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vendredi, 22 octobre 2010

Où étaient les enfants ?

 

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Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva

 

Extrait de Philippe Ariès :

 

« L’art médiéval, jusqu’au XIIème siècle environ, ne connaissait pas l’enfance ou ne tentait pas de la représenter ; on a peine à croire que cette absence était due à la gaucherie ou à l’impuissance. On pensera plutôt qu’il n’y avait pas de place pour l’enfance dans ce monde. Une miniature ottonienne du XIème siècle (Evangéliaire d’Otton III, Munich), nous donne une idée impressionnante de la déformation que l’artiste faisait alors subir aux corps d’enfants dans un sens qui nous parait s’éloigner de notre sentiment et de notre vision. Le sujet est la scène de l’Evangile où Jésus demande qu’on laisse venir à lui les petits enfants, le texte latin est clair : parvuli. Or le miniaturiste groupe autour de Jésus huit véritables hommes sans aucun des traits de l’enfance : ils sont simplement reproduits à une échelle plus petite. Seule, leur taille les distingue des adultes. Sur une miniature française de la fin du XIème siècle (Vie et miracle de Saint Nicolas, Bibliothèque nationale), les trois enfants que Saint Nicolas ressuscite sont aussi ramenés à une échelle plus réduite que les adultes, sans autre différence d’expression ni de traits. Le peintre n’hésitera pas à donner à la nudité de l’enfant, dans les très rares cas où elle est exposée, la musculature de l’adulte : ainsi, dans le psautier de Saint Louis de Leyde, daté de la fin du XIIème siècle ou du début du XIIIème siècle, Ismaël, peu après sa naissance a les abdominaux et les pectoraux d’un homme. Malgré plus de sentiment dans la mise en scène de l’enfance, le XIIIème siècle restera fidèle à ce procédé. Dans la Bible moralisée de saint Louis, les représentations d’enfants deviennent plus fréquentes, mais ceux-ci ne sont pas caractérisés autrement que par leur taille. Un épisode de la vie de Jacob : Isaac est assis entouré de ses deux femmes et d’une quinzaine de petits hommes qui arrivent à la taille des grandes personnes, ce sont leurs enfants. Job est récompensé pour sa foi, il redevient riche et l’enlumineur évoque sa fortune en plaçant Job entre un bétail à gauche, et des enfants à droite, également nombreux : image traditionnelle de la fécondité inséparable de la richesse. Sur une autre illustration du livre de Job, des enfants sont échelonnés, par ordre de taille.

 

Ailleurs encore, dans l’Evangéliaire de la Sainte-Chapelle du XIIIème siècle, au moment de la multiplication des pains, le Christ et un apôtre encadrent un petit homme qui leur arrive à la taille : sans doute l’enfant qui portait les poissons. Dans le monde des formules romanes, et jusqu’à la fin du XIIIème siècle, il n’y a pas d’enfants, caractérisés par une expression particulière, mais des hommes de taille plus réduite. Ce refus d’accepter dans l’art la morphologie enfantine se retrouve d’ailleurs dans la plupart des civilisations archaïques. Un beau bronze sarde du IXème siècle avant Jésus-Christ (vu à la Bibliothèque nationale dans l’exposition des bronzes sardes en 1954), représente une sorte de Piéta : une mère tenant dans ses bras le corps assez grand de son fils. Mais il s’agit peut-être d’un enfant, remarque la notice du catalogue : « la petite figure masculine pourrait être aussi bien un enfant qui, selon la formule adoptée à l’époque archaïque par d’autres peuples, serait représenté comme un adulte ». Tout se passe en effet comme si la représentation réaliste de l’enfant, ou l’idéalisation de l’enfance, de sa grâce, de sa rondeur, étaient propres à l’art grec.
Les petits Eros prolifèrent avec exubérance à l’époque hellénistique. L’enfance disparaît de l’iconographie avec les autres thèmes hellénistiques, et le roman revint à ce refus des traits spécifiques de l’enfance qui caractérisait déjà les époques archaïques, antérieures à l’hellénisme. Il y a là autre chose qu’une simple coïncidence. Nous partons d’un monde de représentation où l’enfance est inconnue : les historiens de la littérature (Mgr Calvé) ont fait la même remarque à propos de l’épopée, où des enfants prodiges se conduisent avec la bravoure et la force physique des preux. Cela signifie sans aucun doute que les hommes des X-XIèmes siècles ne s’attardaient pas à l’image de l’enfance, que celle-ci n’avait pour eux ni intérêt, ni même réalité. Cela laisse à penser aussi que dans le domaine des mœurs vécues, et non plus seulement dans celui d’une transposition esthétique, l’enfance était un temps de transition, vite passé, et dont on perdait aussi vite le souvenir.

 

Tel est notre point de départ. Comment de là, arrive-t-on aux marmousets de Versailles, aux photos d’enfants de tous les âges de nos albums de famille ? »

 

Philippe Ariès

 

Lire L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, dont est extrait ce passage.

Lire aussi, de Shulamith Firestone et en cliquant sur le lien : Pour l’abolition de l’enfance, aux éditions Tahin Party

mardi, 19 octobre 2010

état civil, état des personnes

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Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva

 

Ainsi s’ouvre le livre de Philippe Ariès : L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime :

« Un homme du XVIème ou du XVIIème siècle s’étonnerait des exigences d’état civil auxquelles nous nous soumettons naturellement. Nous apprenons à nos enfants, dès qu’ils commencent à parler, leur nom, celui de leurs parents, et aussi leur âge. On est très fier quand le petit Paul, interrogé sur son âge, répond qu’il a deux ans et demi. Nous sentons en effet qu’il est important que petit Paul ne se trompe pas : que deviendrait-il s’il ne savait plus son âge ? Dans la brousse africaine, c’est encore une notion bien obscure, quelque chose qui n’est pas si important qu’on ne puisse l’oublier. Mais, dans nos civilisations techniciennes, comment oublierait-on la date exacte de sa naissance, alors qu’à chaque déplacement nous devons l’écrire sur la fiche de police à l’hôtel ; à chaque candidature, à chaque démarche, à chaque formule à remplir, et Dieu sait s’il y en a et s’il y en aura de plus en plus, il faut toujours la rappeler. Petit Paul donnera son âge à l’école, il deviendra vite Paul N. de la classe x, et quand il prendra son premier emploi, il recevra avec sa carte de Sécurité sociale un numéro d’inscription qui doublera son propre nom. En même temps, et plutôt que Paul N., il sera un numéro, qui commencera par son sexe, son année de naissance, et le mois de l’année. Un jour viendra où tous les citoyens auront leur numéro matricule : c’est le but des services d’identité. Notre personnalité civile s’exprime désormais avec plus de précision par nos coordonnées de naissance que par notre nom patronymique. Celui-ci pourrait très bien, à la limite, non pas disparaître, mais être réservé à la vie privée, tandis qu’un numéro d’identité le remplacerait pour l’usage civil, dont la date de naissance serait l’un des éléments constitutifs. Le prénom avait été, au Moyen Âge, considéré comme une désignation trop imprécise, il avait fallu le compléter par un nom de famille, souvent un nom de lieu. Et voilà qu’il convient maintenant d’ajouter une nouvelle précision, de caractère numérique, l’âge. Mais le prénom et même le nom appartiennent à un monde de fantaisie – le prénom – ou de tradition – le nom. L’âge, quantité mesurable légalement à quelques heures près, ressort d’un autre monde, celui de l’exactitude et du chiffre. A ce jour nos habitudes d’état civil tiennent à la fois de l’un et l’autre monde ».

 

Philippe Ariès

L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime

1973

samedi, 16 octobre 2010

apache !

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Le film

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La réalité

 

 

Amélie Hélie, orléanaise devenue une grande apache parisienne (dont le film Casque d’Or s’est inspiré), vantait ainsi les avantages de sa profession de prostituée (elle parle d’elle à la troisième personne, comme Jules César) :

 

Elle fournissait du rêve aux hommes qui en avaient un urgent besoin.

Elle soulageait bien des épouses qui lui en savent gré aujourd'hui, c'est évident.

Elle ne faisait de mal à personne, au contraire.

Elle recueillait les jeunes commis tirant la langue et les dorlotait cinq minutes dans ses bras.

Elle était un mode de circulation pour la richesse publique.

Elle évitait que les belles concierges fussent à tout instant culbutées dans les escaliers.

Elle était l'oie du pauvre, le riche gardant jalousement pour lui la dinde du parc Montsouris, ce qui ne l'empêche pas d'ailleurs de goûter parfois à l'oie du pauvre.

Elle consolait le veuf de son veuvage, le prêtre de ses vœux

Elle faisait aimer à l'homme le beau, le bien, le juste, et sauvait bien des familles

mercredi, 13 octobre 2010

Le Milk-Shake au Panthéon

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Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva

 

(Une histoire vécue en 2005, par Edith)

J’étais avec Manuel G dans un café oriental d’une rue qui part du Panthéon. Nous conversions autour de thés à la menthe quand nous vîmes, sans y prêter d’intérêt particulier, entrer un homme jeune et une jeune fille, qui vinrent s’asseoir à la table à côté de nous.
L'intéressante musique électronique de Morgan Packard tournait un peu trop fort pour une discussion suivie. Manuel et moi entendîmes la commande prise par le patron : un milk shake vanille pour la demoiselle, un thé à la menthe pour lui.
Il était visible que Monsieur faisait de son mieux pour plaire à la belle. Il lui expliqua qu’il l’avait emmenée ici puisqu’elle était arabe, et fit un compliment sur les cafés et la nourriture arabes dont elle parut contente. Lui-même était d’origine africaine. Tous deux, nous le comprîmes, venaient de banlieue (ils sortaient juste du RER) et il lui expliquait Paris, le centre ville, les monuments, les lieux qu’il fallait connaître – elle semblait tout ignorer. De fait, la mignonne, car mignonne elle était, avait le visage des jeunes filles gavées de télévision dont la vie se déroule entre la cité, le bahut et les centres commerciaux, avec un stade de football ou un Gaumont Champs-Elysées de temps en temps.
Monsieur faisait son charme et pas si mal, la belle écoutait sans vraiment comprendre. Nous perdîmes la trace de leurs échanges en reprenant le nôtre.
Plus tard, un instant de gêne, le sentiment que quelque chose se passait nous tira à nouveau de notre face à face. A côté, quelque chose n’allait pas. La jeune fille boudait en regardant son verre. En face, le chevalier servant n’eut d’autre solution que d’appeler le patron.
- Qu’est ce qui ne va pas ?
- Je voulais un milk shake !
- Mais c’est un milk shake !
- Ben non…
Elle faisait la moue, prenant manifestement le patron pour un demeuré.
Elle finit par lâcher, avec le mépris du savant pour l’ignorance crasse de son interlocuteur :
- Ben non, vous voyez bien que c’est pas comme chez McDo.
Le patron comprit soudain, le jeune homme aussi. Tous deux tentèrent d’expliquer à la jeune fille sous nos yeux et oreilles médusés que ce qu’elle avait devant elle était un vrai milk shake, fait avec des fruits fraîchement pressés et du lait frais, contrairement aux Milk Shake standards de chez Mac Donald.
Mais elle, les regardait avec une bougonnerie qui ressemblait presque à de la haine, en tout cas à de la rancœur.
Le patron vit que ses explications gastronomiques ne faisaient qu’augmenter le mépris de sa cliente, qu’il était persona non grata et dut repartir, penaud et horrifié. Elle, fit la gueule à son compagnon qui était terrassé lui-même par l’incommensurable gouffre entre son effort de séduction soutenu et le résultat pénible.
- Gabou il m’emmenait au McDo, dit elle d’un ton véhément, plein de reproche.
Piteux, honteux, le jeune homme tenta de la divertir. Elle ne voulut point goûter son thé à la menthe. Elle prit un peu de son milk shake mais le dégoût s’affichait sur son visage au moment d’avaler.
Elle était une petite sotte incapable d’entrevoir l’idée qu’un café élégamment décoré du panthéon vaut mieux qu’un McDo, incapable d’imaginer que du lait frais et des fruits pressés sont meilleurs que la daube industrielle.
Et le jeune monsieur apprit sans doute que la délicatesse et la culture passent pour de la goujaterie et de l’insalubrité aux yeux des enfants déracinés, marketingo-lobotomisés, accrocs à la consommation de masse.

dimanche, 10 octobre 2010

Aléas toi R

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Photo Sara

 

(un billet de David-Nathanaël Steene)

à K.

Fais de beaux rêves et ne reviens jamais.  Tes jambes sur le tapis et ta chemise de nuit de soie ne sont presque plus là. Tu pars. Tu entends des voix venues d'ailleurs, elles font une bulle de son dans laquelle tu entres et t'envoles. Tu vas survoler les immeubles de l'aube et les champs qui les suivent. Tu oublieras ma voix trop faible et mon corps trop malingre dans tes voyages sonores. Tactiles seront tes sensations, quand derrière les montagnes apparaîtra le paysage de l'enfance, de neige et de feu glacé, pur. Au confluent de toutes nos enfances, il y a le garçon enchanté, qui souffle pour voir la fumée sortir de sa bouche. Mais ne t'y trompe pas : dans ce rêve où tu pars, nul ne t'attend. C'est à toi de te frayer une voie irréelle à travers les voix des herbes et des gouttes de rosée, et toutes les choses infimes de la nature, qui fascinent et qu'on oublie vite dès que la ville est là, enfermante. 

Fais de beaux rêves puisque tes yeux sont déjà ailleurs, que tes oreilles tendent vers l'inconnu, que ma présence ne te dérange même plus. 

DN Steene

vendredi, 08 octobre 2010

Les oiseaux de passage

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Sables d'Olonne, par Sara

Un poème de Jean Richepin, sur la domesticité et la liberté.
On peut l'écouter chanté par Georges Brassens. 
On peut aussi lire
Le chien et le loup, de Jean de La Fontaine, qui évoque le même thème. 

Les oiseaux de passage

C'est une cour carrée et qui n'a rien d'étrange :
Sur les flancs, l'écurie et l'étable au toit bas ;
Ici près, la maison ; là-bas, au fond, la grange
Sous son chapeau de chaume et sa jupe en plâtras.

Le bac, où les chevaux au retour viendront boire,
Dans sa berge de bois est immobile et dort.
Tout plaqué de soleil, le purin à l'eau noire
Luit le long du fumier gras et pailleté d'or.

Loin de l'endroit humide où gît la couche grasse,
Au milieu de la cour, où le crottin plus sec
Riche de grains d'avoine en poussière s'entasse,
La poule l'éparpille à coups d'ongle et de bec.

Plus haut, entre les deux brancards d'une charrette,
Un gros coq satisfait, gavé d'aise, assoupi,
Hérissé, l'œil mi-clos recouvert par la crête,
Ainsi qu'une couveuse en boule est accroupi.

Des canards hébétés voguent, l'oeil en extase.
On dirait des rêveurs, quand, soudain s'arrêtant,
Pour chercher leur pâture au plus vert de la vase
Ils crèvent d'un plongeon les moires de l'étang.

Sur le faîte du toit, dont les grises ardoises
Montrent dans le soleil leurs écailles d'argent,
Des pigeons violets aux reflets de turquoises
De roucoulements sourds gonflent leur col changeant.

Leur ventre bien lustré, dont la plume est plus sombre,
Fait tantôt de l'ébène et tantôt de l'émail,
Et leurs pattes, qui sont rouges parmi cette ombre,
Semblent sur du velours des branches de corail.

Au bout du clos, bien loin, on voit paître les oies,
Et vaguer les dindons noirs comme des huissiers.
Oh ! qui pourra chanter vos bonheurs et vos joies,
Rentiers, faiseurs de lards, philistins, épiciers ?

Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne
Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;
Ca lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.

Ce dindon a toujours béni sa destinée.
Et quand vient le moment de mourir il faut voir
Cette jeune oie en pleurs : " C'est là que je suis née ;
Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir. "

Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncque 
Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
L'emportant sans rameurs sur un fleuve inconnu.

Elle ne sentit pas lui courir sous la plume
De ces grands souffles fous qu'on a dans le sommeil,
pour aller voir la nuit comment le ciel s'allume
Et mourir au matin sur le coeur du soleil.

Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie
Toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux
Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie
Ou de n'en plus avoir ou bien d'en avoir deux.

Aussi, comme leur vie est douce, bonne et grasse !
Qu'ils sont patriarcaux, béats, vermillonnés,
Cinq pour cent ! Quel bonheur de dormir dans sa crasse,
De ne pas voir plus loin que le bout de son nez !

N'avoir aucun besoin de baiser sur les lèvres,
Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Posséder pour tout cœur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans !

Oh ! les gens bienheureux !... Tout à coup, dans l'espace,
Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol
En forme de triangle arrive, plane et passe.
Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loin du sol !

Les pigeons, le bec droit, poussent un cri de flûte
Qui brise les soupirs de leur col redressé,
Et sautent dans le vide avec une culbute.
Les dindons d'une voix tremblotante ont gloussé.

Les poules picorant ont relevé la tête.
Le coq, droit sur l'ergot, les deux ailes pendant,
Clignant de l'œil en l'air et secouant la crête,
Vers les hauts pèlerins pousse un appel strident.

Qu'est-ce que vous avez, bourgeois ? soyez donc calmes.
Pourquoi les appeler, sot ? Ils n'entendront pas.
Et d'ailleurs, eux qui vont vers le pays des palmes,
Crois-tu que ton fumier ait pour eux des appas ?

Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
L'air qu'ils boivent feraient éclater vos poumons.

Regardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère,
Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,
Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère,
Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.

Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
Ils pouvaient devenir volaille comme vous.
Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,
Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.

Ils sont maigres, meurtris, las, harassés. Qu'importe !
Là-haut chante pour eux un mystère profond.
A l'haleine du vent inconnu qui les porte
Ils ont ouvert sans peur leurs deux ailes. Ils vont.

La bise contre leur poitrail siffle avec rage.
L'averse les inonde et pèse sur leur dos.
Eux, dévorent l'abîme et chevauchent l'orage.
Ils vont, loin de la terre, au dessus des badauds.

Ils vont, par l'étendue ample, rois de l'espace.
Là-bas, ils trouveront de l'amour, du nouveau.
Là-bas, un bon soleil chauffera leur carcasse
Et fera se gonfler leur cœur et leur cerveau.

Là-bas, c'est le pays de l'étrange et du rêve,
C'est l'horizon perdu par delà les sommets,
C'est le bleu paradis, c'est la lointaine grève
Où votre espoir banal n'abordera jamais.

Regardez-les, vieux coq, jeune oie édifiante !
Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux.
Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.
Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.

 

Jean Richepin

jeudi, 07 octobre 2010

Geek by the sea

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Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva

 

(Un billet d'Olympe Davidson)

Inside, j'écoute la musique de Glass Buck Flower en bloguant. Outside, tu plonges à quelques mères sous la surface de l'eau et tes amis dauphins t'ont rejoint. Entre nous la plage et le lagon où de petits enfants et des petits poissons rigolent ensemble. Il n'y a rien de mieux que le son voluptueux de Glass Buck Flower pour accompagner ce moment magique, qui revient presque tous les jours depuis que je suis venu vivre ici. La maison où j' loge (à l'étage) est tenue par Tamaroa et Feti'a. Mais demain nous aurons une maison à nous, une grande maison en bois dans le sous bois qui longe la plage et de laquelle nous pourrons rêver au coucher du soleil tous les soirs. La musique de Glass Buck Flower noiera les journées et l'ordinateur aura toutes les prises qu'il lui faut pour me donner toutes ses facultés. Tu plongeras toujours et tu seras de plus en plus proche de l'Elément, de l'Eau, et de son peuple végétal et invertébré. Des flûtes s'ajoutent aux volutes électroniques du morceau "Electric Waves under the Night" et j'écris n'importe quoi sur mon blog. La vie n'a de valeur que lorsqu'on a renoncé à tout ce qui nous met des chaînes matérielles et administratives. Quand on a tout mis en veille pour n'assurer que le minimum vital, et qu'on vibre enfin aux ondes de la contemplation de la nature et du rythme intérieur du corps et de l'environnement, des couleurs, des formes, des voix, alors commence la magie. La perfection est de ce monde. Il suffisait d'ouvrir les yeux et de suivre la route qui nous attirait.

Electric Waves Under the Night s'est fini sous un rythme accéléré accompagné de deux riffs de guitare répétitif. Un court de temps de silence, puis Eating the Sky a commencé avec ses quelques notes de piano que rejoignirent la caisse douce et le vibraphone. Tu refais surface là bas dans la mer et tu joues dans les vagues avec les dauphins. Le lagon est très calme : les enfants sont rentrés chez eux ; les poissons sont au fond des algues. Le soir est parfait. Il ne manque rien à la beauté de l'instant, ni même l'instance incertaine, ni même la nostalgie d'une certaine journée d'enfance qui revient dans ma mémoire, après trop longtemps d'oubli.

Olympe Davidson

 

lundi, 04 octobre 2010

Immersion - Submersion - Émersion

La poésie d’Edith Morning a longtemps été dénigrée au profit de son œuvre photographique. Depuis les années 2030, le processus inverse a lieu. La banalité de la photo morningienne est apparue au grand jour ; tandis que son œuvre poétique, toute en profondeur, surgit du néant de mépris où l’avaient reléguée ses contemporains.

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"The stoned", la photo

 

THE STONED, le poème

I am a light 
For those who were heroes 
Right from the start 
And burned their swift doom 
To fall in a stoned bar 
Robed in decay 
I am the dreamt womb 
In their twilight 

I am a shelter 
When Cold comes down 
Dirty hairs & trembling clothes 
Ring at my door

 

They come & eat 
They come & drink 
Addicted poets 
Who shot in a stoned street 
Their transient power 

I am a mum 
At their deathdawn 
They give a phonecall 
For methadone 

In their lost nights 
I go to the pharmacy 
& I cross the city 
With pills and whiskey 

They drink my whiskey 
& they give me 
Between two crying fits 
The gold of Life

Copyright Édith Morning

On a trop donné d’importance, durant la première partie de notre siècle, à la poésie alexandrine française. Durant le XXème siècle elle était devenue moribonde, voire morte. Est-ce une raison pour ne plus jurer que par elle aujourd’hui ? La Renaissance européenne, la tentative folle et cependant réussie que cette Renaissance soit à la fois gréco-romaine et médiévale, les mouvements artistiques que cette Renaissance a engendrés ont trop fait oublier que dans sa tourmente déconstructive, le XXème siècle fut aussi un siècle artistique, et ceci pas seulement sur le plan de la bande dessinée et du cinéma. La peinture figurative, la littérature, l’électro-musique tonale y jouèrent un rôle que les critiques d’art actuels ont tort d’oublier. De leur part, c’est une forme de trahison envers nos pères et mères bouleversés par un siècle qui avait abouti au désordre total et à la négation de tout. Est-ce que nos prédécesseurs du XXème siècle ne rêvaient pas à la beauté artistique autant que nous ? Est-ce que, sans leurs explosions idéologiques et créatrices, nous connaîtrions les splendeurs que nous pouvons admirer aujourd’hui ? Certainement, la réponse est : non. Rappelez-vous Nietzsche, Friedrich Nietzsche, mes confrères arrogants : « il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante ». Rappelez-vous que nos étoiles dansantes qui ouvrent le troisième millénaire sont nées du chaos d’une fin d’un millénaire douloureuse comme une mort-accouchement. 
Dans cette période troublée, quelques parenthèses avaient été fermées, elles ont été heureusement ouvertes depuis. Pourtant, l’éblouissement que nous cause la poésie française actuelle, et principalement le vers alexandrin, ne doit pas nous fermer l’œil et l’ouïe aux manifestations poétiques qui ont lieu dans les autres langues. Je pense bien sûr à la poésie hawaïenne et à la poésie quechua, mais aussi, surtout à la poésie de langue anglaise. Australienne, Néo-Zélandaise, Canadienne, Irlandaise et Britannique, elle brille de tous ses feux retrouvés et puise dans Byron et Blake ce que Byron et Blake puisaient dans Shakespeare et Bacon : l’amour gothique de la nuit et le rire frais des prés redevenant sauvage. 
La canadienne Edith Morning, amie d’Esther Mar, avec qui elle a entretenue une correspondance intéressante, a dû élever ses neveux, ce qu’elle fit aisément - sur le plan financier - grâce au succès de son œuvre photographique. Ce succès, dû plus à la mode qu’à son art, s’est joliment effrité depuis... pour mieux révéler la somptuosité de ses vers. 
Un peu comme, au XIXème siècle, François René de Chateaubriand s’était rendu célèbre grâce à une œuvre peu intéressante - le génie du christianisme - pour atteindre la vraie gloire post-mortem avec la publication de ses mémoires d’outre-tombe, au moment où nous voulions jeter la photographe Morning aux oubliettes, son œuvre poétique s’impose. _ Nous proposons à nos lecteurs deux poèmes, The Stoned (les défoncés) et Spleen City (la cité du spleen, ou Ville de spleen). Rappelons que la démarche artistique d’Edith Morning, elle l’avait elle-même résumée en trois mots : immersion, submersion, émersion, dans une lettre à Esther Mar. 

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"Spleen city", la photo


SPLEEN CITY, le poème 


My love, your absence is blue 
Like a strange jazz note 
Lost in a straight tune 

And my lonely presence in the flat 
Don’t fill the flat 
And the food in the fridge 
Don’t fill the empty space inside ; 
And Joy City through the window 
Has become Spleen City. 

Early in the morning or at night fall, 
When I stand by the window 
As I used to do, 
The sight of the tired city, 
Or the wakening city 
Don’t make me fly anymore. 

Ah, you’re not here anymore 
Not to take the bin down ; 
You’re not here anymore 
Not to cook, not to wash dishes ; 
You got away with your child and dog 
And red lips and neroses... 

And your absence is blue 
Like gray sky 
On dirty roofs. 

Ah my friends tell me 
They find me better now, 
Since bad jokes don’t go out 
From my lips anymore. 
They say my laugh is softer, 
And my jokes less choking. 

Yeah, they’re not wrong, 
and the first days, 
I felt it could be a good part : 
The girl with her smoked glasses, see, 
Writing alone in the bars, 
Walking hours in the city. 

But your absence glitters all time 
And everywhere, 
Like a star just died, 
Like a lightbulb before it breaks. 
Your shining absence 
Is the only lively event right there... 

And your absence, 
It is clear, 
Your absence will never die. 

My love, 
Your absence is blue 
Like a funny jazz note 
Lost in a straight tune. 

And the beers I do drink 
Do not erase the track you left ; 
And Joy City through the window 
Has become Spleen City. 
The world was so absurd with you... 
It’s now too logical for me. 

Spleen City surrounds me, 
The buildings and the lights, 
The signposts and the wind 
And the rain in the night ; 
And the bums and the bars 
Will go on forever . 

My love, 
We shouldn’t learn some words like forever. 
Why did you leave ? 
My love, 
I didn’t grasp, I thought we were fine together. 
Why did you leave ? 

I’m smiling 
Cause I can see 
The sun through the rain. 
I’m smiling 
Cause I can see 
Your face through the rain. 
Winter sun is rising 
At the end of the street, 
Why did you leave ? 
There’s a question 
That flies above me 
While the world turns : 
Why did you leave ?

Copyright Édith Morning

« La première phase de créativité c’est l’immersion. Je m’immerge, c’est-à-dire que j’entre peu à peu dans l’eau d’inspiration d’où je veux photographier - je te parle de photographie mais c’est aussi ainsi que je fais quand j’écris. Cette phase fait très peur, car l’idée de laisser l’eau nous submerger appelle l’angoisse de la mort ou du moins celle du risque, de l’inconnu. Puis vient le temps de la submersion. Nous sommes entièrement baignés dans l’eau et la respiration n’est plus celle d’un être humain, mais celle d’un poisson. Le monde entier ne compte plus : seule la création a lieu, monstrueuse, inhumaine puisque divine, trop humaine puisque liée à nos mains, à notre bouche, à notre corps peuplé d’enfance, de viscères, de chiens morts et de repas en digestion. Cette phrase, on ne la maîtrise pas. Le but est de demeurer le plus longtemps possible en submersion, car il est difficile d’y entrer (il est difficile de se laisser aller à l’immersion, à cause de la peur), et pourtant ce n’est pas nous qui choisissons de réémerger, c’est l’eau qui s’en va soudain, comme une vague qui était arrivée comme une furie quitte le sable et retourne là d’où elle vient, au milieu de l’océan. (...) L’émersion est un moment de désolation. Quelquefois, quand la vie est belle, elle permet un sourire, le contentement de retrouver les siens, qui vous attendaient en faisant autre chose, mais le plus souvent l’émersion correspond au retour aux contraintes laides, dérangeantes, de la vie quotidienne. Je crois, Esther, que l’immersion, la submersion et l’émersion sont la syzygie de l’artiste, la trinité des muses, la trilogie de l’acte créateur ».

Immersion, submersion, émersion, donc. La trilogie sacrée, celle que suivit Edith Morning pour composer son œuvre créatrice à laquelle elle n’avait donné qu’un titre provisoire, que nous sommes obligés de conserver, en dépit de son intention déclarée de le changer, parce qu’elle n’est plus là pour retoucher une dernière fois son travail. Zodiac Solo, c’est donc le titre de ce recueil poétique dense, danse de la langue anglaise en construction perpétuelle, transe de la joie, des peine et du froid ressentis au Canada, entre Montréal, Vancouver et parfois, Québec, lieux où Morning vécut (Montréal, dès l’âge de 21 ans), séjourna (Vancouver, ville de son enfance, de ses parents), et se tua (Québec : un triste jour de février, où Edith Morning mit fin à une vie glorieuse, mouvementée, mais pas sans deuils intérieurs lourds à porter).

Nous proposons à la lecture The Stoned and Spleen City. En miroirs, nous proposons les photographies d’Edith Morning qui portent ces mêmes noms. On ne sait si elle a nommé les photographies d’après les poèmes ou bien le contraire. L’ensemble des œuvres date des années 2020.

Edith de CL, 
17-19 janvier-froidure 2089, pour le journal La Page Nue

vendredi, 01 octobre 2010

La musique de Nadège

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Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva

 

(un billet de Nadège Steene)

 

Tant qu’on est pris dans la tourmente du métro, du boulot et du dodo sous somnifère, on souffre beaucoup et on rêve de liberté. Quand la liberté commence, elle ne ressemble pas à ce que l’on imaginait puisqu’elle n’est pas structurée. C’est un grand vide rempli de néant, d’absence et d’angoisses. La solitude et l’exclusion pointent leur nez. Notre propre être ne sait qui il est, ni où il va. Il devient tentant de se recréer, vite, des pics de pression, des obligations extérieures, pour fuir l’effrayant néant que nous avions appelé : la liberté.

 

J’ai lu avec plaisir les tentatives de Guilain Omont pour organiser son temps libre lors de l’année sabbatique qu’il s’est offert. Il a inventé le concept de chronoleftéologie, la science du temps libre. Ses réflexions sont intéressantes, parce qu’elles sont personnelles et vraies : l’on se reconnaît plus dans ses tentatives pour se lever tôt ou pour ne pas se noyer dans son ordinateur, que dans des conseils d’ordre généraux qu’on peut trouver ça et là en ligne sur la gestion du temps.

 

J’ai décidé de passer la vie la plus agréable possible. Bien sûr, la question de l’argent fut la première à se poser. Elle n’est pas entièrement réglée, mais en ce moment je fais partie des gens qui passent la majorité de leur temps chez eux, par choix.

Or, à être chez soi, avec pour horizon un grand océan de temps libre sans balises, on se dit que la vie rêvée n’est pas la vie de rêve, que nos forces créatrices ne se déploient pas comme prévu, et que si rien, décidément rien ne sort de nos bras, de nos doigts recroquevillés sur le clavier, de notre petite tête effrayée enfin, on comprend soudain pourquoi le monde est si bien organisé, en journées de travail et en vacances qui finissent trop vite, en moyens de transports réglés comme du papier à musique et en humanité sectionnée en cadres supérieurs, cadres, employés, ouvriers, marginaux et exclus, on comprend pourquoi les petits cerveaux se donnent rendez-vous le soir devant le petit écran de télévision pour téter à la mamelle de la pensée unique.

 

La vie la plus agréable possible… A quoi ressemble-t-elle ? Dans mon rêve, elle ressemblait à une vie d’aventure : aviation, planche à voile, treks, raids, raftings, safariphotos sauvages dans les forêts et les montagnes de France… En fait, il semble que ma nature ne s’emballe pas pour les détails de ces aventures. En images et en rêve, ces activités sont la rencontre magique de l’individu et du ciel, de la mer, des arbres, sans aucune contrainte extérieure. En réalité, elles sont la succession de détails et d’activités techniques qui m’ennuient au plus haut point. Je n’aime pas porter des trucs lourds, je n’aime pas brancher des choses pour recharger des machins, je n’aime pas visser un mât à une planche, je n’aime pas regarder une carte pendant trois heures, encore moins prévoir quelles chaussures il me faudra, etc. De même, mes idées sur les aventures artistiques se sont heurtées à mes tendances profondes. La musicienne que je voulais être ? J’ai tenté vaguement de l’approcher. Rien de ce que vivent les gens qu’il aurait fallu rencontrer, avec qui il aurait fallu travailler, rien de ce qu’ils disent, ne correspond à ma vision intérieure. Alors, là encore, l’écart entre le désir sans connaissance et la déception de l’expérience était trop grand pour moi.

Il a fallu renoncer à ces aventures dont l’image me plaisait – pas leur réalité. En faisant connaissance avec ses goûts profonds, on renonce à nos idées sur nous-mêmes et on approche non la vie rêvée, mais la vie de rêve. C’est apprendre à abandonner l’image du bonheur pour trouver le bonheur lui-même.

 

La vie la plus agréable possible ? C’est me lever, prendre une douche, petit-déjeuner et enfin me recoucher dans mon lit, éventuellement avec un café ou un thé, pour lire ou écrire.

C’est passer beaucoup de temps à faire la cuisine. Ce point culinaire, c’est une des choses que j’ai eu le plus de mal à m’avouer.

Du temps, donc, pour cuisiner le déjeuner et le dîner. Du temps, aussi, pour écouter de la musique sans rien faire d’autre ; du temps, enfin, pour marcher en rêvant.

La vie a lieu entre deux lieux (pour le moment), Paris et la baie de Somme. Entre la capitale et la mer ! Il manque un peu de nature, un havre de paix-solitude noyé dans la nature, cela viendra…

 

Chic, chic, chic, un quartier très chic dans la capitale, dans les rues duquel personne ne crache, ni ne jure très fort, ni ne regarde les femmes de travers. Elégant, cultivé, dynamique, et dans ce quartier un appartement intéressant et beau, aux multiples facettes, dans lequel on puisse rêver qu’on est écrivain, ou bien aristocrate, ou encore bohème. Des bars aux couleurs chaudes et aux musiques planantes, qui servent une bouffe délicieuse et des vins capitonnés.

Un piano en bois profond qui sonne et résonne bien ; des amis et des voisins qui ressemblent à de beaux personnages des bandes dessinées de Beja et Nathaël ou de Bruno Le Floc’h.

 

De vastes wagons de train qui m’emmènent à la mer où j’ai mon appartement et sa terrasse et à la future campagne dont je rêve. Preisner qui hante l’appartement, de longs soirs d’été. Le souvenir des années mortes : la liberté des jours à venir. Quelques nostalgies d’enfance et d’amitié, toujours remédiables par l’art, au moins par l’art. Mais vous dites que vous êtes jaloux. Que je ne mérite pas cela. Que tant de gens souffrent. Oui, ils souffrent. Ils plient sous le fardeau du travail forcé ; ils élèvent leurs enfants dans le manque et la douleur. Ils ont des rêves qu’ils ne réalisent pas. Vous me pointez du doigt : « tu as de la chance ! tu as de la chance ! » Oui… Oui, j’ai de la chance. Et pourtant, dans la marge qui nous est laissée, nous pouvons toujours tendre vers un peu plus de bonheur ou un peu plus de malheur.
Depuis que j’ai pris la barre du bateau de ma vie, le bonheur se déploie, se dilate et me baigne, de plus en plus.

 

mercredi, 29 septembre 2010

Le catalogue éditorial d'Allia

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 alliage stylé, intelligent, de pensées à part

 

Chaque année j’obtiens au Salon du Livre un livre entièrement gratuit, qui constitue une encyclopédie originale de la culture occidentale (avec ce qu’elle contient d’inspiration de « l’étranger »). Je le lis alternativement du début jusqu’à la fin, ou de la fin vers le début. Au bout de la lecture, le monde m’est plus fraternel : j’y décèle une pensée forte, que des hommes debout se transmettent à travers les âges, et qui tente de donner à la fois à l’individu sa liberté et à la société des hommes sa cohérence. Cette lecture, une des plus marquantes qui m’ait été donnée de faire, c’est celle du catalogue des éditions Allia.

 

Ce catalogue éditorial est fortement partial. Une partie de ce qui constitue ma culture et mes amours, littéraires, philosophiques, n’y figure pas et risque de n’y jamais entrer. Allia est résolument de gauche : ses choix s’en ressentent, et si le catalogue ne tombe jamais dans le gauchisme ou la bêtise bien-pensante, ni même dans l’omission par détestation (Sainte-Thérèse d’Avila y loge avantageusement), je ne voudrais pas avoir l’air de dire qu’on y trouve tout ce qui s’écrivit de bon. Mais cette partialité assumée, cette suite de choix pensés avec hauteur, donne à ce petit livre cette puissance que je ne trouve nulle part ailleurs, et surtout pas dans un autre catalogue éditorial.


L’antiquité, le Moyen-Âge, la Renaissance, le XVIIIème siècle, le XIXème siècle, le XXème siècle y sont représentés avec un sens de l’équilibre et des proportions empruntés à la pensée grecque.
On y trouve des classiques - toujours un peu délaissés par les catalogues des autres maisons d’édition -, on y trouve avec plaisir ces auteurs marginaux qui, trop à part pour acquérir une place de choix dans les manuels scolaires, ne restent pas moins une inspiration, une lumineuse présence réchauffante à travers les siècles. Ainsi, Pic de La Mirandole, ou encore Bossuet et Casanova.


C’est grâce à Allia que j’ai découvert Léopardi, l’Italien de Récanati. C’est enfin Allia qui propose, avec cette ouverture de l’esprit au corps qui s’interdit tout vautrage grossier, les œuvres de Kubin sur le dessin, et le livre de Barney Hoskyns sur la scène musicale de Los Angeles ou le livre collectif « modulations » sur la musique électronique.

 

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Pêcheur méditant sur le livre Tu ne sais donc pas que je suis un grand homme ? de Giacomo Leopardi.

 

Ces éditeurs qui réalisent un catalogue argumenté, réfléchi, profondément intelligent, montrent qu’il n’est pas d’acte anodin dans le métier d’éditeur et font du catalogue une encyclopédie de l’intelligence au lieu d’un livret publicitaire. Ils offrent au « public francophone » le fil d’Ariane qui les guidera dans le labyrinthe fascinant de la pensée écrite de l’Europe, avec quelques excursions indiennes et chinoises éclairantes. Dans notre monde où la profusion règne encore, les possibles sont infinis. On peut se ruiner, dans les librairies, en achetant des centaines de livres mal pensés et mal écrits. On peut aller chercher gratuitement son catalogue allia et découvrir un univers culturel exaltant.

 

29 septembre 2010

Article originellement publié sur le site Univers de Sara

samedi, 25 septembre 2010

Merci, lecteurs.

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Photo Sara

Merci.

Tous les jours, vous venez, et vous revenez. Vous hantez AlmaSoror, naviguez sur nos pages, vous n’écrivez pas beaucoup mais le compteur interne du blog témoigne de votre présence inconnue, invisible, inaudible, impalpable et si fondamentale pour nous.

Merci, lecteur. Sans vous, l'âme soeur, la soeur nourricière n'aurait pas le courage d'exister. Elle errerait dans le monde des idées qui ne prennent pas complètement forme, et elle rêverait d'un amour réel et éternel, car les idées ont les mêmes rêves que les personnes humaines.

 

Signé, entre autres :

Esther, Sara, S.Barynsflook, Axel, Édith, Katharina, Marin, Siobhan, Mavra, David-Nathanaël, Nadège, José.
Et merci à ceux qui écrivent de temps en temps ou qui ont écrit une fois.

jeudi, 23 septembre 2010

extrait du journal de bord d'Édith

(un billet d'Édith)

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photo de Sara

 

 

"Je suis consciente de l’inanité d’un tel journal de bord de mes lectures et réflexions diverses. Rien n’est assez fouillé pour être intéressant, je ne cherche qu’à balancer quelques informations, plus pour moi que pour d’autres. Je pourrais dire que je ne le tiens que pour moi, pourtant je reporte mes écrits sur mon site. Pourquoi ? Sans doute comme on pense tout haut en présence de quelqu’un d’autre, non forcément pour l’édifier ou lui réclamer une réaction, mais pour s’exporter mentalement dans une zone partagée, sortir ainsi de la grande mer intérieure où songes et expériences ne font qu’une vague informe qui noie toute précision.
Lecteur, tu es paradoxal ; tu es ce qui n’existe pas : tu es mon miroir invisible. ".

 

Le journal de bord se lit ICI

(sur les cathares, sur la musique, sur la schizophrénie sociale)...

mardi, 21 septembre 2010

toute la nuit est contenue dans ce détail

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Photo Nan Goldin

 

George Steiner parle des Possédés, le livre de Fedor Dostoïevski :

« Se servant des flammes comme d’un signal lumineux qui marque le centre de la sphère d’action, Dostoïevski nous mène à une fenêtre de la demeure de Svorechniki, la demeure de Stavroguine. Le jour pointe et Lisa regarde la clarté mourante : Stavroguine vient la rejoindre. On nous dit seulement que quelques agrafes de sa robe sont défaites, mais toute la nuit est contenue dans ce détail. L’imagination de Dostoïevski est chaste à dessein ; il voit l’expérience érotique de manière trop intense, trop complète pour ne pas se rendre compte que, pour en évoquer tout le sens, il faut que les moyens plus subtils que la simple description de la chose. (…) La nuit a été désastreuse. Elle à révélé à Lisa la nature inhumaine et destructrice de Stavroguine. Dostoïevski ne nous dit pas en quoi consiste précisément l’échec sexuel, mais il ne nous laisse aucun doute sur la totalité de cet échec. Pour Lisa, c’est un choc qui la bouleverse ; elle ne sait plus pourquoi elle a sauté dans la voiture de Stavroguine le jour précédent. Elle raille sa douceur actuelle, ses paroles de circonstance sur le bonheur dont elle l’a comblé : « et c’est ça Stavroguine ! Stavroguine « le vampire » comme on vous appelle… » Le sarcasme est à double tranchant ; Lisa a été saignée de la volonté de vivre, mais en même temps elle a pénétré Stavroguine à fond. Elle sait qu’il cache quelque secret effroyable et pourtant ridicule qui souille et corrode son âme. »

 

George Steiner, in Tolstoï et Dostoïevski

lundi, 20 septembre 2010

La Saga des voix lactées : Tableau d’une époque à venir…

 L’Europe artistique des années 2030-2100

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Image Science and Analysis Laboratory, NASA-Johnson Space Center


 

70 ans d'art européen

L'histoire de l'art européen des années 2030-2100 n'avait pas encore fait l'objet d'une étude suivie et complète. La Saga des voix lactées se propose de remédier à ce néant. Oeuvre d'amateurs et d'historiens de l'art, elle se propose de reconstituer la saga extraordinaire de ces soixante-dix années de création foisonnante, fulgurante et révolutionnaire.

 

Le lecteur passionné par le sujet trouvera, dans la Saga des voix lactées, un grand nombre d'oeuvres originales et d'extraits d'oeuvre, d'études sur les oeuvres, ainsi qu'une collection d'entrevues, articles, coupures de presse blogale et autres documents pouvant intéresser la monumentale histoire de l'art européen de la deuxième moitié du XXIème siècle.

dimanche, 19 septembre 2010

Chroniques fictives

 

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Toute l'histoire de l'art euro-américain des années 2030-2070 se lit ici...