois et des constitutions, elle est tout entière dans l'opinion et dans les mœurs. Elle n'en est pas moins une réalité sociale, moins fixe, il est vrai, et moins définie, mais tout aussi positive qu'une caste. On reconnaît un bourgeois d'un homme du peuple rien qu'à les voir passer dans la rue".
Edmond Goblot
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lundi, 25 octobre 2010
Dictionnaire de la délivrance psychique : dérapage
Dérapage :
phrase n’ayant pas plu à un groupe se croyant minoritaire, discriminé et victime. Lorsqu’une personne est accusée par d’autres de dérapage, elle doit présenter des excuses.
Le dictionnaire de la délivrance psychique est réalisé sous la direction de Conan Kernoël, pour AlmaSoror.
Autres définitions :
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