lundi, 04 octobre 2010
Immersion - Submersion - Émersion
La poésie d’Edith Morning a longtemps été dénigrée au profit de son œuvre photographique. Depuis les années 2030, le processus inverse a lieu. La banalité de la photo morningienne est apparue au grand jour ; tandis que son œuvre poétique, toute en profondeur, surgit du néant de mépris où l’avaient reléguée ses contemporains.
THE STONED, le poème I am a light They come & eat Copyright Édith Morning On a trop donné d’importance, durant la première partie de notre siècle, à la poésie alexandrine française. Durant le XXème siècle elle était devenue moribonde, voire morte. Est-ce une raison pour ne plus jurer que par elle aujourd’hui ? La Renaissance européenne, la tentative folle et cependant réussie que cette Renaissance soit à la fois gréco-romaine et médiévale, les mouvements artistiques que cette Renaissance a engendrés ont trop fait oublier que dans sa tourmente déconstructive, le XXème siècle fut aussi un siècle artistique, et ceci pas seulement sur le plan de la bande dessinée et du cinéma. La peinture figurative, la littérature, l’électro-musique tonale y jouèrent un rôle que les critiques d’art actuels ont tort d’oublier. De leur part, c’est une forme de trahison envers nos pères et mères bouleversés par un siècle qui avait abouti au désordre total et à la négation de tout. Est-ce que nos prédécesseurs du XXème siècle ne rêvaient pas à la beauté artistique autant que nous ? Est-ce que, sans leurs explosions idéologiques et créatrices, nous connaîtrions les splendeurs que nous pouvons admirer aujourd’hui ? Certainement, la réponse est : non. Rappelez-vous Nietzsche, Friedrich Nietzsche, mes confrères arrogants : « il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante ». Rappelez-vous que nos étoiles dansantes qui ouvrent le troisième millénaire sont nées du chaos d’une fin d’un millénaire douloureuse comme une mort-accouchement.
Copyright Édith Morning
« La première phase de créativité c’est l’immersion. Je m’immerge, c’est-à-dire que j’entre peu à peu dans l’eau d’inspiration d’où je veux photographier - je te parle de photographie mais c’est aussi ainsi que je fais quand j’écris. Cette phase fait très peur, car l’idée de laisser l’eau nous submerger appelle l’angoisse de la mort ou du moins celle du risque, de l’inconnu. Puis vient le temps de la submersion. Nous sommes entièrement baignés dans l’eau et la respiration n’est plus celle d’un être humain, mais celle d’un poisson. Le monde entier ne compte plus : seule la création a lieu, monstrueuse, inhumaine puisque divine, trop humaine puisque liée à nos mains, à notre bouche, à notre corps peuplé d’enfance, de viscères, de chiens morts et de repas en digestion. Cette phrase, on ne la maîtrise pas. Le but est de demeurer le plus longtemps possible en submersion, car il est difficile d’y entrer (il est difficile de se laisser aller à l’immersion, à cause de la peur), et pourtant ce n’est pas nous qui choisissons de réémerger, c’est l’eau qui s’en va soudain, comme une vague qui était arrivée comme une furie quitte le sable et retourne là d’où elle vient, au milieu de l’océan. (...) L’émersion est un moment de désolation. Quelquefois, quand la vie est belle, elle permet un sourire, le contentement de retrouver les siens, qui vous attendaient en faisant autre chose, mais le plus souvent l’émersion correspond au retour aux contraintes laides, dérangeantes, de la vie quotidienne. Je crois, Esther, que l’immersion, la submersion et l’émersion sont la syzygie de l’artiste, la trinité des muses, la trilogie de l’acte créateur ». Immersion, submersion, émersion, donc. La trilogie sacrée, celle que suivit Edith Morning pour composer son œuvre créatrice à laquelle elle n’avait donné qu’un titre provisoire, que nous sommes obligés de conserver, en dépit de son intention déclarée de le changer, parce qu’elle n’est plus là pour retoucher une dernière fois son travail. Zodiac Solo, c’est donc le titre de ce recueil poétique dense, danse de la langue anglaise en construction perpétuelle, transe de la joie, des peine et du froid ressentis au Canada, entre Montréal, Vancouver et parfois, Québec, lieux où Morning vécut (Montréal, dès l’âge de 21 ans), séjourna (Vancouver, ville de son enfance, de ses parents), et se tua (Québec : un triste jour de février, où Edith Morning mit fin à une vie glorieuse, mouvementée, mais pas sans deuils intérieurs lourds à porter). Nous proposons à la lecture The Stoned and Spleen City. En miroirs, nous proposons les photographies d’Edith Morning qui portent ces mêmes noms. On ne sait si elle a nommé les photographies d’après les poèmes ou bien le contraire. L’ensemble des œuvres date des années 2020. Edith de CL,
For those who were heroes
Right from the start
And burned their swift doom
To fall in a stoned bar
Robed in decay
I am the dreamt womb
In their twilight
I am a shelter
When Cold comes down
Dirty hairs & trembling clothes
Ring at my door
They come & drink
Addicted poets
Who shot in a stoned street
Their transient power
I am a mum
At their deathdawn
They give a phonecall
For methadone
In their lost nights
I go to the pharmacy
& I cross the city
With pills and whiskey
They drink my whiskey
& they give me
Between two crying fits
The gold of Life
Dans cette période troublée, quelques parenthèses avaient été fermées, elles ont été heureusement ouvertes depuis. Pourtant, l’éblouissement que nous cause la poésie française actuelle, et principalement le vers alexandrin, ne doit pas nous fermer l’œil et l’ouïe aux manifestations poétiques qui ont lieu dans les autres langues. Je pense bien sûr à la poésie hawaïenne et à la poésie quechua, mais aussi, surtout à la poésie de langue anglaise. Australienne, Néo-Zélandaise, Canadienne, Irlandaise et Britannique, elle brille de tous ses feux retrouvés et puise dans Byron et Blake ce que Byron et Blake puisaient dans Shakespeare et Bacon : l’amour gothique de la nuit et le rire frais des prés redevenant sauvage.
La canadienne Edith Morning, amie d’Esther Mar, avec qui elle a entretenue une correspondance intéressante, a dû élever ses neveux, ce qu’elle fit aisément - sur le plan financier - grâce au succès de son œuvre photographique. Ce succès, dû plus à la mode qu’à son art, s’est joliment effrité depuis... pour mieux révéler la somptuosité de ses vers.
Un peu comme, au XIXème siècle, François René de Chateaubriand s’était rendu célèbre grâce à une œuvre peu intéressante - le génie du christianisme - pour atteindre la vraie gloire post-mortem avec la publication de ses mémoires d’outre-tombe, au moment où nous voulions jeter la photographe Morning aux oubliettes, son œuvre poétique s’impose. _ Nous proposons à nos lecteurs deux poèmes, The Stoned (les défoncés) et Spleen City (la cité du spleen, ou Ville de spleen). Rappelons que la démarche artistique d’Edith Morning, elle l’avait elle-même résumée en trois mots : immersion, submersion, émersion, dans une lettre à Esther Mar.
SPLEEN CITY, le poème
My love, your absence is blue
Like a strange jazz note
Lost in a straight tune
And my lonely presence in the flat
Don’t fill the flat
And the food in the fridge
Don’t fill the empty space inside ;
And Joy City through the window
Has become Spleen City.
Early in the morning or at night fall,
When I stand by the window
As I used to do,
The sight of the tired city,
Or the wakening city
Don’t make me fly anymore.
Ah, you’re not here anymore
Not to take the bin down ;
You’re not here anymore
Not to cook, not to wash dishes ;
You got away with your child and dog
And red lips and neroses...
And your absence is blue
Like gray sky
On dirty roofs.
Ah my friends tell me
They find me better now,
Since bad jokes don’t go out
From my lips anymore.
They say my laugh is softer,
And my jokes less choking.
Yeah, they’re not wrong,
and the first days,
I felt it could be a good part :
The girl with her smoked glasses, see,
Writing alone in the bars,
Walking hours in the city.
But your absence glitters all time
And everywhere,
Like a star just died,
Like a lightbulb before it breaks.
Your shining absence
Is the only lively event right there...
And your absence,
It is clear,
Your absence will never die.
My love,
Your absence is blue
Like a funny jazz note
Lost in a straight tune.
And the beers I do drink
Do not erase the track you left ;
And Joy City through the window
Has become Spleen City.
The world was so absurd with you...
It’s now too logical for me.
Spleen City surrounds me,
The buildings and the lights,
The signposts and the wind
And the rain in the night ;
And the bums and the bars
Will go on forever .
My love,
We shouldn’t learn some words like forever.
Why did you leave ?
My love,
I didn’t grasp, I thought we were fine together.
Why did you leave ?
I’m smiling
Cause I can see
The sun through the rain.
I’m smiling
Cause I can see
Your face through the rain.
Winter sun is rising
At the end of the street,
Why did you leave ?
There’s a question
That flies above me
While the world turns :
Why did you leave ?
17-19 janvier-froidure 2089, pour le journal La Page Nue
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Commentaires
Très bonne critique d'une oeuvre poétique encore trop confidentielle.
Écrit par : The Future | mardi, 05 octobre 2010
"Comme la vie est lente.
Et comme l'Espérance est violente"
Apollinaire sans alexandrins c'était bien aussi, surtout à Alexandrie dont il fut le patriarche dans une précédente vie
Écrit par : No Future | mardi, 05 octobre 2010
Les commentaires sont fermés.