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dimanche, 28 novembre 2010

Trouble

 

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(un billet d'Edith)

 

Le bar était vide, en face de la gare. Je me suis sentie obligée de le peupler. Je suis entrée dans une lumière vide comme un coeur. J'ai commandé un pommard. Il était beau ; il était rouge ; il sentait chaud. Il parlait presque, en pétillant de lumière, et les voitures dehors devinrent belles. Tout s'enfloua et quand il fallut se lever, je ne savais plus pourquoi j'étais entrée (le bar était penché). 6 euros 50 : un verre cher. La fuite se paye pour ceux qui savent mal rêver.

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(ah ! ah ! ah ! tunki tunki purichkanim !)

jeudi, 25 novembre 2010

Le 91, entre deux stations, la nuit

 

lundi, 22 novembre 2010

La solitude des champs de blogs

 

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(un billet d'Edith)

 

Si, quand j'avais quinze ans, on me l'avait dit : que je téléphonerais du train, que je photographierais le wagon avec mon téléphone pour immédiatement poster la photo dans un lieu qui n'existe pas, peuplé de milliers de gens, que cette photo le monde entier pourrait la voir et lire les mots que j'écrirais à côté, que je raconterais ainsi une histoire de ma vie sans trop rougir et qu'à onze heures du soir, quand le train entrerait en gare de Lyon tout serait joué, j'aurais cru à une autre planète. J'aurais levé les yeux au ciel en me demandant où tout cela se passera. Mais je ne suis pas partie ailleurs dans le ciel : je suis toujours là, toujours vers Montparnasse, je n'ai pas encore de rides sur mon visage. Je n'ai pas changé de planète. C'est ma planète qui a beaucoup changé. Beaucoup des mots que j'utilise tous les jours, je ne les connaissais pas alors : ils n'existaient pas. Comment pouvais-je imaginer que je deviendrais blogueuse ? Le mot blog n'existait pas. J'ignorais l'existence naissante d'Internet. Les téléphones étaient accrochés à des fils et les appareils photographiques étaient tous argentiques.

 

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La soeur et le frère vivent ailleurs et reviennent souvent. La chienne est partie outre-vie. La maman lit dans son petit salon rouge. Cicéron, Jacques de Voragine, Zozime, et l'histoire secrète du parti communiste. Histoire, légendes et trahisons.

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Je suis partie le 13 novembre de la Gare de Lyon. Il faisait déjà froid mais les feuilles d'automne sont toujours là. Ce n'est pas encore l'hiver.

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L'allée a lieu en classe de seconde. J'entends les deux dames faire connaissance ; je méprise plusieurs personnes à cause de quelque chose mais je ne peux le dire ici. Ce ne serait pas politiquement correct. Il y a tant de choses qu'on pense et qu'on ne peut dire et qu'on ne peut même pas dire qu'on cache ! Les idées les plus évidentes sont les plus interdites. Alors tant pis si ce voyage ne permit pas une lecture tranquille dans le calme.

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Tant de colère dans le coeur ! Tant d'amour dans la haine ! Tant de doute dans l'amour ! Tant de noir dans la lumière ! Tant de lumière dans la nuit ! Tant de fumée dans les bras ! Tant de rêves dans le passé ! Tant de vide dans l'avenir ! Tant de frères dans la ville ! Tant d'ennemis dans les rues ! Tant de fiel dans les mots ! Tant de plastic dans les corps ! Tant d'esprit dans les gestes ! Tant de pesticides dans les idées ! Tant de souffrances dans les abattoirs ! Tant d'abattoirs dans la civilisation ! Tant d'eau dans les ravines ! Tant de chimie dans les vignes ! Tant d'oiseaux dans le ciel ! Comment réssusciter dans le triangle tragique de l'architecture, du visage et du regard ?

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Une semaine à Beaune, qu'en dire ? La ville est toujours belle. Etre une ville restée belle en 2010, c'est grand. Beaune est immense. Mais ces flux qui sillonnent métalliquement la France fragile sont menaçants :

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19 novembre 2010. Retour en première classe, à côté d'un Anglais très élégant et excentrique.

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Si quand j'avais quinze ans on m'avait dit que le 19 novembre 2010, je téléphonerais dans le train, qu'avec ce téléphone attaché à rien je prendrais une photo, que de ce téléphone, immédiatement, j'enverrais cette photo dans un lieu qui n'existe pas, peuplé de millions d'hommes, que chacun pourrait voir la photo et lire les mots que j'écris à côté, que je pourrais ainsi raconter une histoire de ma vie en appuyant sur les petits boutons d'un téléphone, j'aurais cru à une émigration dans sur autre planète. Mais je n'ai pas changé de planète : la planète a beaucoup changé. Je suis toujours là, vers Montparnasse, je n'ai pas encore de rides à mon visage et moins de crises d'angoisse. Des mots que j'emploie tous les jours certains n'existaient pas. Comment pouvais-je deviner que je deviendrais blogueuse quand le mot blog n'existait pas et que j'ignorais l'existence naissante d'Internet ? J'avais quinze ans et j'hésitais à vivre. Aujourd'hui, j'ai trente-deux et j'ai renoncé. Je blogue.

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N.B. : A Paris, les poubelles ont changé : elles sont "antibombes".

 

 

jeudi, 18 novembre 2010

“Hommes sans mère” d’Hubert Mingarelli

 

 

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Photo Sara pour VillaBar

 

“Ils s’éloignèrent sous la pluie et la brume, leurs silhouettes flottèrent et tremblotèrent comme s’ils s’enfonçaient dans l’eau, et, finalement ils échappèrent à la vue.”

On pourrait penser que l’auteur décrit la frustration d’hommes sans femmes à la lecture du livre. Mais il a choisi comme titre “Hommes sans mère”. Dans son livre, il y a bien un orphelin : c’est le gardien muet qui a perdu sa maman, non pas qu’elle soit morte, mais il l’a perdue quand il était enfant. 

Les deux héros, des marins, sont pourtant bien des orphelins - même s’ils ont sûrement une mère là-bas - : ils ressemblent à deux frères perdus dans la grande vie, le plus grand protège le plus petit qui fait des bêtises.

La couverture du livre, collection Points, est dessinée par Pierre Mornet : trois jeunes femmes identiques à toutes les femmes qu’il dessine.HSM.jpg L’éventail et le sein dénudé sont les seuls détails qui permet de ne pas les prendre pour des petites bourgeoises faisant tapisserie au bal.

Le style évoque Faulkner, en moins violent et plus tendre. Dans “La beauté des loutres” et “Le voyage d’Eladio”, les deux seuls livres que j’ai lu jusque là d’Hubert Mingarelli, il décrit l’âme des hommes à travers leur silence frustre. Ce sont des livres sur les hommes. Mais contrairement à la plupart des livres sur ce thème, les siens sont tendres. Même les femmes sont tendres, irréelles, mais tendres. Irréelles car elles ne sont pas préoccupées de leur corps qu’elles vendent pour vivre. Corps qui malheureusement dans la vie réelle se rappellent durement au souvenir des femmes à travers leurs organes de procréation, mais que les hommes oublient ou ignorent quand ils écrivent sur les femmes. Elles sont là, finalement, pour le décor. 

Souvenir. Rue Quincampoix où Paul et moi avons habité un an en 1974 ou 1975, nous avions fait connaissance d’une jeune femme, parmi toutes celles qui “faisaient le trottoir”, avec qui nous prenions des cafés au bar d’en bas, tenu par un vieil homme, sale et glauque qui habitait dans notre immeuble. La femme parlait de son “père” qui l’emmenait faire des voyages dans les pays chauds. Nous n’en croyions rien et espérions apercevoir ce “père” un jour ou l’autre, main en vain. Un jour elle disparut, peut-être à cause de nous.

C’est là que j’ai vu une femme de milieu très pauvre, très populaire, se mettre sur les rangs, dans cette rue. De femme du peuple démunie de tout, elle s’est transformée jour après jour, en pimpante jeune femme. Cela a commencé par un manteau rouge. Ensuite, ça a été le coiffeur. Elle a mis du temps a dénudé ses cuisses même en plein hiver, comme faisaient les autres, même les plus vieilles, grasses, peinturlurées, vulgaires.

C’étaient les bourgeois qui venaient, de quarante à soixante ans. Ils avaient de l’argent pour les payer. Rue aux Ours, une nuée d’arabes bouchait la rue, se tenant debout sans bouger, agglutinés les uns aux autres, mornes, silencieux, les yeux en direction de la rue Quincampoix. Je ne suis même pas sûre qu’ils regardaient les femmes. Ils venaient après le boulot, vers cinq heures du soir et ne bougeaient plus. On était obligé de traverser leurs rangs serrés pour rentrer chez nous. Ils étaient collés les uns aux autres, lourds, immobiles, muets et faisaient contraste avec la vie vulgaire et colorée de la rue, ponctuée par l’arrivée des bourgeois qui négociait le tarif avec une “fille” et la suivaient la regardant sans vergogne de la tête aux pieds en franchissant le seuil de l’immeuble pour s’enfoncer dans un long couloir mal éclairé d’une ampoule au plafond qui menait je ne sais où. Certains hommes avaient leur habituée. 

Parfois les femmes s’enfuyaient dans les maisons comme une nuée d’oiseaux. C’était un sifflement bref et strident qui provoquait cette échappée. Puis une voiture de flics remontait lentement la rue Quincampoix jusqu’à la rue aux Ours. Tout le monde s’écartait au fur et à mesure pour les laisser passer.

À d’autres moments, une voiture de sport décapotable débouchait du fond de la rue, conduite par un jeune homme, la trentaine, roux. Il garait la voiture et venait prendre le fric. C’était le souteneur. Nous le regardions de là-haut, de notre fenêtre, avec respect et inquiétude. C’était un homme puissant.

 

À mes enfants, votre mère

 

 

lundi, 15 novembre 2010

Zénon en prison

 

 

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Hervé Guibert

 

 

Une phrase prononcée par le philosophe Zénon, dans sa prison où le vieux chanoine qui l'éduqua vient le visiter.

"- L'homme est une entreprise qui a contre elle le temps, la nécessité, la fortune, et l'imbécile et toujours croissante primauté du nombre, dit plus posément le philosophe. Les hommes tueront l'homme.

Il tomba dans un long silence".

Marguerite Yourcenar, l'Oeuvre au noir.

vendredi, 12 novembre 2010

Poétique Armel Guerne

 

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"Depuis le petit cœur impatient de mon enfance jusqu'à ce vieux cœur meurtri, pantelant, essoufflé, mais toujours plus avide de lumière, je n'ai pas eu d'autre ambition que celle d'être accueilli et reçu comme un poète, de pouvoir me compter un jour au nombre saint de ces divins voyous de l'amour. Je n'ai jamais voulu rien d'autre, et je crois bien n'avoir perdu pas un unique instant d'entre tous ceux qu'il m'a été donné de vivre, en détournant les yeux de ce seul objectif jamais atteint, sans doute, mais visé toujours mieux et avec une passion de jour en jour plus sûre d'elle."

Armel Guerne

mardi, 09 novembre 2010

A Quai, de Sara

Voulez-vous voir ou revoir le film de Sara ? Avec la musique de Radikal Satan, deux musiciens argentins désargentés rencontrés dans le métro par la cinéaste et embauchés comme ça, sous la terre, sous la place de la Bastille exactement ? Storyboardé par Karine Nayrac ? Avec des déchireuses hors pair qui déchirèrent chien et dame, capitaine, marins et paquet de clopes ? Sabine Algan, Aurélie Lambert, Laure de Rostolan... Avec aussi l'ingénieur du son Adrian Riffo et la coréalisation de Pierre Volto ? Produit, enfin, par le Centre de la première oeuvre, aux Gobelins.

A quai, un capitaine rencontre une femme, un chien. Âmes-soeurs ?

 

samedi, 06 novembre 2010

Lovers are gone

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"Lovers are gone

their memory shine

they have a throne

under my dying spine".

Edith Morning

(photo : Walker Evans)

 

 

 

 

 

 

 

Les amants sont partis, par la porte arrière. Il n'y a plus ni deltaplanes ni montgolfières dans leur ciel si fier. Il n'y a plus que l'océan bleu et ses vagues de nuages au-dessus de notre ville sans chef et sans bagages.

Les amants sont partis sans emmener les enfants. Ceux-ci sont assis dans les écoles, sur les bancs. Seuls au monde et seuls à souffrir sans le savoir, ils existent encore, sans mots, sans jeux, dans leur doux brouillard.

Les amants sont partis sans prévenir personne. Les cuisines laissées en plan exhalent les casseroles qui frissonnent. Plus rien n'a lieu aux alentours. Si l'amour est une trahison, la ville a mis ses beaux atours pour subir le vide et l'abandon.

Les amants sont partis hier avant midi. Ils ont assassiné leurs époux et n'ont rien dit aux enfants. Enfuis sur des machines volantes, ils ne reviendront plus. Je reste mère adoptive, ange gardien, soeur nourricière, du peuple des enfants perdus.

 

Edith de CL

mercredi, 03 novembre 2010

France chérie

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Photo Marie-Christine Frager

(billet patriotique de Jean Bouchenoire)

 

Ma belle France chérie, je t’aime. Douce et tendre tu es avec nous. Pourtant, quelle honte aujourd’hui de te dire qu’on t’aime. C’est une honte de croire en toi. Pour l’Etat, pour tes fils, pour tes hôtes, c’est une honte de pleurer et rire d’amour pour toi.

Mon pays bien-aimé, ma vie est une prière que je t’offre, dans le silence de mon cœur et dans la beauté de mes gestes, tous les jours. Je le tais trop souvent, car qui en ce monde peut comprendre de telles paroles ? Prier pour toi, t’aimer, danser avec toi, voilà qui n’est pas à la mode. Mais je danse avec toi et toutes mes œuvres te sont dédiées.

A ta source, il y a la Grèce lointaine, la Terre Sainte du désert et des lacs de Judée et de Tibériade, à ta source il y a aussi et surtout les longs cheveux celtes et les rochers millénaires. Tes mers te baignent et t’aiment, tes montagnes te veillent, tes arbres te réchauffent et ton ciel s’étend dans le monde entier pour ta gloire.

Tu es mon amour et mon pays. Tes villes sont mes sœurs, accueillantes et quelquefois dures, et leurs bistrots accueillent les douleurs des enfants devenus grands.

Sache vieille France, sans cesse renouvelée comme la mer, sache qu’au fond de nos cœurs, malgré nos bouches bâillonnées, malgré nos cerveaux purgés, malgré nos corps dressés, un amour immense t’enveloppe. Cet amour est puissance, lumière et vie et tant qu’il brûle, tu es la France éternelle.

 

Jean Bouchenoire

dimanche, 31 octobre 2010

Epictète commenté par Goblot

« Si le cheval disait, en se redressant : je suis beau! ce serait tolérable, car il se vanterait d'un avantage qui est à lui. Mais toi, quand tu dis, en te redressant : j'ai un beau cheval ! sache bien que l'avan­tage dont tu te vantes est à ton cheval. » Epictète

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"Epictète a raison d'avertir, car on s'y trompe. On ne se parerait pas d'un diamant, on ne serait pas fier de son titre, on ne montrerait pas son château si l'on ne comptait que l'admiration qui va à la beauté du diamant, du titre et du château va aussi et du même coup à la personne qui les possède. La richesse rend l'homme important, imposant, volumineux. On se sent petit devant celui qui a de beaux habits, des équi­pages, des valets; un grand nom, un bel hôtel. Il faut de la réflexion pour s'apercevoir que sa personne est comme une autre. Les moralistes ont inlassablement prêché, presque toujours dans le désert, une vérité si évidente et si souvent, méconnue. Pour estimer la valeur des hommes, il faudrait les déshabiller, comme au conseil de révision ; mieux encore, il faudrait les déshabiller au moral comme au physique et faire comparaître leurs âmes toutes nues, comme au jugement dernier. - Mais non ! nous ne sommes ni au conseil de révision ni au jugement dernier. Nous avons raison de juger les hommes tout habillés, car, clans la vie sociale; leur vêtement fait partie d'eux-mêmes: Si nous les voyions tout nus, nous ne saurions plus ce qu'ils sont. Ils ne seraient plus ce qu'ils sont".

 

Edmond Goblot, 1925

jeudi, 28 octobre 2010

Bourg choisi

 

 

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bourgeois dans une vague

 

 

 

 

Extrait de La barrière et le niveau, d'Edmond Goblot.
Une étude de la bourgeoisie écrite en 1925 par ce sociologue.

On peut lire le texte en entier sur le site de l'Université du Québec à Chicoutimi

 

"Nous ne serons jamais assez reconnaissants à la Révolution de nous avoir donné l'égalité civile et l'égalité politique. Elle ne nous a pas donné l'égalité sociale. Les hommes de ce temps n'ont pas prévu, ne pouvaient guère prévoir cette espèce de pseudo-aristocratie qui se fonda presque aussitôt sur les ruines de l'ancienne et acheva de l'abolir en la supplantant : la bourgeoisie moderne.

 

Ce n'est pas que le rêve de l'égalité sociale fût étranger à l'esprit révolu­tionnaire. Mais, chez nos grands aïeux, ce rêve est. demeuré sentimental et ne se réalisa guère que par de nouvelles formules de politesse et le mot de frater­nité. S'il s'était précisé, c'eût été sans doute dans le sens économique. On eût cherché l'égalité sociale dans le nivellement des seules richesses matérielles, comme l'ont fait plus tard les théoriciens du socialisme.

 

Nous n'avons plus de castes, nous avons encore des classes. Une caste est fermée : on y naît, on y meurt; sauf de rares exceptions, on n'y entre point; on n'en sort pas davantage. Une classe est ouverte, a des « parvenus » et des « déclassés » : L'une et l'autre jouissent de certains avantages, répondant, au moins dans le principe, à des charges et à des obligations, L'une et l'autre cherchent à se soustraire à leurs obligations en conservant leurs avantages. C'est par là qu'elles se ruinent : leurs avantages deviennent difficiles à défen­dre quand ils ne sont plus la rémunération d'aucun service. C'est alors qu'une révolution les balaie, ou qu'elles se dissolvent dans un ordre social nouveau.

 

Une caste est une institution, une classe n'a pas d'existence officielle et légale. Au lieu de reposer sur des lois et des constitutions, elle est tout entière dans l'opinion et dans les mœurs. Elle n'en est pas moins une réalité sociale, moins fixe, il est vrai, et moins définie, mais tout aussi positive qu'une caste. On reconnaît un bourgeois d'un homme du peuple rien qu'à les voir passer dans la rue".

 

Edmond Goblot

lundi, 25 octobre 2010

Dictionnaire de la délivrance psychique : dérapage

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Dérapage :


phrase n’ayant pas plu à un groupe se croyant minoritaire, discriminé et victime. Lorsqu’une personne est accusée par d’autres de dérapage, elle doit présenter des excuses. 

 

Le dictionnaire de la délivrance psychique est réalisé sous la direction de Conan Kernoël, pour AlmaSoror.

 

Autres définitions :

 

Couple

 

La nouvelle religion

 

Fonctionnaire

 

Le CNC

 

Devoir de mémoire

 

Administration

 

Sociologue

vendredi, 22 octobre 2010

Où étaient les enfants ?

 

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Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva

 

Extrait de Philippe Ariès :

 

« L’art médiéval, jusqu’au XIIème siècle environ, ne connaissait pas l’enfance ou ne tentait pas de la représenter ; on a peine à croire que cette absence était due à la gaucherie ou à l’impuissance. On pensera plutôt qu’il n’y avait pas de place pour l’enfance dans ce monde. Une miniature ottonienne du XIème siècle (Evangéliaire d’Otton III, Munich), nous donne une idée impressionnante de la déformation que l’artiste faisait alors subir aux corps d’enfants dans un sens qui nous parait s’éloigner de notre sentiment et de notre vision. Le sujet est la scène de l’Evangile où Jésus demande qu’on laisse venir à lui les petits enfants, le texte latin est clair : parvuli. Or le miniaturiste groupe autour de Jésus huit véritables hommes sans aucun des traits de l’enfance : ils sont simplement reproduits à une échelle plus petite. Seule, leur taille les distingue des adultes. Sur une miniature française de la fin du XIème siècle (Vie et miracle de Saint Nicolas, Bibliothèque nationale), les trois enfants que Saint Nicolas ressuscite sont aussi ramenés à une échelle plus réduite que les adultes, sans autre différence d’expression ni de traits. Le peintre n’hésitera pas à donner à la nudité de l’enfant, dans les très rares cas où elle est exposée, la musculature de l’adulte : ainsi, dans le psautier de Saint Louis de Leyde, daté de la fin du XIIème siècle ou du début du XIIIème siècle, Ismaël, peu après sa naissance a les abdominaux et les pectoraux d’un homme. Malgré plus de sentiment dans la mise en scène de l’enfance, le XIIIème siècle restera fidèle à ce procédé. Dans la Bible moralisée de saint Louis, les représentations d’enfants deviennent plus fréquentes, mais ceux-ci ne sont pas caractérisés autrement que par leur taille. Un épisode de la vie de Jacob : Isaac est assis entouré de ses deux femmes et d’une quinzaine de petits hommes qui arrivent à la taille des grandes personnes, ce sont leurs enfants. Job est récompensé pour sa foi, il redevient riche et l’enlumineur évoque sa fortune en plaçant Job entre un bétail à gauche, et des enfants à droite, également nombreux : image traditionnelle de la fécondité inséparable de la richesse. Sur une autre illustration du livre de Job, des enfants sont échelonnés, par ordre de taille.

 

Ailleurs encore, dans l’Evangéliaire de la Sainte-Chapelle du XIIIème siècle, au moment de la multiplication des pains, le Christ et un apôtre encadrent un petit homme qui leur arrive à la taille : sans doute l’enfant qui portait les poissons. Dans le monde des formules romanes, et jusqu’à la fin du XIIIème siècle, il n’y a pas d’enfants, caractérisés par une expression particulière, mais des hommes de taille plus réduite. Ce refus d’accepter dans l’art la morphologie enfantine se retrouve d’ailleurs dans la plupart des civilisations archaïques. Un beau bronze sarde du IXème siècle avant Jésus-Christ (vu à la Bibliothèque nationale dans l’exposition des bronzes sardes en 1954), représente une sorte de Piéta : une mère tenant dans ses bras le corps assez grand de son fils. Mais il s’agit peut-être d’un enfant, remarque la notice du catalogue : « la petite figure masculine pourrait être aussi bien un enfant qui, selon la formule adoptée à l’époque archaïque par d’autres peuples, serait représenté comme un adulte ». Tout se passe en effet comme si la représentation réaliste de l’enfant, ou l’idéalisation de l’enfance, de sa grâce, de sa rondeur, étaient propres à l’art grec.
Les petits Eros prolifèrent avec exubérance à l’époque hellénistique. L’enfance disparaît de l’iconographie avec les autres thèmes hellénistiques, et le roman revint à ce refus des traits spécifiques de l’enfance qui caractérisait déjà les époques archaïques, antérieures à l’hellénisme. Il y a là autre chose qu’une simple coïncidence. Nous partons d’un monde de représentation où l’enfance est inconnue : les historiens de la littérature (Mgr Calvé) ont fait la même remarque à propos de l’épopée, où des enfants prodiges se conduisent avec la bravoure et la force physique des preux. Cela signifie sans aucun doute que les hommes des X-XIèmes siècles ne s’attardaient pas à l’image de l’enfance, que celle-ci n’avait pour eux ni intérêt, ni même réalité. Cela laisse à penser aussi que dans le domaine des mœurs vécues, et non plus seulement dans celui d’une transposition esthétique, l’enfance était un temps de transition, vite passé, et dont on perdait aussi vite le souvenir.

 

Tel est notre point de départ. Comment de là, arrive-t-on aux marmousets de Versailles, aux photos d’enfants de tous les âges de nos albums de famille ? »

 

Philippe Ariès

 

Lire L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, dont est extrait ce passage.

Lire aussi, de Shulamith Firestone et en cliquant sur le lien : Pour l’abolition de l’enfance, aux éditions Tahin Party

mardi, 19 octobre 2010

état civil, état des personnes

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Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva

 

Ainsi s’ouvre le livre de Philippe Ariès : L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime :

« Un homme du XVIème ou du XVIIème siècle s’étonnerait des exigences d’état civil auxquelles nous nous soumettons naturellement. Nous apprenons à nos enfants, dès qu’ils commencent à parler, leur nom, celui de leurs parents, et aussi leur âge. On est très fier quand le petit Paul, interrogé sur son âge, répond qu’il a deux ans et demi. Nous sentons en effet qu’il est important que petit Paul ne se trompe pas : que deviendrait-il s’il ne savait plus son âge ? Dans la brousse africaine, c’est encore une notion bien obscure, quelque chose qui n’est pas si important qu’on ne puisse l’oublier. Mais, dans nos civilisations techniciennes, comment oublierait-on la date exacte de sa naissance, alors qu’à chaque déplacement nous devons l’écrire sur la fiche de police à l’hôtel ; à chaque candidature, à chaque démarche, à chaque formule à remplir, et Dieu sait s’il y en a et s’il y en aura de plus en plus, il faut toujours la rappeler. Petit Paul donnera son âge à l’école, il deviendra vite Paul N. de la classe x, et quand il prendra son premier emploi, il recevra avec sa carte de Sécurité sociale un numéro d’inscription qui doublera son propre nom. En même temps, et plutôt que Paul N., il sera un numéro, qui commencera par son sexe, son année de naissance, et le mois de l’année. Un jour viendra où tous les citoyens auront leur numéro matricule : c’est le but des services d’identité. Notre personnalité civile s’exprime désormais avec plus de précision par nos coordonnées de naissance que par notre nom patronymique. Celui-ci pourrait très bien, à la limite, non pas disparaître, mais être réservé à la vie privée, tandis qu’un numéro d’identité le remplacerait pour l’usage civil, dont la date de naissance serait l’un des éléments constitutifs. Le prénom avait été, au Moyen Âge, considéré comme une désignation trop imprécise, il avait fallu le compléter par un nom de famille, souvent un nom de lieu. Et voilà qu’il convient maintenant d’ajouter une nouvelle précision, de caractère numérique, l’âge. Mais le prénom et même le nom appartiennent à un monde de fantaisie – le prénom – ou de tradition – le nom. L’âge, quantité mesurable légalement à quelques heures près, ressort d’un autre monde, celui de l’exactitude et du chiffre. A ce jour nos habitudes d’état civil tiennent à la fois de l’un et l’autre monde ».

 

Philippe Ariès

L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime

1973

samedi, 16 octobre 2010

apache !

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Le film

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La réalité

 

 

Amélie Hélie, orléanaise devenue une grande apache parisienne (dont le film Casque d’Or s’est inspiré), vantait ainsi les avantages de sa profession de prostituée (elle parle d’elle à la troisième personne, comme Jules César) :

 

Elle fournissait du rêve aux hommes qui en avaient un urgent besoin.

Elle soulageait bien des épouses qui lui en savent gré aujourd'hui, c'est évident.

Elle ne faisait de mal à personne, au contraire.

Elle recueillait les jeunes commis tirant la langue et les dorlotait cinq minutes dans ses bras.

Elle était un mode de circulation pour la richesse publique.

Elle évitait que les belles concierges fussent à tout instant culbutées dans les escaliers.

Elle était l'oie du pauvre, le riche gardant jalousement pour lui la dinde du parc Montsouris, ce qui ne l'empêche pas d'ailleurs de goûter parfois à l'oie du pauvre.

Elle consolait le veuf de son veuvage, le prêtre de ses vœux

Elle faisait aimer à l'homme le beau, le bien, le juste, et sauvait bien des familles