jeudi, 29 septembre 2011
Orangeade, été 2011
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Enquête et débat en pays lobotomique
Le site Enquête et Débat propose une passionnante entrevue avec Michel Desmurget, sur les méfaits de la télévision, que tout un chacun tente d'ignorer pour mieux s'avachir dans la médiocrité.
AlmaSoror, avec la permission féline du chat d'Enquête et Débat, contacté pour l'occasion, reproduit cet événement. En effet, nous avons toujours été étonnés par la propension des gens à posséder un poste de télévision et à passer du temps face à lui, par leur extrême manque de courage face à cet objet néfaste. Ils réussissent à arrêter de fumer, à limiter leur murgeades, à faire du développement personnel pour améliorer leur vie et prendre du pouvoir sur eux-mêmes, mais face à la télévision ils demeurent faibles, mous, lâches. Pourquoi ? Je crois que c'est parce que la pression sociale est trop forte ; la solitude de l'homme libre est trop dure. Penser seul est une des pires souffrances morales que peut connaître un être humain. Alors on s'inféode à la pensée qui coule du petit écran. D'ailleurs, c'est lui qui nous apprend que les dictateurs sont méchants, les démocrates gentils, les droits de l'homme un texte sacré, et beaucoup d'autres choses très vraies : comment dès lors lui reprocher des petites vulgarités, de vagues manipulations ? Et les gens qui s'élèvent contre ces belles et bonnes idées que la télévision nous enseigne peuvent-ils être autre choses que des asociaux criminels ? Voilà pourquoi dès l'enfance les cerveaux son baignés par le carré du salon qui happe les yeux, les oreilles, les coeurs et les esprits de plus de 98% des gens.
Michel Desmurget sur son livre TV Lobotomie par enquete-debat
Je reproduis ci-dessous l'article qu'on pourra aussi aller lire sur son lieu d'origine.
Michel Desmurget est docteur en neurosciences, directeur de recherche à l’INSERM, et auteur de TV Lobotomie, aux éditions Max Milo, paru en février 2011, un livre majeur, parmi les plus importants que nous ayons lus ces 10 dernières années. Pourquoi ? Parce qu’il rassemble pour la première fois des études scientifiques de tous les continents qui convergent pour démontrer que la télévision est nocive, jusqu’à tuer. Voici la vidéo intégrale de son interview (2h15) et les questions que nous lui avons posées.
1. Est-ce que c’est bien la première fois qu’un tel travail de compilation et d’explication est réalisé, et si oui pourquoi cela a-t-il pris autant de temps après que la télévision ait été adoptée dans une majorité des foyers français ?
2. Les études que vous avez compilées démontrent que la télévision :
a. Augmente la consommation de tabac et d’alcool, et la font débuter plus tôt
b. Pousse au sexe de plus en plus jeune et génère des avortements juvéniles
c. Fait baisser le niveau universitaire
d. Accélère le déclin cognitif des séniors et favorise l’Alzheimer
e. Constitue une drogue, chez les enfants et les adultes, notamment en accaparent l’attention par le changement perpétuel
f. Fait apparaître des troubles du langage chez l’enfant
g. Contribue à l’isolement social
h. Pousse à la simplification et au manichéisme
i. Fait baisser le niveau scolaire général
j. Fait baisser le niveau de compétence langagière
k. Fait baisser le temps de lecture
l. Augmente le risque de décès
m. Diminue la pratique sportive
n. Augmente l’obésité par la consommation d’aliments gras et sucrés
o. Nous fait consommer des produits dont nous n’avons pas forcément besoin
p. Pousse à la violence
q. Favorise l’anorexie, la boulimie, la dépression et la mésestime de soi
r. Augmente le sentiment d’insécurité
Ma question est la suivante : plutôt que de s’attaquer à chacune de ces conséquences, pourquoi ne pas s’attaquer à l’une de leurs principales causes : la télévision ?
3. Vous mettez en cause aussi bien le contenu que le contenant, c’est-à-dire qu’indépendamment des programmes vous dites que la télévision est nocive, pourquoi ?
4. Pourquoi personne de connu ou d’important, même parmi les scientifiques, ou des philosophes, ne remet-il en cause la télévision ?
5. Je vais me faire l’avocat du diable : n’y a-t-il pas malgré tout des cas où la télévision est positive ? Par exemple certains programmes de qualité ? Ou pour les personnes très âgées, qui ont beaucoup de temps libre et pas forcément d’énergie pour lire, sortir ou voir du monde ? Autre exemple, la télévision libère du temps pour les parents dont les enfants sont scotchés devant la télévision et baisse leur niveau général de stress ? On pourrait penser également aux grands événements sportifs qui peuvent fédérer une nation, on pense à la coupe du monde de football de 98.
6. Votre livre a été plutôt bien médiatisé, sauf à la télévision. Une preuve supplémentaire de la propagande liée à ce médium ?
7. EurodataTV Worldwide-Mediamétrie vient de sortir une étude le 21 septembre sur la consommation de la télévision dans le monde. Contrairement aux idées reçues, l’audience de la télévision n’est pas en baisse. En France, un téléspectateur la regarde 3h47 contre 3h35 en 2010 et 3h28 en 2009. On peut constater la même tendance dans la plupart des pays même si aux USA, on a constaté une très légère baisse de 2009 à 2010 (une minute en moins), baisse compensée par une reprise en 2011 (+11 minutes pour passer à une moyenne de 4h44).
8. Vous prônez une baisse de la consommation de télé, et une interdiction pour les moins de 6 ans. Est-ce que cela changerait vraiment quelque chose, comment mettre ce genre d’interdiction en place sans empiéter sur les libertés individuelles, et ne vaut-il pas mieux supprimer carrément la télévision, si elle est si nocive ?
9. La société peut-elle selon vous revenir en arrière, donc à moins de télévision, maintenant qu’elle est massivement droguée ? Et si oui, comment faire reculer réellement la consommation de télévision ?
10. Seriez-vous prêt à créer une association ou à participer à une association qui étudierait les moyens pour faire baisser la consommation de télévision, et pour faire prendre conscience aux autorités sanitaires, politiques et médiatiques des dangers de la télévision ?"
Jean Robin
Par ailleurs, dans un article intitulé Contre la dictature de la médiatisation, Jean Robin exprime parfaitement l'état d'esprit qui l'a poussé à fonder Enquête et Débat.
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dimanche, 25 septembre 2011
La Brière, terre de misère dans une langue de toute beauté
A mi chemin entre la langue paysanne de Jean Giono et la verve populaire de Louis Ferdinand Céline il y a le style d'Alphonse de Chateaubriant. Auteur maudit s'il en est, il n'est plus beaucoup lu, encore qu'il paraît que ses livres sont recherchés par d'improbables amateurs... Voici un extrait du premier chapitre du roman La Brière, publié en 1923 :
Les sacs, la vergue, la voile, tout se qui se détachait du corps de la barque, il l'emporta sur son épaule, en plusieurs tours, jusqu'à l'annexe de l'auberge qui se trouvait à l'entrée du pont. Cela fait, il entra dans la salle, selon son habitude, à chacun de ses retours annuels, de s'arrêter dans ce cabaret boire le coup de l'atterrissage, avant de faire les lieues qui le séparaient de son île.
La salle était vide. Il s'attabla. C'était toujours à la même place – la quarantième fois depuis quarante ans – près de la fenêtre, d'où l'on avait vue sur les prairies comme d'une passerelle de navire.
Le dos tourné à l'arrière-cuisine, lorsqu'il eut devant lui son petit verre de muscadet, d'où se dégageait une colonne d'air comme les perles du nez de la carpe, il attira sa bourse de cuir, et étala sa monnaie, les sous avec les sous, les francs avec les francs, car c'était son habitude encore de trier et de recompter là son argent.
Quant aux billets, il les examinait séparément, chacun lui revenant avec son origine, grâce à sa luronne de mémoire : celui-ci, d'une blanchisseuse de la Madeleine ; cet autre, d'un marchand de cirés de la butte Sainte-Anne ; et tous les suivants aussi bien, revoyant même le jour, l'heure et le lieu de la vente. Et de ces papiers, il faisait une souple liasse qui chantait comme la soie dans sa grande main noire.
« Cent cinquante francs de moins que l'année dernière ; deux cent vingt francs de moins que l'année précédente ; quatre cents francs de moins que la troisième d'avant ! »
« Brière, terre de misère..., c'est donc ainsi qu'il faudra te parler ! »
Alphonse de Chateaubriant
La Brière, sur Une bibliothèque au 13
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mardi, 20 septembre 2011
Automnal andantino : oublier, ressentir, pleurer sans s’en rendre compte
Photo Sara
Je me suis offert un dimanche après-midi voluptueux, automnal, chargé de douce mélancolie et d’extase douloureux.
J’ai téléchargé (via Grooveshark) douze versions de l’andantino fascinant de Schubert, de la sonate 959, un andantino qui sauve les âmes perdues en leur rappelant que se perdre c’est un peu comprendre la poésie.
Et je les ai écouté, plusieurs fois, l’une à la suite de l’autre, ces versions de l’andantino qui ressuscite l’enfance et sied si bien aux automnes lents, roux et hésitants.
En boucle, on finit par les reconnaître, les attendre, ces diverses interprétations d’un même thème, par accéder à une certaine intimité envers les deux mains qui dispensent avec précision leurs dix doigts sur les touches. Et au bout du chemin onze ou douze fois accompli, les tenants de la lenteur –une lenteur vibrante, pas mécanique- ont conquis mon cœur. Ils savent faire croire qu’ils vont mourir avant la note qui veut venir, qu’ils ne parviennent à attraper... Les plus agiles ne sont pas les plus romantiques, ni les plus travailleurs les plus artistes.
Ce dimanche suspendu à leurs doigts, je crois l’avoir passé au paradis, dans un paradis où la beauté prédomine et où la paix s’installe au milieu des dépouillements.
Pianistes du monde entier, des Asies, des Europes et des Amériques surtout, pianistes à cheval entre la perfection et la souffrance, entre la retenue et le déploiement, chacun tentant de faire vivre le balancement d’un homme qui souffrit et créa dans la passion.
Il s’appelait Franz, Franz Schubert et ses copains l’aimaient beaucoup, l’admiraient vraiment et le plaignaient un peu. Il était bon avec les chiens et avec les hommes. Il a écrit des merveilles avant de mourir, à trente-et-un ans, à côté de Vienne.
Un après-midi pour effacer les idées, les pensées et tout ce qui vient du mental ; une après-midi consacrée à l’attente de la note qui vient, au regret de celle qui passe, à la contemplation auditive des silences qui les séparent. Oh, gratuité et gratitude viennent du même père-mot et à la gratuité des heures passées à seulement écouter succéda la gratitude d’avoir oublié que dehors, dans la vie réelle sociétale, tout se mesure.
Phot Sara
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vendredi, 16 septembre 2011
Redécouvrir Paul Rougnon
Paul Rougnon fait-il partie de ces musiciens français qui attendent une renaissance ? Je crois que oui. Un bon nombre de partitions sont aisément trouvables, surtout sur des sites américains ; comme souvent, les re-connaisseurs et les admirateurs émergent d'ailleurs.
Ces partitions donnent l'idée d'une œuvre subtile, cristallisant en finesse et discrétion les diverses directions de l'époque où il composait : le classicisme sert de toile de fond aux inventions et aux expériences consonantes et dissonantes, tandis que les musiques populaires s'y frayent un sentier qui mâtine les œuvres de douceur et de gaieté, une gaieté des rues des villes et des fêtes de campagne.
Une Polonaise trompettante et pianistique
Entre air de chasse et romantique ballade gitane, la polonaise pour deux trompettes et un piano constitue un mélange des genres très réussi, à cheval entre la pièce pour élégant salon de musique et la musique du kiosque du Luxembourg.
Les élèves du conservatoire de l'Iowa en ont réalisé un enregistrement en 2011, charmant et imparfait, qui permet de donner une idée de l'effet que ferait l’œuvre parfaitement exécutée.
Titres-portes ouvertes sur une pensée vaste
Paul Rougnon est l'auteur de plusieurs livres, dont un, difficilement trouvable a priori mais qu'il me tarde de lire, Mon piano. Hygiène du piano. Petit dictionnaire explicatif et historique des éléments constitutifs du piano.
Outre des livres d'enseignements (en solfège et en piano), il a écrit La musique et son histoire et un Dictionnaire général de l'art musical.
Il y donne des témoignages sur le monde musical de son temps, ainsi sur Victor Massé et César Franck.
Aussi est-il dommage que Paul Rougnon n'ait pas encore de site internet dédié. On y rassemblerait ses écrits, ses partitions, ainsi que des enregistrements. Il faudrait qu'on puisse y écouter, par exemple, Les voix de la foule, pour ténors, barytons et basses. En attendant qu'un tel site voit le jour, il ne nous reste qu'à poursuivre ce voyage dans l’œuvre de ce compositeur, et, un jour, à aller déchiffrer ce Concerto romantique pour alto (ou violon) accompagné par un piano, au bord de la piscine, dans son impasse de la poitevine ville de Bonnes.
Partitions :
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samedi, 10 septembre 2011
Familles, fières de vos mensonges
Aux oncles et tantes, aux grands-parents, à leurs curés, à ceux qui nous ont saboté notre jeunesse.
Vous avez renoncé à vos rêves, à vos corps, à vos promesses ;
l'adolescence au tombeau, vous marchez à côté de vos chaussures cirées
Vous donnez des jugements, des petites phrases qui tuent et que vous croyez bonnes ;
vous n'avez pas eu le courage de la révolte que vous sentiez poindre, alors vous avez revêtu l'aube qu'on vous tendait, vous avez enfilé la cravate, la jupe longue, vous avez fermé la porte des départs.
Ceux qui vivent et ceux qui se détruisent vous font également peur. Vous chassez leurs images et méprisez leurs rires comme leurs larmes
vous jugez selon le monde fermé de votre esprit et vous appelez cela vivre selon Dieu ou bien vivre selon le Bien, et ceux qui ne vous ressemblent pas, vous les haïssez et leur imputez tous les crimes du monde.
Votre morale est un écran de fumée. C'est la lâcheté qui l'édifie en vous. D'autres vivent leurs choix selon la morale des dieux, dans leur faiblesse ils invoquent le courage et sautent le pas spirituel, mais vous ne pouvez pas le voir, vous ne reconnaissez pas leur vertu à cheval entre la fragilité et la liberté ; vous ne voyez que vos agissements conformes aux ordres de vos chefs, et vous ignorez toute qualité chez ceux qui agissent en vérité. Les bêtes vous paraissent inférieures à vous mêmes, les enfants vous paraissent coupables et seuls ceux qui courbent la tête trouvent grâce à vos yeux.
Les mères fières de leurs fils scouts marins
et de leur implication paroissiale,
à 15 ans leurs fils les haïssent et se vengent sur des filles qui ne leur ressembleront jamais,
immondes fils qui deviendront raides comme le chêne et lâche comme le roseau,
dignes héritiers d'un monde mort où les gestes sont conformes, les idées, confinées dans la mesure, et les cœurs, absents.
Les pères avancent, sérieux dans leurs habits d'hommes responsables. Ils suivent les règles et lorsque les chaînes disparaissent, le temps d'un instant, de deux heures ou de deux mois, ils se débondent. Puis le joug réapparaît ; la tête s'incline à nouveau ; ils adhèrent à un monde mort, aux idées d'hier, et se croient novateurs. Leur responsabilité tient par la colonne vertébrale extérieure : leur échine, aussi souple que leur uniforme est raide, se courbe sous les ordres d'en haut et leurs ordres vengeurs vers le bas témoignent de l'horreur hiérarchique du pouvoir. La structure de leur monde leur convient ; ils ont opté pour un bonheur prévu et quand l'image d'un ancien rêve trouble leur vue, ils détournent le regard.
Edith de CL, 29 septembre 2011, fini à 20h59
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dimanche, 04 septembre 2011
richesses et misères de nos comptes en banques et de nos coeurs
Charité unicefienne. Août 2011, septième arrondissement, Paris
Clochardise parisienne, août 2011, sixième arrondissement, Paris.
Qu'est-ce qui fait souffrir d'argent ? La comparaison, principalement. Hors survie pure (continuer à être vivant), la douleur d'argent est une douleur sociale.
Quelle comparaison nous fait souffrir ? Celle d'avec des riches ou celle d'avec des pauvres ?
On croit que c'est celle des riches. Pourtant, s'il n'y avait que des plus riches que nous, je crois que notre réaction serait différente. Voir des riches fait mal, voir des pauvres fait peur.
Voir des pauvres rend coupable à l'idée de gagner « trop » d'argent. Le pauvre habille la richesse d'indécence. Le pauvre est obsédant, il nous empêche d'aimer la richesse tranquillement. Le riche ne nous empêche pas d'aimer tranquillement la pauvreté !
Voir des riches donne envie de gagner plus d'argent. Mais en même temps la jalousie nous fait les haïr à cause de leur argent, donc nous rend haïssable le riche : voulons-nous devenir ce que nous haïssons ?
Il y a donc une différence entre les sentiments : vis à vis du pauvre, nous sommes remplis de pitié et de culpabilité. Nous éprouvons de la pitié, qui se transforme immédiatement en culpabilité. Eprouvons-nous de l'inspiration ? Non.
vis à vis du riche, nous éprouvons de l'inspiration et de la jalousie. L'inspiration donne envie d'imiter, mais la jalousie pollue ce désir.
Ainsi, pauvres et riches nous éloignent de l'argent, nous rendent hystériques face à lui. Notre pitié coupable des pauvres nous interdit d'aimer l'argent, notre jalousie haineuse des riches nous interdit de leur ressembler.
Les pauvres titillent ; les riches énervent.
Les pauvres interdisent à tout le monde d'être riche par leur incapacité à l'être ; les riches n'interdisent à personne d'être riche, sur le plan de la conscience morale, mais bien sur le plan affectif.
Le pauvre dérange tout le monde. Le riche ne dérange que celui qui veut devenir riche et qui n'est pas certain d'y arriver.
Mais quelle est la profonde raison de ces sentiments ?
Le trop-plein de richesse qui détruit son possesseur ne fait pas envie. Personne n'a envie de mourir dans son vomis, d'être harcelé par des vautours, de payer des drogues très chères, de passer sa vie à gérer de l'argent. L'indulgence des nababs se rapproche de l'indigence des parias. Ce n'est donc pas la quantité, mais la qualité de la richesse qui nous fait envie.
Si quelqu'un, même très pauvre, nous paraît heureux, alors la pitié disparaît. L'envie d'être à sa place peut même apparaître, car nous savons reconnaître que la personne possède des trésors intérieurs, ou du moins qu'elle ne manque de rien d'essentiel. Ce n'est donc pas la pauvreté, mais la misère qui nous tourmente.
Ce n'est pas la pauvreté d'un homme qui nous fait pitié et nous rend coupable : c'est son sentiment d'infériorité. Croiser un clochard heureux ne nous remplit pas le cœur de culpabilité.
Ce n'est pas la richesse d'un riche qui nous rend amer : c'est notre propre sentiment d'infériorité. Si nous n'envions pas un riche, nous n'éprouvons ni jalousie, ni haine envers lui.
Comment font les personnes qui tiennent à s'enrichir sans trahir leurs émotions ?
Pour préserver notre morale pro-pauvre, on compense notre enrichissement en bons sentiments. Plus on s'enrichit, plus on dégouline d'amour pour la souffrance déployée en ce monde.
Pour préserver notre morale anti-riche, on compense en gardant une mentalité de pauvre, c'est à dire en n'acceptant jamais de se considérer comme riche même si on devient Crésus et en mettant toujours un rideau entre le vrai riche, qui est méchant, et le pauvre devenu riche, qui, lui, a conservé sa souffrance de pauvre et sa connaissance profonde de la misère.
Le ruiné, ou d'origine ruiné, a les désavantages des deux situations : il a encore la mémoire de la fierté du riche, dont il ne peut se défaire ; il connaît la misère du pauvre, qui s'accompagne d'une haine des actuels riches. Sa situation intellectuelle est complexe.
juillet 2011, rue de Sèvres, Paris.
Pour oublier les riches et les pauvres : buvez Coca Cola !
écrit après un bon dîner achevé sur la glace au lait d'amande douce, de François Théron
23 août 2011
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mardi, 30 août 2011
Un train, deux mondes
vidéo androïde de Mara VN
Fuir la ville, dont les abords sont immondes (merci aux maires, aux architectes, aux urbanistes et aux racailles), et oublier la vitesse au bord de l'éternité.
Vidéo camescopée d'Edith
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jeudi, 25 août 2011
La faculté de médecine au XIXème siècle
Léon Daudet, fils d'Alphonse, jeune étudiant républicain qui deviendra ardent Maurrassien, a écrit ses « souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux de 1880 à 1905 ».
La vie médicale de la fin du XIXème siècle apparaît dans sa double identité, splendide et horrible.
Photos Carvos Loup
« On se représente difficilement aujourd'hui le prestige dont jouissaient la médecine et les médecins dans la société matérialiste d'il y a trente ans. Le « bon docteur » remplaçait le prêtre, disait-on, et la haute influence morale et sociale appartenait aux maîtres des corps, aux dispensateurs des traitements et régimes. Il semblait entendu que les savants étaient des hommes à part, échappant aux passions et aux tares habituelles, toujours désintéressés, souvent héroïques, quelquefois sublimes. Piliers de la République, bénéficiant de toutes les décorations et hautes faveurs du régime, disposant des secrets de famille, de la vertu des femmes et suspendant la menace héréditaire sur la tête des enfants, ceux que j'ai appelés les morticoles régnaient à la fois par la ruse et par la terreur. Bientôt la vogue des chirurgiens et de leurs mirifiques opérations, fréquemment inutiles, vint compléter cette tyrannie des bourreaux de la chair malade. Trop gâtés, trop adulés, les uns et les autres, ceux de la drogue et ceux du bistouri, abusaient de la situation : financièrement, en exploitant leurs clients ou leurs dupes ; intellectuellement, en étendant jusqu'à la philosophie leur fatuité professionnelle, en prétendant réglementer les esprits. Or j'ai connu ce milieu à fond, car j'ai poursuivi pendant sept années, jusqu'à la thèse exclusivement, mes études à la Faculté de Médecine. J'ai été externe, puis interne provisoire des hôpitaux. J'ai vécu dans l'intimité des pontifes. Mon jugement, que l'on pourra trouver sévère, sera en tout cas fortement motivé. À la lumière des renseignements qui me sont parvenus depuis lors, je constate que les Morticoles, qui furent considérés comme un pamphlet, pèchent par leur indulgence. J'ai soulevé en 1894 un pas du voile. Je vais l'arracher cette fois.
Tout d’abord l'organisation de la Faculté, qui n'a pas changé depuis 1886, est centralisée, c'est-à-dire jacobine, et despotique, c'est-à-dire impériale. En bas, un véritable prolétariat médical, envahi maintenant par les étrangers et métèques, où sévit cruellement la concurrence. En haut, une série de mandarins, créés par les concours à échelons et jet continu, mandarins qui se haïssent au fond, mais s'entendent sur le dos des candidats perpétuels. Entre les deux, un peuple d'élèves, soumis et craintifs, sans volonté comme sans initiative, que le succès ou l'insuccès fera tantôt monter au mandarinat, tantôt rejettera dans la foule anonyme et misérable des court-la-visite et coupe-le-ventre. Ajoutez à cela les influences politiques et électorales, qui peuplent les chaires et les laboratoires de nullités alliées aux ministres et femmes de ministres et demandez-vous comment un jeune homme de valeur, mais sans appui, ni argent, ni bassesse, pourrait traverser ces rangs pressés de fonctionnaires et d'intrigants ?... Ainsi s'explique la déchéance extraordinairement rapide d'une science où nous avons jadis tenu la corde avec les Bichat, les Laënnec, les Duchenne de Boulogne, les Morel de Rouen, les Claude Bernard, les Charcot et les Potain ; sans compter le grand Pasteur, qui est à part, mais dont l'Institut est lui aussi, à l'heure qu'il est, en complète décomposition. Ce préambule était nécessaire pour vérifier une fois de plus la parole royale :
Les institutions corrompent les hommes ».
Léon Daudet
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samedi, 20 août 2011
Tu es la mer intérieure. Tu es l'âme profonde.
Ils sont si peu nombreux, de nos jours, ceux qui ont lu Jean-Christophe, le roman-fleuve et fleuve musical de Romain Rolland, publié au début du XXème siècle.
« Le corps et l’âme s’écoulent comme un flot. Les ans s’inscrivent sur la chair de l’arbre qui vieillit. Le monde entier des formes s’use et se renouvelle. Toi seule ne passes pas, immortelle musique. Tu es la mer intérieure. Tu es l’âme profonde. Dans tes prunelles claires, le visage morose de la vie ne se mire. Au loin de toi s’enfuient, comme le troupeau de nuées, le cortège des jours brûlants, glacés, fiévreux, que l’inquiétude chasse et qui jamais ne durent.
Toi seule tu ne passes pas. Tu es en dehors du monde. Tu es un monde, à toi seule. Tu as ton soleil, tes lois, ton flux et ton reflux. Tu as la paix des étoiles, qui tracent dans le champ des espaces nocturnes leur sillon lumineux, - charrues d’argent que mène la main sûre de l'invisible bouvier.
Musique, amie sereine, que ta lumière lunaire est douce aux yeux fatigués par le brutal éclat du soleil d’ici-bas !...L’âme qui se détourne de l’abreuvoir commun, où les hommes pour boire remuent la vase avec leurs pieds, se presse sur ton sein et suce à tes mamelles le ruisseau de lait du rêve. Musique, vierge mère, qui portes en ton corps immaculé toutes les passions, qui contiens dans le lac de tes yeux couleur de joncs, couleur de l’eau vert-pâle qui coule des glaciers, tout le bien, tout le mal, - tu es par delà le mal, tu es par delà le bien ; qui chez toi fait son nid vit en dehors des siècles ; la suite de ses jours ne sera qu’un seul jour ; et la mort qui tout mord s’y brisera les dents.
Musique qui berças mon âme endolorie, musique qui me l’as rendue calme, ferme et joyeuse, - mon amour et mon bien, - je baise ta bouche pure, je cache mon visage dans tes cheveux de miel, j’appuie mes paupières qui brûlent sur la paume douce de tes mains. Nous nous taisons, nos yeux sont clos, et je vois la lumière ineffable de tes yeux, et je bois le sourire de ta bouche muette ; et blotti sur ton coeur, j’écoute le battement de la vie éternelle ».
Romain Rolland - Jean-Christophe
Jean Christophe sur Une bibliothèque au 13
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dimanche, 14 août 2011
Petites histoires de guerre
Par Calélira
Après nous avoir décrit son pays d'Equihen-Plage, voici maintenant que Calélira nous livre les souvenirs de la guerre, que lui a transmis sa famille.
"Je pense que les anciens gardent une certaine rancune vis-à-vis des anglais, qui ont détruit leur ville, leur vie.
Ils ne pouvaient pas imaginer que les alliés auraient détruit tout ce qui leur était cher".
L'ensemble des textes de Calélira est regroupé sur cette page.
La côte a été occupée par les allemands, car ceux-ci pensaient que le débarquement aurait lieu dans notre région.
Certains habitants ont tout abandonné et ont enterré dans leur jardin, leurs biens les plus précieux, bijoux, vaisselle…avant de se réfugier dans des villes en zone libre.
Au Portel et à Equihen, de nombreux habitants sont restés et ont continué de vivre même si les temps étaient difficiles, tickets de ration, couvre-feu….Chacun vivait de ses petites combines pour améliorer le quotidien.
Ma grand-mère, qui était jeune fille à l’époque, allait à la Batterie, passait sur la plage le long des blockhaus pour vendre des pommes, des gâteaux aux allemands, elle n’était pas toujours très rassurée, mais c’était ainsi, il fallait y aller.
Ma tante âgée de 10 ans a été renversée par un jeune soldat à mobylette au Becquet, il a dû avoir aussi peur qu’elle, croyant l’avoir blessée, et elle, croyant qu’il allait la tuer, chacun crier de son côté dans sa propre langue sans se comprendre. Elle a vite pris ses jambes à son cou pour rentrer chez elle, se faire soigner car elle avait une plaie à la tête, mon arrière-grand-mère lui a versé de l’alcool à 90°, elle se souvient d’avoir hurlé lorsque l’alcool est entré dans la plaie.
Il y avait aussi des résistants, et certains ont eu le courage de les cacher à leur risque et péril, comme Mme Bette qui a caché un résistant au nom de « Jean ».
Les pêcheurs devaient respecter le couvre-feu, et faire attention de ne pas porter leur ret à crevettes sur l’épaule, car les soldats allemands pensaient que c’était un fusil et ouvraient le feu.
C’est ce qui s’est passé malheureusement pour un jeune de 16 ans qui revenait de crevettes.
Il reste encore des blockhaus dans les dunes, mais il y a aussi ce que nous appelons tous « le chemin des juifs », un chemin construit par les prisonniers juifs qui passe par les dunes d’Équihen jusqu’à dans la forêt d’Écault.
Les 4, 8 et 9 septembre 1943 les alliés bombardent le Portel et les villes alentours, le but de l’opération « Starkey » faire croire aux allemands que le débarquement aura lieu dans le Pas de Calais.
Le Portel fut détruit à 95 % et comptera 380 morts.
Lors des bombardements Equihen sera aussi touché. Les gens ont fini par partir dans d’autres régions souvent la Marne pour se réfugier.
A la fin de la guerre, les américains ont construit des baraquements en plaque fibro, ces baraquements se composaient de deux chambres, une salle de bain, une cuisine et des toilettes à l’intérieur. Les gens appelaient donc ces baraquements « les américains ».
Et il y avait aussi « les canadiens » construits par les canadiens, des baraquements tout en longueur pour loger deux familles, les toilettes étaient en extérieur.
Les prisonniers allemands travaillaient chez les particuliers, mon arrière-grand-mère avait trois prisonniers qui venaient scier le bois que les enfants avaient ramassé sur la plage. Chaque matin, un gardien les amenait chez mon arrière-grand-mère. Ma tante se souvient de Hans qui était très gentil, elle avait 10 ans à l’époque.
Ma grand-mère qui était jeune fille, a rencontré mon grand-père à la fin de la guerre. Mon grand-père était un démineur breton venu sur la côte, puisque de nombreuses mines avaient été enterrées sur la plage, ils se sont rencontrés, et cela a donné une belle famille de six enfants.
La guerre finie, ça aussi était des comptes à rendre pour ceux qui avaient collaborés avec l’ennemi, certaines femmes ont été tondues pour avoir été avec des allemands, certaines ont gardé un surnom comme « 4marks », puisqu’elle se prostituait pour 4 marks.
Je pense que les anciens gardent une certaine rancune vis-à-vis des anglais, qui ont détruit leur ville, leur vie. Ils ne pouvaient pas imaginer que les alliés auraient détruit tout ce qui leur était cher. Mais la guerre reste la guerre malheureusement et ces bombardements nous ont certainement fait gagner cette guerre.
Il ne faut pas oublier, ou effacer les traces du passé, il faut juste en parler pour que cela serve de leçon aux générations futures.
Calélira
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mardi, 09 août 2011
Rythmica Oratio de Saint Bernard de Clairvaux, suavement musicalisés par Buxtehude
(un billet doux d'Esther Mar)
Phot. R Guinebaud de La Grostière
La musique de Dietrich Buxtehude est si belle ! Je l’écoute dans l’après-midi d’hiver. Les minutes passent, la musique se répand, le pincement de mon cœur s’allège. Nous vivons donc dans l’adoration depuis plus de deux mille ans maintenant.
L’odeur des bois de la chambre – bois du bureau et bois de la table, bois du parquet et bois des petits paniers – marie les voix soprane, alto, ténor et basse. La fenêtre s’assombrit : voilà que le soir tombe. La musique dure et les poèmes chantés, empruntés au poème Rythmica Oratio de Saint Bernard de Clairvaux, illuminent de sens une vie qui ressemblait à une impasse.
L’inspiration n’est pas une chose facile. Souvent, je rate. Souvent, je suis fière et j’ai tort. Ce qu’il faut de maîtrise, d’abandon, de foi et de volonté m’est mystérieux. Pourtant, tant que la musique coule l’œuvre avance. Il faudra peut-être tout effacer demain : mais au moins j’aurai vécu cette émotion banale et enivrante d’être emportée par l’instant qui passe, vers un instant qui m’attend et auquel j’ai une obole à donner.
Esther Mar, Sucy en Brie, janvier 2009
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jeudi, 04 août 2011
Monsieur Kraus et la politique, un petit extrait
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samedi, 30 juillet 2011
Noyade
À la déesse de l’aurore, titanide, Éos, sœur de Séléné et d'Hélios
Vivre une vie que j'aime et qui m'emplit d'extase, chaque jour est un présent du ciel, de la terre et du vent. Conversion perpétuelle d'un cœur transi d'enfance à l'amour à venir dans l'instant qui s'approche. Toucher l'air de rien la joie des choses et des êtres, sentir la nature au plus profond de moi et comprendre comment toucher les autres, ceux qui m'écoutent et ceux qui sont loin.
Tout espoir vain, toute tentative avortée est impossible dans la beauté du paradis qu'est notre monde. Tes yeux, nos yeux découvrent ébahis la splendeur des aurores et des crépuscules, la langueur des journées qui les séparent pour mieux les faire éclater de couleurs. Comment remercier pour une telle flamme, celle qui coure dans mes jambes, dans mon torse et dans les bras, qui délie mon cou et lave au savon de feu mon cerveau d'hier ?
J'ai prié tant d'années pour seulement relever mes genoux meurtri par un sol inclément, et voilà que la douceur m'aggripe désormais sans que je l'appelle. Qu'il a fallu mourir pour sentir l'aujourd'hui ! Qu'il a fallu chercher pour que la vie me trouve et m'habite enfin. Je n'ai plus peur du monde, je n'ai plus peur de moi, je n'ai plus peur des gens qui marchent en habits de combat.
Hors normes, il n'y a plus de luttes des classes. Ni strates, ni mots glaçants, seuls le Rêve nous enlace et nous escorte, le Rêve et sa sœur l'Innocence. Jumeaux nés de l'absence et partis pour durer jusqu'au bout du temps, ils m'apprennent à t'aimer, amer voyage des mers aimées, aux marées mouvantes comme nos chevauchées.
Hors vous, il n'y a plus de nous. Le flottement des non-êtres et la circulation des sangs de poème dévide le jus du fruit des lassitudes. Tout dormira bientôt...
Tout dort. Le monde a quitté sa robe de bure dont l'usure gâtait la vision. Il n'y a plus rien que l'enfance qui suce les pommes sûres et le brasier des amours mortes. Il n'y a plus que le vent qui souffle à Celui qui sait, il n'y a plus que l'instant qui passe en nous emportant. Qui peut encore croire à la puissance de l'ego ? Enfonçons-nous dans l'Immobile mouvement de vie pour sentir que nous devenons denses dans la Danse.
Texte & photo : Hanno Buddenbrook
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dimanche, 24 juillet 2011
L'échec social et la mort
Philippe Ariès, dans L’homme devant la mort (tome I : le temps des gisants) discute la naissance de la notion d'échec social. Ses idées nous ont paru intéressantes et étranges. Voici un extrait.
"Chaque vie de pauvre a toujours été un destin imposé sur lequel il n’avait pas de prise.
Au contraire, à partir du XIIè siècle, chez les riches, les lettrés, les puissants, nous voyons monter l’idée que chacun possède une biographie personnelle".
« Pour bien comprendre le sens que la fin du Moyen Âge a donné à cette notion de désillusion et d’échec, il faut prendre du recul, laisser un moment de côté les documents du passé et la problématique des historiens et nous interroger nous-mêmes, hommes du XXè siècle.
Tous les hommes d’aujourd’hui ont éprouvé à un moment de leur vie le sentiment plus ou moins fort, plus ou moins avoué ou refoulé, d’échec : échec familial, échec professionnel. La volonté de promotion impose à chacun de ne jamais s’arrêter à l’étape, de poursuivre au-delà des buts nouveaux et plus difficiles. L’échec est d’autant plus fréquent et ressenti que la réussite est souhaitée et jamais suffisante, toujours reportée plus loin. Un jour vient cependant où l’homme ne soutient plus le rythme de ses ambitions progressives, il va moins vite que son désir, de moins en moins vite, il s’aperçoit que son modèle devient inaccessible. Alors il sent qu’il a raté sa vie.
C’est une épreuve qui est réservée aux mâles : les femmes la connaissent peut-être moins, protégées qu’elles sont encore par l’absence d’ambition, et par leur statut inférieur.
L’épreuve arrive en général autour de la quarantaine et elle tend même, de plus en plus, à se confondre avec les difficultés de l’adolescent à accéder au monde des adultes, difficultés qui peuvent mener à l’alcoolisme, à la drogue, au suicide. Toutefois, dans nos sociétés industrielles, l’âge de l’épreuve est toujours antérieur aux grandes défaillances de la vieillesse et de la mort. L’homme se découvre un jour comme un raté : il ne se voit jamais comme un mort. Il n’associe pas son amertume à la mort. L’homme du Moyen Âge, oui.
Ce sentiment d’échec est-il un trait permanent de la condition humaine ? Peut-être sous la forme d’une insuffisance métaphysique étendue à toute la vie, mais non pas sous la forme de la perception ponctuelle et subite d’un choc brutal.
Ce choc, les temps froids et lents de la mort apprivoisée ne l’ont pas connu. Chacun était promis à un destin qu’il ne pouvait ni ne souhaitait changer. Il en fut ainsi longtemps là où la richesse était rare. Chaque vie de pauvre a toujours été un destin imposé sur lequel il n’avait pas de prise.
Au contraire, à partir du XIIè siècle, chez les riches, les lettrés, les puissants, nous voyons monter l’idée que chacun possède une biographie personnelle. Cette biographie a d’abord été faite seulement d’actes, bons ou mauvais, soumis à un jugement global : de l’être. Ensuite, elle a été faite aussi de choses, d’animaux, de personnes, passionnément aimés, et aussi d’une renommée : de l’avoir. A la fin du Moyen Âge la conscience de soi et de sa biographie s’est confondue avec l’amour de la vie. La mort n’a plus été seulement une conclusion de l’être, mais une séparation de l’avoir : il faut laisser maisons et vergers et jardins.
En pleine santé, en pleine jeunesse, la jouissance des choses s’est trouvée altérée par la vue de la mort. Alors la mort a cessé d’être balance, liquidation des comptes, jugement, ou encore sommeil, pour devenir charogne et pourriture, non plus fin de la vie et dernier souffle, mais mort physique, souffrance et décomposition ».
Philippe Ariès
L’homme devant la mort
(tome I : le temps des gisants)
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