La solitude des champs de blogs (lundi, 22 novembre 2010)

 

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(un billet d'Edith)

 

Si, quand j'avais quinze ans, on me l'avait dit : que je téléphonerais du train, que je photographierais le wagon avec mon téléphone pour immédiatement poster la photo dans un lieu qui n'existe pas, peuplé de milliers de gens, que cette photo le monde entier pourrait la voir et lire les mots que j'écrirais à côté, que je raconterais ainsi une histoire de ma vie sans trop rougir et qu'à onze heures du soir, quand le train entrerait en gare de Lyon tout serait joué, j'aurais cru à une autre planète. J'aurais levé les yeux au ciel en me demandant où tout cela se passera. Mais je ne suis pas partie ailleurs dans le ciel : je suis toujours là, toujours vers Montparnasse, je n'ai pas encore de rides sur mon visage. Je n'ai pas changé de planète. C'est ma planète qui a beaucoup changé. Beaucoup des mots que j'utilise tous les jours, je ne les connaissais pas alors : ils n'existaient pas. Comment pouvais-je imaginer que je deviendrais blogueuse ? Le mot blog n'existait pas. J'ignorais l'existence naissante d'Internet. Les téléphones étaient accrochés à des fils et les appareils photographiques étaient tous argentiques.

 

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La soeur et le frère vivent ailleurs et reviennent souvent. La chienne est partie outre-vie. La maman lit dans son petit salon rouge. Cicéron, Jacques de Voragine, Zozime, et l'histoire secrète du parti communiste. Histoire, légendes et trahisons.

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Je suis partie le 13 novembre de la Gare de Lyon. Il faisait déjà froid mais les feuilles d'automne sont toujours là. Ce n'est pas encore l'hiver.

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L'allée a lieu en classe de seconde. J'entends les deux dames faire connaissance ; je méprise plusieurs personnes à cause de quelque chose mais je ne peux le dire ici. Ce ne serait pas politiquement correct. Il y a tant de choses qu'on pense et qu'on ne peut dire et qu'on ne peut même pas dire qu'on cache ! Les idées les plus évidentes sont les plus interdites. Alors tant pis si ce voyage ne permit pas une lecture tranquille dans le calme.

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Tant de colère dans le coeur ! Tant d'amour dans la haine ! Tant de doute dans l'amour ! Tant de noir dans la lumière ! Tant de lumière dans la nuit ! Tant de fumée dans les bras ! Tant de rêves dans le passé ! Tant de vide dans l'avenir ! Tant de frères dans la ville ! Tant d'ennemis dans les rues ! Tant de fiel dans les mots ! Tant de plastic dans les corps ! Tant d'esprit dans les gestes ! Tant de pesticides dans les idées ! Tant de souffrances dans les abattoirs ! Tant d'abattoirs dans la civilisation ! Tant d'eau dans les ravines ! Tant de chimie dans les vignes ! Tant d'oiseaux dans le ciel ! Comment réssusciter dans le triangle tragique de l'architecture, du visage et du regard ?

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Une semaine à Beaune, qu'en dire ? La ville est toujours belle. Etre une ville restée belle en 2010, c'est grand. Beaune est immense. Mais ces flux qui sillonnent métalliquement la France fragile sont menaçants :

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19 novembre 2010. Retour en première classe, à côté d'un Anglais très élégant et excentrique.

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Si quand j'avais quinze ans on m'avait dit que le 19 novembre 2010, je téléphonerais dans le train, qu'avec ce téléphone attaché à rien je prendrais une photo, que de ce téléphone, immédiatement, j'enverrais cette photo dans un lieu qui n'existe pas, peuplé de millions d'hommes, que chacun pourrait voir la photo et lire les mots que j'écris à côté, que je pourrais ainsi raconter une histoire de ma vie en appuyant sur les petits boutons d'un téléphone, j'aurais cru à une émigration dans sur autre planète. Mais je n'ai pas changé de planète : la planète a beaucoup changé. Je suis toujours là, vers Montparnasse, je n'ai pas encore de rides à mon visage et moins de crises d'angoisse. Des mots que j'emploie tous les jours certains n'existaient pas. Comment pouvais-je deviner que je deviendrais blogueuse quand le mot blog n'existait pas et que j'ignorais l'existence naissante d'Internet ? J'avais quinze ans et j'hésitais à vivre. Aujourd'hui, j'ai trente-deux et j'ai renoncé. Je blogue.

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N.B. : A Paris, les poubelles ont changé : elles sont "antibombes".

 

 

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