mercredi, 29 septembre 2010
Le catalogue éditorial d'Allia
alliage stylé, intelligent, de pensées à part
Chaque année j’obtiens au Salon du Livre un livre entièrement gratuit, qui constitue une encyclopédie originale de la culture occidentale (avec ce qu’elle contient d’inspiration de « l’étranger »). Je le lis alternativement du début jusqu’à la fin, ou de la fin vers le début. Au bout de la lecture, le monde m’est plus fraternel : j’y décèle une pensée forte, que des hommes debout se transmettent à travers les âges, et qui tente de donner à la fois à l’individu sa liberté et à la société des hommes sa cohérence. Cette lecture, une des plus marquantes qui m’ait été donnée de faire, c’est celle du catalogue des éditions Allia.
Ce catalogue éditorial est fortement partial. Une partie de ce qui constitue ma culture et mes amours, littéraires, philosophiques, n’y figure pas et risque de n’y jamais entrer. Allia est résolument de gauche : ses choix s’en ressentent, et si le catalogue ne tombe jamais dans le gauchisme ou la bêtise bien-pensante, ni même dans l’omission par détestation (Sainte-Thérèse d’Avila y loge avantageusement), je ne voudrais pas avoir l’air de dire qu’on y trouve tout ce qui s’écrivit de bon. Mais cette partialité assumée, cette suite de choix pensés avec hauteur, donne à ce petit livre cette puissance que je ne trouve nulle part ailleurs, et surtout pas dans un autre catalogue éditorial.
L’antiquité, le Moyen-Âge, la Renaissance, le XVIIIème siècle, le XIXème siècle, le XXème siècle y sont représentés avec un sens de l’équilibre et des proportions empruntés à la pensée grecque.
On y trouve des classiques - toujours un peu délaissés par les catalogues des autres maisons d’édition -, on y trouve avec plaisir ces auteurs marginaux qui, trop à part pour acquérir une place de choix dans les manuels scolaires, ne restent pas moins une inspiration, une lumineuse présence réchauffante à travers les siècles. Ainsi, Pic de La Mirandole, ou encore Bossuet et Casanova.
C’est grâce à Allia que j’ai découvert Léopardi, l’Italien de Récanati. C’est enfin Allia qui propose, avec cette ouverture de l’esprit au corps qui s’interdit tout vautrage grossier, les œuvres de Kubin sur le dessin, et le livre de Barney Hoskyns sur la scène musicale de Los Angeles ou le livre collectif « modulations » sur la musique électronique.
Pêcheur méditant sur le livre Tu ne sais donc pas que je suis un grand homme ? de Giacomo Leopardi.
Ces éditeurs qui réalisent un catalogue argumenté, réfléchi, profondément intelligent, montrent qu’il n’est pas d’acte anodin dans le métier d’éditeur et font du catalogue une encyclopédie de l’intelligence au lieu d’un livret publicitaire. Ils offrent au « public francophone » le fil d’Ariane qui les guidera dans le labyrinthe fascinant de la pensée écrite de l’Europe, avec quelques excursions indiennes et chinoises éclairantes. Dans notre monde où la profusion règne encore, les possibles sont infinis. On peut se ruiner, dans les librairies, en achetant des centaines de livres mal pensés et mal écrits. On peut aller chercher gratuitement son catalogue allia et découvrir un univers culturel exaltant.
29 septembre 2010
Article originellement publié sur le site Univers de Sara
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samedi, 25 septembre 2010
Merci, lecteurs.
Photo Sara
Merci.
Tous les jours, vous venez, et vous revenez. Vous hantez AlmaSoror, naviguez sur nos pages, vous n’écrivez pas beaucoup mais le compteur interne du blog témoigne de votre présence inconnue, invisible, inaudible, impalpable et si fondamentale pour nous.
Merci, lecteur. Sans vous, l'âme soeur, la soeur nourricière n'aurait pas le courage d'exister. Elle errerait dans le monde des idées qui ne prennent pas complètement forme, et elle rêverait d'un amour réel et éternel, car les idées ont les mêmes rêves que les personnes humaines.
Signé, entre autres :
Esther, Sara, S.Barynsflook, Axel, Édith, Katharina, Marin, Siobhan, Mavra, David-Nathanaël, Nadège, José.
Et merci à ceux qui écrivent de temps en temps ou qui ont écrit une fois.
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jeudi, 23 septembre 2010
extrait du journal de bord d'Édith
(un billet d'Édith)
photo de Sara
"Je suis consciente de l’inanité d’un tel journal de bord de mes lectures et réflexions diverses. Rien n’est assez fouillé pour être intéressant, je ne cherche qu’à balancer quelques informations, plus pour moi que pour d’autres. Je pourrais dire que je ne le tiens que pour moi, pourtant je reporte mes écrits sur mon site. Pourquoi ? Sans doute comme on pense tout haut en présence de quelqu’un d’autre, non forcément pour l’édifier ou lui réclamer une réaction, mais pour s’exporter mentalement dans une zone partagée, sortir ainsi de la grande mer intérieure où songes et expériences ne font qu’une vague informe qui noie toute précision.
Lecteur, tu es paradoxal ; tu es ce qui n’existe pas : tu es mon miroir invisible. ".
Le journal de bord se lit ICI
(sur les cathares, sur la musique, sur la schizophrénie sociale)...
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mardi, 21 septembre 2010
toute la nuit est contenue dans ce détail
Photo Nan Goldin
George Steiner parle des Possédés, le livre de Fedor Dostoïevski :
« Se servant des flammes comme d’un signal lumineux qui marque le centre de la sphère d’action, Dostoïevski nous mène à une fenêtre de la demeure de Svorechniki, la demeure de Stavroguine. Le jour pointe et Lisa regarde la clarté mourante : Stavroguine vient la rejoindre. On nous dit seulement que quelques agrafes de sa robe sont défaites, mais toute la nuit est contenue dans ce détail. L’imagination de Dostoïevski est chaste à dessein ; il voit l’expérience érotique de manière trop intense, trop complète pour ne pas se rendre compte que, pour en évoquer tout le sens, il faut que les moyens plus subtils que la simple description de la chose. (…) La nuit a été désastreuse. Elle à révélé à Lisa la nature inhumaine et destructrice de Stavroguine. Dostoïevski ne nous dit pas en quoi consiste précisément l’échec sexuel, mais il ne nous laisse aucun doute sur la totalité de cet échec. Pour Lisa, c’est un choc qui la bouleverse ; elle ne sait plus pourquoi elle a sauté dans la voiture de Stavroguine le jour précédent. Elle raille sa douceur actuelle, ses paroles de circonstance sur le bonheur dont elle l’a comblé : « et c’est ça Stavroguine ! Stavroguine « le vampire » comme on vous appelle… » Le sarcasme est à double tranchant ; Lisa a été saignée de la volonté de vivre, mais en même temps elle a pénétré Stavroguine à fond. Elle sait qu’il cache quelque secret effroyable et pourtant ridicule qui souille et corrode son âme. »
George Steiner, in Tolstoï et Dostoïevski
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lundi, 20 septembre 2010
La Saga des voix lactées : Tableau d’une époque à venir…
L’Europe artistique des années 2030-2100
Image Science and Analysis Laboratory, NASA-Johnson Space Center
70 ans d'art européen
L'histoire de l'art européen des années 2030-2100 n'avait pas encore fait l'objet d'une étude suivie et complète. La Saga des voix lactées se propose de remédier à ce néant. Oeuvre d'amateurs et d'historiens de l'art, elle se propose de reconstituer la saga extraordinaire de ces soixante-dix années de création foisonnante, fulgurante et révolutionnaire.
Le lecteur passionné par le sujet trouvera, dans la Saga des voix lactées, un grand nombre d'oeuvres originales et d'extraits d'oeuvre, d'études sur les oeuvres, ainsi qu'une collection d'entrevues, articles, coupures de presse blogale et autres documents pouvant intéresser la monumentale histoire de l'art européen de la deuxième moitié du XXIème siècle.
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dimanche, 19 septembre 2010
Chroniques fictives
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vendredi, 17 septembre 2010
Exclusion, par Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva
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mercredi, 15 septembre 2010
Traversée du bitume
Motarde sablaise, par Sara
(un billet d'Edith)
Contrairement à ce que vous croyez, je n'ai besoin de personne en Harley-Davidson. Cela vous fait peur. Vous vous dites : « elle n'est pas humaine, puisqu'elle roule seule en Harley Davidson ». Vous avez tort : certains humains sont solitaires. Il y a les ermites du désert et les ermites de montagnes. Il y a les ermites de la mer et les ermites du fond des villes. Il y a les ermites de la route. J'en suis.
Mes coups de colère vont au vent, mes coup de blues à l'herbe des bas-cotés. J'ai du sable dans mes chaussures et une maison vide, très loin d'ici. J'ai peur d'y retourner, car il y avait des voisins dont les pensées faisaient trop de bruit dans le silence des nuits.
De temps en temps, je vois un homme s'approcher avec son blouson de cuir et sa cigarette, sur une moto presque aussi belle que la mienne. Il m'offre une cigarette. On compare les garages. On s'encourage pour le bout de route qui nous reste. Je me souviens des prénoms de ces hommes qui partagent la route : Michel. Albert. Alain. Christophe. Églantine. Robert. Jean. Pierre-Noël.
J'ai trente-deux ans. Plus qu'un an avant l'âge du Christ. Je me demande ce que cela fera de rouler sur le bitume à tout bringue, à cet âge là, droite sur la moto, tranchant l'horizon horizontal pour faire une croix.
Edith de CL
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lundi, 13 septembre 2010
Triptyque de Salluste III
Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva
Voici le troisième volet d'un triptyque sallustien proposé par Sara, Volonté, Valeur, Vanité (les titres sont d'elle), trois extraits courts et clairs du grand auteur romain.
III
La vanité
"Parmi ces moyens, il en est toutefois qui ne semblent guère devoir être recherchés de nos jours. Ainsi, notamment, les magistratures et les commandements, bref, tout ce qui a rapport aux charges publiques. Les honneurs, en effet, ne servent plus à récompenser le mérite, et ceux qui arrivent au pouvoir par l’intrigue n’en retirent ni plus de sécurité ni plus de considération. Quant à vouloir s’imposer à ses concitoyens par la violence, c’est toujours chose odieuse, même si l’on se donne pour but de réformer des abus. D’autant plus que tout changement de régime présage des calamités, des proscriptions, des cruautés de toutes sortes. Quant à s’épuiser en vains efforts et, pour prix de ses peines, ne recueillir que des haines, - c’est là le comble de la folie. A moins que par une folie encore plus grande on ne soit possédé de la honteuse et exécrable tentation de faire le sacrifice de son honneur et de son indépendance à la puissance d’un quelconque ambitieux".
Guerre de Jugurtha
Salluste
Gallimard La Pléïade, 1968
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samedi, 11 septembre 2010
Triptyque de Salluste II
Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva
Voici le second volet d'un triptyque sallustien proposé par Sara, Volonté, Valeur, Vanité (les titres sont d'elle), trois extraits courts et clairs du grand auteur romain.
II
La valeur
Puisque l’être humain est fait de chair et d’esprit, toutes nos réactions dérivent nécessairement de l’un ou de l’autre. Aussi la beauté, la richesse, la force physique et tous les avantages similaires sont-ils passagers tandis que l’éclat des oeuvres de l’esprit demeure impérissable. Pour tout dire, les biens matériels, ayant un commencement ont inévitablement une fin, puisque tout ce qui naît doit mourir et tout ce qui croît finit par vieillir. Seul l’esprit, indestructible, immortel, maître suprême du genre humain, régit tout, domine tout et n’est lui-même dominé par rien. D’autant plus étrange est l’égarement de ceux qui, esclaves des plaisirs corporels, passent leur vie dans la volupté et dans l’inaction, laissant languir dans l’abandon et dans le désoeuvrement leur intelligence, autrement dit la meilleure et la plus noble partie de leur nature humaine, et cela quand tant de moyens s’offrent à elle pour acquérir la gloire la plus haute.
Guerre de Jugurtha
Salluste
Gallimard La Pléïade, 1968
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jeudi, 09 septembre 2010
Triptyque de Salluste
Photo : Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva
Voici le premier volet d'un triptyque sallustien proposé par Sara, Volonté, Valeur, Vanité (les titres sont d'elle), trois extraits courts et clairs du grand auteur romain.
I
La volonté
"L’homme a tort de se plaindre de son sort, de ce que, faible et enfermé dans les limites d’une brève existence, il dépende plus du hasard que du mérite.
Pour peu qu’on y réfléchisse on verra, au contraire, qu’il n’est rien de plus grand, rien de plus noble que l’homme, et que s’il manque quelque chose à sa nature, c’est moins la force et le temps que l’art de s’en servir. L’esprit est le maître suprême des destinées humaines. Si, guidé par lui, l’homme marche à la gloire par la voie du mérite, il atteint les sommets de la puissance, de la force, de la noblesse et n’a pas besoin de richesses qui ne peuvent donner à personne ni l’honneur, ni la sagesse, ni les autres vertus. Si, au contraire, entraîné par le dérèglement des passions, il s’abandonne à l’indolence et aux plaisirs des sens, après quelques instants de funestes voluptés, ayant vu dépérir par son inertie, et ses forces, et son temps, et son intelligence, - il s’en prend à la faiblesse de sa nature, il rejette sur les circonstances un mal dont lui seul est responsable.
Si les hommes se souciaient autant de ce qui est le vrai bien, s’ils faisaient autant d’efforts pour combattre ce qui lui est contraire, inutile, souvent même nuisible, ils dépendraient moins des circonstances que les circonstances ne dépendraient d’eux et telle serait la grandeur atteinte par eux que de mortels qu’ils sont, la gloire les rendrait immortels".
Guerre de Jugurtha
Salluste
Gallimard La Pléïade, 1968
On peut lire de bonnes choses sur Salluste ici.
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lundi, 06 septembre 2010
Vacances à Saint-Tranxène
(un billet de Marin Dupondt-M)
Nous présentons en exclusivité un extrait du livre Vacances à Saint-Tranxene, de Marin Dupondt. L'ouvrage sortira dans plusieurs weblibrairies dans quelques mois, avant la fin de l'année MMX.
Les photos sont de Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva.
"Respire plus loin, mon amour. Tu te sentiras mieux. N’oublie pas que ce que tu éprouves, je l’ai vécu, expérimenté, avalé, digéré et assimilé, Dom. Inutile de t’angoisser. Inutile de transpirer, tu sais. Eh, la vie n’est pas un lagon bleu, bébé. La vie n’est pas un berceau douillet. Même les bébés le savent, mon cœur. Avale. Digère. Mais tu veux vomir, n’est-ce pas ? Attends, je t’accompagne. Si, ma chérie. Si, si, je viens avec toi. Je t’aime.
La pauvre. Plus de boulot. Ils la virent, lâchement. Ils mettent le fils du patron à la place. Elle est rentrée, normale. Elle a fait les courses avec moi, pain, fromage, vin, salade, tomates. Elle n’a rien dit. C’est tout à coup, quand on préparait le bon petit repas. Comme ça, tout à coup, elle s’est mise à pleurer. Mon pauvre amour. Si belle. Si jeune. Malgré ses quarante ans. Malgré mes vingt ans. C’est une petite fille, vous savez… Elle ne tient plus le coup. Elle est belle, à sa façon, mais là elle vomit. Ma chérie.
Respire plus haut, mon amour. Que t’importe ce qu’ils pensent ? Mon cœur… Ne t’inquiète plus. Je t’aime, je vais m’occuper de toi. Un petit verre ? Non, n’est-ce pas… Ce n’est pas le moment. C’est certain. Mais je pensais justement à quelque chose, ces derniers jours.
C’est vrai. Ça lui arrive alors que je pense très fort à ça. Des vacances. Nous ne sommes jamais partis en vacances, tous les deux. Boulot, dîners, boulot, dîners… On pourrait s’en aller. Je paierai tout. J’ai confiance en l’avenir, je peux balancer mes économies dans un petit paradis. Une île… Quelque part, pas loin… Pas trop cher.
Respire plus fort, mon amour. Je pensais à quelque chose, tu sais ? Des vacances !
Reste avec Dam, Dom. Reste. Demeure là, tranquille, calme, zen, sauve. Dom. Demeure…
Dom, c’est elle qui m’a accompagné sur la tombe de mon meilleur pote tué en moto :
- Tom, tu sais quoi… Tom… Les dix dollars… J’te les donne, Tom… (en sanglots) : J’te les donne, connard, les dix dollars ! Mon pote ! Mon pote ! J’t’adore, t’sais !
Elle ne s’est pas moquée de moi. On a mangé un bout sur un banc, le soir, dans un square. On a donné aux oiseaux. On était bien. J’avais le cœur qui refermait ses blessures. Tom, c’était quand même mon meilleur ami : mon seul ami.
Elle, Dominique. Moi, Damien. Quand je l'ai rencontrée, elle était prof à l'université, elle l'est toujours d'ailleurs. Moi, j'étais étudiant mais je ne le suis plus. J'ai arrêté. Je préfère m'occuper de Dom, la pauvre.
Allons, ma chérie, ne pleure plus".
Marin Dupondt-M
Photos de Mavra Nicolaievna Vonogrochneïeva
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samedi, 04 septembre 2010
Noire est la nuit dépsychisée
(Un billet d'Esther)
Noire est la nuit. Je m’enfonce dans l’imaginaire, loin des psychoflics, de l’armée grise des fonctionnaires de la société mentale : professeurs, médecins de la tête et du cœur, juges, penseurs agréés par des diplômes. Leur psychoflicage ne passe pas la frontière du rêve. Qu’il est bon de désexister, et de commencer, enfin, à vivre !
Je sais que les nuages descendent à pas mousseux nous chuchoter des limbes de ciel et des crachats de pluie. Je vivais dans une acropole ; je l’ai perdue. Alors, de ma fenêtre et le long de la nuit, je l’attends.
Je pense qu’elle passe parfois au-dessus des hautes tours de fer, l’acropole des enfances emprisonnées, la ville de verre aux cœurs meurtris, et je sais qu’en son sein les animaux et les enfants suçotent leurs rêves, paisibles et soulagés.
Ne donnez pas trop vite leurs nécropoles aux choses que vous croyez oubliées. Car les nuits sont longues, et les pensées vagabondes.
Esther Mar, in Chant de poussière
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jeudi, 02 septembre 2010
Loges d'antan
La Malibran
J'annonçais la fin d'un triptyque Vignyste. A tort. Cette série de posts, c'est un polyptyque ! Car je ne peux manquer d'ajouter ce passage, encore extrait de la biographie d'Alfred de Vigny par Maurice Allem, et qui relate d'une belle façon la rencontre entre deux grandes actrices du XIXème siècle : la Malibran vieillissante et mystérieuse, et Marie Dorval, comédenne inégale, dont Vigny fut fou.
"Ecoutons" Maurice Allem, donc :
"Un soir de mars 1830, au cours de la représentation d'un mélodrame quelconque, dans lequel elle avait obtenu un prodigieux succès, Vigny alla féliciter Marie Dorval pendant un entr'acte, et la tragédienne lui dit qu'elle se trouvait fort intriguée par la présence, depuis plusieurs soirées, dans la même loge, d'une dame vêtue de noir et voilée, qui ne cessait, sous son voile, de s'essuyer les yeux.
Vigny répondit qu'il connaissait très bien cette dame, qu'elle était une des ses bonnes amies, et il offrit à Mme Dorval de lui présenter l'inconnue à la fin du spectacle.
Dorval accepta ; après le spectacle, l'inconnue parut, en effet, accompagnée d'Alfred de Vigny, et, prenant les deux mains de la tragédienne, elle lui dit d'une voix pleine encore de larmes :
- Ah ! madame, que vous êtes belle et touchante dans cette pièce !
Mme Dorval touchée, par un tel éloge, pria l'inconnue de vouloir bien se nommer ; et celle-ci relevant doucement son voile, dit :
- Je suis la Malibran.
Ce seul nom émut davantage encore Mme Dorval ; elle avait justement dans sa loge le portrait de la Malibran chantant la Romance du Saule ; elle la lui montra et lui déclara qu'elle regardait cette image comme "la Madone de l'art".
Les deux actrices tombèrent alors dans les bras l'une de l'autre.
Marie Dorval
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lundi, 30 août 2010
Le temps de Vigny : Chatterton
Photo de Sara
Il y a quelques jours nous donnions des portraits de cet auteur mystérieux, réalisés par deux écrivains l'ayant bien connu : Lamartine et Dumas.
De sa biographie par Maurice Allem (1911), nous tirâmes ensuite une brève et cruelle description des "poètes maudits", tant aimés et protégés par Vigny. Ces poètes maudits, il écrivit pour eux une pièce de théâtre qui eut un retentissant succès au XIXème siècle : Chatterton.
La première représentation de Chatterton est remarquablement bien décrite par Maurice Allem. C'est une mine documentée de renseignements sur Vigny, sur ses amis, sur son amoureuse l'actrice Marie Dorval, sur le théâtre parisien de l'époque et sur le succès phénoménal que connut la pièce :
"La première représentation de Chatterton fut donnée sur le Théâtre-Français le 12 février 1835.
Jouslin de la Salle a raconté que l'ouvrage avait été refusé par le comité de lecture, et qu'il avait dû prendre sur lui, après avoir fait lire le manuscrit au duc d'Orléans et à la Reine, qui furent très intéressés, de passer outre à la décision du comité.
Cette soirée mémorable du 12 février, qu'Alfred de Vigny appelait avec une grande fierté "ma soirée", est demeuré, avec celles d'Antony et d'Hernani, l'une des dates les plus retentissantes de l'histoire du romantisme au théâtre, la plus retentissante peut-être. Cette fois, le romantisme ne portait pas à la scène une formule dramatique nouvelle. Au contraire, Chatterton formait un contraste sévère avec les compositions d'Alexandre Dumas et de Victor Hugo. Il n'y avait là ni profusion de personnages, ni recherche de décors, ni étalages d'oripeaux : une action simple et les acteurs strictement nécessaires. Mais le héros de l'histoire était le poète romantique lui-même, et la théorie romantique de la mission sacrée du poète y était, pour la première fois, publiquement exposée et défendue.
La période des répétitions fut toute remplie d’incidents que faisait renaître sans cesse l’hostilité des comédiens du Théâtre-Français envers leur nouvelle camarade Marie Dorval. Cette actrice inégale, sublime souvent, médiocre parfois, selon son humeur ou selon son rôle, était regardée comme une intruse dans cette noble maison, où elle venait d’obtenir ce rôle de Kitty Bell qu’on considérait comme dû à Mademoiselle Mars. Marie Dorval laissa dire ; elle supporta tous les sarcasmes ; elle avait, d’ailleurs, pour elle, la volonté d’Alfred de Vigny qui dut entendre de nombreuses récriminations contre le choix qu’il avait fait.
Un jour, on apporta sur la scène un escalier : c’était l’escalier qui devait conduire à la chambre de Chatterton et du haut duquel Dorval devait dégringoler au dénouement. L’idée de cette dégringolade mit ses partenaires en gaieté ; il leur tardait que Kitty Bell dégringolât. Vaine attente ! Elle se refusa à leur donner ce plaisir, et elle attendit le jour de la première représentation pour leur montrer comment une comédienne de la Porte-Saint-Martin dégringole sur la scène du Théâtre-Français.
Ce jour là, elle ne vit personne. Elle se rendit au théâtre de bonne heure, et s’enferma dans sa loge en attendant le moment du lever de rideau.
Cependant la salle s’emplissait ; un public élégant prenait place dans les loges, aux balcons, aux fauteuils d’orchestre ; le faubourg Saint-Germain était là, les hommes en habit de couleur, avec des gilets de fantaisie, des cravates à gros grain, les femmes revêtues de toilettes légères, les unes coiffées de turbans de gaze, les autres portant dans leurs cheveux des touffes de fleurs.
Mais on y voyait aussi des êtres au visage hâve, aux longs cheveux, aux costumes plus ou moins singuliers : c’étaient tous les pauvres rimeurs, descendus pour un soir de leurs taudis, et qui venaient assister au drame de leur propre misère. Ils avaient longtemps attendu, par cette soirée froide de février, l’ouverture du théâtre ; enfin ils étaient là ; certains, pour y venir, avaient dû ajouter à la somme de leurs privations une privation nouvelle, comme ce malheureux Hégésippe Moreau qui, quelques jours auparavant, avait, dit-on, engagé son unique gilet au Mont-de-Piété pour trois francs.
Il y avait aussi la plupart des écrivains et des artistes connus : peintres, sculpteurs, musiciens.
Enfin, dans les quatre avant-scènes prirent place la cour et le roi lui-même.
Ainsi le drame social qui va se jouer tout à l’heure se déroulera devant un auditoire où tous ses personnages sont représentés ; toutes les puissances sociales sont, en effet, rassemblés dans cette salle : le monarque, l’aristocratie, la bourgeoisie riche, et cette triste armée de Chattertons qui réclament d’elles, indûment, certes, mais avec bonne foi, le droit à une existence dont ces puissances assumeraient la charge.
Enfin le rideau se leva, et ce public, si divers, fut bientôt tout entier et définitivement conquis. La soirée fut un long triomphe pour l’auteur et pour les interprètes.
Geoffroy, qui jouait le rôle de Chatterton, rendit avec une impressionnante vérité tous les sentiments de son difficile personnage ; il sut exprimer avec une égale maîtrise la colère, l’amertume, le désespoir, l’amour et l’exaltation du jeune et malheureux poète.
Johanny présenta avec gravité et autorité la figure sévère du pasteur.
Mais les plus vives acclamations furent pour Marie Dorval. Tous ceux qui ont parlé de cette soirée sont unanimes pour déclarer qu’elle y fut admirable. Elle donna l’illusion qu’elle vivait son rôle ; elle fut réellement l’aimante et douloureuse Kitty-Bell.
« Je la vois encore, écrit Henry Monnier dans les Mémoires de Joseph Prudhomme, je vois l’étonnement de la salle entière lorsque, s’avançant sur la scène dans son modeste habit de quakeresse, tenant ses deux enfants par la main, elle parut pour ainsi dire aussi pure, aussi chaste qu’eux ».
Cette simple apparition dut, en effet, produire une impression profonde, car Maxime Du Camp, qui assistait à cette représentation, en avait fidèlement gardé le souvenir.
« Je la vois encore, dit-il à son tour, avec ses mitaines de dentelle noire, son chapeau de velours, son tablier de taffetas ; elle maniait ses deux enfants avec des gestes qui étaient ceux d’une mère, non d’une actrice… Malgré sa voix trop grasse, elle avait des accents plus doux qu’une caresse ; dans sa façon d’écouter, de regarder Chatterton, il y avait une passion contenue, peut-être ignorée, qui remuait le cœur et l’écrasait. Les spectateurs étaient anxieux, c’était visible ; l’angoisse comprimait jusqu’à l’admiration. A je ne sais plus quel passage on cria : « Assez ! »
Immobile, appuyé sur le rebord de la loge, étreint par une émotion jusqu’alors inconnue, j’étouffais. »
Charles Séchan, dans ses Souvenirs d’un homme de théâtre, dit que Dorval eut « des cris à électriser la salle entière », des cris, selon l’expression d’un autre spectateur, « qui vous faisaient passer le frisson dans les ongles et vous remuaient jusqu’aux dernières fibres du cœur. »
Les décors eux-mêmes étaient impressionnants. Lorsque le rideau, se levant pour le troisième acte, découvrit la chambre de Chatterton « sombre, petite, pauvre, sans feu », « un lit misérable et sans désordre », combien de jeunes cœurs durent tressaillir ! Les poètes misérables qui se trouvaient ce soir-là rassemblés la reconnurent : c’était celle où, trois années auparavant, Escousse et son ami Lebas avaient allumé leur réchaud ; c’était celle où, à cette heure même, à une faible distance de cette salle, le malheureux Emile Roulland, en traduisant en vers les Lusiades, achevait de mourir de faim ; c’était celle où ils allaient rentrer tout à l’heure, enthousiasmés, fiévreux, plus exaltés encore par leur rêve chimérique.
Mais à la troisième scène de cet acte, le décor changea ; le fameux escalier, d’où Kitty-Bell devait à un moment dégringoler, et que l’on avait déjà vu aux deux actes précédents, reparut. Au milieu de l’émotion angoissée de l’auditoire, lorsque Chatterton, résolu à mourir, se fût retiré dans sa chambre, on vit Kitty Bell, qui avait demandé secours au quaker, monter derrière lui le tragique escalier. Ascension douloureuse ! La pauvre femme gravissait les marches lentement, à demi évanouie, s’accrochant à la rampe, et lorsqu’elle atteignit enfin le sommet de ce calvaire, après avoir fait céder la porte qui résistait, elle vit, dans la triste chambre, l’infortuné Chatterton qui mourait. Ce fut la minute la plus poignante. Le cri que jeta Dorval transperça tous les cœurs ; elle s’affaissa, son corps s’abattit sur la rampe de l’escalier, et, presque inanimée, le buste rejeté en arrière, les jambes pendantes, elle glissa le long de cette rampe jusqu’au dernier degré. Elle avait accompli son admirable dégringolade.
Dans toute la salle, des acclamations frénétiques retentirent.
Encore quelques répliques, et c’était fini. Alors le rideau descendit, les acclamations recommencèrent. Dorval, longuement rappelée, chercha dans les coulisses un de ses camarades pour qu’il la présentât au public : tous avaient déjà disparu ; elle prit donc par la main les deux enfants qui avaient représenté les enfants de Kitty Bell, et elle vint, avec eux, recevoir des acclamations nouvelles.
Quand le nom de Vigny fut proclamé, tout l’auditoire était debout, et, pendant dix minutes, trépigna d’enthousiasme ; les hommes battaient des mains, les femmes agitaient leurs mouchoirs. Personne ne se souvenait d’avoir jamais assisté à un pareil triomphe.
Le jeune Maxime Du Camp, comme il sortait de sa loge, les yeux rougis, et que sa mère lui demandait : « Qu’as-tu donc ? » essaya vainement de répondre ; il perdit connaissance, revint à lui dans une crise nerveuse et, toute la nuit, il fut agité par des cauchemars. Il avait treize ans, et, s’il faut en croire ses Souvenirs littéraires, c’est de ce moment-là que la passion des lettres le saisit.
George Sand écrivit le lendemain à Dorval qu’elle sortit de ce spectacle en larmes, sans vouloir dire un mot à personne, parce qu’elle n’avait plus la force de parler.
Le joyeux Labiche lui-même fut très remué. Il écrivit à Leveaux, l’un de ses collaborateurs : « Je viens de voir Chatterton, je suis encore tout palpitant, mon cœur saigne, comme broyé dans un étau. Le drame de Vigny m’emplit : il circule dans mes veines ; c’est mon sang. Bonsoir, je radote. »
Les interprètes de la pièce avaient été, eux aussi empoignés par le talent de Dorval, et par cet inoubliable jeu de scène de l’escalier, auquel aucun d’eux ne s’attendait ; après la représentation, Johanny, qui, dans le temps des répétitions, ne lui avait pas ménagé les quolibets, vint lui apporter ses excuses et lui exprimer son admiration.
Le peintre Charles Séchan, enfin, dans l’atelier duquel avaient été brossés les deux décors, considérait comme un des souvenirs les plus glorieux de sa carrière l’honneur d’avoir collaboré à ce retentissant succès.
« Si, comme on le dit, écrit Maxime Du Camp, les succès de théâtre sont ceux qui flattent le plus l’amour-propre, Alfred de Vigny a dû, ce soir-là, s’enivrer jusqu’au délire. »
Ce fut, incontestablement, la plus grande date de sa vie littéraire ; il fut toujours rempli de ce souvenir. Des langues malignes prétendirent, au dire d’Emile Montégut, que le succès de Chatterton « avait opéré sur le poète une manière de miracle qu’on avait pas vu dans le monde depuis le Cadran du roi Ezéchias, car il avait arrêté l’horloge de sa vie à cette date triomphante du 12 février 1835. »
Le triomphe de l’œuvre était supérieur à son mérite ; tous les jeunes écrivains l’avaient applaudie comme la Déclaration des droits du poète, selon l’expression de M. Maurice Paléologue, mais Balzac, qui la déclarait absurde, la résumait ainsi :
« Premier acte : Dois-je me tuer ?
Deuxième acte : Je dois me tuer.
Troisième acte : Je me tue. »
Tiré du livre de Maurice Allem sur Alfred de Vigny. Les photos sont de Sara.
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